TdF - Chap. 0.2 - Le lierre sur la tour vieille tour

MJ DukeTogo
Date de début : printemps 2014
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Iris
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Jour 03 - Sa sainteté Sretena

Message : # 49755Message Iris
28 nov. 2015, 00:01

Très Sainte Mère Septa Sretena,

Cela fait près de quatre mois que j'ai quitté Villevieille et mes pensées m'y ramènent chaque fois que je prie dans un septuaire, chaque fois que je prépare ma sacoche de remèdes. Je n'ai passé qu'un an au Grand Septuaire et à l'hospice et il me semble parfois que ce temps fut le plus important de mon existence.

Déjà pendant un an j'étais partie de Waterford pour faire connaissance de ma famille maternelle. C'était un déchirement de quitter Jolan et Corwin, mais en même temps ce fut une libération de ne plus vivre dans une demeure marquée pour toujours par la mort de mon frère Dugal. Le domaine de Risbourg n'était pas très amusant, je n'avais guère que l'équitation et la broderie pour m'occuper. Si Ser Darren Risley avait l'opportunité d'en hériter, sans doute les lieux s'animeraient-ils davantage... cela devrait être, mais ce n'est plus aussi certain qu'il y a seulement quelques heures...

Parmi les élèves et les septa je n'étais qu'une parmi tant d'autres. Nous étions coupées du monde, l'esprit seulement occupé par l'étude et la prière. Cette quiétude et cette aspiration à la l'élévation me manquent.

Où que je porte mon regard, je ne vois qu'inquiétude et fausseté, condescendance et mépris, orgueil et gloriole.

Je suis profondément partagée.

Une partie de moi souhaite revenir au Septuaire, aiguillée par l'impression tenace de ne pas trouver ma place ici. A quoi bâtir des châteaux de sable au milieu de vipères si je peux être utile et vivre en paix ?

En même temps, je suis curieuse de découvrir ce qui se cache sous les masques et dans les coulisses de ce théâtre des vanités. Je serai bien en peine de les juger durement, n'étant moi-même pas sans tache. Si je suis si prompte à me plaindre de ces vaines gloires, n'est-ce pas parce que je les désire et ne peux les obtenir pour moi ? Il est facile de déconsidérer ce qui nous échappe.

Ne serait-il pas agréable d'être considérée, applaudie, célébrée, admirée ? Mais à quel propos pourrais-je l'être ? Je me plais à penser que ce sont les actes qui permettent le mieux de connaitre les gens. Mais quels sont mes accomplissements ? Quels choix ai-je fais ? En quoi ai-je prouvé ma valeur à mes propres yeux ?

Si Gyles devait chanter mon éloge - et je l'imagine mal s'y abaisser - il n'aurait pas grand-chose à dire.
  • Je ne suis pas l'écuyer d'un célèbre chevalier, je ne suis pas un redoutable épéiste, un jouteur valeureux, fort bel homme de surcroît...

    Je ne suis pas vétéran de guerre, un étranger stoïque qui a gagné le respect de sa Maison d'adoption en dépit de ses origines, un combattant remarquable qui a prouvé sa valeur à plus d'une occasion...

    Je ne suis pas un archer si exceptionnel qu'un adversaire valeureux s'est donné du mal pour voir jusqu'où il pourrait aller, je ne suis pas engagé dans des embuscades visant à mettre un terme aux actions d'une redoutable bande de brigand...

    Je ne suis pas non plus un musicien talentueux qui tutoie presque la noblesse de Westeros depuis Port-Réal jusqu'au Bief, qui s'infiltre dans les entrepôts pour y dénicher les preuves de trafics...
Quel chant puis-je faire de moi-même ? Dois-je versifier mes révérences qui semblent à la hauteur des attentes de ma mère ? Ou évoquer ma graphie soignée qui réjouit notre Mestre ? Décrire longuement mes broderies délicates qui chargent mes manches de lierre ?

De qui forcerai-je le respect de la sorte ?

Ce matin Ser Emmon Cuy me complimentait pour mon sens de la famille qui m'honorait. Je voudrais plutôt gagner mon honneur par mes actes, en me prouvant que je suis pas une poupée de porcelaine : lisse, brillante, et creuse.

