Parce que je n'arrive toujours pas à croire que j'ai fini ce &#@$£¤%*µ§? rapport de 12 malheureuses pages avec la confortable marge qui va avec... voici ce que ça donne, histoire de contribuer à l'exorciser et à me prouver qu'il existe

(claquée !)
(euh, les notes de bas de page ne passent pas en copier - coller, si par extraordinaire vous voulez vraiment lire ce texte, MP moi, je vous le mailerai en PDF

)
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L’essentiel des travaux consacrés au bannissement se concentre sur ceux qui ont touché des minorités ou communautés religieuses, en particulier :
o Juifs durant la période médiévale
o Jésuites durant la période moderne
o Prêtres réfractaires en 1792
o Figures politiques du XIXe siècle, en particulier Charles X, le bannissement se confondant désormais avec l’exil imposé aux figures politiques durant la période moderne.
Pour l’instant je n’ai que constaté ces différences sans les explorer ou les approfondir. Puisque le bannissement est une peine qui entraine l’infamie, il semble raisonnablement probable qu’il ne soit appliqué qu’à des individus dont l’auteur de la condamnation estime qu’ils méritent d’être stigmatisés. À l’inverse l’exil simple de figures politiques importantes signifierait une mesure d’ordre pratique mais sans volonté supplémentaire d’humiliation.
LA PLACE DU BANNISSEMENT DANS L’ÉVENTAIL DES PEINES : À QUOI SERT LE BANNISSEMENT ?
Une des difficultés d’appréhender le bannissement tient à ce qu’il se situe dans les études de doctrine de l’Ancien Régime et de sociologie de l’histoire du crime, tantôt dans une catégorie, tantôt dans une autre, rendant son sens et son rôle social peu clair.
De fait, sitôt que le bannissement est évoqué, il y a une confusion assez informe entre l’efficience de la peine sur la diminution de la criminalité, et sur l’utilité sociale de cette peine, son sens. Il est tantôt une honteuse exclusion, tantôt une manière d’épargner la vie du condamné en lui donnant une seconde chance. Le banni est une figure chargée de symboles et il peut être intéressant de préciser ce que signifie la peine pour comprendre son utilisation, sa durée et sa disparition.
STRATÉGIES ET SENS DE LA PEINE
Michel Foucault estimait dans Surveiller et punir qu’il y avait quatre grandes formes de tactiques punitives : le bannissement, le rachat, le marquage et l’enfermement.
Au contraire, dans l’étude littéraire, juridique et sociologique Le bannissement et l'exil en Europe aux XVIe et XVIIe siècles sous la direction de Drouet Pascale et Brailowsky Yan, publié en 2010, les études mettent en lumière la grande ressemblance entre l’emprisonnement et l’exil : « l’exclusion peut aussi s’effectuer en creux, l’expérience de la marginalisation se vivre au centre, le sentiment d’exil s’éprouver de l’intérieur : c’est la mise au ban interne, l’enfermement au sein même de l’institution qui rejette, la ségrégation par le ghetto […] Le banni, qu’il soit envoyé dans un ailleurs hors-carte ou contraint de (sur)vivre dans une géographie fortement hiérarchisée, doit s’accommoder au quotidien de la dialectique qui désormais l’habite, celle de l’inclusion et de l’exclusion, du proche et du lointain, de l’ouvert et du fermé, de l’ici et du là » (p.8)
Déjà à l’occasion des recherches effectuées dans le cadre de mon mémoire de Master 2 Re-cherche en Histoire du droit et des Institutions sur le Bannissement dans le Lyonnais de 1671 à 1789 j’avais pu constater qu’au cours du XVIIIe siècle, la prison remplaçait en pratique le bannissement pour tous ceux qui n’étaient pas en mesure de payer les lourdes amendes prévues en cas de vol.
