[PN] Chap 1.0 Un Espadon sous le soleil.
Publié : 04 déc. 2013, 23:30
Brest, le 27 Mai 1718…
« Le pessimiste se plaint du vent, l’optimiste espère qu’il va changer, le réaliste, lui, ajuste ses voiles. » William Arthur Ward
Et pourtant, il y avait de quoi, en ce clair matin, démoraliser le plus endurci des candides… De la brume, traitresse qui les avait fait attendre au large, dans la rade quelques jours interminable de plus, alors qu’ils avaient gardé la mer depuis des mois… Retardant éternellement leur délivrance… Du crachin, qui s'insinue sous les vêtements usés, se mélangeant au sel du voyage pour raviver les douleurs des engelures et autres gerçures de ces peaux burinées par les embruns, le soleil ou le froid… Du noir, du gris, de l’acier, et du bleu sombre, le tout se confondant indistinctement dans un vague horizon incertain… La Bretagne leur avait réservé son plus beau manteau de tristesse et de mélancolie pour leur retour…
Et pourtant, rien de tout cela n’a d’importance dans leurs yeux… A côté de ce qu’ils ont vécu en Nouvelle-France, tout cela n’est rien. Absolument rien, face au gel et à la neige, à ce combat de tous les instants pour que le navire ne soit pas handicapé ou mis en péril pars les congères qui s’accumule sur le pont… où à chaque promenade sur le tillac, les plus dévots priaient pour ne pas se recevoir une stalactite acérée dans la colonne vertébrale, tombée que quelques vingt à trente mètres plus hauts d’un hauban mal nettoyé ou d’une voile mal ferlée… A côté de cette lutte interminable contre de l'alliance des froids et de l'eau, ils avaient finalement apprécié ces moments de patrouille et d’escarmouches contre l’Anglais qui tentait encore à cette époque de contester la suprématie sur cette région au futur Louis XV… Aussi après, près d’un mois de mer à affronter tempêtes, grain et coup de vent, à dormir dans cet entrepont surchargé et nauséeux… Guettant désespérément une accalmie dans le vacarme habituel d’un navire : Grincement, craquement, frottement…
Ainsi, malgré son aspect austère, les rives de la Recouvrance ne pouvaient qu’être ardemment désirées par ces chers marins… Nulle côte tropicale, nulle plage de sable blanc, ne saurait être plus accueillante que ces quais de pierre calcaire dominés impérieusement par la haute muraille du fort Vauban… Il n’avait probablement que l’appel d’une femme, ou du rhum pour pouvoir lutter contre un tel magnétisme…
Une mouette fendit le ciel et passa au ras de l’embarcation. Manquant d’emporter les bonnets des marins qui forçaient sur les rames de la yole qui venait de sortir du brouillard… Après tout, il y avait toujours eu entré les marins et les oiseaux de mer, aussi majestueux que libres, mais néanmoins, aussi fourbes que charognards... C'était probablement sa manière de leur signifier que la partie était finie et que pour une fois, elle n'avait pas réclamé leur dû... Maintenant, l'oiseau reprenait la mer et bientôt disparu... Eternelle menace fantôme du gabier... Sur l'eau, l'embarcation se déplaçait avec majesté, laissant de profonds sillons dans son sillage sur cette large mer d’huile que le matin semblait avoir figé comme le reste de la basse ville… Ce n’était pas la bonne heure, bien trop tôt pour les dilatants, et bien, bien trop tard pour les pêcheurs et autres pauvres gens déjà au travail depuis bien longtemps…
