TdF - Chap. 7.1 - Chemin faisant

[Casaïr]

Darren essaya tant bien que mal de digérer toutes les informations, mais il savait qu'il lui faudrait un moment pour être tout à fait à l'aise sur le sujet. En espérant y parvenir avant de devoir filer au Mur ! songea-t-il en soupirant légèrement.

"Donc, je note surtout Tristifer qu'il vaut mieux éviter de vexer de façon inopinée -sacré défi en perspective d'après ce que tu me décris !- et ton père qui en est tout l'opposé. Ma foi, je tâcherai de faire bonne figure le temps d'être accepté, dit-il calmement. Pour lord Cendregué, je ne le connais pas aussi bien que ça, mais Ser Bonleu y était très souvent, au point que je me suis parfois demandé s'il n'aurait pas été plus simple d'envisager d'y prendre des appartements, plaisanta-t-il. Mais il a toujours été très bon envers moi, tout comme Ser Bonleu d'ailleurs. Cela me fait penser que j'ai entendu le nom des Hastwick au moins une fois avant Rubriant, mais je n'ai pas entendu sur quoi la conversation portait au juste, donc je ne pourrai t'en dire beaucoup plus."

Il se perdit un peu dans ses souvenirs, cherchant apparemment un indice qui ne lui revenait manifestement pas, et décida de changer de sujet pour se vider la tête en revenant à Waterford :

"Allez, parle-moi un peu de chez toi maintenant, que je sache à quel point il y fait bon vivre."

[Iris]

Aleth sourit avec amusement à la fausse (?) inquiétude de Darren quant aux difficultés de ne pas vexer Tristifer. A son expression, elle ne semblait pas prendre ce sujet trop sérieusement.

" Vous aussi vous devrez me parler des tiens, de Ser Bonleu et de vos voyages ! " précisa-t-elle avec un ton "ne crois pas que tu y échapperas ! je veux tout savoir !"

" C'est dommage que Lord Cendregué habite si loin, il sera difficile de trouver un moyen de profiter de sa bienveillance à votre égard pour notre prochaine entrevue avec les Tyrel. " sur le ton du "tant pis, nous y parviendrons bien autrement"

" Mais cette histoire de nom des Hastwyck prononcé... à défaut de vous rappeler quel était le sujet, où et quand était-ce ? Même approximativement ? Essayez de vous souvenir... Si quoi que ce soit vous revenait, cela pourrait s'avérer utile. "

Elle guettait le moindre signe de la part de Darren. Si vraiment il ne se rappelait rien, se contentant de secouer la tête piteusement ou autre, elle reprendrait le fil de la conversation, se lançant dans une évocation bucolique de Waterford... mais s'il y avait, ne serait-ce que l'ombre d'un indice, elle ne souhaitait pas le manquer.

[Casaïr]

"Des miens ?"

Darren savoura un instant la familiarité plus prononcée de sa cousine envers lui et qui lui avait manifestement échappée, elle qui s'échinait à le vouvoyer depuis qu'ils s'étaient retrouvés devant le tournoi d'archerie. Cependant il décida de ne pas appuyer dessus. Pas encore du moins.

"Je suis certain que Lord Cendregué n'apprécierait pas trop en effet que je me retrouve le dindon de la farce de cette façon, mais comme tu l'as dit, le temps de le faire prévenir et qu'il puisse agir, nous serions à cours de temps. Mais je suis persuadé que mon ingénieuse cousine saura trouver une solution !"

Il souriait toujours quand elle revint à la charge, essayant d'en savoir toujours plus, sur lui ou sur les circonstances qui l'avaient amené à entendre certaines choses.

"Curieuse comme un chat, hein ? fit-il avec une moue amusée tandis qu'il réfléchissait. Je peux juste ajouter que cela se passait chez Lord Cendregué même -quand je dis que nous y étions plus souvent que sur les terres de Ser Bonleu !- et que cela concernait l'acceptation des Hastwick et la mise en chantier du port. Et j'ai entendu cela lors de ma dernière visite chez lui mais je t'arrête de suite : il m'était gentiment demandé de ne pas assister aux conversations privées, il m'est donc totalement impossible de t'en dire plus car c'est l'une des rares choses que j'ai saisi, de façon inopportune qui plus est."