Il semble y avoir une fonction sociale identique entre bannissement et prison, à savoir la vo-lonté de neutraliser et soustraire au regard. Une autre idée se dessine progressivement celle de l’identité symbolique entre ces deux peines. Elle ressort lorsqu’on considère la vision du crime, son lien avec la folie et le péché mais aussi la représentation « mythologique » des bannis au Moyen-âge. Dans cette structure, il y a un glissement par étapes :
o Période germanique & médiévale & pensée magique : le criminel est un loup, un loup-homme, un loup-garou, il est rejeté hors des terres civilisées habitées par les humains, il se rassemble avec ses semblables dans les forêts et les landes, aux carrefours et se confond avec la figure du brigand ; ce faisant il fait écho à d’anciennes peines entrées dans la my-thologie, réclamant une période de purification du « loup » pour redevenir « homme » (Hanna Zaremska, Claude Lecouteux, Bernard Sergent)
o Période moderne : dans les représentations et du vécu décrit, on a une identité des descrip-tions de l’emprisonnement et de l’exil, mais également de l’exclusion de la minorité au sein des murs de la cité (situation des juifs) ; en parallèle, l’exil est assez proche de figures devant faire pénitence dans le « désert » (au sens symbolique de lieu dépourvu d’humains). Le crime est un péché, intégré à la vision chrétienne du monde, il appelle donc à la purification, à une forme de purgatoire pour laver le criminel de sa souillure.
o XIXe siècle : le crime quitte la sphère religieuse du péché pour glisser vers la folie ; la prison est associée aux monastères autant qu’aux asiles psychiatriques. Le glissement entre les images et les thèmes, la proximité de l’exclusion et de l’inclusion, du désert et de la clôture se retrouve d’ailleurs aussi dans la figure de l’ermite, véritablement hors du monde, dans la « forêt » ou le « désert » et rejoignant le monastère, un hors du monde marqué par la frontière des murs.
De fait la logique inclusion / exclusion semble traverser toute l’histoire européenne et son imaginaire avec une grande perméabilité ou équivalences entre les thèmes :
Inclusion / Dans les murs ..... Exclusion / Hors des murs
- Terres sauvages (forêt, désert) ..... Lieu fermé, verrouillé, enterré, coupé, circoncis, délimité
- Épreuves, mortifications, privations, marque distinctive ..... Pérégrination, odyssée, animalité…
- Hôpitaux, monastères, prisons .... Léproseries, bannissement, exil, ermitage
Et en commun :
o Purification, purge, pénitence
o Perception d’un danger pour la société civilisée (contagion, dégénérescence, barbarie, sauvagerie…)
o Se séparer d’un élément perturbateur, qui nuit à la vision de l’harmonie sociale
LE BANNISSEMENT EN DOCTRINE SOUS L’ANCIEN RÉGIME : COMMENT LE BANNISSEMENT S’INSÈRE-T-IL DANS LE SYSTÈME PÉNAL ?
Sur la période médiévale, le bannissement semble avoir deux visages :
• Une forme de sursit, une condamnation qui évite la peine de mort pour les primo dé-linquants (travaux de Valérie Toureille sur le vol et le brigandage à Dijon au XIVe siècle)
• Une peine grave ritualisée (travaux de Nicole Gonthier sur les condamnations à Lyon au XIIIe siècle)
Durant la période moderne, l’option du bannissement concerne des infractions variées, le vol systématiquement pour un primo délinquant et les violences physiques souvent. Il est égale-ment prévu dans des lois spéciales, en particulier relativement aux eaux et forêt.
À faire : un inventaire précis des textes législatifs pour voir sur le long terme dans quels cas le bannissement est prévu et quelles peines l’accompagnent. S’assurer au travers de cette recherche de l’usage technique des termes « exil », « bannissement », « éloigne-ment »…
À faire : la doctrine débat du bannissement et de son sens au cours du XVIIIe siècle en accompagnant ces réflexions de propositions de réformes, il s’agit de voir plus loin, sur toute la période de l’étude pour connaître les positions du droit savant, de la doctrine sur la peine et son usage. L’efficience d’une peine fait parti des préoccupations des juristes, il y a donc vraisemblablement dans leurs travaux des éléments éclairant cette question délicate.
À faire : On observe un glissement vers la peine d’emprisonnement au cours du XVIIIe siècle, cependant cette intuition doit être étayée plus solidement et largement, pouvant par ailleurs expliquer
LE BANNISSEMENT EN PRATIQUE
Entre la théorie du droit et sa pratique, les différences peuvent être significatives.
Ainsi au cours du XVIIIe siècle, mes recherches m’ont fait découvrir par hasard un témoignage d’un membre du parlement de Grenoble qui disait en substance qu’un bannis qui enfreint son ban en restant chez lui mais ne commet plus d’infractions est habituellement laissé en paix, ce qui indique au moins ponctuellement une utilisation de la condamnation au bannissement comme une mise à l’épreuve.