Voyez-vous, j'aimerais sauver mon cousin. Parce que c'est quelqu'un d'attachant, que son malheur me peinerait, mais aussi pour réussir quelque chose qui soit digne d'intérêt : pour être quelqu'un digne d'intérêt.


Nous saurons bientôt ce qu'il en est,


H
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Jour 03 - Béric Kardalt

Message : # 49823Message Iris
30 nov. 2015, 23:09

Béric,

Longtemps j'ai cru que vous étiez simplement indifférent, déçu de devoir assurer ma sécurité. Cette tâche ne vous plaisait pas, mais vous faisiez votre devoir en supportant la présence d'une voyageuse non-combattante. Devoir m'apprendre l'escrime n'a rien changé. Je reste et resterai un poids à vos yeux.

Nos seules conversations qui ne soient pas des échanges formels, se limitent à des refus de votre part ou des admonestations à la prudence. Quand j'entends tous ces avertissements, quand je vois toutes vos mines dépitées et résignées, j'ai le sentiment que vous souhaiteriez être définitivement débarrassé de toute charge me concernant.

Je pensais que ce tournoi qui vous donnait l'occasion d'accomplir un rêve vous mettrait dans de meilleures dispositions. J'avais défendu devant Père votre participation à ces joutes ; j'ai fait de mon mieux pour votre inscription, pour vous assurer de mon soutien quand la nouvelle du départ pour le Mur des perdants fut connue.

Tout cela en vain. Il est désormais inutile de se voiler la face. J'ai formulé une hypothèse à vérifier pour trouver un moyen de sauver Darren, et vous l'avez considérée comme une accusation calomnieuse. Tout ce fiel que vous accumulez en silence, vous avez pu enfin en cracher une partie. Vous me méprisez. Comment désigner autrement le ressenti à l'égard d'une personne que l'on qualifie à la fois de
  • ...fantasque, écervelée, illogique, irrationnelle et dotée d'une imagination aussi malsaine que délirante ;

    ... et de jalouse, rancunière, malveillante et manipulatrice ?
Dire que peu avant vous me disiez pour la première fois que vous aviez confiance en moi ! J'en rirai si je n'avais pas envie de pleurer. Vous voudriez peut-être y parvenir, par égards pour mon père. Un homme honorable se doit de traiter avec respect la progéniture de son seigneur. Mais que faire quand celle-ci est détestable ?

Gardez patience, d'ici deux ou trois ans tout au plus vous serez enfin libéré de ma présence et vous pourrez de nouveau servir les Castellane sereinement.

D'ici là, il nous faudra nous tolérer -- puisqu'il n'y a rien de mieux à espérer -- parce que nous servons le même maître.


H.
Dernière modification par Iris le 02 déc. 2015, 15:05, modifié 2 fois.
Raison : Reformulation
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Jour 03 - Sa sainteté Sretena

Message : # 49847Message Iris
01 déc. 2015, 23:47

Très Sainte Mère Septa Sretena,

Le doute ne me quitte pas un instant. Il me semble que rien n'est sûr, que je ne peux pas avoir confiance, en rien ni personne. Je ne connais pas les gens que je côtoies et je ne suis pas certaine de savoir véritablement qui je suis. Les recommandations et récriminations des uns et des autres se répondent dans mon esprit, des échos qui se superposent, s'amplifient, m'assourdissent. Je n'arrive pas à penser clairement au milieu de tout ce vacarme. Puis soudain, tout cesse, je suis environnée de silence, seule.

Tantôt il me semble que tout est clair, évident, transparent et cette fulgurance me remplit de joie, puis tout se délite et dissipe au point que je me demande s'il ne s'agissait de chimères issues de mon imagination.

Le désir de faire part de ce que je ressens et de ce qui m'anime est un feu étranglé, qui s'éteint dans une bouteille fermée. Privée d'air, je regarde le monde au dehors, distordu par la paroi qui me retient. Les images et les sons qui me parviennent ne sont jamais réels, jamais entiers, tels qu'ils sont vraiment.