"Tu sais, à part mes parents pour qui j'ai énormément d'affection, Ser Bonleu et Lord Cendregué sont probablement les personnes que je respecte le plus en ce bas monde. Ils m'ont donné ma chance alors qu'ils n'y étaient pas obligés et c'est grâce à eux que je suis Ser aujourd'hui. Alors, j'espère juste que tu feras attention à propos de ce que je t'ai dit, même si ce n'est peut-être pas grand chose."

Il avait prit un air sérieux, peut-être pour la première fois depuis qu'ils se connaissaient, mais c'était nécessaire : il ne voulait pas créer une rumeur pouvant nuire à Lord Cendregué.

[Iris]

Ne voyant pas de problème, ni de mystère savoureux, Aleth répondit simplement :

" Ah le port... Je connais la suite de cette histoire : Lord Hastwyck avait reçu peu avant notre arrivée à la Trémière une proposition de Lord Cendregué. Jolan m'avait demandé de lui donner mon avis à ce sujet : tout me semblait en ordre, avec des avantages équilibrés pour les deux parties, et pas d'effet pervers à craindre pour les Hastwyck... pour autant que j'ai pu voir... Je ne suis pas Mestre..."

" A propos Mestre, Jolan souhaiterait que le domaine de la Trémière en acquière un : nous rendre à Villevieille un jour nous donnera l'occasion peut-être de mener cela à bien."

Elle garda le silence un moment, méditant sur une partie de ce que Darren avait dit, et secouant insensiblement la tête avec une moue qui évoquait un dialogue intérieur, et une issue incertaine de celui-ci.

" Waterford est une toute petite ville. Ses principales attractions sont le port, la place devant le vieux septuaire, le septuaire lui-même -- qui a grand besoin d'être restauré ; les boutiques des époux Bartheld, des artisans talentueux -- une boulangerie et une boutique de tissu -- ; et ... la maison de tolérance tenue par Dame Adrienne, ironiquement baptisée "Maison de la Jouvencelle". "

" Le marché a lieu une fois par lune et une bonne partie des stands appartiennent à Lyndal Flowers, le meilleur ennemi de Tristifer. Le marchand Flowers est un menteur et homme d'affaires de premier ordre, qui a aussi bien des accointances avec la noblesse -- il est en relation avec Lord Florent par exemple -- qu'avec la pègre... des histoires de contrebande, même si tout est loin d'être clair. En tous cas ce n'est pas quelqu'un à sous-estimer."

" Sur le marché, si vous passez tard, vous verrez Dame Adrienne et ses pensionnaires. Elle est dornienne, très intelligente et je gage qu'elle en remontrait à Lady Silva en matière d'intrigue. La seule autre intrigante de Waterford est à ma connaissance Rose Seldon, l'épouse du prévôt. Notez que je n'éprouve aucune animosité envers Rose ou Dame Adrienne : simplement, elles savent ce qu'elles veulent et les hommes... dont Tristifer... sont simplement trop fiers pour se rendre compte qu'ils se font parfois mener par le bout du nez."

" Les Bartheld logent Gyles. Ce sont de bonnes gens, le monde serait meilleur s'il y en avait davantage comme eux. La femme est également guérisseuse en plus d'être une talentueuse boulangère. La seule chose qui leur manque semble être des enfants."

" Le septuaire... j'espère que la victoire à Rubriant incitera à entreprendre la réparation de son toit... nous aurions également besoin d'un septon ou d'une septa... et ce serait l'occasion de fonder une petite école pour les enfants de Waterford. Actuellement le septuaire est habité par un personnage improbable, Tom Le Bref, qui paraît à moitié fou, mais qui l'est certainement moins qu'il le paraît, ou peut-être n'a-t-il ponctuellement que des éclairs d'intelligence, je ne saurais dire... Je serais curieuse de connaître son histoire, des détails dans ce qu'il dit me donne l'impression qu'il a pu fréquenter la haute noblesse... dans une autre vie... mais si c'est le cas, comment est-il devenu ce qu'il est ? "

Réfléchissant : "Il y a encore la grande tour en ruine... et j'ai oublié de parler de l'auberge de la place, un établissement de bonne tenue..."

" Voilà, je pense que vous avez un panorama de Wateford."

[Casaïr]

Darren se dérida instantanément, rassuré de n'avoir rien éventé qui aurait pu porter préjudice à Lord Cendregué, et écouta presque religieusement sa cousine lui parler du domaine que dirigeait son père. Il nota mentalement de voir, un soir, la fameuse parade de cette dame Adrienne, ne serait-ce que pour "vérifier" les dires de sa cousine.

