TDF - 18.1 - Maux de soie, soie des mots

MJ DukeTogo
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Casaïr
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TDF - 18.1 - Maux de soie, soie des mots

Message : # 61115Message Casaïr
04 nov. 2017, 21:45

Le tournoi de Port-Réal se terminait pour moi. J’avais été vaincu au second tour par Jaimie Lannister. Si cette nuit avait été un peu plus normale, peut-être aurais-je pu offrir un spectacle digne de ce nom, me montrer à la hauteur de ma chère lady.

***

La veille débuta comme nous l’avions décidé, en nous mêlant à la foule rassemblée pour le bal du roi, accompagné de Gyles toujours chantonnant. Cet excès de gaieté me mettait vaguement mal à l’aise, incapable de comprendre la raison de sa joie. Si j’avais su à cet instant. Après avoir éconduit un certain nombre de ladys aussi charmantes les unes que les autres, toutes désireuses d’être ma Dame au Foulard, je cherchais, en vain, Lady Brock dans l’assistance. Il y avait un monde fou et je ne parvins qu’à alimenter ma frustration. Un instant, la proposition de Dame Adrienne me revint avant que je ne la repousse, sentant la colère monter. Comme si cela ne suffisait pas, un certain nombre de convives me rappelèrent que ma présence ici n’était rien d’autre que de la chance, au vu de ma défaite à Rubriant. Je mordis sur ma chique pour ne pas me montrer aigre, me contentant de leur sourire.

« Nous verrons bien demain si la chance est toujours de mon côté », répondis-je en m’efforçant de rester courtois.

Gyles semblait avoir plus de chance que moi, entouré de gens riant et buvant ses paroles. Au moins l’un de nous deux s’amusait ! Je remarquai bientôt que Béric et Joango étaient aux aussi aux prises avec les quolibets. Mais ceux qui les énonçaient cherchaient autre chose. Je pouvais presque sentir l’appel du sang de là où je me tenais. Je me précipitais vivement pour m’interposer entre le maitre d’armes des Castellane et ses agresseurs potentiels, immédiatement imité par le troubadour qui tenta de calmer le feu de la colère qui couvait dans ce cercle aux initiés un rien particulier. Il y parvint non sans que des regards ne soient échangés, jusqu’à l’intervention d’un homme que je n’avais pas remarqué jusque-là : Oberyn Martel.

Accompagné d’un certain nombre de femmes, il désamorça la situation rapidement, et les imbéciles qui cherchaient la bagarre l’instant d’avant, s’en furent la queue entre les jambes l’instant suivant.
Nous eûmes tout juste le temps de le remercier pour son intervention qu’il enleva ser Béric pour s’entretenir avec lui. J’ignore ce qui se dit à ce moment, je remarquais simplement que Lord Martel semblait troublé à la fin de leur échange. Il rappela ses troupes et toutes le suivirent, y compris la jeune femme qui avait entamé son travail de sape sur la volonté de Joango, quelque peu dépité de son départ soudain.
Dernière modification par Casaïr le 04 nov. 2017, 21:57, modifié 1 fois.
Il est toujours utile d'affronter un ennemi prêt à mourir pour son pays. Vous avez en définitive, lui comme vous, le même objectif en tête.

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Casaïr
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Re: TDF - 18.1 - Maux de soie, soie des mots

Message : # 61116Message Casaïr
04 nov. 2017, 21:47

La soirée avançait et bientôt l’heure de rejoindre Ser Prédeaux sonna. C’est telle une âme en peine que je suivis Gyles et Béric, après que celui-ci ait intimé, gentiment mais fermement à Joango de ne pas nous suivre. J’approuvais totalement cela, ce que nous allions accomplir ne relevait pas du devoir de chevalier, ce n’était rien de moins qu’un règlement de compte et une tentative d’extorsion d’aveu. Rien de bien honorable donc, comme lorsque nous avions rendu visite au Balafré.

« Balancez-lui un bon coup dans les parties d’ma part pour c’qu’il a fait, M’s… Ser Béric ! »
lança-t-il, l’espoir et la déception se mélangeant dans sa voix. Il reprit des couleurs quand Béric acquiesça.

De mon côté, je vis Aleth et Walton qui semblaient passer un bon moment. Amusé autant que rassuré, je les saluais pour leur souhaiter une bonne soirée, ne m’attendant guère à être rattrapé par Ser Walton.

