A l’âge de 20 ans, Roan a accompli une grande partie de sa formation de ionnthèn. Il a suivi les leçons de plusieurs vieux sages, certains plutôt vieux que sages, d’ailleurs. Il devait terminer son cycle à Baicann, un gros village au nord de Kalvernach où le demorthèn Skorri, vieux et malade, avait besoin d’un assistant. Il a fait le voyage à pied sous une pluie persistante, et il est arrivé en pleine catastrophe. Le barrage construit sur la rivière Bailla, au-dessus de Baicann, s’était effondré, engloutissant les maisons et les champs. Roan s’est dépensé sans compter pour aider les paysans à fouiller les débris, retrouver les disparus, récupérer une partie de leurs biens, et, bien sûr, soigner les blessés et les malades. Tard dans la nuit, il a encore dû célébrer les funérailles des morts.
Le demorthèn Skorri n’a pas survécu à ces épreuves : sa maladie s’est aggravée subitement. Il a tout juste eu le temps d’accueillir Roan, de lui donner quelques conseils et de lui remettre ses oghams, ces petits galets gravés de signes mystérieux qui servent à lancer des sorts. « Tu pourras t’en servir quand tu auras fini ton initiation. Je te les confie parce que tu… » Puis il a poussé une quinte de toux et il est mort.
La damathair Alda, la jeune femme qui s’occupe de l’éducation des enfants, a contribué de son mieux aux soins des malades. En l’absence de ionnthèn, elle avait longtemps aidé le vieux Skorri et avait des notions de savoir demorthèn. Mais sa santé fragile l’oblige à limiter ses efforts, d’autant plus qu’elle a un bébé à allaiter.
Jabbok, ancien soldat, a pris le commandement de ce qui restait des villageois. Il est balafré, grognon, colérique et pas toujours agréable, surtout quand il a bu. Mais, dans les circonstances difficiles, il retrouve le courage et l’énergie de sa jeunesse. Il a organisé l’évacuation du village.
Comme les secours n’arrivaient pas et que la pluie continuait de tomber, certains villageois se sont dispersés vers les villages des environs où ils avaient de la famille, les autres ont voté et décidé de marcher jusqu’à Kalvernach pour demander du secours à la duchesse Eriell, qui est réputée bonne. La route de Kalvernach était gardée par des patrouilles de gardes et il a parfois fallu négocier pour avoir le droit de passer. Enfin, Jabbok s’est rappelé d’un ancien compagnon d’armes qui louait des chambres dans un immeuble de la basse ville : "Nold le Borgne, je le connais, c’est une peau de vache mais il ne laissera jamais tomber un camarade". En effet, l’immeuble était toujours là et Nold, on ne sait trop comment, a réussi à vider des chambres pour leur faire de la place.
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Dans le quartier, les rues sont submergées par dix, vingt ou cinquante centimètres d’eau et qu’il faut circuler soit en radeau, soit sur des passerelles de planches. Le prix des denrées est excessivement cher et les quelques provisions ramenées du village seront bientôt épuisées. L’immeuble, miraculeusement épargné par l’inondation, est délabré avec des locataires parfois bizarres : entre autres, un étudiant magientiste qui occupe un grand appartement du rez-de-chaussée et qui y fait des expériences. Personne n’a demandé à partager son appartement : même en période de catastrophe, il vaut mieux ne pas avoir trop de contacts avec les suceurs de Flux.
