Les discussions sur les romans et livres lus sont souvent un peu lapidaires, se limitant à dire "j'aime / j'aime pas", je propose donc, pour qu'il soit possible de réellement discuter sur des questions littéraires de développer un peu, signaler bien sûr nom de l'auteur, du livre, première édition, un résumé fonctionnel pour que ceux qui ne connaissent pas du tout puissent comprendre l'avis formulé, des liens éventuellement vers des compléments d'information, avec une présentation succincte de l'intérêt du lien (rien de plus lassant que des listes interminables de liens dont on n'a aucune idée de ce à quoi ils correspondent, ils en perdent leur intérêt et utilité) ; par ailleurs, je propose de rajouter un peu de matière potentielle à ce sujet en étendant à la réflexion sur la littérature en général, sur les genres, ce qui les caractérise, la fiction, son utilité, sa manière d'être construite... et bien sûr, ce qu'on aime, ou pas !
Pour commencer, inaugurer, voici les liens vers trois articles du site de la "Vie des idées" (http://www.laviedesidees.fr/). Il porte sur la diffusion des débats au niveau international dans différents domaines, en présentant des compte rendu de lectures d'essai ou d'études mais aussi des points sur les théories et concepts qui sont travaillés dans les "Think tanks", une structure dont je n'ai découvert l'existence que récemment en fait !

Dans le cas du sujet qui nous intéresse ici, trois articles ont attiré mon attention :
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1. Christophe Béal, « La fiction, outil philosophique », La Vie des idées, 16 février 2011. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/La-fiction- ... hique.html
2. Charles Delattre, « Lire Tolkien », La Vie des idées, 25 février 2010. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Lire-Tolkien.html
3. Stéphanie Sauget, « Les vampires attaquent !. Réflexions sur une mythologie 2010 », La Vie des idées, 2 février 2010. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Les-vampires-attaquent.html
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Le premier article porte sur l'utilisation de la fiction pour transmettre des concepts philosophiques (mythe de la caverne et bien d'autres), le lien entre fiction philosophique et science-fiction étant plus net de nos jours apparemment. "Plus qu’une simple expérience de pensée venant confirmer ou illustrer une thèse, la fiction narrative nous ferait accéder à une certaine connaissance du sujet et de l’esprit. [...] le récit de fiction découvre des possibles qui donnent lieu à des problèmes qui ont du sens [...] Qu’une forme de pensée puisse se déployer au sein des fictions narratives, c’est aussi l’idée que défend Franck Salaün, directeur de la collection « Fictions Pensantes » des éditions Hermann, dans son dernier livre Besoin de fiction qui rassemble une série d’études visant à définir ce que peut être une « expérience littéraire de la pensée » (p. 13). À travers ces ouvrages s’affirme indéniablement une autre manière de faire de la philosophie. ".
Dans quelle mesure cela me parle-t-il ? Eh bien dans le sens où insensiblement c'est une telle démarche que j'ai fini par développer en rédigeant Surface (alias roman n°3) et que j'ai également tendance à aborder un angle de réflexion semblable quand je me penche sur un univers de JdR. Oh, je ne vais pas aussi loin et je suis toujours un peu réticente avec les grandes tirades philosophiques, trop compliquées pour être honnête en quelque sorte, et quand une pensée est "compliquée" j'ai tendance à considérer que l'auteur n'a tout simplement pas su la développer suffisamment pour qu'elle devienne claire, donc qu'elle est inaboutie... et qu'on n'a pas besoin de s'embêter avec des pensées brouillonnes !

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Le second article m'a amusée en me faisant découvrir le champ des études sur Tolkien et l'étonnement qu'il a suscité parmi les chercheurs simplement pour avoir utilisé son savoir universitaire dans une création imaginaire merveilleuse (j'utilise cet adjectif pour distinguer ses œuvres de fantasy du fantastique ou de la science fiction plus que pour une question d'admiration, car en fait je reconnais l'importance de l'apport mais ne suis pas spécialement admirative pour autant