Ainsi transportée, je demande sans cesse si je suis vraiment à ma place. En ai-je seulement une ? Je convoite celle de mon frère défunt, de mon frère vivant, la lumière qui éclaire les hommes autour de moi. Cette avidité est peut-être le signe que mon cœur est profondément mauvais ? Pourquoi suis-je horrifiée par ce que je vois chez Lady Silva... et d'autres ? Est-ce parce que je suis innocente, ou tout au contraire parce qu'elle me rappelle le pire en moi, ce que je voudrais ignorer mais qui me ronge ?

Voyez-vous, j'étais désolée pour Darren, et je voudrais vraiment l'aider, mais si je suis totalement honnête, je ne souffre pas vraiment pour lui. Je ressens de la joie à l'idée de simplement sortir ce soir et voir des gens. Le malheur qui frappe les perdants me paraît de plus en plus lointain. En fait, deux choses l'ont éloigné de moi : je disais à Darren que je ne pourrais pas l'aider seule, et il n'est pas venu pour parler de comment nous organiser... Gyles n'était pas là non plus... Béric a proposé une modalité d'action qui ne nécessite aucun effort de ma part : s'il réussit, ce sera heureux pour Darren, mais n'avoir aucun rôle, aucune place dans ce combat, me rappelle encore et toujours que l'on n'a pas besoin de moi, que je suis inutile.

J'ai le choix entre me ronger les sangs en étant impuissante, ou être impuissante et passer une soirée agréable -- du moins je l'espère. Ce qui me fait souffrir, ce n'est pas de ressentir de la culpabilité : c'est de me rendre compte que je n'en ai guère.

...
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Jour 03 - Sa sainteté Sretena (suite)

Message : # 49963Message Iris
05 déc. 2015, 22:08

Je n'ai nul talent pour me faire apprécier et que je n'ai en toute logique guère d'amis : plutôt que de m'affliger que Béric me méprise et que Gyles ne m'estime guère mieux, je ferais mieux d'accepter ce qui est et que je ne peux changer. Ils ne m'aiment pas ; je peux seulement contribuer à rendre notre relation tolérable en prenant mieux sur moi.

Quant à ceux qui m'apprécient... Je n'ai à vrai dire guère de relation avec eux, et de moins en moins me semble-t-il. Jolan est tourmenté par ses responsabilités envers sa famille et se referme sur lui-même ; Mestre Corwyn en fait autant pour d'autres raisons ; Lysanor n'est guère différente quand j'y pense ; tout comme Mère certainement... Ceux qui m'aiment paraissent perdus dans des puits de noirceur : je n'arrive pas à les atteindre. Peut-être cela vient-il de moi : je n'arrive pas à les toucher, leur donner envie de s'ouvrir à moi.

Il me semble que je suis bien ingrate envers les Sept : je suis née privilégiée. J'ai toujours vécu en sécurité, sans manquer de rien sur le plan matériel. Pourquoi cette détresse ? Je me sens consumée tout autant par la soif de liberté que par celle de pouvoir parler, m'adresser à quelqu'un... qui ait confiance en moi et ne me juge pas. Je voudrais avoir de la valeur, à mes yeux comme à ceux d'autrui : ne plus être respectée que parce que je suis la fille de mon père.

A défaut, je crois que ma vie ne serait plus mauvaise en devenant Septa : je serais peut-être aussi seule qu'à présent, mais je sentirai utile et l'on me traitera en fonction de mes actes uniquement... ou bien je pourrais disparaître, changer de vie, devenir une guérisseuse anonyme de l'autre côté du Détroit ? Je décevrai tous ceux qui me connaissent, mais je serai libre : j'aurai choisi ma vie et les épreuves que je subirai.

Ceux qui ont choisi leur voie dans la douleur n'ont pas idée que l'on peut devenir fou à force d'être encagé.

Comment être libre sans détruire, sans décevoir ? Est-ce seulement possible ?


Votre sainteté, le désir de libre-détermination est-il fondamentalement mauvais? Il heurte de front nos traditions. Est-ce mal en soi, ou bien parce que cela porte le germe de remises en question de coutumes qui perpétuent une organisation sociale ? Le mal n'est-il pas plutôt dans l'hypocrisie -- se prétendre un modèle d'honneur et agir en criminels -- généralisée, érigée au rang de système ? Si l'injustice et les rapports de pouvoir sont la norme, la seule chose à faire est de gagner du pouvoir pour défendre son droit à exister.


