TDF - Chap. 9 - Un fief (pas si) paisible

[Casaïr]

Inquiétude et colère étaient les deux sentiments dominants dans l'esprit de Darren alors qu'il chevauchait, seul, vers Waterford. Il ne savait pas à qui il en voulait le plus : aux gardes qui l'avaient laissé en plan ? À lui-même, qui n'avait su retrouver Jolan ? Au jeune Hastwick qui tardait à rentrer ?

Pressant sa monture, le chevalier prit la direction du village même, n'étant pas d'humeur à supporter les railleries des soldats pour son comportement du soir. Il était donc grand temps d'oublier ces tracas à l'auberge. À l'heure qu'il était, il y avait de grande chance qu'il y soit tranquille, tout ce qu'il fallait pour prendre un peu de repos tout seul.

[Iris]

Aleth tiqua en apprenant que Jolan avait parlé de Jack Bulwer à Myrosh. Que lui avait-il raconté ? Tout sans doute, Jolan ne faisait pas dans la demi-mesure : il accordait sa confiance pleine et entière, ou pas du tout. Mais l'on ne savait rien, ou si peu du prêtre rouge...

Tâchant d'accuser la nouvelle avec la même neutralité qu'elle affichait jusque là, elle se réjouit de voir Darren, heureuse diversion.

"Darren !" s'écria-t-elle avec joie, avant que son expression ne devînt plus inquiète à la vue de la mine sombre de son cousin.

" Tu ne l'as pas trouvé, c'est ça ?..." Cela ne voulait pas forcément dire que les choses allaient mal, mais pas non plus qu'elles allaient bien.

"Peut-être qu'il a juste trouvé une piste et voulu la remonter seul pour aller plus vite et rester discret ? ..." Pourvu que son courage ne vire pas à l'imprudence !

Tâchant de trouver un aspect positif, ou en tous cas un plan, elle se rappela soudain : "Ah mais Jack est patrouilleur ! Lui s'y connait en pistage ! Si Jolan n'est pas de retour au matin, nous pourrions faire appel à lui." Avisant la mine interloquée de Darren : "Jack Bulwer, le recruteur de la garde de nuit qui nous avait aidé à la Trémière. " Et d'un ton soudain gai et animé : "Il avait promis de nous rendre visite." Et son attitude contente disait clairement en plus "Il est là ! Enfin là !" Et cette seule pensée chassa son mécontentement et son inquiétude à l'idée d'un Jolan bavard ou téméraire. Pépiant avec enthousiasme : "Il s'est installé à l'auberge, mais nous pourrions le loger au château !"

[Maëlys]

Dans l'auberge, Béric accueillit avec plaisir la fin de cette réunion qui n'y ressemblait pas tant que ça à vrai dire ... Il accepta néanmoins avec plaisir la boisson "gracieusement" offerte par Tristifer.

Ceux qui venaient le voir furent bien accueillis, il n'avait rien à cacher au sujet du marais et il serait tout aussi intéressant qu'il puisse être exploité pour le bien de la ville d'après Lady Aleth. Il parla donc avec plaisir avec eux, détaillant tout ce qu'ils désiraient savoir et insistant bien sur le fait qu'il n'avait pas été le seul et qu'ils auraient tous à coeur de maintenir la sécurité là-bas.

En tout cas, même si le frère de Lord Rhéomar lâcha quelques nouvelles piques à l'intention des gardes lorsqu'il essaya à plusieurs reprises de les récupérer, tout comme à son encontre, il ne nota pas, serrant tout au plus le poing. Cela ne servait à rien de répéter ça ici ...

[DukeTogo]

Un homme arriva en courant vers l'auberge pour tomber sur deux hommes et une jeune femme qui discutaient à l'extérieur.

"Venez vite, on a trouvé quelqu'un au pied de la statue. Il est très blessé !"

L'homme devait parler de la statue de l'ancien lord Castellane, c'était bien la seule de tout Waterford. Il n'y avait qu'un pâté de maisons à franchir pour rejoindre la grande place depuis l'auberge d'Hadrian Tor.

Aleth blêmit aussitôt, Darren fut un instant surpris et Myrosh filait déjà dans la direction indiquée. Le chevalier demanda à l'homme de trouver Béric à l'intérieur pour l'informer. Le ser et la lady, l'un soutenant l'autre, rejoignirent le prêtre rouge qui d'un râle rageur fit décoller les merles qui depuis des années déversaient leurs fientes sur la statue Castellane. L'homme qui avait trouvé Jolan s'était reculé ne sachant pas quoi faire et prit peur en s'éloignant. "Je n'y suis pour rien, j'vous jure."

Depuis combien de temps Jolan était-il là? Etait-il seulement transportable? Le pupille Hastwyck respirait puisqu'il divaguait en gémissant.

[Iris]

Aleth ne comprenait rien à la situation : comment Jolan avait-il pu revenir ? Pourquoi ici et pas au château ?... Elle s'agenouilla et essaya de se faire une idée de son état. Le sang battait sur ses tympans, tout lui paraissait assourdi, lent, cotonneux.

