Lord Hastwyck a écrit :"Donc, vous allez rester manger, c'est ça? Bon... on se débrouillera."
Avisant du problème et de l'embarras que créerait un grand repas, Aleth tenta de rattraper l'affaire : "
Nous avons eu un long voyage et je pense qu'aucun de mes compagnons ne me contredira si je vous assure qu'un déjeuner léger au calme nous revigorera bien plus qu'un banquet interminable."
Elle arguait de sa fatigue pour épargner à Lord Hastwyck toute situation pouvant lui faire perdre la face. Son mensonge était un peu facile et elle ne doutait pas que son interlocuteur pût deviner qu'elle lui tendait une perche pour ne pas se mettre en difficulté. Il pouvait échapper, s'il le souhaitait, aux solennités. Le choix lui appartenait.
Pourvu seulement qu'il accepte cette proposition pour ce qu'elle était : le souhait de ne pas gêner leur hôte, et en aucun cas une forme d'arrogance malvenue...
Lord Hastwyck a écrit :Le lord hochait la tête en réfléchissant, levant un sourcil intrigué vers cette jeune femme perspicace.
"Continuez."
Se sentant de plus en plus sous pression à mesure que l'on quittait les faits pour arriver aux déductions, et de là aux plans pour le futur, Aleth rassembla ses pensées et s'efforça, ici aussi, de rester aussi concise et neutre que possible :
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Il nous faut avoir conscience que vos ennemis sont devenus les nôtres : le fuyard se prétendant être Ser Prédeaux connaît les noms de ses agresseurs. Béric Kardalt, Jack Bulwer et Jolan ont réussi à dissuader l'homme de tuer Alyse, mais non sans rester anonymes. D'ici quelques semaines, la Reine saura qui est au courant de sa tentative d'enlèvement. "
Légère pause pour être bien certaine que Lord Hastwyck soit pénétré de cette vérité : désormais, que les Castellane le veuillent ou non, ils étaient liés aux Hastwyck par un ennemi commun et puissant.
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J'ai tendance à penser que nous gagnerions à une approche qui ne soit ni frontale, ni attentiste : faisons connaître les faits, à savoir l'agression criminelle dont vous avez fait l'objet, et le fait que ces hommes avaient des manteaux d'or. Cependant, affirmons avec force que nous ne croyons pas le brigand qui s'est fait passer pour Ser Prédeaux, et prétendons être scandalisés que ces ruffians aient pu vouloir impliquer la Reine en mentionnant son fidèle serviteur, Sandor Clegane, comme étant l'un d'eux. N'hésitons pas à faire remonter cette nouvelle abominable : des malfrats ont certainement dérobé des équipements d'authentiques Manteaux d'or et cherchent à semer la dissension dans les Royaumes en s'en prenant même aux premiers soutiens du Roi Robert. "
Peu sûre que Lord Hastwyck goûtât le double-langage et l'ironie, elle précisa le pourquoi de cette action détournée :
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En affirmant ne pas pouvoir croire en la culpabilité de la Reine et en nous indignant des calomnies dont elle fait indirectement l'objet, nous contraignons la Reine à se poser en victime : elle ne pourra pas publiquement s'en prendre à nous. "
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Plus utile pour notre sécurité : notre publicité autour de l'affaire suscitera un minimum de curiosité de la part des Maisons nobles, qui seront relativement vigilantes dans les mois à venir, aux suites. Dès lors il sera nettement plus risqué pour elle à l'avenir de faire appel à Sandor Clegane ou à ses Manteaux d'Or pour s'en prendre à nous. "
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Enfin, nous pouvons avoir l'espoir que cette manœuvre envoie un message à Port-Réal : nous, Hastwyck et Castellane, unis dans l'infortune, n'entendons pas nous laisser entraîner dans des intrigues, mais sommes prêts à nous défendre. "
L'essentiel était posé. Il ne restait que le très épineux sujet "Reswald", mais il attendrait le plus longtemps possible. Si Lord Hastwyck acceptait le plan sur le principe, ils pourraient agir efficacement de concert, et cela même en cas de divergences.