« Pardonnez-moi si ma question vous semble cavalière mais je me devais de vous demander : selon vous, est-il pire d’espérer une femme qui vous aime sans jamais la trouver, ou de trouver celle qui fait battre votre cœur sans que cela ne soit partagé ? »

Surpris, je ne compris pas immédiatement de quoi il parlait, jusqu’à ce que la lumière se fasse. Walton était désemparé devant Aleth, ne sachant si ses attentions seraient un jour récompensées. Et il y avait bien entendu l’allusion à Lady Brock et moi. La question était épineuse et je sentais que ma réponse ne serait probablement pas satisfaisante. Je tentais malgré tout de le rassurer.

« Je sais que ma cousine à son… caractère, mais croyez-le ou non, vous faites bien plus d’efforts que tous ceux qui ont été tenté de l’approcher jusqu’ici. Cela sera peut-être long mais si vous persévérez, je suis certain que ça en vaudra la peine. »

Je voyais ses épaules se détendre légèrement et en j’en profitais pour ajouter :

« Si l’envie vous dit, je peux aussi vanter vos exploits lorsque nous serons de retour sur les terres Castellane, afin de… faire pencher la balance en votre faveur. »
« C’est gentil à vous mais je m’en voudrai d’user de ce genre d’artifice pour la séduire. »

Je l’appréciais de plus en plus. Il était un peu gauche dans sa manière d’aborder l’amour courtois mais c’était rafraichissant et sans doute plus sincère que bien d’autres avant lui, moi compris. Je le saluais, lui souhaitais que la soirée se termine bien avant de rejoindre mes compagnons. Nous devions rejoindre Prédeaux à Culpucier.
Dernière modification par Casaïr le 04 nov. 2017, 23:15, modifié 1 fois.
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Casaïr
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Re: TDF - 18.1 - Maux de soie, soie des mots

Message : # 61117Message Casaïr
04 nov. 2017, 21:50

Culpucier méritait son nom ainsi que toutes les histoires que j’avais pu entendre à son sujet. Alors que nous cheminions en cherchant la maison de la Soie, je me fis la remarque que les rumeurs étaient sans doute encore trop gentilles. Incapables que nous étions de trouver la maison de passe ou devait se rendre Alar Deem, nous commençâmes à demander notre chemin mais, alors que nous tournions manifestement en rond, je me rendis compte de l’état de nervosité grandissant de Gyles.

« Tout va bien ? » lui demandais-je, inquiet.
« O…Oui-oui, ça va », lâcha-t-il entre ses dents, pas convainquant pour deux sous.

J’insistais et revint à la charge.

« Tu es certain ? Depuis qu’on est dans ce quartier, tu es… bizarre. Plus qu’avant je veux dire. »

N’obtenant pas de réponse satisfaisante, je demandais aux badauds l’emplacement du bordel pour me rendre compte qu’il n’était qu’à quelques ruelles de nous. Je les remerciais et entraînais mes compagnons à ma suite, arrivant rapidement à la maison de la Soie, soulagé. Un homme s’avança immédiatement vers nous à notre arrivée et nous reconnûmes Prédeaux qui semblait plus qu’impatient. Il nous révéla qu’Alar Deem était depuis déjà un moment dans l’établissement avec un manteau blanc, Boros Blount qui avait présidé le duel de Béric. Puis il remarqua l’absence total de réactions de Gyles et, lui qui ne semblait guère apprécier le troubadour le plaqua contre le mur, était excédé par son comportement. Je dû intervenir sous le regard effaré de Gyles, les séparant pour me tourner vers mon ami.

« Il faut que tu me parles, que t’arrive-t-il ? On dirait que cet endroit t’effraie. »
« C’est ce qu’on y fait… Ça ne me plait pas », se justifia-t-il.

Je failli répliquer que nous avions bien la Jouvencelle sur les terres Castellane mais n’en fis rien. Le mal qu’il ressentait semblait bien plus profond et il ne semblait toujours pas capable d’en parler. Je le lâchais à mon tour, blessé par son mutisme mais respectant malgré tout sa décision. Nous en étions à envisager toutes les solutions quant à séparer Alar Deem du Manteau Blanc si d’aventure ils sortaient ensemble quand nous le vîmes sortir accompagné d’un manteau d’or, la garde de Port-Réal. Nous les suivîmes immédiatement, nous rendant compte que Gyles n’avait pas bougé. Je pestais en mon for intérieur mais nous n’avions pas le temps de finasser, il nous fallait empêcher notre proie de disparaitre. Sur les conseils de Béric nous nous séparâmes et parvinrent à les prendre en tenaille grâce au maillage des ruelles de Culpucier, leur coupant toute possibilité de retraite.