L'histoire du septuaire était ce qui tenait visiblement le plus à cœur Aleth : son état laissant à désirer, l'absence de quelqu'un à même d'en prendre les rênes, l'étrange occupant qui... qui y faisait quoi au juste ? Un vieux fou, peut-être noble dans une vie antérieure ? Comment avait-il pu se retrouver dans cet endroit ? Darren ne se l'avouerait sans doute pas mais voilà qui piquait sa curiosité malgré lui.

"Finalement, je pense que j'aurai plus à m'occuper que je ne l'aurai pensé au premier abord. Oh, tant que j'y pense : oublions les formalités quand nous sommes entre nous, tu peux me tutoyer quand nous sommes en comité restreint comme maintenant. A dire vrai, fit-il avec un rire d'excuse, cela me gêne un peu de m'entendre dire "vous" alors que je suis pas si vieux ! Alors, je te prie de me laisser croire de temps en temps que mes cheveux ne grisonnent pas sans me prévenir."

Il avait prit un ton faussement hautain pour sa dernière sortie mais ne put le garder plus de quelques secondes. L'air sérieux ne lui allait décidément pas, au grand dam de son père !

[Iris]

Aleth eut une sorte de sourire piteux : "Je ne tutoie guère que Jolan, Lysanor et Jared... mais je devrais pouvoir faire un effort pour un cousin."

" Et si vous...ehem... tu me parliez...parlais... de v... ta vie à Risbourg et ensuite ?"

[Casaïr]

"Pas mal pour un premier essai", l'encouragea Darren avec un air mutin.

"Ma vie à Risburg... Par où commencer..."

Darren essaya de chercher un point lui permettant de démarrer sereinement mais échoua visiblement.

"Tout d'abord, je suis le fils aîné de mon père, même si mon cadet est son bâtard et qu'il ne pourra prétendre à une quelconque succession après moi, quoi qu'il m'arrive. Ma mère nous a quitté il y a quelques temps et mon père ne s'en est jamais totalement remis. D'ailleurs, s'il a déjà été en meilleure santé, il n'est pas non plus rendu impotent, il est juste... Je crois qu'il est fatigué en fait, même s'il refuse de se l'avouer."

C'était au tour de Darren de plonger quelques instants dans la mélancolie en fouillant ses souvenirs.

"Et malgré tout cela, malgré la charge qui m'incombe, le fait que je sois le seul à... pouvoir prendre sa suite, il ne me pousse pas encore à trouver femme. J'ai fait tout ce qu'un fils doit faire pour rendre fier ses parents, mais..."

Il soupira en levant les yeux vers le ciel avant de reprendre : "Toujours sourire, même quand ce qu'on ressens n'est pas joyeux. Ma mère le disait souvent. Alors, je m'efforce de rester positif, quitte à passer pour quelqu'un de superficiel. Mais une fois sorti du guêpier dans lequel je me suis fourré, il me faudra chercher un parti intéressant j'imagine. Même si j'apprécie les contes à l'occasion, je ne suis pas sûr de pouvoir prétendre à autre chose qu'un mariage permettant à ma famille de renouer avec une certaine forme de prestige.

"Ce qu'on voudrait, et ce que l'on doit, encore une fois." Le rire accompagnant cette phrase était un rien désabusé, plus triste aussi. Mais il n'était pas dit que Ser Darren se laisserait aller à la mélancolie plus d'une poignée de minutes.

"D'ailleurs, en parlant de noces ! Cet Emmon Cuy, qu'en penses-tu ? De ce que j'en ai vu, il est certainement l'un des plus beaux partis présents à Rubriant, et surtout, l'un de ceux qui mérite le plus le titre de chevalier."

[Iris]

" Attends, tu me demandes déjà de reparler de moi ? Laissons Ser Emmon de côté pour l'instant et parlons encore un peu de toi."

" J'ignorais que ma tante était morte ?.. Quand cela a-t-il eu lieu ? "

Faisant une pause pour ordonner ses idées :

" Concernant ton épouse, je pense que tu ne considères pas les choses avec suffisamment de pragmatisme : tu es un homme. Tu seras le seigneur de tes terres et le seul à prendre des décisions. Tu seras celui qui édictes ses règles. Les lois de ton domaine et les libertés de ton épouse seront celles que tu décides."