D’où venait cette embarcation qui apparaissait sur l'horizon comme sortie de nulle part ? De pas très loin en vérité. A quelques miles du port, l’Espadon était à l’ancre, l'enceinte militaire ne pouvant l’accueillir avec les honneurs qui auraient été dus à ce navire… Mais en cette période, l’arsenal était occupé par de lourds bâtiments auprès desquels la fière frégate ne pouvait guère plus que revendiquer que le nom de coque de noix. Le Soleil Louis et le Bretagne, deux des trois seuls Trois Ponts que la France n’ait jamais possédés étaient en effet à quai, en radoub, en entretiens, et en dépit de sa grandeur, les immenses vaisseaux de première ligne étaient bien plus majestueux et imposant que n’importe quelle autre construction de la ville a commencé par la frêle chapelle de Saint-Elme, dédié au marin ou les grands chantiers de ce qui allait devenir l’un des bagnes les plus redoutés, avant que cette prérogative ne lui soit retirée bien des années après par celui qui s’ouvrira de l’autre côté de l’océan Atlantique à Cayenne…
Sur les rames forcent de braves matelots… Mais aucun ne songe à se plaindre… Ils savent pertinemment que s’est bien plus qu’un honneur que de se voir accorder la possibilité de descendre à terre… C’est une marque de confiance inestimable. Et seuls les plus fous et les plus inconscients songeraient à trahir la confiance du Capitaine de Clichy et des privilèges qu’il accorde à son équipage… Le capitaine de Clichy, l’ensemble des marins de l’Espadon, en a acquis la certitude, est de cette espèce d’hommes qu’on ne croise qu’une seule fois dans sa vie… Si la providence vous accorde d’en croiser un…
Parmi eux se trouvait le noir N’Serengui, Gabier de son état et à jamais reconnaissant à cet homme qui lui avait rendu sa dignité d’Être Humain… Cet ancien esclave avait autrefois sauvé la vie de son capitaine, et ce dernier se plaisait à l’emmener partout avec lui, et aimé raconter à qui voulais l’entendre que cet homme valait bien dix blancs, et au moins une quinzaine de conscrits… Le capitaine de Clichy était vraiment un être à part aussi, peut-être plus soucieux du bien-être de son équipage que du sien… Et s’il avait vendu un jour son âme, si ce n’était à Dieu, ce n’était à nul autre que Poséidon…
A Bord de la Yole, se trouver aussi Gui Gargousier… Le petit homme sut un peu sur les dames de nage, mais il ne saurait se plaindre… Indéniablement, le plus grand amour de sa vie reste la poudre… Mais il sait aussi apprécier les autres côtés, les bons côtés surtout de la vie… Alors, pour lui c’est la dernière étape avant la liberté éphémère de l’escale… Lui aussi, est une figure de l’Espadon, certes à son niveau, sans grande responsabilité, mais tous à bord savent apprécier son expertise et son savoir-faire lorsque la bordé de la dernière chance, comme il l’aime l’appeler, doit abattre un mat… Impérativement, ou la mort…
Juste derrière le capitaine de Clichy, aussi droit qu’un empereur romain, se trouve l’un des officiers les plus atypiques de la Royale… Il était étonnant qu’un homme doté d’une aussi faible stature ait atteint une telle autorité… Mais, à bord de la frégate, seuls un fou ou un novice oseraient s’attirer les foudres du contremaitre… d’autant qu’il se montrait aussi généreux qu’impitoyable lorsque la situation l’exigeait… A bord, on l’appelait Maltèse,
Petit à petit, l’esquif s’approcha du quai… et vint lécher le bord de la rive avec un geste d’expert. Aussitôt N’Serengui sauta à terre et vint amarrer le canot à un anneau.
Un à un, les passagers débarquèrent… Le capitaine salua ses hommes sans mots dire et disparu rapidement dans l’immense voute qui conduisait aux étages supérieurs du château.