À faire : une étude de l’attitude de différentes cours de justice, plus précisément de l’attitude des cours à différents degrés d’autorité, de pouvoir, de proximité ou familiarité avec les justiciables. Je pense en particulier à la justice du comté de Lyon (Chapitre Saint Jean, déjà dépouillé), aux justices seigneuriales de la région, à la justice du présidial, la justice de la ville de Lyon et la justice de la cour d’appel, à savoir le Parlement de Paris. Pour pouvoir traiter ces différents fonds de tailles variées mais qui peuvent être importants, je penche pour un échantillonnage (étude statistique et qualitative d’une année tous les trois ou cinq ans), le but étant d’avoir une vue d’ensemble autant que de pouvoir relier le bannissement à des infractions, des statuts, ou toute autre donnée.
ESTIMER L’EFFICIENCE DU BANNISSEMENT : LE BANNISSEMENT FA-BRIQUE-T-IL DES CRIMINELS ENDURCIS ?
L’idée commune selon laquelle le banni, voleur ou meurtrier, serait simplement un danger déplacé, est largement répandue, Hanna Zaremska cite des cas de critiques sur la période mé-diévale, et on en trouve aisément d’autres au XIXe et XXe siècles, notamment Jean-Marie Carbasse. Celle-ci-dessous est assez synthétique pour résumer l’idée :
« À en juger par la nature grave des délits qui entraînaient d’ordinaire la peine du bannissement, on conçoit aisément qu’un banni était un homme dangereux. S’en débarrasser, le rejeter purement et simplement hors de son sein était donc, de la part d’une commune, un acte d’égoïsme, et d’égoïsme grossier. […] Toute commune était ainsi exposée à fournir un refuge aux bannis des communes voisines ; et, de cette façon, il devait y avoir entre les diverses justices municipales un continuel échange de criminels et de gens sans aveu . »
Dans cette critique du bannissement, on peut dégager deux idées :
o Les communautés qui ne penseraient qu’à l’échelle locale
o La certitude qu’un condamné pour un vol ou un meurtre est un danger pour la société
Cependant affirmer une idée de « bon sens » est un non sens d’un point de vue méthodologique ne serait-ce que parce que ce même bon sens varie considérablement selon le groupe social et l’époque dont est issu qui l’énonce (voir en particulier Richard Hoggart, Howard Becker et Pierre Bourdieu). De fait, il n’est pas possible de s’appuyer sur le seul sentiment qu’un banni pour vol ou homicide récidiverait immanquablement, il faut déterminer une démarche méthodologique tendant vers l’objectivité.
LA QUERELLE DES CHIFFRES DE LA CRIMINALITÉ
Il semblerait que les taux de criminalité pourraient être instructifs pour déterminer si les sociétés pratiquant le bannissement sont plus dangereuses à cause de cette peine. Cette impression se heurte rapidement à des difficultés multiples.
Tout d’abord, le taux même de l’homicide, qui paraît le crime le plus simple à mesurer et dé-compter, est incertain. Les études, locales ou générales, qui lui sont consacrées estiment des taux qui vont de 1 à 5, 1 à 10 parfois (Laurent Mucchielli (dir.) et Pieter Spierenburg (dir.), Histoire de l’homicide en Europe, 2009). Les difficultés pratiques auxquelles se heurtent ces travaux sont liées, outre aux lacunes des archives, à l’estimation de la population totale, nombre essentiel pour calculer un taux, mais impossible à poser avec assurance avant que les statistiques d’État deviennent courantes au XIXe siècle.