Jolan... Aleth l'examinait avec d'infinies précautions pour repérer ce qui avait causé son état, quelles étaient les blessures. Que lui était-il arrivé ? Qui lui avait fait ça ? Pourquoi ?

... Il faisait trop sombre...

" Darren, peux-tu me trouver une lampe à l'auberge ? " Sa voix tremblait légèrement sous l'émotion, mais elle savait qu'elle devait garder la tête froide ou elle n'arriverait à rien de bien.

" On ne le déplace pas... pas tant qu'on n'en sait pas plus... je ne veux pas risquer..."

Il fallait lui prodiguer les premiers soins ici, mais le soigner, avec quoi ? juste ses mains ? que pouvait-elle faire à mains nues ? L'épouse Bartheld devait avoir le nécessaire chez elle.

" Darren, attends, essaie aussi de voir si la Femme Bartheld est toujours là, j'aurais besoin de matériel."

[Casaïr]

Navré d'apporter une nouvelle pas franchement bonne, Darren n'avait rien trouvé à répondre à Aleth quand celle-ci le vit revenir seul. Il n'eut cependant pas le temps de s’enquérir de la raison de la présence du garde de nuit à Waterford quand un homme arriva en panique pour demander de l'aide. Suivant le mouvement imprimé par sa cousine, il découvrit Jolan dans un sale état -ce qu'il avait clairement redouté-, à côté de la statue d'un aïeul d'Aleth, ce qui était étrange. Le jeune Hastwick aurait-il réussi à se trainer jusqu'ici malgré son état ? Si c'était bien le cas, la volonté dont il avait fait preuve ne pouvait que forcer le respect.

À la demande de la jeune Castellane, Darren se précipita à l'auberge, ouvrant la porte à la volée au risque de la dégonder et criant à la cantonade : "Je cherche les Bartheld, vite ! Et qu'on me donne une lanterne, immédiatement !"

Il se dirigea ensuite rapidement vers les personnes qu'on lui indiquait, se tourna vers la femme et lui lança d'un ton qui ne souffrait aucune contestation : "Lady Aleth m'envoie vous demander du matériel pour soigner un grand blessé, alors donnez-moi immédiatement tout ce dont vous disposez, et vite !"

[Thalgrim]

Myrosh jura en découvrant le corps de Jolan. Tandis que Darren repartait en courant vers l'auberge et qu'Aleth s'agenouillait au chevet du jeune homme, le prêtre rouge récita une courte prière à R'hllor dans la langue d'Asshaï. Puis il dégaina son épée, s'entaillant la paume de la main dans la même mouvement. Répondant aux paroles mystérieuses, la lame s'enflamma sur toute sa longueur, projetant sa lueur embrasée sur la scène. Myrosh s'accroupit au côté d'Aleth, l'éclairant du mieux qu'il pouvait avec sa torche improvisée.

[Crépuscule]

Ouvrant partiellement les paupières, Jolan révéla des yeux révulsés, ils étaient pris de spasmes. Sentant la main délicate qui l'inspectait, il s'en saisit hasardeusement, mais non moins fermement, quand elle passa à portée de la sienne.

"Mère ... p..pardon ..."
Les mots sortirent difficilement de sa gorge douloureuse, accompagnés d'une bave sanglante s'échappant du coin de ses lèvres

Il tenta de tourner la tête vers l'ombre qui se tenait près d'elle, penchée au dessus de lui, sentant la douleur dans chacun de ses mouvements et ses forces s'échapper de lui.
"Reswald ... maudit soit tu ... menteur.. t'es pas là ... lâche..."

Les ombres il n'y avait que les ombres et le froids, le poignard était d'ombre et glacial ... bientôt il ne serait plus qu'ombre et froid ... toutes les images, les souvenirs, les sensations l'assaillaient tels les flots rageurs d'un torrent, mais Il le sentait en lui ... son ombre planait sur lui ... en lui ... et à cette idée il n'en sentit sa rage haineuse que plus forte, basculant sa tête en arrière, libérant sa gorge, contractant tous ses muscles pour contenir la douleur, et cherchant à puisant dans les forces qui lui restait, il éructa :

"SOYEZ MAUDITS .. TOUS ..." Il revoyait les visages de chacun, envahi par une sensation de vertige, ceux et celles qui l'avait blessé, ceux et celles qu'il avait blessé, ceux et celles qu'il allait blesser ... "TOUS LES SEPT!"

Le monde disparaissait dans un tourbillon d'ombre et pourtant il aperçut entre ces filaments une lueur, sentit sa chaleur ... fermant les yeux il murmura à son intention : "Ils ont fait de moi un monstre"

Il lâcha alors prise et se laissa emporter par les ombres dans l'obscurité.