Je me pose trop de questions pour trouver la paix, j'espère au moins parvenir à trouver une part de joie et de liberté,



H.
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Jour 03 - Mère

Message : # 50548Message Iris
20 déc. 2015, 12:19

Chère Mère,

Êtes-vous heureuse ou simplement satisfaite de votre sort ? Quand on considère l'état du domaine Risbourg de la Maison Risley, votre mariage avec un héritier d'une Maison comme celle des Castellane était une opportunité peut-être inespérée... et Père est un homme bon, auquel il serait difficile de reprocher quelque défaut que ce soit. Pourtant vous demeurez indéchiffrable. Je ne me rappelle plus à quoi vous ressembliez avant la mort de Dugal, mes souvenirs ne remontent pas si loin. Je ne vois de vous qu'un air grave, digne et impassible.

Ser Emmon Cuy me fait la grâce de me considérer avec la plus grande bienveillance, se montrant en toute chose d'une courtoisie raffinée et délicate.

Nous l'avions rencontré à la Trémière et il avait accepté d'aider à la protection de ce domaine alors même que les Cuy et les Hastwyck sont en très mauvais terme depuis la révolte de Robert. Ici il a demandé fort élégamment de porter mes couleurs et s'est conduit d'une manière irréprochable, toujours plein d'attentions.

Je devrais être pleine d'un bonheur sans nuance qu'un homme si plein de qualités trouve de l'intérêt à ma compagnie.

Il est même l'héritier de sa Maison : une alliance avec les Cuy complèterait nos relations avec les Maisons côtières telles que les Hastwyck et les Bulwer qui nous sont assez favorables. Si Dugal était en vie, nous serions désormais également alliés avec les Negrebar de Bandallon, disposant d'une chaîne de relais à même de favoriser un développement économique conjoint. L'intérêt de notre Maison à un mariage avec les Cuy est évident. Il est gagnant pour toutes les parties concernées : on pourrait difficilement espérer mieux.

J'ai peur de perdre le peu de liberté que j'ai aujourd'hui, peur de marcher exactement dans vos traces, peur de me perdre.

Entourée de gens qui savent tous mieux que moi ce qui est bien pour moi, comment exister ? comment avoir même l'opportunité de faire mes choix ? Je suis la voie tracée pour moi et me dissous à chaque pas. Vouloir exister me semble un affront et une marque d'ingratitude pour tous ceux qui s'affairent autour de moi. J'ai l'impression d'avoir le choix entre me renier ou être un monstre et je suis tout à la fois étranglée et déchirée.

Je pourrais pourtant espérer que Ser Emmon m'accepte et me soutienne. Ce serait la situation idéale.

Pourquoi suis-je incapable d'avoir confiance ? Je vois le mal partout. Le plus parfait des hommes envisage d'entreprendre une visite à Waterford dans l'idée d'obtenir ma main, et je suis seulement préoccupée de chercher des ombres dissimulées.


J'ai peine à imaginer que vous me révèlerez jamais le fond de vos pensées. Peut-être ignore-t-on tout autant ce qui me ronge, mais je suis assurément moins bonne maîtresse de mes émotions que vous,


Bien à vous,


H.
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JOUR 03 - Ser Emmon Cuy

Message : # 50594Message Iris
21 déc. 2015, 23:31

Cher Ser Emmon,

Notre rencontre remonte à présent environ à quatre mois et aura été brève. Jolan venait de revenir sur ses terres pour découvrir l'enlèvement violent de sa soeur. Quand vous acceptâtes de prêter des troupes à la Trémière pour protéger le domaine temporairement, je ne mesurais pas la profondeur du ressentiment accumulé entre les Cuy et les Hastwyck. Votre décision d'aller au-delà pour agir au nom de ce qui était juste en dépit de l'attitude outrageuse de Lord Hastwyck m'a donné à penser que votre attachement aux vertus d'honneur n'était pas factice. J'ai appris à être prudente jusqu'à la méfiance, hélas : j'ai beaucoup de mal à supposer la générosité, la sincérité ou la bienveillance sitôt qu'une situation est ambiguë.