En sautant lestement enfin sur le plancher des vaches, Maltèse apostropha les matelots :
« Bon, ben, comme dirait notre bon capitaine, les enfants, vous êtes libre de votre journée…
Mais pas trop quand même, cela m’ennuierait de vous retrouver au fond du trou, et je sais bien que notre prochaine mission sera une croisière à côté de ce que l’on a vécu…. Mais cela me peinerait de devoir me passer de vos compétences… C’est que j’ai autre chose à faire moi que d’élever éternellement de la marmaille… Sur ceux, vous avez quartier libre pour la journée… M Gargousier, M Serengui, le capitaine m’a fait savoir que l’on devait renflouer notre équipage après nos pertes, donc si vous rencontrez des recrues que vous jugez digne, faite leur savoir que je serais à l’auberge du « Fou de Bassan » en fin d’après-midi pour m’acquitter de cette besogne… Et je vous y attends aussi, avec Bichon et compagnie… Aucune raison que les basses besognes soient toujours pour les mêmes… Puis comme ils seront affectés à votre bordée, autant avoir votre avis…
Comme vous l’auriez compris, à bord de l’Espadon, cela ne se passait pas comme dans les autres bâtiments… Mais c’était peut-être cette méthode qui faisait la différence… En tous cas, sa réputation de ce côté du monde ou de l'autre n’était plus à faire…
« Les bouteilles à la mer ne ramènent pas souvent les réponses. Antoine Blondin »
Et pourtant, il en était au moins une sur cette terre qui ne pouvait que contester ce dicton… Mais il est vrai que Gwenaëlle avait confié son message à un porteur bien plus sûr et plus reconnu que la mer… Mais c’était sans trop y croire que vous avez adressé un message à l’attention de Monsieur Charles Joubert de la Bastille, Marquis de Chateaumorand, gouverneur de la Dominique, obligé de votre famille d’un service d’une autre vie… Une autre vie c’est ce qu’elle a découvert, dans la fuite, poursuivie, traquée… Mais, il en fallait bien plus pour abattre la fière Bretonne que les tempêtes et les orages, qu’ils soient naturels ou politiques, n’effrayent plus depuis sa plus tendre enfance…
Arrivez à Brest en début de semaine, son attente va finir ce soir… Un rendez-vous avec l’un des émissaires de votre obligé est prévu pour ce soir dans une auberge miteuse du port… "L'Eperlan»… Le message répondait que le prix à payer était fort… Elle avait mal dormi cette nuit, probablement trop préoccupée à échafauder un plan pour tirer son épingle du jeu… Mais elle sait qu’elle est dans une position très inconfortable… Si l’honneur à encore une valeur de ce côté de l’atlantique, ce n’est peut-être plus le cas sous le soleil des Tropiques, à l’ombre d’un cocotier, à siroter un verre de rhum… Mais d’un autre côté, l’étau se referme sur elle et elle sait qu’elle a désespérément besoin d’aide. A moins que son manque de sommeil soit dû à l’inconfort de la chambre… mais l’anonymat est généralement à ce prix...
Aussi elle regarde le pâle soleil probablement aussi dépressif, se lever sur l’arsenal depuis sa chambre… Avec un peu de chance, c’est la dernière fois qu’elle l’admire tremblotant… Dans quelques semaines, ce sera au-dessus d’une eau cristalline, purifiée de tous ses soucis… Elle pense à son retour aussi plus riche qu’une reine, plus fière qu’une impératrice, plus libre d’elle-même qu’une muse….
« Notre corps est la barque qui nous portera jusqu'à l'autre rive de l'océan de la vie. Il faut en prendre soin. » Swami Vivekananda
Très tôt, probablement bien trop tôt, le jeune Lothar l’avait bien compris… et comme on est jamais mieux servi que par soit même c’est dans cette voie qu’il s’était autre fois embarqué…
Maintenant, plus âgé, un peu dérouté, il avait entreprit de quitter sa Prusse natale pour retrouver son frère… Sachant que malgré tous les voyages maritimes sont bien plus longs et bien plus incertains que les voyages terrestres, il avait naturellement opté pour tirer le maximum à terre avant de s’embarquer…
Et c’est ainsi qu’arriver à Brest, il s’aperçut qu’aucun navire ne voulait le prendre, soit qu’ils demandaient des sommes exorbitantes pour l’accepter comme passager, soit qu’on lui répondait qu’un médecin n’était pas utile… Après tout, un marin mort, c’est avant tout une solde qui n’avait pas à être versée…
Il commençait à penser que sa situation était sans issues et envisageait de reprendre la route pour l’Espagne ou le Portugal, lorsqu’il entendit qu’un recrutement pour un vaisseau de la Royale aurait lieux à l’auberge du « Fou de Bassan » dans les hauteurs de Lambé… C’était très inhabituel comme méthode de racolage, la France, il était suffisamment instruit pour le savoir, procéder plus par le système de la conscription et le piochage dans les prisonniers de droit commun que de cette manière… C’est peut-être ce qu’il le décida à y faire un tour en dépit de la mauvaise réputation que pouvais se trainer cette marine… Comme toutes les autres marines de guerres, d’ailleur.