« Alors, comme ça on se fait passer pour moi pour enlever des fillettes ? »
aboya Ser Prédeaux, dont la rage n’était que difficilement contenue.
« C’est un mensonge ! » se défendit immédiatement l’autre, apeuré. « Pourquoi ferais-je… »
« Ce n’est donc pas toi que j’ai vu dans cette forêt avec Alyse Hastwyck dans les bras », lâcha Béric d’un ton qui ne supposait aucune contestation.
« Si mais c’est pas ce que vous croyez ! Ce… C’était la reine ! Elle voulait mettre la main sur la putain du roi et les terres des Hastwyck sont… »
« Assez ! tempêta Prédeaux. Maintenant, tu vas roter du sang ! »

Et il se jeta sur lui, bientôt imité par Béric. À deux contre un, j’en avais presque de la peine pour lui. Je ne pouvais toutefois décemment pas laisser son compagnon lui donner un coup de main, pas plus que je ne lui permettrais de fuir. Au moment où il tourna le dos, je me jetais sur lui et l’assommais proprement, sa tête rencontrant le mur tout proche. La correction infligée, Prédeaux et Béric lui firent comprendre que s’il parlait de quoi que ce soit survenu cette nuit, il n’y survivrait pas, pas plus qu’à un éventuel séjour sur les terres Castellane. Prédeaux ajouta qu’il lui serait naïf de compter sur la reine pour le protéger de ses coups. Juste avant de le laisser partir pour de bon, le visage tuméfié, Béric s’approcha et lui décocha un méchant coup de genoux dans les glorieuses, m’arrachant presque un « ouille ! » de solidarité.
Il est toujours utile d'affronter un ennemi prêt à mourir pour son pays. Vous avez en définitive, lui comme vous, le même objectif en tête.

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Re: TDF - 18.1 - Maux de soie, soie des mots

Message : # 61118Message Casaïr
04 nov. 2017, 21:55

Nous quittâmes Prédeaux peu après, Béric et moi retournions chercher Gyles que l’on imaginait nous attendre devant la Maison de la Soie. L’irritation et l’inquiétude nous gagna vite en constatant qu’il n’était pas là où nous l’imaginions. Alors que nous nous demandions où il avait bien pu passer nous le vîmes quitter la maison de passe, visiblement défait, le teint blême, comme s’il sortait d’un long cauchemar.

« Il faut vraiment qu’on parle », lui dis-je doucement.
« Oui, il le faut, mais pas ici », répondit-il en désignant l’auberge juste à côté et que Béric et moi avions remarqué alors que nous cherchions le troubadour.

Nous le suivîmes, respectant son choix sans vraiment comprendre. L’auberge était un vrai bouge, tenu par un couple qui ressemblait plus à des brigands ou à ces personnages de contes que l’on racontait aux enfants pour les effrayer. Nous nous installâmes à une table, attendant patiemment que notre si fébrile ami prenne la parole et c’est en tremblant qu’il le fit.

« Vous voyez l’homme derrière moi ? Jusqu’à il y a peu, je croyais que c’était mon père. Et celle que j’ai été voir, je croyais que c’était ma sœur. »

Béric et moi nous regardâmes sans comprendre, gagnés par un malaise grandissant.

« Qu’entends-tu par « Je croyais », », brisais-je enfin le silence pesant de tout son poids sur notre table, ignorant le rat puant qui vociférait tant et plus derrière et qui me hérissait le poil.
« Il récupère des orphelins soi-disant pour les adopter, mais en réalité les force à la tâche pour lui. »
« Et qu’arrive-t-il quand il n’a plus besoin de ses « enfants » ? »
« Je ne sais pas, je me suis enfui avant… »

La « presque sœur » de Gyles était dans une maison de passe, je n’avais pas besoin d’additionner un et un pour connaitre le sort d’au moins une partie des enfants que ces salopards recueillaient. L’envie de brûler l’endroit devint violente et je m’empêchais de commettre l’irréparable, cela n’aurait rien apporté de bon. Une autre plainte du vieillard et Gyles quitta l’auberge en trombe. Poussé par mon instinct, je bondissais à sa suite, seulement retenu par le vieux fou.