" Quand bien même tu tes sentis limité dans tes mouvements durant ton enfance, tu as été bien plus libre que ce que je ne le serais jamais. "

Était-ce un fond de colère rampant qui pointait ?

" Te marier ne t'obligera pas à quitter ta famille et le petit monde dans lequel tu as grandi. Personne n'attendra de toi que tu t'adaptes aux règles d'une autre Maison. Tu ne seras pas celle dont on attend qu'elle donne au plus tôt un fils à son époux. Personne ne te reprochera de sympathiser avec une personne de l'autre sexe en l'absence de témoins attestant de ta vertu."

Si elle maîtrisait le volume de sa voix, Aleth était tout de même plus véhémente : elle aurait presque volontiers échangé sa place avec celle de Darren, menace du Mur incluse.

Se reprenant avec plus de rondeur :

" Certes, ta Maison n'est pas au mieux actuellement, mais c'est quelque chose qui peut s'arranger. A Waterford, tu peux t'initier à l'intendance auprès de Mestre Corwin. Oncle Tristifer a un tempérament épouvantable, mais il a acquis de nombreux ouvrages et s'intéresse de près à la viticulture. Tout prend du temps, mais je serais très étonnée qu'il soit impossible de redresser l'économie de Risbourg. Tu es d'ailleurs en bons termes avec Lord Cendregué qui a déjà proposé une association à Lord Hastwyck... ce financement t'est certainement accessible aussi, du moment qu'il est possible de présenter en retour un intérêt pour l'investisseur. Et même hors de cela, des ajustements de gestion et des accords avec des marchands peuvent aussi être entrepris à moindre coût."

" Maintenant, pour revenir à la question de ton épouse. Tu pourrais agir comme Lord Piète et chercher à toutes forces une dot, mais une compagne ayant des compétences en intendance pourrait à long s'avérer tout aussi, sinon plus précieuse. Quant à un mariage prestigieux, bien sûr, ce serait un gain immédiat, mais regarde Lady Silva Harte : elle est issue d'une Maison mineure, et à force d'intrigue, s'élève peu à peu. L'intelligence serait tout aussi utile à Risbourg qu'un nom célèbre. La Jouvencelle t'a souri : les femmes t'apprécient, et tu ne portes pas un nom honni. Je veux dire par là que tu as bien plus de choix et possibilités que tu ne sembles le penser. "

Dans son attitude et son ton, Aleth semblait disposée à apporter toute l'aide qu'elle pourrait, un peu comme si elle proposait d'assister Darren dans une rédaction ou un problème de mathématiques.

[Casaïr]

"Mère nous a quitté l'an dernier, mais Père ne parle pas beaucoup des circonstances. Moi-même n'étais pas sur nos terres quand c'est arrivé, et j'ai dû tirer les vers du nez des quelques serviteurs encore à notre service pour comprendre qu'une mauvaise fièvre l'avait emporté. Depuis, Père est inconsolable et j'ai peur que son état ne se dégrade encore quand la nouvelle de Rubriant lui parviendra. Mais nous trouverons une solution à ce petit contretemps, n'est-ce pas ?" dit-il en souriant largement.

Darren écouta sa cousine parler et plus elle s'enflammait, moins il en revenait. Que d'idées en si peu de temps ! On aurait dit qu'elle transposait sur lui ses propres attentes, sinon, comment expliquer tout son argumentaire ? Au final, le chevalier éclata de rire devant tant d’incongruité.

"Pardonne-moi, mais c'est assez impressionnant ! Fais-moi penser à demander à Père de t'engager, le temps que je sois prêt à le faire ! Maintenant, je n'ai pas l'âme d'un intriguant comme "Lady" Harte, ça ne me semple pas... eh bien, disons correct. Cela veut dire que j'ai intérêt à m'entourer de gens pouvant penser à ce genre de détail pour moi, j'en ai peur, rit-il légèrement. Mais je suis tout à fait prêt à entendre toutes tes suggestions, et même à me donner des leçons particulières quant à l'intendance d'un domaine. Et je te promets d'être parfaitement attentif"

[Iris]

Aleth ne savait que penser de la réaction de son cousin, un peu décontenancée depuis le grand éclat de rire.

Réservée, elle ne reprit qu'après un moment de silence : "Vous disiez... tu disais... avoir un frère ?"