« Il faut garder en mémoire nos rêves, avec la rigueur du marin qui garde l'oeil rivé sur les étoiles. Ensuite, il faut consacrer chaque heure de sa vie à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour s'en approcher, car rien n'est pire que la résignation. » « Gilbert Sinoué »
Il n’y avait rien à redire… Camille depuis bien longtemps avait compris et fait, presque, sienne cette devise… d’où un parcourt en dents de scies, chaotique, mais toujours libre et fier… Mais sa dernière était allée trop loin même pour lui… Et rien ni sa jeunesse, ni sa noblesse, ni son expérience et sa valeur ne pouvait effacer ses crimes… Et avant qu’il ne soit trop tard, il a disparu… non sans avoir fait main basse sur un partie de la fortune familiale, Camille était un homme prévoyant, et sur une lettre de recommandation à l’attention de Victor Marie, Duc d’Estrée, vice-amiral des flottes du ponant…
Il en attendait beaucoup et voyait en elle un échappatoire… Un moyen de prouver, enfin, sa valeur..
Depuis qu’il résidait à Brest, il avait appris que le duc D’Estrée demeuré lui à l’auberge du renard des mers dans le quartier Saint Marc… Aujourd’hui…. Le temps était beau… enfin pour Brest… Et puis de toute façon ce n’était pas dans son genre d’attendre…
« Ne cherche pas dans l'océan ce que tu peux trouver dans une goutte d'eau. » Anne-Sophie Sala¨n
Encore eut-il fallu que l’on sache ce que venait chercher cet espagnol au fin fond de la Bretagne profonde… Mais c’est peut-être ce qu’aller nous apprendre la suite du récit…
Pour l'instant, il siroter son café dans une auberge du port... Et en dépit de tous, c'était un bon café...
« Le pessimiste se plaint du vent, l’optimiste espère qu’il va changer, le réaliste, lui, ajuste ses voiles. » William Arthur Ward
Et pourtant, il y avait de quoi, en ce clair matin, démoraliser le plus endurci des candides… De la brume, traitresse qui les avait fait attendre au large, dans la rade quelques jours interminable de plus, alors qu’ils avaient gardé la mer depuis des mois… Retardant éternellement leur délivrance… Du crachin, qui s'insinue sous les vêtements usés, se mélangeant au sel du voyage pour raviver les douleurs des engelures et autres gerçures de ces peaux burinées par les embruns, le soleil ou le froid… Du noir, du gris, de l’acier, et du bleu sombre, le tout se confondant indistinctement dans un vague horizon incertain… La Bretagne leur avait réservé son plus beau manteau de tristesse et de mélancolie pour leur retour…
Et pourtant, rien de tout cela n’a d’importance dans leurs yeux… A côté de ce qu’ils ont vécu en Nouvelle-France, tout cela n’est rien. Absolument rien, face au gel et à la neige, à ce combat de tous les instants pour que le navire ne soit pas handicapé ou mis en péril pars les congères qui s’accumule sur le pont… où à chaque promenade sur le tillac, les plus dévots priaient pour ne pas se recevoir une stalactite acérée dans la colonne vertébrale, tombée que quelques vingt à trente mètres plus hauts d’un hauban mal nettoyé ou d’une voile mal ferlée… A côté de cette lutte interminable contre de l'alliance des froids et de l'eau, ils avaient finalement apprécié ces moments de patrouille et d’escarmouches contre l’Anglais qui tentait encore à cette époque de contester la suprématie sur cette région au futur Louis XV… Aussi après, près d’un mois de mer à affronter tempêtes, grain et coup de vent, à dormir dans cet entrepont surchargé et nauséeux… Guettant désespérément une accalmie dans le vacarme habituel d’un navire : Grincement, craquement, frottement…
Ainsi, malgré son aspect austère, les rives de la Recouvrance ne pouvaient qu’être ardemment désirées par ces chers marins… Nulle côte tropicale, nulle plage de sable blanc, ne saurait être plus accueillante que ces quais de pierre calcaire dominés impérieusement par la haute muraille du fort Vauban… Il n’avait probablement que l’appel d’une femme, ou du rhum pour pouvoir lutter contre un tel magnétisme…
