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Thalgrim
15 juin 2012, 01:48
Historique
Il était arrivé au village il y avait maintenant cinq ou six ans. Tous les habitants se souvenaient de ce jour là. Un petit groupe de mercenaires désoeuvrés s'en étaient pris à eux. Après avoir demandé l'hospitalité pour s'abriter de l'orage, ils s'étaient ensuite retournés contre leurs hôtes et n'avait eu aucun mal à se rendre maître du village, malgré leur petit nombre, en éliminant par surprise les villageois les plus à même de se battre. Les mercenaires avaient ensuite commencé à piller les réserves de nourriture (et de boisson) et les plus brutaux d'entre eux s'étaient aussi mis en tête de prendre un peu de bon temps avec quelques filles. Inutile de dire que la plupart d'entre eux ne pouvaient plus être qualifié de sobre. C'est à ce moment là que l'Homme et Demi était arrivé. Le nom s'était imposé de lui même. Son allure sauvage et primitive le faisait presque ressembler à l'un de ces feondas dont on parlait à voix basse, et sa taille inhumaine ne faisait que renforcer cette impression. Villageois et mercenaires se tournèrent vers ce nouvel arrivant, qui ne semblait nullement dérangé par la situation et déclara simplement:
"Temps de merde hein?"
Ce à quoi l'un des pillards en herbe, passablement aviné, lui répondit:
"Eh connard, tu te crois où? Donne-nous tout ce que t'as!"
L'Homme et Demi crût-il réellement qu'on en voulait à ses peaux de bêtes puantes ou la cognée de bûcheron qu'il portait à la ceinture? Toujours est-il qu'il prit très mal cette intervention. D'un mouvement vif, il attrapa la tête du mercenaire et la fracassa contre le montant d'un auvent avec un bruit écoeurant. Puis sans plus de cérémonie, il dégaina son arme et entreprit de massacrer tous les pillards. Il ne put mener son objectif à bien, car ces derniers décidèrent, après avoir vu plusieurs des leurs se faire tuer, qu'il était finalement préférable d'affronter l'orage que ce colosse sanguinaire.
Lorsque l'Homme et Demi eut cessé sa tuerie, trois mercenaires de plus étaient morts. Couvert de leur sang, il avait alors déclaré:
"Je veux l'hospitalité. Et j'ai faim. Et soif."
Évidemment, tout lui fut accordé sans la moindre discussion. La majorité du village se retrouva ainsi rassemblé dans une moitié de la salle commune, à regarder l'Homme et Demi prendre un copieux repas dans la seconde moitié de la pièce. Les villageois retenaient leur souffle, attendant les autres exigences du barbare et se préparant au pire. Lorsque l'orage fut passé, il se leva de table, provoquant quelques sursauts. Puis il sorti de la salle, suivi à distance respectueuse par les villageois. Il fouilla le cadavre d'un mercenaire et s'empara de sa bourse, puis troqua sa cognée contre une véritable hache de bataille.
"Je prend ça.... et ça aussi."
Et il partit, sous les regards interloqués des villageois. En réalité, ils s'étaient attendus à tout, sauf à ça. Si l'étranger avait demandé une récompense, ils auraient compris. Si l'étranger les avait rançonnés, ils auraient grogné, mais ils auraient compris. Même s'il s'était comporté comme les hommes qu'il avait tué, ils auraient compris. Mais qu'il parte comme ça, sans rien réclamer de plus qu'un peu de ragoût et de la bière, ça les dépassait.
Après, un rapide conciliabule, les membres du conseil du village trouvèrent le courage d'interpeller l'Homme et Demi:
"Heu.... étranger?
Quoi? Répondit-il en s'arrêtant et en se retournant
- Eh bien, nous aurions une proposition à te faire.
- J'écoute
- Que dirais-tu d'assurer la sécurité et la protection du village? En échange, on te nourrirait et on pourrait te loger."
L'Homme et Demi réfléchit quelques instants.
"D'accord. Mais à ma manière. Je veux pas habiter dans le village. Et je veux être libre de parcourir la forêt comme je veux, hors de question que je reste à monter la garde.
- Hum... très bien, répondirent les membres du conseil"
C'est ainsi que l'Homme et Demi s'installa dans les environs du village, dans une cabane construite par les villageois. Comme convenu, il protégea le village, se tenant prêt à intervenir si le cor d'alarme retentissait. Mais le plus souvent, il arrivait sans que les villageois aient besoin de l'appeller, comme s'il gardait toujours un oeil sur le village.
L'Homme et Demi ne tissa jamais de véritable lien avec les habitants du village, dont il ne demanda d'ailleurs jamais le nom. La situation était en réalité assez étrange. On ne pouvait pas dire que le barbare faisait parti du village, il en était seulement son protecteur. Quelles étaient ses motivations? Nul ne le savait. Son passé aussi était un mystère, hormis pour l'Ansailéir du village qui était parvenu à obtenir quelques informations. Il avait été élevé quelque part sur la frontière entre Gwirde et Taol-Kaer, logiquement pas très loin du village donc, par des espèces de sauvages qui lui avaient appris à survivre, à se battre, et surtout à être fort, en le mettant constamment à l'épreuve, presque comme un animal. Le pire, c'est qu'il était pleinement satisfait de ce qu'ils lui avaient enseigné. L'Homme et Demi tirait en effet une grande fierté de sa force et estimait qu'elle lui accordait la liberté absolue. Paroxysme de cette éducation barbare, il avait un jour été abandonné dans la nature, sans aucun équipement. Il avait se débrouiller comme il le pouvait, luttant littéralement pour sa survie, parfois forcé de tuer les animaux qu'il chassait à coup de pierre. Bien sûr, dans les années suivantes, il avait été confronté à la civilisation. Mais il ne s'y sentait pas à l'aise. Trop de gens. Trop de règles. Il ne l'avait jamais intégré, il s'était contenté de rester en marge, tout comme il restait en marge du village. Il s'était improvisé mercenaire ou chasseur, mais de manière générale, il avait surtout vagabondé sans se poser de question, marchant simplement là où il voulait.