« Eh, partez pas comme ça ! J’ai du Cheldaro si vous voulez ! »
« Non merci, pas maintenant ! » répondis-je par réflexes avant de sauter dans la rue pour poursuivre mon ami qui fuyait.

Je l’arrêtais en le plaquant contre un mur après qu’il ait renversé un tonneau trainant là et ait failli tomber à la renverse.

« Qu’est-ce qui t’arrive encore ? »
criai-je presque, autant en colère qu’alarmé par l’incroyable réaction du troubadour.

Gyles me regardait et les mots qu’il prononça à cet instant me firent basculer comme jamais.

« Cet homme s’appelle Leonys Brock. »
« Brock ? Qu… quoi ? C’est… »
« C’est mon père », opina-t-il du chef.

C’était impossible. Je regardais Gyles, submergé de sentiments si contradictoires qu’ils me clouèrent sur place, incapable de réagir. C’est alors qu’il me prit de court en m’embrassant. La sensation de ses lèvres si douces sur les miennes, non, je ne pouvais seulement y croire. Gyles ne pouvait pas… ! Il relâchait son étreinte, riant et pleurant tout à la fois, vision qui me poigna le cœur, me laissa désarmé, légèrement tremblant.

« Tu les aimes mes fesses ?... » chuchota-t-elle alors, de cette voix si douce que je reconnus instantanément.

Les forces qui m’empêchaient d’y croire abdiquèrent sur le champ. Celui, non, celle qui se trouvait face à moi était la femme qui hantait mes jours et mes nuits depuis des lunes. Moi qui l’avait cherché partout, demandé à des mestres de Hautjardin, qui était prêt à faire de même à Port-Réal, qui guettait son retour jour après jour, je n’avais pas réalisé qu’elle avait toujours été à mes côtés. Riant à mes blagues. Complice quand nous parlions. Compatissante quand je lui parlais de mes déboires. Comment avais-je pu être aveugle à ce point ? Tout me revenait, jusqu’à cette dispute à Villevieille, quand je l’avais vu avec cette étoffe. Et Dame Adrienne, qui affirmait s’en être séparée alors qu’elle valait une petite fortune. Elle avait fait tout cela pour moi. La honte m’envahit en imaginant ce qu’elle avait dû ressentir alors que je badinais avec elle l’air de rien, sans savoir. Toutes les pièces s’assemblaient et rendaient l’ensemble cohérent. Alors elle m’embrassa de nouveau et cette fois je pus y répondre, enfin libéré de mes doutes, de ma culpabilité de n’avoir su reconnaitre celle que j’aimais sous les traits de mon ami. Un long baiser passionné à entremêler nos langues, à savourer la soie de nos lèvres, comme si nous avions été séparés des années alors que nous n’avions jamais été si proches. Quand nous nous séparâmes finalement, à regret pour ma part, je vis les étoiles dans ses yeux, brillant plus fort que jamais.

« Crétin », lâchais-je en souriant et en lui tirant la langue.

Elle m’expliqua enfin. Elle s’appelait Gylehan et avait fui Port-Réal, abandonnant sa sœur qu’elle n’avait su emmener avec elle. Elle me parla de son désir de ne pas commettre deux fois la même erreur et de la ramener chez les Castellane, la sortir pour de bon de l’horreur permanente qu’elle vivait. Et pour cela, elle lui avait donné rendez-vous au petit matin, dans leur cachette près du port. Elle me demanda si je voulais l’accompagner.

« Évidemment que je viens, tu es ma Lady, et il n’y a rien que je ne ferai pour toi. »
« Tu sais, me dit-elle tristement, je ne suis pas vraiment une grande dame… »
« Pour moi tu l’es », répliquai-je doucement en caressant sa joue.

Pendant tout cet échange la présence de Béric était purement et simplement passé à la trappe et c’est d’un air contrit que je m’excusais, lui annonçant que j’allais accompagner Gylehan pour attendre Méryn, sa sœur. Nous nous séparâmes alors, Béric retournant prévenir Aleth de ce que nous avions appris ce soir, ma Lady et moi dirigeant nos pas jusqu’à leur point de rendez-vous. Le matin se levait alors que nous discutions toujours, nous racontant mille choses, de nos vies ou sans importances, peu importait tant que nous étions ensemble. Quand le soleil pointa le nez toutefois, nulle trace de Méryn. La tristesse accabla aussitôt Gylehan. Sur la route nous ramenant au tournoi, je lui promis que nous trouverions une solution pour la sortir de cet enfer.
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