TDF chap.10.1 - Champs de fleurs

[Iris]

A la sortie de la ville, elle reprit le grand panier qu'elle avait laissé là dans l'idée de revenir au château en cueillant les bouquets de Jolan. Ils cheminèrent par les sentiers, Aleth mettant fréquemment pied à terre sitôt qu'elle découvrait de la mauve, des bleuets, des marguerites et bien d'autres encore : "C'est pour Jolan. Il me semble aimer autant les fleurs sauvages que les roses qu'il cultive avec un soin attentif, dans le jardin du château." puis, se plantant guillerette tout près de Jack, elle le questionna : "Et vous ? Dites-moi ce que vous aimez ! Quelles fleurs, quelles couleurs, quels plats... Je voulais préparer un bouquet pour votre chambre aussi, mais j'ignore quels sont vos goûts. Et ne me dites surtout pas que tout vous ira ou que tout est du pareil au même ! Je veux une véritable réponse !" et taquine elle compléta : "Je vous imagine mal nourrir une passion pour le lilas ou la glycine, tant leur parfum est sucré, mais je me trompe peut-être ?"



Tandis qu'elle cueillait dans les champs, sur les bords des chemins et dans les prés, encombrée de son grand panier chargé de tant de fleurs qu'elle pourrait orner généreusement au moins deux chambres, elle questionna Jack sur ses aventures depuis qu'ils s'étaient séparés, prête à se passionner pour chaque détail, chaque rencontre, chaque anecdote.

[DukeTogo]

Jack était bien embêté pour formuler une réponse à lady Aleth.

Au sujet du bouquet de fleurs dans sa chambre du soir :

"Euh... C'est vrai? Ne vous embêtez pas avec ça. Enfin... si, cela me fera très plaisir."

"Et bien, c'est que je n'ai jamais réfléchi, je crois. Mais... on dirait que j'ai eu tord. Ce n'est pas tellement la couleur des fleurs qui m'inspire mais l'odeur de certaines plantes. Parmi celle-là, j'aime beaucoup les endroits ou la menthe pousse. Ah, je me rappelle aussi un jour où j'admirais un parterre de fleurs violettes dont j'ignore le nom. Des petites fleurs à 5 pétales. Je me suis fait chasser par plusieurs abeilles. Que cela reste entre nous, ma lady, j'ai une sainte horreur des abeilles. Quand j'était petit, j'ai été traumatisé par des piqures d'abeilles quand nous étions allés à la foire du domaine des Mullendore."

[Iris]

Aleth écouta attentivement la réponse, mine souriante, tout en réfléchissant intensément à la manière de répondre au mieux aux goûts de Jack :

"Comptez sur moi, votre secret sera bien gardé !" affirma-t-elle avant de poursuivre rêveuse : " La foire du domaine des Mullendore ? Leur blason arbore des papillons je crois ? Ainsi ils ont de nombreuses fleurs ? "

Avec une mine de gaie conspiratrice : "Béric a choisi Lady Leana Mullendore comme reine d'amour et de beauté. Une jeune femme qui m'a fait l'impression d'être gentille, timide et discrète. J'ai eu l'impression qu'ils s'entendaient assez bien."

Puis elle reprit ses réflexions, cabotinant un peu son sérieux : "La menthe... il y en a plusieurs sous-espèce. La menthe verte et la menthe poivrée sont utilisées en cuisine et pour des infusions : il y en a dans le jardin du château, à côté des herbes aromatiques. Il y a aussi d'autres menthe, je crois en avoir vu pousser près de zones humides... A bien y réfléchir leur parfum à chacune est un peu différent..." Et déjà contente : "En tous cas pour la menthe, cela ne devrait pas être difficile de vous satisfaire !"

Elle fit quelques pas, avec une mine d'étudiante qui récite intérieurement ses leçons avec ardeur : "Dites-moi, votre petite fleur violette en parterre, à cinq pétale et très odorante, ce ne serait pas tout simplement de la violette ? Elle a des feuilles très arrondies, elle pousse là où l'herbe est plutôt basse, en parterre, entre ombre et soleil. On la cueille pour des tisanes pour la gorge et aussi pour faire des confiseries. Il doit y en avoir des sèches parmi les herbes séchées qui servent de remède. Le parfum est sucré et assez entêtant. " Elle regarda autour d'elle : "Nous ne la trouverons pas dans les prés où pousse l'herbe destinée au foin. Sous un bosquet ou au pied d'un arbre vénérable... Nous pouvons tenter d'en trouver ?" proposa-t-elle. C'était une occasion parfaite pour augmenter encore le nombre de détours avant de rentrer.