Ce matin j'ai été prise de court par votre demande de porter mes couleurs. Bien que très gênée à voir toute l'attention de la foule se tourner vers moi, j'étais touchée agréablement de me trouver ainsi distinguée, d'autant plus quand je me suis rendue compte de la beauté et de l'élégance des autres jeunes femmes choisies. De moi-même, je n'aurais pas osé me comparer à elles, me considérer leur égale. Je me rends compte que mon temps au Grand Septuaire a laissé des traces : je n'avais pas l'impression que mon statut y avait de l'importance, tandis que l'humilité, la mesure, la sincérité et le sérieux étaient des vertus encouragées. J'ai surtout retenu de l'humilité la nécessité de s'évaluer avec justesse, sans se surestimer ni sous-estimer les difficultés et l'entends davantage comme une question de lucidité que comme une pudique modestie. J'ai beaucoup de mal à me donner une place dans "notre" monde, à savoir ce qui est irrémédiable ou pas et je tâtonne en permanence, une aveugle perdue dans un labyrinthe.

En toute chose, vous avez été irréprochable. Quand je vous compare à des fanfarons alcoolisés, des orgueilleux prompt à appuyer leur autorité en frappant, ou de mauvais coucheurs, grincheux, taciturnes, violents... vous faites preuve d'une grande maîtrise de vous-mêmes. Une part de moi m'admoneste à rester prudente : que vaut une bonne impression tirée de moins d'une heure à discuter face à une vie entière ?...

... car c'est bien de cela dont il est question, n'est-ce pas ?

Votre projet de me rendre visite à Waterford m'a presque fait paniquer alors qu'il était prévisible et annoncé selon les formes. Je devrais me réjouir, je ne cesse de me le dire, et pourtant, je n'arrive pas à faire l'impasse sur mes inquiétudes. L'époux a des droits qui dépassent ceux d'un père sur sa fille. Une femme prend des risques considérables en se mariant, et je ne parle pas seulement des risques de mourir en couche. Le mariage peut tout aussi bien être une opportunité heureuse qu'un abominable cauchemar. C'est une véritable hantise : risquer d'abdiquer le peu de liberté que j'ai, me la voir confisquée par quelqu'un certain de savoir ce qui est le mieux pour moi - ou pour lui ? -

Certes, un homme a intérêt à bien choisir également, mais s'il est mécontent, il dispose de la liberté de prendre une maîtresse, de mener la vie dure à son épouse... S'il est vraiment maître incontesté sur ses terres, il ne doit même pas être très difficile de la faire assassiner. Le rapport de force peut être encadré par le contrat de mariage, mais cela implique d'être bien avisé en amont et d'anticiper tout ce qui pourrait poser problème... Si je veux bénéficier de cette armure de papier, il me faut être méfiante et suspicieuse, peut-être, je l'espère, injustement, mais au risque de vous blesser précisément par ma crainte. Comment puis-je me permettre m'abandonner à mes émotions si j'ai un besoin vital de garder l'esprit clair et froid ?

J'aurais voulu devoir me poser ces questions le plus tard possible.... j'aurais voulu me sentir libre et sans attache en vue... Je sais bien que le sort de Jalanne Negrebar n'est pas souhaitable ou que la manière dont Lord Redwyne laisse ses fils repousser tous les prétendants n'est pas une meilleure situation pour sa fille. Pourtant je me retrouve dans le cas extrême inverse : vous êtes le premier homme "épousable" dont j'ai fait la connaissance depuis mon séjour à Villevieille, et il est déjà question de pourparlers pour des fiançailles. Je ne connais personne, je n'ai pratiquement rien vu du Bief ou de Westeros, et la perspective de devenir semblable à ma mère me glace : être pour ainsi dire enfermée au château avec ses enfants. Une existence privilégiée et confortable, mais d'un ennui mortel à mes yeux.