Même à l’époque contemporaine, la mesure de la délinquance est délicate. Pendant longtemps, les « chiffres » ne s’appuyaient que sur les personnes arrêtées ou les plaintes. Cependant cette démarche pose en pratique plusieurs problèmes de validité méthodologique :
o Ce sont les services chargés des arrestations qui mesurent leur activité, or il y a à certaines époques la tentation de justifier l’existence de services de police par les « chiffres » et donc la concentration sur des infractions qui ne donnent pas lieu à une procédure judiciaire en temps normal (resquille dans les transports en commun par exemple ou détention de faibles quantités de drogue). Dans le cas de l’Ancien Régime, la situation est compliquée par les concurrences de compétences de plusieurs services et des irrégularités chroniques dans certaines administrations (Robin Vannereux dans le cadre de ses recherches sur les maîtrises des eaux et forêts a eu l’occasion de constater de nombreux disfonctionnements chroniques)
o Le nombre de plaintes ne dépend pas directement des faits commis, mais de la croyance que la victime a que sa plainte pourrait être reçue, que cette démarche est utile. L’augmentation importante des plaintes pour viol et agression sexuelle à la fin du XXe siècle n’est pas due directement à l’augmentation de ces violences, mais au fait que les victimes en fassent par. Dans le cas de l’Ancien Régime, cette observation vaut pour le viol, mais également pour les violences physiques en général qui peuvent être réparées par médiation à un niveau infrajudiciaire.
Cette situation conduit également à une distorsion de la connaissance sur la criminalité : si on suit une logique où l’arrangement évite d’aller en justice, alors les cas qui arrivent en justice sont ceux qui n’ont pas pu être arrangés (faute d’argent ou du fait d’une insertion sociale in-suffisante pour avoir des garants, donner confiance). De ce fait, les statistiques judiciaires ont de fortes chances de mettre en lumière de manière principale des individus marginaux, dont font parti les bannis et vagabonds. La criminalité des honnêtes gens, en quelque sorte « normalement délinquants » pour reprendre une idée émise par Émile Durkheim, n’apparaissent que peu et laissent donc voir surtout une catégorie de population dont on ignore quelle part elle représente effectivement dans l’ensemble de la criminalité et dans quelle mesure elle con-tribue à la dangerosité réelle ou au sentiment d’insécurité, deux éléments par ailleurs à distinguer.
LES PROBLÈMES POSÉS PAR LA RÉCIDIVE
Les chiffres de la criminalité posent également des problèmes quant à la compréhension et la mesure du phénomène de la récidive. En premier lieu, il ne faut jamais perdre de vue que la récidive ne peut être constatée que si un individu a été arrêté et condamné deux fois au moins.
IDENTIFICATION DE LA DÉLINQUANCE & RÉCIDIVE DES ERRANTS ?
Or la délinquance ne peut pas être mesurée ou estimée dans le cas de nombres de délits « ruraux ». Dans mon mémoire de M2 sur le bannissement entre 1671 et 1789 étudié au travers des archives du Chapitre Saint Jean, j’avais noté près de 16% de plaintes pour des infractions en lien avec le monde agricole (vol de bois ou d’autres denrées issues du travail de la terre, dégradations des outils de productions), en revanche, ces cas n’étaient que très rarement élucidés, et n’aboutissaient de facto qu’exceptionnellement à une condamnation. Le faible taux d’élucidation devait être connu des contemporains, constatant par exemple que tel voisin avait subi un préjudice qui n’a pu être réparé ni éclairci. L’impunité est un élément qui facilite grandement non seulement la récidive, mais l’aggravation des infractions commises (pour les cas de figure les plus extrêmes d’escalade, voir Jacques Semelin sur les crimes de guerre).
La France de l’Ancien Régime est essentiellement rurale, avec souvent des estimations générale de l’ordre de 90% de personnes dépendant du secteur primaire de l’économie (exploitation directe des ressources naturelles, productions en lien direct avec la nature, l’environnement). Dans ces conditions, les bannis qui exécutent leurs peines sont logiquement pour un temps au moins des vagabonds ou du moins des sujets qui traversent à pieds des ré-gions rurales, avec comme possibilités de subvenir à leurs besoins à court terme, de travailler comme journalier ou de dérober de quoi se nourrir. Si la peur des rôdeurs et vagabonds est bien attestée sur la période moderne , il demeure qu’il est concrètement impossible d’établir avec certitude la part des infractions rurales commises par les vagabonds (vols de subsistance) et celle commise par les voisins (vengeances, conflits privés). Si par ailleurs on considère les délits signalés, la destruction intentionnelle de biens de production (empoisonnement d’arbres, saccages) sont vraisemblablement le fait de voisins qui seuls sont susceptibles d’avoir accès aisément à l’arme du crime et d’avoir un mobile tandis que les vagabonds ont « seulement » une absence généralisée d’alibi et de garants.
