Fortuna Imperatrix Mundi

Au huitième mois de l'an 296, Waterford connu une soirée assez exceptionnelle. Il y eut un conseil de village, une étrange idée de la maison des seigneurs. Il y'eut une épée enflammée sur la grande place. Il y'eut des échanges cordiaux et du venin retors. Il y'eut un voyageur infatigable qui atteignit enfin Waterford. Un jeune homme laissé pour mort au pied de la statue du lord fondateur. Tant et plus d'événements qui ne doivent pas faire oublier des détails peut-être moins visible au premier abord mais non moins importants...

Accrochée derrière Béric qui filait au galop malgré la nuit, Aleth ne disait rien. Elle n'avait pratiquement rien dit depuis que Jolan s'était brièvement animé pour crier sa souffrance et maudire les Sept. Les images défilaient dans sa tête.

... Elle, à genoux, sur le pavé, aux pieds de la statue d'un fondateur dont elle ignorait tout. L'origine et l'histoire de sa Maison étaient des mystères pour elle. Connaître le passé l'aiderait-il à mieux appréhender le présent ?

... Elle, à genoux auprès de son ami d'enfance qui lui paraissait pourtant être un étranger -- un jeune homme qu'on avait tenté d'assassiner, il n'y avait pas d'autre mot pour qualifier sa blessure. Pourquoi Jolan attirait-il tant la haine ? Tout cela était-il dû à Reswald, cet aîné mystérieux, adoré et détesté par son cadet ?.. Mais si quelqu'un avait désiré une mort cruelle pour Jolan, quelqu'un d'autre s'était dépêché pour le sauver ? Si c'était au marais, fallait-il supposer que l'étrange paluvier (paludier ? ) y était pour quelque chose ?

... Elle, à genoux sous l'épée embrasée de Myrosh d'Asshaï. Qui était cet homme dont le sang -- le sang ?! -- nourrissait les flammes ? Pourquoi venait-il ici ? Que cherchait-il dans le marais ? N'était-il pas question de ruines dans ces étendues hostiles ? ...

Le cheval filait dans la nuit et Aleth se sentait bien moins à son aise accrochée à quelqu'un que lorsqu'elle voyait le chemin et maîtrisait sa monture. Peut-être était-ce la fatigue ? L'épuisement de ses nerfs après tant de chocs. Cette réunion houleuse et peu convaincante à l'auberge. Jack avait dit qu'elle s'était bien débrouillée... Cette évocation fit apparaître un léger sourire sur sa figure. N'avait-il pas dit non plus "à demain" ? ... Aleth avait si peur qu'il s'évanouisse dans les airs qu'elle aurait voulu l'inviter cette nuit-même au château pour être sûre qu'il fût là demain.

Enfin, elle était arrivée. Elle remercia Béric, même si après coup, elle ne savait plus à quel propos. Peut-être simplement pour sa loyauté indéfectible ?...

Jack était venu. Il était là !.. Aleth était heureuse, sans objet, et se sentait en même temps coupable car elle n'aurait dû penser qu'au pauvre Jolan. Demain, elle irait cueillir des fleurs pour la chambre de Jolan et celle de Jack. L'écharpe ... quand devait-elle la donner ? ... pas trop cérémonieusement, ce serait embarrassant... et puis, même s'il était gentil avec elle, il n'avait peut-être pas envie d'une adoratrice gourde dans ses pattes à lui expliquer mièvrement le sens de chaque motif de broderie. Quel homme d'ailleurs s'intéresse à ce genre de détails ? Un cadeau... en toute simplicité... Mais quand même, elle ne voulait pas le donner devant des témoins. Elle ne voulait pas qu'on juge la faiblesse de son inclination pour un presqu'inconnu qui avait pris le noir.

Myrosh affichait une mine sombre depuis la découverte de Jolan. Après l'avoir porté dans la maison des Bartheld, il annonça son intention d'être de ceux qui se relayeraient au chevet du blessé. Le ton de sa voix indiquait qu'il ne s'agissait nullement d'une proposition ou d'une demande, mais bien d'une simple affirmation. Il ne prit donc congé temporairement des propriétaire des lieux qu'après s'être organisé avec eux et Gyles sur le sujet.
De retour à l'auberge, le prêtre rouge réalisa en sentant les odeurs de nourriture qu'il n'avait pas eu le temps de manger ce soir. Il n'avait pas vraiment l'appétit, mais jeûner n'aiderait en rien le jeune Hastwyck, aussi commanda-t-il un repas. Il s'installa ensuite à une table et s'enferma dans un silence morose, manifestement peu enclin à discuter.