Je ne sais comment vous dire tout cela, vous faire comprendre pourquoi je ne réponds pas aussi favorablement que je le devrais à vos attentions pourtant charmantes. En fait, je me demande pourquoi poser votre regard sur moi, pourquoi vous attarder à me courtiser. Je ne vous suggère pas de chercher à gagner l'attention d'une arrogante Lady Talla Tarly ou de vous risquer à tomber dans les rets d'une Lady Silva Harte, mais je me demande si vous mesurez bien à quel point mes pensées et mes aspirations ne correspondent pas à ce qui est attendu d'une femme dans notre société. Je crains de vous choquer et de perdre rapidement toute valeur à vos yeux. J'espérais que le lierre de mes robes serait assez explicite, mais les Ser ne passent peut-être pas assez de temps à lire de la poésie ! Une plante sauvage poussant à l'ombre, dont les fruits sont noirs, provoquant une ivresse toxique et parfois délirante. Je suis l'exact opposé du tournesol : cultivé, face au soleil, comestible et utile.


J'ai peur de devenir un oiseau en cage et de devoir me transformer en serpent pour m'en échapper,



H.
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JOUR 03 - Jack Bulwer

Message : # 50673Message Iris
23 déc. 2015, 23:23

Cher Jack,

Que peut bien faire un garde de nuit des états d'âmes d'une jeune fille qui a grandi étroitement protégée ? Bien que j'aie conscience que mes états d'âme soient futiles au regard de tant de drames, je ne cesse pour autant de me débattre avec des principes et des chimères.

Si j'avais pu, si j'avais le choix, si j'étais libre de ce que je ressens, j'aurais pu vous désirer, j'aurais pu vous aimer -- oublier le monde, tout ce que je dois, tout ce qu'on attend de moi. J'aurais voulu avec le loisir de mieux vous connaître et me rapprocher de vous.

De quelle folie ne nourrit-on pas les rêves ?

Le solaire tournesol de Ser Emmon Cuy est venu chasser les ombres dans lesquels mes songes s'épanouissaient pour évoquer -- avec toute l'élégance dont il semble faire preuve en toute chose -- cette échéance que j'aurais voulu oublier, ce rêve de tant de jeunes filles et qui sonne pour moi comme un bruit de chaînes.

Avant qu'il fasse part de ses intentions, je pouvais encore me dire "libre" et croire que je ne lèserais personne si, par improbable, les circonstances me donnaient l'opportunité de... mais à présent, sans être engagée ni par mariage, ni par fiançailles, j'ai à l'esprit que quelqu'un a cette idée, qu'il souhaite agir avec les meilleures intentions.

Je me retrouve à avoir l'impression d'être pleine de duplicité et de fausseté, simplement parce que je dois m'accorder de ce que je souhaiterais, mais qui m'est interdit ; et de ce qui semble le mieux mais que je ne désire pas de moi-même. Je dois souhaiter qu'avec le temps je m'accommode du "mieux" ... Si je n'y parviens pas, je deviendrai folle à force d'être divisée, ou bien ferai-je parti de ces gens pour lesquels le mensonge est presque plus naturel que la sincérité ?...

Avec Ser Emmon nous nous entretenions de la question de la vérité et de la sincérité. Il m'a paru souhaiter des rapports honnêtes, et je ne peux que l'approuver, mais comment puis-je l'être si j'ai constamment cette voix qui me susurre qu'en réalité je souhaiterai autre chose ?


Je ne sais que faire : comment être à la fois intègre par rapport à moi-même et ne pas blesser ni trahir ceux qui m'offrent leur affection ?


H.
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Iris
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JOUR 03 - Messer Bartheld

Message : # 50696Message Iris
25 déc. 2015, 13:55

Cher Messer Bartheld,

Vous m'avez confectionné une écharpe de soie noire comme la nuit sur laquelle j'ai pu broder une composition symbolique qui fut pour moi l'occasion de réfléchir et méditer sur ce que je ressentais tout en m'exerçant sur un support auquel je n'étais pas habitué, à savoir un fond d'une teinte aussi sombre. Cette expérience m'a plu et je songe à une nouvelle commande.

Il s'agirait cette fois encore d'une écharpe pour ce qui est du format. Je pense que c'est le plus pratique pour un présent et pour tenter de développer une poésie de fil, de couleurs et de reflets.