À voir ? : la délinquance des vagabonds est difficile à estimer en elle-même, leur nombre, le détail de leur situation est impossible à connaître. En revanche il devrait être possible de parvenir à une estimation de leur impact sur la criminalité en examinant les différences entre la criminalité urbaine, la criminalité rurale, les actions des polices spéciales à Paris, celles de la maréchaussée… Cependant si elle n’existe pas sous forme de synthèse, l’étude de la prise en charge et de la lutte contre les populations marginales corrélée à la vérifica-tion de l’existence significative à l’échelle locale de problèmes qui leurs sont liés représente un travail en soi.
UNE RÉCIDIVE CAUSÉE PAR LA MARGINALITÉ ?
Un aspect souvent évoqué est celui du sort tragique des bannis, privés de tout moyen de subsistance, condamné à devenir des errants ; en même temps que l’affirmation qu’un voleur res-tera un voleur. Cette sorte de rengaine que j’ai retrouvée régulièrement me posait problème, dans un cas comme dans l’autre, elle était trop simple, trop construite, trop contradictoire, trop affirmée, trop certaine. Mon idée était donc de prendre un peu de distance par rapport à cette question en allant chercher l’apport de recherches en criminologie empirique et en sociologie interactionniste.
Ces disciplines ont en commun une approche qui a l’intérêt à mon sens de ne pas chercher à plaquer une théorie sur la réalité des faits . La logique mise en œuvre est celle d’une approche phénoménologique, à savoir une description des caractéristiques d’un événement, la « réduction simple à l’essentiel, plus ou moins indépendant d’une signification qui, elle, s’imposera ultérieurement », ce qui est en pratique souvent qualifié d’observation naïve. L’attitude fondamentale peuvent être ainsi résumée : « on évite, au départ du moins, de porter un jugement sur la réalité, car la plupart du temps, elle ne se donne pas à comprendre, mais seulement à observer ».
Il y a dans les études sur la marginalité et la délinquance au XXe – XXIe siècle des pistes de réflexion pour apporter un éclairage, une clarification et des nuances. L’étude de référence dans le cas qui nous occupe, est celle de Howard Becker intitulée Outsiders qui s’inscrit dans le courant de la théorie dite de l’étiquetage (ou théories interactionnistes de la déviance), développée dans les années 1950-1970 au sein de « l’École de Chicago ». La déviance est le fait d’enfreindre une norme, laquelle peut être une loi (la norme par excellence) ou bien un usage ancré, une attitude, une manière de faire qui est attendu des membres d’un groupe. Il est pos-sible d’être déviant et de ne pas en subir les conséquences, par dissimulation de ses actes ou bien par absence de dénonciation par les individus qui connaissent cette déviance. L’absence de dénonciation d’infractions est en réalité une situation « normale », assez généralisée (p.148-151). La déviance est le résultat d’une interaction entre le groupe dans lequel a cours la norme, à tort ou à raison, un individu est qualifié de déviant pour la commission d’actes contraires à la norme. Cependant l’auteur attire l’attention sur les « conséquences qu’implique, pour un individu, le fait d’être étiqueté comme déviant : il lui devient plus difficile de poursuivre les activités ordinaires de sa vie quotidienne, et ces difficultés mêmes l’incitent à des actions « anormales » ». Très simplement, étiqueter un individu comme déviant le place de facto dans une situation où il lui est difficile d’agir autrement que de manière déviante ne serait-ce que pour subvenir à ses besoins.
En ce sens, il existe une forme de récidive créée presque mécaniquement.
Cela ne signifie bien sûr en aucune façon que la société soit responsable de fabriquer ses voleurs et ses délinquants de manière systématique, mais surtout qu’il convient de considérer la masse des délinquants avec plus de nuance. Un cambrioleur organisé avec des complices ne peut pas être comparé à un jeune garçon de 19 ans qui essaie sans succès de voler une poule après avoir subtilisé quelques mois plus tôt une cuillère . Le premier au moment d’être con-damné aux galères pour récidive de cambriolage est déjà dans un système, tandis que le second est un voleur isolé.
