Fortuna Imperatrix Mundi

- Tu t'intéresses aux oiseaux, maintenant? Bon, ce n'est pas plus mal que d'avoir tout le temps le nez fourré dans les livres.

La chasseresse repasse de l'autre côté de la haie pour surveiller ce qu'elle a laissé sur le feu. Piran mâche son pain d'un air rêveur. Les souvenirs d'un passé lointain, peut-être...

- Bien, oui... Tu es peut-être le meilleur menuisier à des lieues à la ronde, mais ça ne suffit pas toujours pour convaincre les gens de payer.

Le jeune érudit s'interrompit, hésitant, avant d'ajouter avec un semblant de conviction :

- J'ai la ferme intention de me rendre sur les lieux de la fabrique, quand j'aurai trouvé son emplacement. Je veux savoir ce qu'il y avait là-bas...

Le vieux Piran regarde son petit-fils en roulant des yeux ronds... Il fait une série de mouvements du cou pour avaler sa bouchée de pain sans s'étrangler. Puis il grogne d'un air furieux:

- C'est pour ça que tu étudies les oiseaux? Pour apprendre à voler dans les airs? Parce que la fabrique, elle était au fin fond de la forêt. Nous y sommes allés avec des guides et une escorte, mais c'était quand même un rude chemin. Si tu t'imagines que...

Pendant ce temps, la chasseresse sort de derrière la haie avec un lapin rôti à la broche, sur un plateau de bois emprunté à la cuisine de Piran. Elle le pose sur la table et dit simplement:

- Lapin.

- Les symboles? Tu veux dire l'itinéraire? Je t'ai dit que c'est Kjalar et moi qui l'avons fait, non? Surtout Kjalar, il avait un don pour les itinéraires, il a failli devenir varigal. Nous en avons pas mal discuté avant qu'il... Enfin, j'ai retrouvé mon chemin au retour, c'est la preuve que le plan était bon. Mais Kjalar, lui, je ne l'ai jamais revu. C'était vraiment un coin perdu avec un tas de choses inquiétantes, et à ce que nous a dit le varigal il y a huit ans, ça ne s'est pas arrangé depuis. Toi, même avec un bon guide, je vois mal comment tu y arriverais.

La jeune femme découpe proprement le lapin et présente les portions aux deux hommes. Elle semble intéressée.

- Froid.

La jeune femme désigne l'assiette d'Aedan où, effectivement, sa part de lapin est en train de refroidir. Elle-même s'attable avec les deux hommes et commence à manger de bon appétit. Elle ne cherche plus à masquer son regard à l'éclat étrange.

Piran, lui aussi, se remet à manger bruyamment avec de grandes bouchées de pain. Son front plissé indique une réflexion profonde.

- La mémère archiviste ne fera sans doute pas de difficultés pour te prêter le plan et te permettre de le copier. Le chemin partait d'un village... Quel était son foutu nom, déjà? Ma vieille tête n'est plus ce qu'elle était. J'y suis repassé au retour et j'ai même fait quelques travaux pour les villageois. Une fois sur place, c'est facile à retrouver: le chemin part d'un moulin à eau, il doit y avoir encore ma marque sur un des piliers. Tu vois, garçon, quand on sait un travail, on est sûr de ne pas mourir de faim. Parce que toi, tu as encore un problème: non seulement il faut que tu trouves un guide, mais que tu le paies. Il ne va pas faire tout ce chemin rien que pour te faire plaisir, hein?

Le jeune homme reste un long moment perplexe. Piran termine son repas, s'essuie la barbe et commence à débarrasser la table. La jeune femme l'aide à nettoyer.

- Dis, ma petite, j'ai du travail par-dessus la tête et j'ai pris du retard... Ce n'est pas un reproche, hein? Est-ce que tu pourrais me donner un coup de main aujourd'hui? Je te paie la journée et ça me permettrait de terminer deux ou trois choses avant le retour de Paid.

Elle fait oui de la tête. Le reste de la journée se passe à scier et raboter. Un seul incident à signaler: le caernide de la jeune femme, malgré ses pattes entravées, fait irruption dans un jardin proche et débute une bagarre avec un chien de garde. La femme intervient pour les séparer.