Une mouette fendit le ciel et passa au ras de l’embarcation. Manquant d’emporter les bonnets des marins qui forçaient sur les rames de la yole qui venait de sortir du brouillard… Après tout, il y avait toujours eu entré les marins et les oiseaux de mer, aussi majestueux que libres, mais néanmoins, aussi fourbes que charognards... C'était probablement sa manière de leur signifier que la partie était finie et que pour une fois, elle n'avait pas réclamé leur dû... Maintenant, l'oiseau reprenait la mer et bientôt disparu... Eternelle menace fantôme du gabier... Sur l'eau, l'embarcation se déplaçait avec majesté, laissant de profonds sillons dans son sillage sur cette large mer d’huile que le matin semblait avoir figé comme le reste de la basse ville… Ce n’était pas la bonne heure, bien trop tôt pour les dilatants, et bien, bien trop tard pour les pêcheurs et autres pauvres gens déjà au travail depuis bien longtemps…
D’où venait cette embarcation qui apparaissait sur l'horizon comme sortie de nulle part ? De pas très loin en vérité. A quelques miles du port, l’Espadon était à l’ancre, l'enceinte militaire ne pouvant l’accueillir avec les honneurs qui auraient été dus à ce navire… Mais en cette période, l’arsenal était occupé par de lourds bâtiments auprès desquels la fière frégate ne pouvait guère plus que revendiquer que le nom de coque de noix. Le Soleil Louis et le Bretagne, deux des trois seuls Trois Ponts que la France n’ait jamais possédés étaient en effet à quai, en radoub, en entretiens, et en dépit de sa grandeur, les immenses vaisseaux de première ligne étaient bien plus majestueux et imposant que n’importe quelle autre construction de la ville a commencé par la frêle chapelle de Saint-Elme, dédié au marin ou les grands chantiers de ce qui allait devenir l’un des bagnes les plus redoutés, avant que cette prérogative ne lui soit retirée bien des années après par celui qui s’ouvrira de l’autre côté de l’océan Atlantique à Cayenne…
Sur les rames forcent de braves matelots… Mais aucun ne songe à se plaindre… Ils savent pertinemment que s’est bien plus qu’un honneur que de se voir accorder la possibilité de descendre à terre… C’est une marque de confiance inestimable. Et seuls les plus fous et les plus inconscients songeraient à trahir la confiance du Capitaine de Clichy et des privilèges qu’il accorde à son équipage… Le capitaine de Clichy, l’ensemble des marins de l’Espadon, en a acquis la certitude, est de cette espèce d’hommes qu’on ne croise qu’une seule fois dans sa vie… Si la providence vous accorde d’en croiser un…
Parmi eux se trouvait le noir N’Serengui, Gabier de son état et à jamais reconnaissant à cet homme qui lui avait rendu sa dignité d’Être Humain… Cet ancien esclave avait autrefois sauvé la vie de son capitaine, et ce dernier se plaisait à l’emmener partout avec lui, et aimé raconter à qui voulais l’entendre que cet homme valait bien dix blancs, et au moins une quinzaine de conscrits… Le capitaine de Clichy était vraiment un être à part aussi, peut-être plus soucieux du bien-être de son équipage que du sien… Et s’il avait vendu un jour son âme, si ce n’était à Dieu, ce n’était à nul autre que Poséidon…
A Bord de la Yole, se trouver aussi Gui Gargousier… Le petit homme sut un peu sur les dames de nage, mais il ne saurait se plaindre… Indéniablement, le plus grand amour de sa vie reste la poudre… Mais il sait aussi apprécier les autres côtés, les bons côtés surtout de la vie… Alors, pour lui c’est la dernière étape avant la liberté éphémère de l’escale… Lui aussi, est une figure de l’Espadon, certes à son niveau, sans grande responsabilité, mais tous à bord savent apprécier son expertise et son savoir-faire lorsque la bordé de la dernière chance, comme il l’aime l’appeler, doit abattre un mat… Impérativement, ou la mort…
Juste derrière le capitaine de Clichy, aussi droit qu’un empereur romain, se trouve l’un des officiers les plus atypiques de la Royale… Il était étonnant qu’un homme doté d’une aussi faible stature ait atteint une telle autorité… Mais, à bord de la frégate, seuls un fou ou un novice oseraient s’attirer les foudres du contremaitre… d’autant qu’il se montrait aussi généreux qu’impitoyable lorsque la situation l’exigeait… A bord, on l’appelait Maltèse,
Petit à petit, l’esquif s’approcha du quai… et vint lécher le bord de la rive avec un geste d’expert. Aussitôt N’Serengui sauta à terre et vint amarrer le canot à un anneau.