Un jour, l'Ansailéir se risqua à lui poser une question qui le travaillait:
"Le jour où tu es arrivé au village, pourquoi as-tu tué ces pillards?"
La réponse, navrante de simplicité, le terrifia.
"Parce que je pouvais le faire et que j'en avais envie.
- Tu veux dire que le fait d'avoir des bras comme des troncs d'arbre te donne le droit de faire ce que tu veux?
- Bah oui.
- Mais le monde ne marche pas ainsi!
- Si.
- Et si un jour il te prend l'envie de massacrer le village?"
Le colosse se gratta la tête.
"J'ai jamais eu ce genre d'envie.
- Et ça ne risque pas d'arriver?
- Tant que vous me laissez faire ce que je veux, non."
L'Ansailéir comprit confusément que l'Homme et Demi accordait une très grande importance à son indépendance et à sa liberté. Il décida sagement de garder tout ce qu'il savait à son sujet pour lui, après tout la situation restait tout de même avantageuse pour le villageois, et il était inutile d'inquiéter ses habitants.
Depuis les hauteurs, l'Homme et Demi observe avec attention la troupe de soldats qui s'approche du village. Il sent que ces gars là vont poser des problèmes. Empoignant sa hache, il entreprend de descendre la pente d'un pas nonchalant.
Le chef de la troupe le sait, les hérétiques se sont réfugiés ici. Il n'y a pas d'autres villages dans les environs. Il fait signe à ses hommes de s'arrêter, puis ôte son casque.
"Moi, frère Aeric, Sigire du Temple, je vous somme de me remettre les trois voyageurs qui sont récemment arrivés dans votre village, et nous vous épargnerons!
- Mais... comprenez Monseigneur.... l'hospitalité est une chose sacrée, lui répond l'Ansailéir du village
- Alors vous subirez le même sort que les hérétiques que je traque, rétorque Aeric en remettant son casque
- Personne fait subir quoique ce soit à ce village, grogne l'Homme et Demi en se jetant sur le Sigire"
Aeric est interloqué de voir ce sauvage se jeter sur lui, mais a tout de même le temps de dégainer son épée. Ses hommes eux, sont carrément abasourdi de voir un homme seul s'attaquer à une troupe armée et armurée du Temple. À vrai dire, ils n'y croient pas et scrutent attentivement les environs à la recherche de ses alliés.
Aeric pare un peu tardivement la première attaque du sauvage, puis se remet rapidement de sa surprise. Son assaillant est rapide et fort. Mais ses attaques sont primitives, furieuses, sans aucune finesse et totalement prévisibles. Une à une, il les pare ou les esquive.
L'Homme et Demi s'énerve. Il frappe, mais sa lame ne rencontre que le vide où est déviée par l'épée de son adversaire. Il redouble de violence, mais rien n'y fait. Une douleur au flanc. Puis une autre à la poitrine. Le goût du sang dans sa bouche. Son champ de vision que se rétrécit. Son adversaire vient subitement de grandir. À moins que ce soit lui qui soit tombé à genoux? Sa hache lui échappe des mains... il tâtonne pour la ramasser. L'éclat d'une lame qui se dirige vers son visage, puis une nouvelle douleur. Il s'écroule, et les ténèbres se referment autours de lui.
L'Homme et Demi reprend conscience. Il sent l'odeur âcre de la fumée. Son corps entier le fait souffrir. Mais il a autre chose. Une autre douleur. Pas dans son corps, mais dans son esprit. Il n'arrive pas à l'identifier. Puis une étincelle de compréhension se produit. La défaite. Ainsi, c'est ce qu'on ressent lorsqu'on perd. Le barbare tente de se relever. La douleur est insoutenable. Il retombe dans l'inconscience.
Lorsque l'Homme et Demi rouvre les yeux, ses plaies ont été bandé. Un homme et une femme se tiennent près de lui.
"Eh ben mon gars, tu reviens de loin, lui déclare le type. On peut dire que tu as de la chance de pas être mort. T'as passé deux jours inconscient.
- Le village?" Au fond de lui, le barbare connait déjà la réponse
- Ben... il en reste plus grand chose... c'est quand on a vu les flammes qu'on est venu voir ce qui s'est passé et qu'on t'a trouvé, répond l'homme
- Désolé pour tes amis, ajoute la femme
- C'était pas mes amis, grogne l'Homme et Demi en serrant les poings"
Il a échoué dans sa mission. Encore un sentiment nouveau. Pourquoi les choses ne se sont pas passé comme d'habitude? Pourquoi a-t-il perdu face à ce type? Était-il possible qu'un Homme et Demi vaille en réalité moins qu'un homme?
Dans les jours suivants, le barbare se remet de ses blessures. Rapidement à en croire l'homme qui l'a soigné et qui reprend donc sa route avec sa compagne. C'est parfait car l'Homme et Demi a besoin de solitude. Il doit réfléchir. Finalement l'Ansailéir avait raison avec ses histoires de troncs et de bras. Le monde ne fonctionne pas ainsi. À rester trop longtemps au même endroit, il a fini par croire que le monde tournait autour de lui et que sa force physique lui permettait de tout régler.
Sa décision est prise. Il va bouger. Explorer le monde. Essayer de le comprendre. Pour devenir plus fort, mais pas seulement avec des troncs et des arbres.
... au moins tu as les ordres de grandeur, ça te dit déjà ce que tu pourras acheter)