[DukeTogo]

Jack se gratta la tête.

"Hé, tu... euh, vous avez raison, Aleth. Je confonds avec la maison Des Essaims de Mielbois."

Pour les sujets floraux, le frère juré était estomaqué.

"Bon sang, quand avez-vous pu apprendre tout ça? Sinon, violette ou autre nom, je ne sais pas trop. Mais va pour violette ! Et pour voir cette menthe de votre château aussi... Si l'on m'avait dit qu'il y'avait plusieurs menthes. Le poivre, oui, c'est utile. Dommage que ce soit si cher. On s'en sert surtout à Bois-au-Loup, l'immense forêt du Nord, pour éloigner les loups et fausser leurs odorats quand on voyage en petit nombre."

Cela ne posait aucun problème à Jack de s'enfoncer plus avant dans les bois au lieu de rester sur la route qui reliait Waterford à un embranchement de la Route de la Rose, en passant bien sûr au pied du chateau Castellane. Il s'arrêta à un moment et proposa à Aleth de lui montrer comment poser un collet.

"On va dire que puisque je suis avec vous, votre père ne va pas me mettre aux fers pour braconnage", plaisanta-t'il.

[Iris]

Aleth eut un sourire amusé quand Jack dérapa sur le tutoiement et commenta avec légèreté : "Jolan me tutoie, Béric me tutoie, Darren me tutoie, Mestre Corvin me tutoie, Tristifer me tutoie... quand nous sommes seuls ou en petit comité, vous pouvez en faire autant."

Quant à l'admiration affichée du frère juré pour ses connaissances durement acquise dans les livres et à l'hospice, elle en rosissait de plaisir et de fierté embarrassée, en se cachant derrière ses brassées de fleur. Elle le suivit bien volontiers en direction des bois, pépiant gaiement de ci et de ça : "S'il ne s'agissait que du goût du poivre, il y aurait sans doute d'autres plantes pour agrémenter votre cuisine dans le Nord, mais si c'est de l'odorat de loups affamés qu'il s'agit... Y'a-t-il tant de loups que cela ? ... Je serais désolée s'il vous arrivait malheur... " Et de nouveau plus gaie : "Je n'ai jamais l'occasion d'aller dans les bois. Je me contente de les traverser par la route avec escorte et sans vraiment mettre pied à terre. Les forêts sont réputées infestées de bandits qui rêverait de mettre la main sur le petit tas de dragons d'or que je suis." Elle se planta de manière théâtrale dans une imitation... d'un tas d'or... qui n'était pas forcément convaincante -- et sans doute pas compréhensible sans le sous-titre.

Trottinant avec enchantement : " M'apprendre à poser un collet ? Très volontiers !" même si elle était pratiquement convaincue qu'elle n'en aurait pas l'usage, elle était curieuse et aimait apprendre. Et qui sait, si jamais elle devait fuir un mariage inacceptable, peut-être serait-elle bien contente de savoir comment trouver à manger ?

Avec une mine conspiratrice joyeuse : "Je serais très intéressée aussi de savoir comment vous repérez les embuscades -- je gage de pouvoir rapidement trouver des applications à ce genre de connaissances pratiques ! "

[DukeTogo]

Pour la question du tutoiement, Jack promit d'essayer mais doutait d'y arriver à coups surs.

"Ha, repérez les embuscades... Ma foi, je pense que le meilleur indice, c'est quand il n'y a rien à voir ou plutôt rien à entendre. Fermez les yeux un instant et écoutez." Aleth vit Jack fermer les siens.

"Entendez-vous le bruissement des feuilles, le léger souffle du vent et... et comme un grattement. Un écureuil peut-être? Je dirais qu'avant un guet-apens, le silence hurle l'imminence du danger. J'espère que vous ne me prenez pas pour un fou. C'est que toutes ces années passées au Mur m'ont fait entrevoir des choses que je ne croyais pas possible. Il faut voir un barral pour de vrai pour accepter l'existence du monde invisible. Il y'a des silences qui sont des cris et des bruits qui ne sont qu'éphémères."

[Iris]

Aleth vit Jack fermer les yeux.

Une seconde perplexe, elle songea que cela ne coûtait rien d'essayer. Elle ferma les yeux. Tendit l'oreille et vu incapable de reconnaître le moindre écureuil. Elle eut la tentation d'ouvrir juste un œil pour voir s'il fallait continuer à écouter et se sentit très bête. Elle s'admonesta à la patience : c'était sa première leçon, c'était normal si elle n'arrivait pas à grand-chose. Se décidant à s'appliquer, elle reprit une profonde inspiration, se cala bien assise et ...