Un à un, les passagers débarquèrent… Le capitaine salua ses hommes sans mots dire et disparu rapidement dans l’immense voute qui conduisait aux étages supérieurs du château.
En sautant lestement enfin sur le plancher des vaches, Maltèse apostropha les matelots :
« Bon, ben, comme dirait notre bon capitaine, les enfants, vous êtes libre de votre journée…
Mais pas trop quand même, cela m’ennuierait de vous retrouver au fond du trou, et je sais bien que notre prochaine mission sera une croisière à côté de ce que l’on a vécu…. Mais cela me peinerait de devoir me passer de vos compétences… C’est que j’ai autre chose à faire moi que d’élever éternellement de la marmaille… Sur ceux, vous avez quartier libre pour la journée… M Gargousier, M Serengui, le capitaine m’a fait savoir que l’on devait renflouer notre équipage après nos pertes, donc si vous rencontrez des recrues que vous jugez digne, faite leur savoir que je serais à l’auberge du « Fou de Bassan » en fin d’après-midi pour m’acquitter de cette besogne… Et je vous y attends aussi, avec Bichon et compagnie… Aucune raison que les basses besognes soient toujours pour les mêmes… Puis comme ils seront affectés à votre bordée, autant avoir votre avis…
Comme vous l’auriez compris, à bord de l’Espadon, cela ne se passait pas comme dans les autres bâtiments… Mais c’était peut-être cette méthode qui faisait la différence… En tous cas, sa réputation de ce côté du monde ou de l'autre n’était plus à faire…
« Les bouteilles à la mer ne ramènent pas souvent les réponses. Antoine Blondin »
Et pourtant, il en était au moins une sur cette terre qui ne pouvait que contester ce dicton… Mais il est vrai que Gwenaëlle avait confié son message à un porteur bien plus sûr et plus reconnu que la mer… Mais c’était sans trop y croire que vous avez adressé un message à l’attention de Monsieur Charles Joubert de la Bastille, Marquis de Chateaumorand, gouverneur de la Dominique, obligé de votre famille d’un service d’une autre vie… Une autre vie c’est ce qu’elle a découvert, dans la fuite, poursuivie, traquée… Mais, il en fallait bien plus pour abattre la fière Bretonne que les tempêtes et les orages, qu’ils soient naturels ou politiques, n’effrayent plus depuis sa plus tendre enfance…
Arrivez à Brest en début de semaine, son attente va finir ce soir… Un rendez-vous avec l’un des émissaires de votre obligé est prévu pour ce soir dans une auberge miteuse du port… "L'Eperlan»… Le message répondait que le prix à payer était fort… Elle avait mal dormi cette nuit, probablement trop préoccupée à échafauder un plan pour tirer son épingle du jeu… Mais elle sait qu’elle est dans une position très inconfortable… Si l’honneur à encore une valeur de ce côté de l’atlantique, ce n’est peut-être plus le cas sous le soleil des Tropiques, à l’ombre d’un cocotier, à siroter un verre de rhum… Mais d’un autre côté, l’étau se referme sur elle et elle sait qu’elle a désespérément besoin d’aide. A moins que son manque de sommeil soit dû à l’inconfort de la chambre… mais l’anonymat est généralement à ce prix...