[DukeTogo]

Si Aleth avait vu depuis les gradins de Rubriant le prêtre rouge enflammer son épée, le fait qu’il le fasse devant elle était autrement plus saisissant. La flamme courut le long de la lame pour l’embraser toute entière. Plus que la lumière que le feu apportait, c’était la chaleur qui rayonnait qui était surprenante. Comme étourdie, Aleth regardait Myrosh comme si elle le voyait pour la première fois.
Sa barbe ne dissimulait que partiellement d’horribles cicatrices de brûlures. Qu’avait-il du enduré? Pourtant aussi solide qu’il puisse être, elle vit de l’inquiétude dans ses yeux. Oui, Jolan. Le jeune homme avait le don de ne pas laisser indifférent, d’attirer sur lui une sympathie immédiate ou un dédain tenace. Elle regarda le pupille à son tour et constata la gravité de son état. Elle posa une main sur son front pour constater une fièvre bien réelle. Il était froid et grelottait mais la chaleur commençait à le gagner et à l’apaiser. Aleth découvrit la raison principale de son état : son gilet de cuir était défait et des bandages ceignait sa taille, maculés de sang sur son flanc.

Ils ne réalisèrent pas tout de suite qu’ils n’étaient plus seuls. Les villageois s’étaient rapprochés, restant à une certaine distance en murmurant. Parmi eux, Béric et Darren découvraient une scène qu’ils n’oublieraient sans doute jamais. Le prêtre rouge et la lady couvaient le jeune homme comme s’il était de leur sang sous le patronage du premier des lords Castellane. La statue du fondateur, épée levée, semblait s’animer à la faveur des flammes de l’épée de Myrosh. Si l’on pouvait entendre ce qu’il disait, on discernerait peut-être un prière dans une langue lointaine mêlée au diagnostic que la lady exprimait méthodiquement afin que son sang-froid prenne le dessus sur la peur de perdre son ami.

Une goutte de sang vint tacher le chemise de Jolan. Aleth en compris l’origine, c’était la main du prêtre rouge qui saignait. Son sang alimentait-il le feu? Myrosh ignorait la douleur en grimaçant en lui faisant signe de garder son attention sur le blessé.

Il furent ensuite rejoint par Darren, Béric et le couple Bartheld. Tom le Bref braillait « Rhah non, le petit lord va être jugé et condamné ! Ah non, j’veux pas voir ça ! » Ce fut Gyles qui le secoua et l’éloigna.

La flamme de l’épée mourut, remplacée par une lanterne. Ayleth Bartheld avait aussi amené une couverture avec laquelle le protéger et le transporter. Il étant temps de l’amener à l’abri de la fraicheur nocturne. La maison des Bartheld était proche et le couple plus que disposée à accueillir Jolan. Myrosh le porta dans la maison pour l’allonger sur le lit du troubadour qui cédait sa chambre en plaisantant pour détendre l’atmosphère « Oh on est capable de partager plus que ça. »

Béric somma aux soldats de veiller à ce que la soirée à l’auberge ne dégénère pas par boeuverie ce à quoi un soldat lui rappela qui était l’aubergiste, ce en quoi il n'avait pas tord. Aleth découvrit sous les bandages un cataplasme de racines trop broyées pour arriver à déterminer de quelle plante elles provenaient. Et sous le cataplasme… Une plaie purulente, mauvaise et maline qui pouvait être une blessure causée par une large lame. Mais quel poison pouvait entrainer pareille flétrissure de la chair? Elle énuméra ce dont elle avait besoin et Béric se chargea de faire l’aller retour au galop pour ramener du lait de pavot l’aider à dormir et atténuer les douleurs et de la tabescence pour chasser le poison de son organisme. Mestre Corvin ne se fit pas prier pour fournir tout cela et assura qu’il viendrait à son chevet au lever du jour.
Enfin, grâce à ses deux soigneuses qui ne ménageaient leur effort, Jolan put réellement s’endormir.
Gyles tira Darren de sa torpeur, décidé à l’emmener se détendre à l’auberge comme si un sixième sens lui révélait que le chevalier avait eu une très dure journée.
Myrosh déclina la proposition d’être un camarade de boisson. Les gens l’avaient vu embraser son épée, autant les laisser digérer et dormir dessus. "Mmouais, ils nous reste donc un cinquantaine de pas pour te convaincre de ne pas regagner ta chambre et boire... du rouge avec nous."

Béric convaincu Aleth de rentrer au château.« Il vous faut du repos. A son réveil, il aura besoin de vous en pleine forme. »
Raisonnable, Aleth accepta d’autant qu’elle avait la conviction que les Bartheld et Gyles se relayerait pour le chaperonner la nuit durant. Le troubadour avait rappelé que son oisiveté diurne lui permettait d’être un oiseau de nuit fort alerte. Les deux gardes qui escortaient la lady furent assignés à monter la garde et alerter le château en cas de complication.
En montant en selle avec le maitre d’armes, elle croisa le regard doux de Jack Bulwer. Avait-il dit « à demain » ?
Le destrier du dornien était rapide et puissant et ses sabots se moquaient des éventuels trous dans la route. La chevauchée jusqu’au chateau Castellane réveilla pleinement Aleth, même si cela lui donnait froid à moins que ce ne soit du à la fatigue. Le maitre d’armes l’aida à descendre de selle en disant « Il vivra ». Béric n'était pas prolixe mais elle savait qu'il serait toujours présent pour lui, pour elle et pour tout ceux de cette maison.

Un croassement retentit depuis la roukerie.

- Fin de chapitre -