Or il apparaît assez nettement dans les études criminologiques et sociologique que l’évolution vers l’état de « criminel endurci » implique des interactions avec un milieu criminel. À l’exception de cas pathologiques extrêmes (tueur en série, sadique…), le criminel « normal », « ordinaire » est le résultat d’un endurcissement qui est un processus complexe au sens où il nécessite que plusieurs facteurs soient présents. Cela signifie corrélativement qu’il n’y a pas d’automaticité à la « création » d’un criminel endurci et dangereux pour la société à partir du bannissement d’un individu.
Compte tenu de ses caractéristiques, le bannissement, (comme par ailleurs le vagabondage), ne crée pas automatiquement des brigands ou des voleurs organisés, mais il favorise très vrai-semblablement le petit vol de subsistance risquant de devenir un mode de vie habituel aux côtés d’autres moyens de subsistances précaires.
À voir ? : le travail comme journalier est sans doute une possible source de revenu pour les errants, du moins rien ne semble s’y opposer. Ce serait alors un des aspects « légaux » et potentiellement « réguliers » de la vie des errants. Cependant cette hypothèse qui paraît logique demande d’être vérifiée en pratique en s’intéressant au mode de vie rural, en particulier durant les périodes de grands travaux. La question de la réinsertion des populations marginales accompagne celle de l’inéluctabilité du destin lié à une étiquette de déviant. Il paraît difficile de croire que des sociétés aient pu durant des décennies et même des siècles n’avoir aucun mécanisme de réhabilitation. Si cet aspect permettrait d’avoir une meilleure vue d’ensemble des options s’offrant aux bannis et par là présenter concrètement des bémols à l’idée d’une vie nécessairement miséreuse, tragique, sur la pente du crime, il demeure que ce terrain d’investigation est vaste et déborde le cadre de la présente étude.
LA QUESTION DES PEINES PLANCHERS
La récidive « nécessaire » ou « mécanique » n’est pas prévue en tant que telle dans l’arsenal juridique. Pour trouver une proximité d’idée il faut chercher du côté des causes d’exonérations et des excuses de nécessité.
À voir : les causes d’exonération en droit pénal sous l’Ancien Régime me sont encore mal connues, elles apparaissent de manière peu systématique, irrégulière, de ce que j’ai pu en voir dans les ouvrages de doctrine consultés pour le XVIIIe siècle. Les modalités de l’appréciation du juge devraient permettre d’établir plus clairement la hiérarchie des peines et la logique dirigeant le choix de telle ou telle condamnation.
La récidive des voleurs est prise assez au sérieux pour que la déclaration du 31 mai 1682 con-damne un banni récidiviste aux galères. Il s’agit là d’un principe correspondant à une « peine-plancher ». L’idée qui se trouve derrière peut être résumée par « qui vole un œuf vole, un bœuf », donc qu’un délinquant déjà condamné au bannissement et qui est reprit doit être mis hors du système que constitue la société honnête et libre.
L’automaticité de ce genre de système pose de nos jours des problèmes dans le cas par exemple où un juge aurait à examiner le cas d’un voleur qui aurait volé un bœuf puis seulement un œuf. C’est-à-dire lorsque le récidiviste réduit son activité criminelle mais qu’il commet encore des infractions relativement mineures qui par ailleurs peuvent être reliées à l’idée de « récidive mécanique » ou « situationnelle », dérivant de l’étiquetage « déviant ».
À voir : Il est difficile d’assurer que le système de « peine-plancher » fut systématique-ment appliqué, des cas de résistance à des ordonnances royales ayant été observés dans d’autres cas. Il est cependant possible de s’interroger sur les effets pervers d’une telle me-sure sur les comportements des bannis. En effet, les conditions de détention des galériens puis des bagnards sont très dures, face à une telle perspective, il ne serait pas surprenant que le raisonnement des criminels déjà bannis ait été qu’ils n’avaient plus grand-chose à perdre. Y-a-t-il eu radicalisation des bannis suite à l’ordonnance de 1682 ? Les mesures du XVIIIe siècle consistant à imposer des amendes de 100 livres à tous les voleurs sans ex-ception, avec emprisonnement pour dette de tous ceux qui n’étaient pas en mesure de payer, sont-elles par ailleurs une réponse à une perte d’efficience de la peine du bannisse-ment qui aurait pu perdre son sens pour les justiciables suite à l’ordonnance de 1682 ?
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J'ai l'impression d'avoir écrit quinze fois "méthodologique" et "interactionniste"... 
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