En revanche, il ne faudrait pas effectuer la teinture après tissage car l'effet auquel je pense implique des fils teints au préalable. Je ne me rappelle plus le nom de la technique en question : il s'agit de jouer sur des alternance de fils de trames ou de chaîne de deux coloris, ici du rouge et du bleu. L'ensemble observé de loin donnera donc la sensation visuelle d'un violet, et ce n'est que de près qu'on pourra distinguer, selon l'orientation de la lumière sur le tissu, qu'il est plutôt bleu ou plutôt rouge. Plus précisément, j'ai également une idée de l'impression globale que devrait donner ce violet : je souhaiterais que le jeu du bleu et du rouge évoquent un coucher de soleil.

Il arrive un moment assez court le soir, durant peut-être une demi-heure ? durant lequel la lumière du soleil est rasante. Il se produit un effet particulier : toutes les couleurs sont atténuées, glissant vers le noir de la nuit, à une exception. Les pétales des fleurs - et eux seuls ! - sous cet éclairage unique du soir deviennent éclatants jusqu'à paraître rayonner de leur propre lumière. C'est un phénomène d'autant plus enchanteur qu'à cette heure les chèvrefeuilles embaument l'air à destination des papillons de nuit.

En discutant, je me suis aperçue que beaucoup de gens n'avaient jamais remarqué ce laps de temps de pure beauté florale, qu'il ne leur était pas apparu que les couleurs changeaient, que les ombres elles-mêmes avaient des nuances différentes selon les heures, l'humidité ou le couvert nuageux. Pour ma part ce temps du crépuscule au jardin est l'un de mes préférés et j'aimerais beaucoup parvenir à traduire ce que je ressens alors.

Il faudrait donc que le violet ait quelque chose de "gris", de crépusculaire, mais sans être trop sombre pour autant. Je souhaite en effet m'appuyer sur ce fond de ciel pour créer un effet avec le jeu des broderies.

Sur les bords, encadrant la composition, je souhaite utiliser un mélange de vert sombre et de violine, le but étant de jouer sur les deux pour donner une sensation visuelle de "noir" vu de loin. Il s'agirait d'une bordure de petits motifs de lierre, délibérément discrets : je souhaite que ne les voient que ceux qui savent prendre le temps de regarder.

Le regard devrait au contraire dans un premier temps être capté par trois tournesols. Je songeais à en faire un plus grand et deux un tout petit peu plus petit, et surtout, en celui du centre en décalage à gauche, les deux autres à droite, de manière à faire écho aux trois tours dorées du blason Castellane. Ces fleurs, je souhaite leur donner un rendu naturaliste avec de riches nuances de jaunes, ocres et orangés. Il me faudra donc choisir avec soin les espèces de tournesol pour que les teintes s'accordent avec la dominante gris - mauve du fond que vous concevrez. Ces trois fleurs seront rehaussées de fils d'or afin qu'elles captent toute la lumière : il s'agit là de rendre en tissu l'impression d'un jardin au crépuscule.

J'entends ici ce temps du soir comme le jour venant à la rencontre de la nuit et s'y glissant, la laissant l'accueillir et l'envelopper.


D'ici mon retour à Waterford, je tâcherai de réfléchir et être en mesure de vous préciser les effets et nuances que je recherche,


A bientôt,


H.
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JOUR 04 - Ulric

Message : # 51025Message Iris
05 janv. 2016, 23:27

Cher Ulric,

A présent que vous êtes parti, je songeais à mon présent, cette pomme... Il me semble que mes gestes dépassent mes intentions conscientes et me confrontent à un aspect de mon âme auquel je n'ai peut-être accès que par l'intermédiaire de mes rêves. Son langage est flou, constitué de symboles polysémiques et leur interprétation me surprend autant qu'elle me révèle à moi-même.

Une pomme, un simple fruit, mais aussi une image de l'été, de la joie et de la générosité de la nature. Croquant, sucré et juteux, il est un des premier plaisir de l'existence. Cueillir chaque jour les fruits de la vie : le poète nous encourage à nous réjouir des bonheurs à notre portée et à les savourer quand ils sont mûrs. Point de thésaurisation ni de trésors froids comme de l'or, leur chair est chauffée par le soleil, leur peau est douce.