Darren avait laissé partir Aleth avec Béric et Jolan à demi-mort jusqu'au château des Castellane. Il s'en voulait de ne pas l'avoir trouvé, d'autant qu'il avait bel et bien raison de s'inquiéter de l'absence du jeune Hastwick. C'est donc d'un pas rageur qu'il se rendit à l'auberge, qu'il en franchit le seuil et qu'il alla s'installer à une table, hélant la fille du tavernier pour un verre de quelque chose de plus costaud que la moyenne.

L'air sombre, le chevalier fit le tour des personnes encore présentes sur place et vit Myrosh dont l'attitude entière était un appel à le laisser tranquille, un type louche tout en noir, mal rasé et l'air revêche (le fameux garde dont lui avait parlé Aleth ? À le regarder, il avait du mal à comprendre l'intérêt de sa cousine pour ce rustaud), quelques habitants qui restaient traîner et... Gyles. En y repensant, il n'avait pas pu vraiment lui parler depuis leur arrivée à Waterford, et leurs discussions lui manquaient. Écartant la chaise à côté de lui, le ser siffla gaiement le troubadour.

"Allez, canaille ! Viens donc poser ton fessier d'acier à mes côtés, et remonte-moi le moral. La journée ne se sera pas terminée comme souhaitée et j'ai grand besoin de me changer les idées avec un ami."

Gyles écarquilla les yeux avec effarement, s'étouffant de surprise avant de reprendre son souffle, de tousser gras pour se donner contenance et de répondre :
"Fesses d'acier ?! Ah, si tu savais, je peux même casser des noix si je les serre bien fort. Du coup, cette crevure de Jansen qui a cru me railler en me donnant le sobriquet de Fourreau Magique rapport à l'épée de lord Tarly était peut-être dans le vrai ? Du coup, est-ce que je parle de mes bronzes valyriens ?" Gyles avait des yeux ronds amusés et éclata de rire de bon coeur. Un rire communicatif, un rire clair qui faisait du bien à entendre et donna un début de sourire à pas mal de personne dans l'auberge, désormais peu remplie.

Gyles redevint ensuite sérieux, tournant un regard vers Myrosh, maussade, qui soupait en silence puis vers Darren avec une certaine compassion en posant une main bienveillante sur l'avant-bras du chevalier : "Dure journée, hein ?"

"Alors, comment ça avance pour te sortir de cette sinistre ordonnance de rejoindre le Mur ? Il reste un peu plus d'une lune, je crois. Je ne sais pas si Aleth trouvera une idée pour t'en sortir mais si je peux aider..." Le troubadour était calme mais partiellement résigné. Darren sentit sa tristesse et n'avait sur l'instant aucune envie de s'irriter pour ce sujet.

rappel : pour ce 9.2, les règles tacites de 2 posts d'écart ou autre ne sont pas requises, du coup, pas de problèmes pour des dialogues du tac au tac

"Dure journée, tu ne peux pas mieux dire : entre les nouvelles du matin et le fait que j'ai été incapable de retrouver à temps Jolan..."

Darren s'interrompit le temps de boire une gorgée de la liqueur que l'on venait de lui apporter avant de reprendre sur un ton qu'il forçait à la gaieté.

"Enfin, il a survécu, c'est le principal non ? quant à mon propre sort... Je crois qu'Aleth a vu une partie de ses plans s'effondrer. Notre cher prisonnier ne peut rien nous apprendre sur son commanditaire -est-ce réellement étonnant finalement ?-, ce qui bloque totalement les recherches de ce côté, ne laissant que des suppositions et des questions sans réponses. Et moi, soupira-t-il bruyamment, je... je crois que je me perds un peu dans tout ça."

Encore un trait de liquide brûlant au fond de la gorge. Ca ne soulageait pas réellement, et il faudrait qu'il en boive bien d'avantage pour commencer à oublier, mais céder à l'ivresse n'était ni son but de ce soir, ni un geste l'assurant d'une tranquillité d'esprit durable.