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Le troisième article présente l'état actuel du phénomène littéraire autour des vampires, terriblement à la mode, d'ailleurs il est signalé que 80% de la littérature et production fictionnelle vampirique vient des États-Unis. Alors qu'ils sont totalement compatibles avec les mythes chrétiens, ils s'épanouissent dans des sociétés à dominante matérialiste et utilitariste. Cette figure littéraire a connu une longue histoire et des visages différents : "vers 1930, Montague Summers a défini une nouvelle catégorie de « vampires » : les vampires psychiques qui aspirent la vitalité des autres sans forcément sucer physiquement leur sang. [...] depuis 1914, on qualifie de « vamps » les femmes séductrices et prédatrices, potentiellement dangereuses. Le dernier avatar du vampire est le criminel psychopathe, tueur en série, obsédé par le sang ou/et le sexe."
Amusant aussi la transformation des vampires, en passant de l'Orient à l'Occident : "En passant à l’Ouest, le vampire change de caractéristiques. De cramoisi, il devient d’une pâleur cadavérique ; il acquiert des incisives hypertrophiées qui laissent deux marques spécifiques sur le cou de ses victimes là où le vampire oriental aspirait le sang à travers la peau. Les vampires actuels [...] n’ont plus d’haleine fétide, de touffe de poils dans la main, ni de cheveux roux ou une calvitie inquiétante. Les vampires occidentaux sont des séducteurs, alors que ceux des légendes orientales avaient souvent tout du décérébré. La dimension érotique est même devenue l’une des caractéristiques principales alors qu’elle n’existait pas dans les légendes orientales."
J'ai bien aimé également le changement des vampires qui deviennent plus "propres sur eux" : "Selon Jean Marigny, la tendance actuelle la plus nette de la culture médiatique vampiresque vise à humaniser le vampire et à minimiser ce qui était chez lui inquiétant. La caractéristique la plus frappante est le fait que les héros vampires actuels semblent refuser de boire du sang humain [...] Le vampire n’est plus forcément un odieux criminel. Le besoin de boire du sang demeure, mais le vampire qui y est contraint semble désormais tout faire pour ne pas nuire à ses « donneurs » (et non plus victimes). Tout un ensemble d’expédients l’y aide : insensibilisation par hypnose, cicatrisation immédiate, oubli de la scène de succion, etc. Pour Jean Marigny, « cette vision aseptisée permet aux vampires de devenir des héros à part entière que l’on peut même envier ou admirer : ils ne sont pas nuisibles, ils sont pratiquement invulnérables et la vieillesse et la maladie n’ont aucune prise sur eux » (p. 63). Le vampire moderne est un beau jeune homme, défenseur de la veuve et de l’orphelin : une sorte de héros au cœur pur, aux antipodes du mort-vivant traditionnel. Il n’est plus un aristocrate décadent habitant loin des hommes dans un château maudit, mais un urbain qui fait des études [...] ou qui a un métier et qui est parfaitement intégré dans sa communauté, avec laquelle il cherche à cohabiter." Cet aspect d'édulcoration est assez pénible je trouve, finalement la dimension transgressive ou horrifique est gommée alors qu'elle constitue l'essentiel de l'intérêt de cette figure mythique, un être qui désire vivre au détriment des autres, qui place sa survie comme priorité absolue. On est tout de même au comble de l'égoïsme et de l'avidité, de pures émotions antisociales et parfaitement sombre autant que destructrices. "Alors que le vampire du XIXe siècle incarne l’horreur de la mort, de la déchéance et le charme ambigu de la nécrophilie, il n’y a rien d’aussi vénéneux dans les vampires « commerciaux » actuels. Il peut certes y avoir des représentations esthétisées de l’homosexualité, de l’inceste ou du sado-masochisme [...] dans les histoires qui triomphent aujourd’hui sur les petits ou les grands écrans, il est question d’histoires d’amour hétérocentrées et monogames, somme toute très platoniques : un vampire mâle dominant, qui a du pouvoir, y renonce et accepte de se montrer fragile pour conquérir le cœur d’une jeune femme sensible à sa virilité mais aussi à sa vulnérabilité et à sa solitude. Ces évolutions s’expliquent surtout par le fait que la littérature actuelle sur les vampires est désormais plutôt tournée vers un public de masse de plus en plus jeune, alors qu’à l’origine elle se destinait à un public adulte averti appartenant à l’élite intellectuelle.[...] S’il connaît un tel succès aujourd’hui, c’est parce qu’il a été ramené à des thèmes universels (la vie, la mort, l’amour, la fatalité, le sang) et qu’il s’est transformé au point de devenir méconnaissable. "
En définitive, le pouvoir de transgression, enfin, ce qu'il en reste, du vampire a été apparemment déplacé : "le vampire contemporain est aussi devenu le crypto-symbole ou le porte-parole de la demande d’intégration de toutes les altérités communautaires visibles (communautés noires, lesbiennes, gay, transsexuelles, etc.)." Cela dit, je ne suis pas très convaincue par cet usage du mythe, je veux dire par là qu'il y a tout de même d'autres moyens plus efficaces de parler de discrimination ou de demandes d'intégration, utiliser le vampire pour ce faire, c'est comme prendre un outil disponible mais qui n'est pas le plus adapté. A la limite, si on cherche du côté des mythes, le loup-garou est historiquement bien plus adapté pour parler de rejet de l'autre puisque sa figure est étroitement liée à celle du banni, donc d'un individu marqué par l'infamie et rejeté, socialement mort... et en même temps, il y a une richesse thématique qui peut être exploitée du côté anciennes religions : la proximité entre le loup et l'ancien dieu Lugh / Apollon ; la seconde peau du loup-garou et celle des voyages de chamanes et sorciers par exemple.
Un lien qui était proposé à la fin de l'article pour un blog qui concentre de manière assez impressionnante des résumés de livres, romans, comprenant un ou plusieurs vampires à l'intérieur : http://blog.vampirisme.com/vampire/, un bon moyen de voir l'étendu de la production existante, plutôt impressionnante... J'aime beaucoup les résumés de livre : ça m'épargne le temps d'une lecture parfois fade tout en soulignant les éléments constitutifs de la narration, les lieux communs aussi, et ceux-ci m'intéressent assez, presque en tant que sujet d'étude d'ailleurs
