Voyvodin était affalé sur sa table. Dans quelle ville se trouve-t-il déjà ? Il se rappel juste que ses pas l'ont mené loin de chez lui, au sud, dans les pays dit civilisés proche de l’océan. Massi... Metan... Messantia, c'est cela. Il avait fuit ses problèmes, mais se trouvait maintenant dans d'autres galères, sans argent sans rien...
Il se relève difficilement pour prendre une nouvelle gorgée de sa bière alors que trois hommes armés s'assoient prés de lui. Leur allure renseigne tout de suite le barbare que ces hommes mènent une vie difficile et pleine de franche camaraderie, lui rappelant des souvenirs de sa vie de mercenaire.
"- 'Soir l'ami. T'as l'air d'un sacré gaillard. Aventurier peut être ? Si c'est l'cas, notre cap'taine recherche quelques hommes de plus pour écumer l'océan. Qu'en dis-tu ? Ca t'intéresse ?"
Mpfff... L'ami? Cela faisait longtemps que Voyvodin n'avait pas entendu ce mot. Bien que convaincu que celui-ci était vide de sens, quelque chose en lui avait envie d'y croire. A moins que ne soit le vin Stygien qui émoussait sa prudence naturelle.
Raisonnable, il les remercierait pour cette offre, verserait le fond de sa chope dans leur trois bières en disant que ca doit être bien d'etre avec des gars de confiance puis astucieux, déclinerait en prétextant n'avoir jamais été guéri du mal de mer... car en vérité, une fois dans un bateau, il n'y a nulle part où aller si les choses se passent mal ou qu'on a simplement changé d'avis.
Mais raisonnable, Voyvodin ne l'est pas aujourd'hui. Après tout, c'est la chance qui lui a donné un shekel d'argent. Et pourquoi la chance changerait-t'elle de camp maintenant? Mystra était peut-être moins ingrate que Crom et lui aura envoyé ces trois types pour le remercier d'avoir fait cesser les blasphèmes du poivraud avec qui il partageait la chaussée...
Il regarda les trois hommes et chercha un truc bien à leur dire, histoire de se les mettre dans la poche.
Ceux-là le regardaient et se regardaient entre eux, s'interrogeant sur quelle espèce de buffle il venait de dénicher.
Quand Voyvodin prit enfin la parole... aucun mot ne sortit.
N'ayant rien trouver à dire, il leur sourit d'un sourire qui se voulait entendu sans se douter qu'ils pourraient tout aussi bien croire qu'il se payait leur tête, tellement cette ébauche de grimace amicale ressemblait à un rictus coincé.
Il but d'une traite le reste de sa bière et pour leur montrer qu'elle était vide - cruellement vide -, retourna la chope au dessus de la table pour en faire tomber les dernières gouttes.
Les regardant en écarquillant les yeux, Voyvodin allait pouvoir constater à quel point ces trois marins le considéraient comme un « ami »...
"Rhaah ! Vous aime bien, les gars. Vous connaissez la vraie vie, sur : y'a rien de plus moche que de boire tout seul."
Et de remplir leurs chopes et porter toasts sur toasts. Il veulent recruter un futur Frère de la Côte? Alors entre frangins, on boit. Entre "amis", on boit. Vu que y'a pas d'auberge en mer, on en profite pour boire encore...
Voyvodin avait un estomac solide et il le savait. Il savait aussi que contrairement à une houri, ce n'était pas par la flatterie ou pour ses beaux yeux que ses types allaient vider leur sac. Non, l'alcool était bien meilleur que lui pour délier les langues. Pas que les chansons grivoises de marins l'intéressaient, mais si il fallait en passer par la... Grisé par le houblon, il beuglerait en cœur les refrains!
Les faire boire n'étaient pas innocent. En les suivant, si ça devait mal tourner dehors, ces types, bien que mieux armés que lui, serait moins dangereux. Et puis cogner un poivrot, ça peut rapporter des fois.
