Imaginer une situation permet de s’y préparer, comme dans le cas de simulations d’entretiens par exemple, ou bien en répétant un exposé qui doit être soutenu devant un jury. L’esprit est capable de se projeter en avant pour analyser des difficultés et être plus à même de les surmonter par la suite. Le simple fait d’avoir pensé à l’avance à un problème et aux solutions qui pourraient y répondre peut constituer un atout. Toutes ces composantes sont présentes dans le jeu.
Si jouer est d’abord le fait des enfants, puis des adolescents durant leurs loisirs, il peut s’agir de bien plus qu’un loisir de détente. Le jeu permet non seulement de se projeter dans une situation, mais de le faire en ressentant des émotions de plaisir, ce qui constitue la motivation même de cette occupation. Le plaisir de jouer, comme toute émotion, a un effet direct sur la mémorisation : on se souvient mieux d’un événement « marquant » que d’un événement « anodin », la différence étant dans l’intensité du vécu, la présence d’émotions positives ou négatives. Une fois qu’une émotion positive est associée à un type de situation, l’individu a plus volontiers la démarche de chercher à reproduire des situations analogue.
Un vécu émotionnel négatif (mauvais souvenirs liés à un enseignant détestés, dégoût d’une série d’exercices fastidieux et mal compris…) aboutit souvent à ce que l’élève conclue qu’il est mauvais dans la matière, qu’il ne l’aime pas, ce qui entraîne par la suite une diminution de l’investissement en temps de travail et concentration pour apprendre et entraîne une spirale descendante. A contrario, associer un vécu émotionnel positif à une matière peut générer un cercle vertueux fondé sur l’intérêt, la curiosité, l’appropriation de la pratique.
Ce raisonnement est à la base de la création des jeux sérieux. Les Jeux sérieux ou Serious Games furent initialement développés sous la forme de simulations informatiques utilisant des programmes dotés d’interfaces comparables à celles des jeux vidéo. Le but était d’utiliser un aspect ludique pour apprendre à manier et comprendre des notions complexes (économie, politique…) souvent considérées comme fastidieuses. Les jeux vidéo présentent l’intérêt d’être attractifs, colorés, animés, mais ont également des inconvénients et des limites : coût de développement en temps et en argent, nécessité que les élèves-joueurs soient équipés d’ordinateur, faible souplesse du support qui une fois créé est difficile à modifier ou adapter à un besoin particulier.
Considérant ces inconvénients et les différents supports ludiques existants, il apparaît que le « Jeu de rôles sur Table » (par distinction aux jeux de rôles sur ordinateur individuel ou encore aux MMORPG) présente des forces précisément là où le jeu ordinateur trouve ses limites. Ce format ludique s’est développé dans un marché économique de niche, généralement mal connu et une présentation de son fonctionnement s’impose.
LE JEU DE RÔLE
Le jeu de rôles (JdR) ou Roleplay game (RPG) en anglais, est un jeu de société par lequel des Joueurs se regroupent autour d’une table avec comme matériel du papier, des crayons, des dés et surtout leur esprit. Il s’agit non pas simplement de vivre l’aventure d’un personnage virtuel comme dans les adaptations vidéo-ludiques qualifiées de genre « RPG », mais bien plutôt d’un exercice en commun qui met à l’épreuve la capacité à créer, réfléchir, analyser, planifier, réagir, se coordonner, agir en équipe en tirant parti des possibilités de chacun afin de réaliser un objectif donné. La complexité et la finesse de la réflexion dépendent d’une décision initiale pour choisir le thème et la difficulté, mais dans l’absolu, tous les genres et tous les questionnements, toutes les explorations sont possibles.
Il existe des variantes et des hybridations du JdR avec d’autres activités, mais sa forme la plus courante peut être décrite assez simplement :
- Un Joueur en particulier endosse le rôle d’organisateur et coordonnateur, l’équivalent de l’animateur d’une réunion et prend le titre de « Meneur de Jeu » (MJ). Il a pour tâche de préparer le jeu, de décider du cadre (historique, science fiction…), des problématiques proposées, des difficultés à résoudre (énigmes, enquête et indices, intrigues sociales, mystère…). Toutes ces données sont rassemblées dans ce qu’il est coutume d’appeler un « scénario », de la même manière que pour un film ou un roman, à la différence qu’une ou plusieurs fins probables sont envisagées, mais que ce sont les protagonistes qui la détermineront réellement.
