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Casaïr
05 juin 2016, 23:01
7 Luchar, An 902
Cela faisait un an maintenant qu’Aeldred vivait chez Rhea. Les cauchemars avaient cessés depuis longtemps mais ce n’était finalement qu’une étape dans la vie de l’adolescent. Depuis un moment, il voyait bien que ses amis s’écartaient peu à peu de lui, obéissant à leurs parents pour une raison que lui-même ne comprenait pas. À croire que la mort était contagieuse ! Même Kanvael, son meilleur ami, finit par s’éloigner de lui. Au début, Aeldred avait mis cela sur le compte de son comportement exécrable, résultat de vaines nuits passées à rester éveillé le plus longtemps possible pour éviter le retour des mauvais rêves, mais certains de ses camarades avaient fini par lui dire : leurs parents avaient peur de lui. Ce fut un véritable choc pour le garçon qui s’emmura petit à petit dans un silence inquiétant. Il ne se déridait que le soir avec Rhea, mais la journée…
Ce matin, Aeldred attendait que Tuallen leur donne la permission pour passer à table. Le comportement de la dàmàthair avait changé envers lui : elle semblait le plus souvent peinée mais il y avait autre chose dans son regard que l’adolescent ne parvenait à saisir –et dont, finalement, il se moquait comme d’une guigne. Pour l’heure, il était seul, comme tous les jours maintenant, tenu à l’écart par ses anciens camarades. Traçant de vagues cercles avec un bâton, il ne vit pas que l’on s’approchait de lui, jusqu’à ce que…
- Dis, tu veux bien que je m’assoie à côté ?
Surpris, Aeldred ne put que lever les yeux vers celle qui venait lui parler : Lizon, jeune fille aux cheveux bruns nattés et aux yeux bleus dans lesquels perçait une grande intelligence, plus jeune d’un peu moins d’un an par rapport à lui. Elle ne faisait pas partie directement de son cercle d’amis –ex-cercle serait plus juste maintenant-, aussi ne comprit-il pas ce qu’elle venait faire là. Tout en réfléchissant toujours à la question, il assentit à sa demande, méfiant malgré lui ; si certains des autres enfants avaient semblé navrés à l’idée d’obéir, d’autres en revanche lui en faisaient voir de toutes les couleurs ; il s’imaginait donc qu’elle était peut-être là pour se moquer de lui.
- Ça va toi ? En ce moment j’veux dire. C’est pas… Enfin, je voulais venir te voir avant mais papa…
- Mmm. Ça peut aller, répondit-il, distant.
- Tu as envie de discuter ?...
*****
C’est ainsi qu’Aeldred et Lizon devinrent des amis proches, jusqu’à devenir le confident de l’autre. Les semaines passèrent doucement, la jeune fille remontant le moral souvent très bas du garçon, et lui-même l’écoutant et riant à ses plaisanteries. Il leur arrivait de s’éclipser dans la forêt, jusqu’à la clairière ou aimait se rendre Aeldred pour rester seul, d’où ils traitaient d’idiots les gens qui les avaient énervés dans la semaine. Cependant, la liste s’allongeant régulièrement, ils finirent par y aller juste pour avoir un coin tranquille.
Au fil du temps, Aeldred, appréciant de plus en plus la jeune fille, finit par se rendre compte que ses absences lui faisaient de plus en plus mal, et lorsqu’ils étaient ensemble, il lui arrivait de se sentir frustré sans comprendre. Un soir, n’y tenant plus, il finit par en parler à Rhea. Qui éclata de rire devant la mine déconfite de son protégé.
- Bon sang, excuse-moi, fit-elle en reprenant son sérieux devant l’air boudeur d’Aeldred. En même temps, je m’y attendais, à force de vous voir tout le temps ensemble. Tu es amoureux mon grand !
- Que… Non ! Arrête ! C’est pas possible, c’est juste qu’elle est gentille et…
- Et tout le temps avec toi. Vous discutez, riez ensemble, vous vous promenez aussi, un vrai petit couple !
Aeldred rougit violemment, déclenchant une nouvelle fois l’hilarité de Rhea.
- Arrête, grande sœur ! C’est pas amusant !
- Grande… sœur ?
Rhea s’était arrêtée immédiatement de rire, regardant, un peu étonnée, le garçon devant elle.
- Bin oui, tu peux pas être ma mère, t’es trop jeune, mais tu peux être… ma grande sœur. Si tu veux.
La phrase sonnait un peu comme une supplique, et c’est émue que la dàmàthair se leva pour serrer fort contre son cœur le jeune orphelin.
- Évidemment que je veux bien. Je serai la meilleure grande sœur qu’un garçon puisse avoir, et mon premier conseil sera : va dire à Lizon ce que tu ressens pour elle.
- Quoi, mais ?! C’est pas drôle, Rhea !
- Non, ça ne l’est pas, c’est mignon, le taquina-t-elle. En plus, je ne vois pas pourquoi tu ne tenterais pas ta chance, d’autres garçons du village le font bien. Allez, finis ton repas et va au lit réfléchir à ta déclaration !