"Bah, il y a encore le plan de départ, payer la rançon aux Tyrell. Je ne suis pas encore seigneur de mes terres que je vais contracter une dette conséquente ! rit-il, jaune pour cette fois. Mais si ça peut sauver ma tête, je veux bien être redevable aux Castellane -non, à Aleth- jusqu'à la fin de ma vie !"

Il vida son verre pour de bon avant de changer de sujet : "parle-moi un peu de toi. Tu es originaire du coin ? Rubriant s'est passé si vite que je n'ai même pas eu le temps de te poser la plus élémentaire des questions quand on y était."

Gyles n'avait rien trouvé à redire quand Darren exprima que ses chances d'échapper au Mur réduisait à vue d'oeil. Aucune plaisanterie, juste une expression triste et désolé. Le troubadour répondit aux questions du chevalier en rhabillant son visage d'un franc sourire enjôleur. Darren songea que si Gyles prenait la peine d'avoir un visage propre en le débarrassant à l'eau propre des traces de suie et autres salissures des gens du commun, l'on verrait des traits fins forts plaisants.

"Si je suis du coin? Non. Je vois bien que le noble sire n'a pas assez fréquenté de bâtard avant ma petite personne. Waters je suis, et ce patronyme vaut pour les sans familles des Terres de la Couronne. On trouve des rois, des reines, des Mains du roi, des grands mestres, grands septons et des bâtards à Port-Real. Plus précisément, un seul de chaque sauf ma catégorie. Dans le fond, ma famille est surement la plus nombreuse de Westeros ! Mais on se réunit pas souvent, remarques."

Gyles avait eu une expression songeuse et devint plus grave.

"J'ai... j'ai réussi à m'échapper de Port-Real durant le Sac. Le Sac... Un curieux nom pour un massacre de masse. La capitale a été pillé, les f..." Les mots moururent dans sa gorge. "J'ai laissé quelqu'un derrière moi. Je peux toujours me mentir en prétextant que je n'étais qu'... Un gamin, quoi."

Le troubadour avait les yeux rougis par l'émotion.

Darren regardait son ami avec compassion, et l'impression d'avoir posé la mauvaise question au mauvais moment.

"Pardon, j'ignorais tout cela. Comme tes pas semblaient attachés à ceux d'Aleth, j'ai cru..."

Commandant une nouvelle tournée pour le barde et lui-même, le chevalier se fit pensif.

"J'aimerai pouvoir dire que je t'aiderai à aller chercher celui ou celle que tu as perdu à Port-Réal, mais ce genre de promesse dans le contexte actuel pourrait se révéler impossible à tenir. Toutefois, ajouta-t-il en souriant, si nos pas finissaient par nous mener à la capitale, pour une raison ou une autre, si je peux en profiter pour t'aider, alors compte sur moi."

Gyles cligna des yeux deux trois fois pour faire taire les larmes qui montaient à ses yeux.
"Ah! C'est ma soeur... Je suis sur que tu lui plairais, tiens. C'est que... j'ai tellement honte d'avoir du la laisser derrière moi que je n'ai jamais osé me représenter devant elle. Je sais que c'est idiot, qu'on est plus des enfants. Je crois qu'au fond de moi, j'ai envie de la retrouver en étant devenu quelqu'un. J'avais une belle place dans la troupe du Baril et du Roitelet, maintenant... maintenant que je trouve un... un ami, celui là va devoir partir... Allez, ça suffit !"

Comédien dans l'âme, le troubadour se leva avec agilité et executa une révérence magistrale. S'il n'était pas un athlète, Gyles avait la grâce et la souplesse d'un chat.

"Souffrez, messire, que je m'absentasse. Voyez-vous, c'est qu'un bellâtre s'est invité dans ma couche, sans permission aucune émise par ma bouche. Et si je le laisse se vider de son sang dans mes draps, c'est sur moi qu'on se méprendra. Noble chevalier, m'aiderez-vous à remettre ce manant en selle? Pour votre complaisance, on vous trouvera une Jouvencelle !"

Gyles arracha même un sourire à Myrosh assis plus loin avant de sortir, suivi où non par Darren. Dans tout les cas, il était convenu qu'il y'aurait toujours quelqu'un pour veiller Jolan. La mère Bartheld allait sans doute avoir du travail pour maintenir tout le monde à bonne distance !