- Les autres Joueurs ont un travail de préparation moins important qui consiste à créer un avatar, un personnage qui sera l’interface par laquelle ils agiront. Chacun crée son « Personnage Joueur » (PJ), notion qui s’oppose aux « Personnages Non Joueurs » qui sont tous dirigés par le MJ avec des rôles variables, adjuvants, opposants, neutres ou ambigus.
- Une fois que tout le monde est prêt, le MJ présente la situation (cadre de jeu) et décrit progressivement le problème à résoudre. Les Joueurs agissent par l’intermédiaire de leurs PJs qui se comportent comme les acteurs d’un film ou les protagonistes d’un roman, en tenant compte des capacités et connaissances de leurs Personnages. Ils peuvent donc poser des questions aux gens qu’ils rencontrent, entreprendre des actions dans le but de résoudre un ou plusieurs problèmes, de groupe ou personnel, en établissant les priorités et les règles éthiques qu’ils appliqueront
ATOUTS DU JDR SÉRIEUX
Le JdR dispose de certaines qualités qui en font une activité formatrice sur un plan humain et une porte d’entrée pour la découverte de différents domaines de connaissance.
- Découvrir, approfondir, s’approprier : Le JdR permet aux Joueurs de manier des concepts variés et transdisciplinaires ce qui favorise l’acquisition d’une culture générale de manière spontanée. Il s’ensuit avec la pratique un approfondissement et puis une appropriation de la matière.
- Liberté, Créativité, Autonomie : la possibilité d’agir et de choisir place les joueurs dans une position interactive, ils ne sont plus simplement récepteurs des informations, ils peuvent influer sur elles. La créativité individuelle, l’improvisation dans le débat et le sens de l’adaptation en général sont stimulés au travers de la recherche de solutions virtuelles à des problèmes imaginaires mais tirés de la réalité. L’environnement et la situation encouragent les timides à se dépasser et à manifester leurs idées, leurs perceptions, leurs propositions.
- Interagir dans un Groupe : Actions et interactions en vue de la résolution d’un problème sont des occasions pour apprendre à parler devant les autres, exprimer ses pensées, formuler une stratégie, organiser un groupe et une action commune. C’est un entraînement qui contribue à développement une aisance orale, une habitude de capter l’attention d’un public, celui de ses camarades pour commencer, mais ces qualités sont celles aussi des animateurs de réunion. Le jeu, notamment d’enquête, pousse à apprendre à prendre des notes et à être attentif à un flux d’informations pour en tirer l’essentiel ou ce qui est utile. La gestion des échanges d’informations se fait à court terme (scénario isolé) ou moyen terme (plusieurs scénarios qui se coordonnent, à l’image d’une trilogie cinématographique ou une série télévisée).
L’ORGANISATION D’UN JDR SÉRIEUX
L’objet « JdR Sérieux » doit répondre à un besoin d’initiation, de présentation d’un ou plusieurs domaines, d’ouverture à l’approfondissement et de pratique du jeu grâce à des règles et des scénarios.
- Cadre : le cadre décrit les données essentielles, ainsi les bornes spatio-temporelles qui permettent de comprendre où se déroule l’action dans les plus ou moins grandes lignes. Suit une description des conditions de vie (nourriture, habitation, us et coutumes…). Ces aspects sont souvent méconnus des adolescents qui abordent l’histoire ou la sociologie de loin, depuis le plan conceptuel, or ressentir la manière dont d’autres peuples vivent ou ont vécu est un moyen de se trouver des points communs, de s’imaginer à la place de ces gens, et donc de développer une empathie curieuse de l’altérité et de la différence. Les enjeux qui sont ensuite présentés sont des focales qui aident à la création de scénarios, en mettant en lumière les situations problématiques qui peuvent être rencontrées, les difficultés à résoudre.
- Système : création de personnage et résolution d’action sont le cœur de la partie « jeu », le moyen par lequel les Joueurs peuvent interagir avec l’histoire et les problèmes qui leur sont proposés.
- Scénarios : les scénarios sont des mises en situation qui permettent d’explorer des problématiques sociales, politiques, intellectuelles, des questionnements éthiques… Les possibilités sont infinies et les histoires proposées sont avant tout un point de départ pour commencer à jouer, découvrir le cadre et ses possibilités avant de s’approprier les temps, les lieux, les règles, les difficultés d’une époque mais aussi ses richesses et sa culture.