Aussi elle regarde le pâle soleil probablement aussi dépressif, se lever sur l’arsenal depuis sa chambre… Avec un peu de chance, c’est la dernière fois qu’elle l’admire tremblotant… Dans quelques semaines, ce sera au-dessus d’une eau cristalline, purifiée de tous ses soucis… Elle pense à son retour aussi plus riche qu’une reine, plus fière qu’une impératrice, plus libre d’elle-même qu’une muse….
« Notre corps est la barque qui nous portera jusqu'à l'autre rive de l'océan de la vie. Il faut en prendre soin. » Swami Vivekananda
Très tôt, probablement bien trop tôt, le jeune Lothar l’avait bien compris… et comme on est jamais mieux servi que par soit même c’est dans cette voie qu’il s’était autre fois embarqué…
Maintenant, plus âgé, un peu dérouté, il avait entreprit de quitter sa Prusse natale pour retrouver son frère… Sachant que malgré tous les voyages maritimes sont bien plus longs et bien plus incertains que les voyages terrestres, il avait naturellement opté pour tirer le maximum à terre avant de s’embarquer…
Et c’est ainsi qu’arriver à Brest, il s’aperçut qu’aucun navire ne voulait le prendre, soit qu’ils demandaient des sommes exorbitantes pour l’accepter comme passager, soit qu’on lui répondait qu’un médecin n’était pas utile… Après tout, un marin mort, c’est avant tout une solde qui n’avait pas à être versée…
Il commençait à penser que sa situation était sans issues et envisageait de reprendre la route pour l’Espagne ou le Portugal, lorsqu’il entendit qu’un recrutement pour un vaisseau de la Royale aurait lieux à l’auberge du « Fou de Bassan » dans les hauteurs de Lambé… C’était très inhabituel comme méthode de racolage, la France, il était suffisamment instruit pour le savoir, procéder plus par le système de la conscription et le piochage dans les prisonniers de droit commun que de cette manière… C’est peut-être ce qu’il le décida à y faire un tour en dépit de la mauvaise réputation que pouvais se trainer cette marine… Comme toutes les autres marines de guerres, d’ailleur.
« Il faut garder en mémoire nos rêves, avec la rigueur du marin qui garde l'oeil rivé sur les étoiles. Ensuite, il faut consacrer chaque heure de sa vie à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour s'en approcher, car rien n'est pire que la résignation. » « Gilbert Sinoué »
Il n’y avait rien à redire… Camille depuis bien longtemps avait compris et fait, presque, sienne cette devise… d’où un parcourt en dents de scies, chaotique, mais toujours libre et fier… Mais sa dernière était allée trop loin même pour lui… Et rien ni sa jeunesse, ni sa noblesse, ni son expérience et sa valeur ne pouvait effacer ses crimes… Et avant qu’il ne soit trop tard, il a disparu… non sans avoir fait main basse sur un partie de la fortune familiale, Camille était un homme prévoyant, et sur une lettre de recommandation à l’attention de Victor Marie, Duc d’Estrée, vice-amiral des flottes du ponant…
Il en attendait beaucoup et voyait en elle un échappatoire… Un moyen de prouver, enfin, sa valeur..
Depuis qu’il résidait à Brest, il avait appris que le duc D’Estrée demeuré lui à l’auberge du renard des mers dans le quartier Saint Marc… Aujourd’hui…. Le temps était beau… enfin pour Brest… Et puis de toute façon ce n’était pas dans son genre d’attendre…
« Ne cherche pas dans l'océan ce que tu peux trouver dans une goutte d'eau. » Anne-Sophie Sala¨n
Encore eut-il fallu que l’on sache ce que venait chercher cet espagnol au fin fond de la Bretagne profonde… Mais c’est peut-être ce qu’aller nous apprendre la suite du récit…
Pour l'instant, il siroter son café dans une auberge du port... Et en dépit de tous, c'était un bon café...