... son cœur battait trop vite...

... l'herbe et la mousse étaient un peu humides et l'air était imprégné du parfum douceâtre de l'humus des sous-bois...

... il y avait beaucoup d'oiseaux... elle était incapable de les nommer... elle distinguait des chants répétitifs, proche ou lointain, et d'autres qui étaient tellement irréguliers et riches qu'il lui semblait qu'ils parlaient une langue à part entière.

N'osant plus briser cette écoute des bois, Aleth resta ainsi un moment sans être capable de mesurer le temps qui s'écoulait. Les pensées voletaient dans son esprit, pleines de questions, sans être vraiment sûre de ce qu'elle cherchait. Il n'y avait pas un seul détail qui ne suscitait des interrogations en cascade. Pourquoi ? Comment ? Qu'est-ce ? ... Elle était curieuse et s'émerveillait aisément. Elle était heureuse qu'on lui parle, surtout de choses qu'elle n'aurait jamais pu découvrir seule.

Elle coula un regard au sourire léger en forme de question et glissa presque à voix basse : "Qu'ont-ils ces barrals du Nord ? Qu'est-ce donc que ce monde invisible dont vous parlez ?"

[DukeTogo]

Jack rouvrit les yeux doucement et regarda la jeune lady, hésitant sur sa réponse.
Et puis il lui fit un signe intimant à la patience. Il chercha autour de lui, s'approcha de l'arbre qu'il avait choisit et posa sa main à plat dessus.

"Un barral, Aleth... Imaginez un arbre à l'écorce blanche et aux feuilles rouges orangées. Un arbre qui semble plus vieux que les montagnes. Les gens du Nord disent que les Enfants de la Forêt utilisait les barrals pour entendre, voir et... et se parler. Comme s'ils étaient reliés par une magie invisible. Ma foi, je préfère cette explication à celle d'un réseau de racines de centaines de lieux reliant chaque barral aux autres. On dit que ce sont les Enfants de la Forêt qui ont sculpté des visages sur les barrals pour surveiller la progression des Premiers Hommes.
Ces arbres ont un importance capitale dans notre vie de frères jurés de la Garde de Nuit. C'est devant un barral, au delà du Mur, que nous prêtons serment."

Jack avait le regard vague et récita à voix basse :

« La nuit se regroupe, et voici que débute ma garde. Jusqu'à ma mort, je la monterai. Je ne prendrai femme, ne tiendrai terres, n'engendrerai. Je ne porterai de couronne, n'acquerrai de gloire. Je vivrai et mourrai à mon poste. Je suis l'épée dans les ténèbres. Je suis le veilleur au rempart. Je suis le feu qui flambe contre le froid, la lumière qui rallume l'aube, le cor qui secoue les dormeurs, le bouclier protecteur des royaumes humains. Je voue mon existence et mon honneur à la Garde de Nuit, je les lui voue pour cette nuit-ci comme pour toutes les nuits à venir."

Tout en laissant sa main sur l'arbre devant lui, Jack tendit l'autre à Aleth en souriant paisiblement. Quelques pas les séparaient seulement.

[Iris]

Aleth était restée immobile, silencieuse et attentive, fascinée par ce que Jack lui révélait d'un monde dont elle ignorait tout, émue par la grandeur tragique du destin qu'il avait choisi. Le cœur battant, elle se sentait un peu intimidée alors qu'elle répondait à son geste en le rejoignant et en lui offrant sa main. Elle n'osait pas rompre le silence en parlant à tort et à travers après qu'il ait récité le serment qui guidait sa vie ; elle ne trouvait pas de mots à la mesure de ce qu'elle ressentait.

[DukeTogo]

Jack avait fermé les yeux et fut imité par Aleth.

Paume contre paume, le contact de cette main rugueuse ressemblait au contact de l'écorce d'un arbre, une peau épaisse et caleuse, des sillons qu'elle imaginait et devinait. Elle entendait sans écouter, elle voyait sans regarder. Aleth eut le sentiment de recevoir des couleurs à travers cette main : du rouge, du vert et du bleu ciel. Toujours les yeux clos, elle tourna légèrement la tête vers Jack puis l'inclina vers le bas en ressentant des picotements dans ses pieds, comme si elle était à la fois légère et enraciné. Elle se sentit devenir à son tour non pas une mais plusieurs couleurs, de l'orange, du jaune et de l'indigo tel un feu follet transcendé par sa lumière.

Elle entrouvrit doucement les yeux et constata qu'elle respirait lentement et profondement. Jack se tenait près d'elle, les yeux plein d'admiration.

"Tu les a vu?"