Les trois hommes sourrirent en voyant la réaction de Voyvodin. Celui en tête commande une seule chope d'ale pour l'offrir au mercenaire.
"- C'est moche de boire seul, mais pour le moment on doit trouver d'autres compagnons. T'comprendras qu'on peut pas t'accompagner pour l'instant...
N'oublies pas de te rendre demain matin aux docks et de te présenter sur l’Insolente, notre frégate. Ca nous ennuierai de devoir venir te chercher !"
A moins que Voyvodin n'ait d'autres choses à demander, les marins le laissent à son ale et continue leur tour.
Voyvodin hocha la tête, ce qui ressemblait vaguement à un signe d'acquiescement.
Peu conscient que pour ces types, lui payer une chope d'ale valait comme une forme d'engagement validé, le cimmérien profita de la boisson gratuite en les suivant du regard...
Déjà, ils discutaient avec un homme, sans doute dans le même but. Trop loin pour entendre, il regardait la scène pour s'assurer que celui-là n'obtenait pas une rémunération d'avance, pour laquelle il nourrirait un sentiment idiot d'injustice.
Leur conversation semblant plus fournie que la sienne, Voyvodin se dit qu'une fois les marins partis, il lèverait sa chope à l'attention de l'inconnu, comme pour l'inviter à le rejoindre. Si cette homme en savait un peu plus que lui sur cette offre douteuse, cela lui permettrait de prendre une décision en connaissance de cause. Car, après tout, lui même ne savait rien : ni le temps à passer en mer, ni la solde promise.
De l'argent, Voyvodin en voulait pour assouvir ses envies, au moins à court terme. Mais que faire de quelques pièces si c'est pour finir au fond de l'eau?
...
Hum... Et si ce type était des leurs, genre pour me surveiller?
Non... Je délire, d'aussi loin que je sache, je ne me traine pas de casseroles qui me vaut l'inimitié de qui que ce soit içi. Et c'est pas le clochard que j'ai assommé qui aurait subitement plein d'amis pour demander réparation. A moins que... La troupe de mercenaire que j'ai quitté avec une dette de sang me poursuive jusqu'içi? Grmpff...
...
Voyvodin ne faisait pas toujours preuve de bon sens. Une chose était certaine cependant : il avait appris à être méfiant et ne faisait presque jamais confiance. Le sang bouillonnant battant dans ses veines l'entrainait parfois dans des situation regrettables mais sa vigilance naturelle lui avait toujours permis de rester en vie. Une vigilance et une condition athlétique certaine, évidemment. Or, Voyvodin n'avait pas toujours la perception de sa stature. Au milieu des lâches qu'il rencontrait, qui pleurent dès qu'on les secoue, il y'avait des hommes sournois qui en voulait à son bien le plus précieux : sa vie. Non, Voyvodin ne faisait pas toujours preuve de bon sens.
Pour la nuit à venir, avisant le peu d'argent qui lui restait, il doutait pouvoir se payer une nuit d'auberge. Et d'une façon générale, quitte à se payer une chambre, autant s'offrir également une catin. Mais la mauvaise fortune s'acharnait sur le cimmérien, sans doute finirait-il la nuit dans la paille, en se faufilant dans l'écurie attenante. Voyvodin avait souvent recours à ce dernier refuge, d'autant que la compagnie chevaline, réactive aux allers et venues, fournissait un semblant de tour de garde... Sentir le crottin et se réveiller fourbu valait mieux que d'avoir la gorge tranchée dans son sommeil.
Le lendemain, Voyvodin irait sur les quais, ralentissant le pas en arrivant pour bien observer les lieux, l'activité et les individus présents, histoire de savoir par où fuir, quitte à voler un cheval, si il y'a du grabuge. Il savait que face au surnombre, il ne valait pas mieux qu'un donzelle griffant le vide contre une nuée de guêpes.