Les taquineries de Rhea rendaient songeur Aeldred. Devait-il vraiment lui dire ? Ce serait une bonne idée, mais il n’était pas certain que son père accueille la nouvelle de gaieté de cœur. L’indécision maintint l’amoureux longtemps éveillé avant que le sommeil ne vienne s’en mêler, l’empêchant de faire un choix tout de suite. Tant pis, je verrai demain, pensa-t-il en bâillant, acceptant l’invitation au repos qui s’offrait à lui.
*****
Ce matin, après les leçons de Rhea, Aeldred et Lizon se retrouvèrent dans leur coin à eux, au bord d’un ruisseau où l’on trouvait toutes sortes de libellules le jour et de lucioles la nuit. Et comme tous les jours depuis deux semaines, L’adolescent n’arrivait pas à se déclarer. Crétin, se répéta-t-il une fois de plus. Crétin, crétin ! Comment c’est possible de bloquer comme ça sur une si petite phrase ? Il observa discrètement son amie qui se regardait dans l’eau, rougissant brutalement quand, une jolie main rejetant une longue mèche tombante derrière son oreille, elle le surprit. Un rien étonnée, elle se rapprocha de lui, pieds nus sur l’herbe tendre.
- Il y a quelque chose qui ne va pas ?
- Non, ri-rien du tout, je t’assure ! répondit-il, jurant intérieurement de son manque de courage.
Elle était si près de lui qu’il lui était impossible de faire autre chose que de la regarder avec l’impression d’être assis sur un tapis de braise. Après une moue, elle se rassit à ses côté, déclenchant le plus subtil des soupirs qu’Aeldred pouvait faire en cet instant, juste avant d’arrêter de respirer quand elle lui posa LA question.
- Tu es amoureux de quelqu’un, toi ?
L’adolescent failli en avaler sa langue de surprise et dut se contenter de secouer la tête négativement, déclenchant dans son esprit une ribambelle de jurons dont Rhea devait ignorer l’existence et qui, présentement, étaient tous dirigés contre lui. Lizon le regarda avec un air étonné avant de fixer le ruisseau, un léger sourire aux lèvres.
- Moi oui ! Enfin, je crois.
- Ha ? fut le seul mot à franchir la bouche du jeune homme, raidi par l’attente.
- Oui, mais je n’ai pas encore osé lui dire. Il vient avec ses parents rendre visite aux miens, de temps en temps. Ca s’explique pas. J’ai l’impression que quand il n’est pas là, il me manque quelque chose, tu comprends ce que je veux dire ?
Aeldred ne comprenait que trop bien ce que voulait dire Lizon et pourtant il fit non de la tête. Le lit de charbons ardents fut remplacé par un matelas de glace, et le froid l’envahissant l’empêcha de réfléchir normalement. Il ne vit pas l’air étrange de Lizon à cet instant, trop éphémère et pourtant bien présent.
- Je… Si tu as besoin de mon soutien, commença un rien mécaniquement Aeldred, je suis là.
- J’espère bien, souffla la jeune fille.
Elle le regarda avant de l’embrasser sur la joue, se leva ensuite en époussetant ses vêtements.
- Tu es mon meilleur ami, tu le sais, non ? Alors, si tu as besoin de me parler, je suis là, compris ? Je le serai toujours.
- Oui, Promis.
Bien qu’ayant assuré Lizon qu’il le ferait, Aeldred ne put jamais lui avouer ce qu’il ressentait. Il tenta bien plusieurs fois, mais le spectre de l’amoureux de son amie l’empêcha totalement de se dévoiler. À quoi bon du reste ? Si c’est pour me faire jeter... Rhea ne put rien pour l’aider, incapable de le dérider à ce sujet. Aeldred souffrait, et semblait incapable d’y remédier.
- Pourquoi refuses-tu de lui parler ? finit par demander sa grande sœur. Tu te fais du mal pour rien !
- Elle est amoureuse d’un autre. Et puis, c’est mieux non ? Au moins, celui qu’elle présentera à son père sera apprécié du village. Ou en tout cas, personne dira de lui qu’il a tué ses parents.
- Tu… Tu le penses vraiment ?...
Rhea était catastrophée de voir à quel point les réflexions semblaient avoir détruit ce garçon qui, à peine un an auparavant, respirait la joie de vivre. Voir ce qu’il endurait jour après jour l’attristait toujours d’avantage. Et si l’on rajoutait cette réflexion concernant Lizon, qu’elle pressentait comme une tentative un peu désespérée pour la protéger, Rhea ressentit encore plus de tristesse. Tout ce qu’elle put faire pour lui, fut de le prendre dans ses bras en lui disant que ça finirait par s’arranger, que tout finissait toujours par s’arranger.
Lorsque vint le jour de son départ pour le service d’ost, seule Rhea lui dit au revoir. Aucune autre personne du village n’était présente pour lui, pas même sa meilleure amie. C’est ainsi que, la mort dans l’âme, il partit pour un an…
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Casaïr le 13 mai 2017, 13:05, modifié 1 fois.
Il est toujours utile d'affronter un ennemi prêt à mourir pour son pays. Vous avez en définitive, lui comme vous, le même objectif en tête.
- Terry Pratchett, Va-t-en-guerre.