Cette pomme, en la choisissant comme trophée, dans l'intention de la trancher en deux pour que vous puissiez la partager avec Torman, j'en ai fait une hypostase de mon cœur, sa manifestation tangible, sorti des sphères des idées. C'est pourquoi j'étais si blessée de voir surgir Jolan alors que, d'une certaine façon, j'avais dévêtu une partie de mon âme, celle qui rit et se réjouit de vous voir tous deux, celle qui peut oublier un moment que les lady n'ont rien à faire avec les brigands.

Il me fallait rhabiller ce fruit trop sensible et trop exposé, mais j'ai choisi des rubans porté le jour même dans ma coiffure. Longs et soyeux, brodés de mon lierre, je voulais qu'il y en eût deux pour qu'il n'y eût point de jalousie entre vous et Torman. C'est une préoccupation peut-être vaine et vous semblez si proches que je ne peux concevoir qu'il y ait vraiment des sujets de dissensions. C'est en tous cas ainsi que j'ai vêtu cette pomme toute simple, parfumée, ses deux parties serrées l'une contre l'autre tandis que le jus suintait par la fente, donnant l'impression qu'elle n'attendait que d'être ouverte, goûtée dans tout ce que son cœur, son intérieur pouvait révéler de douceur et d'arôme. Cette intimité de ce fruit mûr, je ne l'ai dissimulé que derrière des lacets qui me rappellent à présent ceux de mes robes. Il serrent, ils dissimulent, mais leurs boucles ne font peut-être qu'appeler à ce qu'on les dénoue et libère la vie qu'ils renferment.

Je pense que mes métaphores valent bien celles des histoires de fleur et de lance dont on m'a gratifiée aujourd'hui... peut-être un peu plus complexes d'interprétation, mais leur expression du désir et de l'hésitation n'en est que plus riche et nuancée.

... il est heureux que vous ne sachiez probablement pas les déchiffrer, je crois que j'aurais à rougir dans le cas contraire ! ... et comment expliquer que cela m'a échappé et qu'il m'a fallu me remémorer la scène pour comprendre ce que je disais sans mots ?


Portez vous bien et soyez prudents,


H.
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Iris
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Chapitre 07 - JOUR 1 - Ulric

Message : # 53687Message Iris
01 juin 2016, 21:10

Cher Ulric,

Par ces belles journées, si radieuses que le malheur et l'inquiétude semblent n'avoir leur place en ce monde, certains sont retournés sur leurs terres le cœur écrasé par les ombres du nord lointain, sentant déjà dans leurs os le froid du Mur. Les vôtres ne connaissent pas cette menace, seulement la mort, prompte et brutale. La vie de la noblesse vous est étrangère autant que la vôtre me l'est ; vous me disiez cette nuit, alors que vous aviez commis la folie de vous risquer au milieu du camp des tentes des participants au tournoi, que vous ne vous étiez jamais véritablement interrogés, mais vous me promettiez également de m'aider à retrouver le commanditaire de la tentative d'assassinat qui me visait.

Si seulement vous saviez qu'on peut perdre bien plus que sa vie tout en paraissant ne souffrir d'aucun mal !

Si je pouvais vous voir à présent, je vous presserais de chercher, je vous voudrais presque vous supplier : tous mes espoirs reposent désormais sur vous seul. Vous êtes la seule lueur dans cette nuit en plein jour. J'ai besoin de votre aide, je ne vois aucune autre issue ! Je prie l'Aïeule de m'inspirer, me montrer le moyen d'échapper aux rets qui se rapprochent et se resserrent, je tâtonne et me débats, consacrant toute mon énergie à ne pas céder au désespoir.

Si vous parvenez à trouver sa piste, les fers se rabattront sur un autre -- un agent des Lannister infiltré chez les Tyrell si je vois juste. Sa vie épargnera celle de Ser Darren Risley et sa Maison survivra... Sa vie remplacera la mienne dans la balance de la rançon que nous porterons aux pieds des seigneurs à l'épineux sourire du Bief.


Je vous en conjure, hâtez-vous !


H.
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