Cela fait près de quatre mois que j'ai quitté Villevieille et mes pensées m'y ramènent chaque fois que je prie dans un septuaire, chaque fois que je prépare ma sacoche de remèdes. Je n'ai passé qu'un an au Grand Septuaire et à l'hospice et il me semble parfois que ce temps fut le plus important de mon existence.
Déjà pendant un an j'étais partie de Waterford pour faire connaissance de ma famille maternelle. C'était un déchirement de quitter Jolan et Corwin, mais en même temps ce fut une libération de ne plus vivre dans une demeure marquée pour toujours par la mort de mon frère Dugal. Le domaine de Risbourg n'était pas très amusant, je n'avais guère que l'équitation et la broderie pour m'occuper. Si Ser Darren Risley avait l'opportunité d'en hériter, sans doute les lieux s'animeraient-ils davantage... cela devrait être, mais ce n'est plus aussi certain qu'il y a seulement quelques heures...
Parmi les élèves et les septa je n'étais qu'une parmi tant d'autres. Nous étions coupées du monde, l'esprit seulement occupé par l'étude et la prière. Cette quiétude et cette aspiration à la l'élévation me manquent.
Où que je porte mon regard, je ne vois qu'inquiétude et fausseté, condescendance et mépris, orgueil et gloriole.
Je suis profondément partagée.
Une partie de moi souhaite revenir au Septuaire, aiguillée par l'impression tenace de ne pas trouver ma place ici. A quoi bâtir des châteaux de sable au milieu de vipères si je peux être utile et vivre en paix ?
En même temps, je suis curieuse de découvrir ce qui se cache sous les masques et dans les coulisses de ce théâtre des vanités. Je serai bien en peine de les juger durement, n'étant moi-même pas sans tache. Si je suis si prompte à me plaindre de ces vaines gloires, n'est-ce pas parce que je les désire et ne peux les obtenir pour moi ? Il est facile de déconsidérer ce qui nous échappe.
Ne serait-il pas agréable d'être considérée, applaudie, célébrée, admirée ? Mais à quel propos pourrais-je l'être ? Je me plais à penser que ce sont les actes qui permettent le mieux de connaitre les gens. Mais quels sont mes accomplissements ? Quels choix ai-je fais ? En quoi ai-je prouvé ma valeur à mes propres yeux ?
Si Gyles devait chanter mon éloge - et je l'imagine mal s'y abaisser - il n'aurait pas grand-chose à dire.
- Je ne suis pas l'écuyer d'un célèbre chevalier, je ne suis pas un redoutable épéiste, un jouteur valeureux, fort bel homme de surcroît...
Je ne suis pas vétéran de guerre, un étranger stoïque qui a gagné le respect de sa Maison d'adoption en dépit de ses origines, un combattant remarquable qui a prouvé sa valeur à plus d'une occasion...
Je ne suis pas un archer si exceptionnel qu'un adversaire valeureux s'est donné du mal pour voir jusqu'où il pourrait aller, je ne suis pas engagé dans des embuscades visant à mettre un terme aux actions d'une redoutable bande de brigand...
Je ne suis pas non plus un musicien talentueux qui tutoie presque la noblesse de Westeros depuis Port-Réal jusqu'au Bief, qui s'infiltre dans les entrepôts pour y dénicher les preuves de trafics...
De qui forcerai-je le respect de la sorte ?
Ce matin Ser Emmon Cuy me complimentait pour mon sens de la famille qui m'honorait. Je voudrais plutôt gagner mon honneur par mes actes, en me prouvant que je suis pas une poupée de porcelaine : lisse, brillante, et creuse.
Voyez-vous, j'aimerais sauver mon cousin. Parce que c'est quelqu'un d'attachant, que son malheur me peinerait, mais aussi pour réussir quelque chose qui soit digne d'intérêt : pour être quelqu'un digne d'intérêt.
Nous saurons bientôt ce qu'il en est,
H