[OdE Chap.7-27] La quiétude de Madennig

[Iris]

Spoiler () :

Fond sonore : https://www.youtube.com/watch?v=v9P7kIH3a3E

La cabane mesurait environ 2 m de large par 4 m de long, et moins de 1,80m en hauteur. Korneli le demorthèn alla tout au fond par rapport aux marches d'accès, et se trouvait ainsi tout à la droite du groupe, assis en tailleur, enveloppé d'un manteau souple. Il s'assura que tout le monde prenait place et que personne ne souhaitait encore l'interroger avant de se mettre en méditation. Pwyll s'était placé au milieu du groupe, face à la clairière moussue. Madennig pour sa part s'était installée à l'arrière, adossée à la paroi d'osier tressé, et devinait le panorama entre les personnes assises à l'avant. Blodwen s'était placée à gauche du demorthèn, directement face au jardin, et s'appliquait à prendre une posture en tailleur, confortable.



Inspirer et expirer.

Avec un peu de persévérance, cela ne se passait pas si mal. Madennig changea de posture, et cessa de s'appuyer sur le fond de la cabane, pour se caler en tailleur, le dos droit. Elle s'enracinait dans le sol et sa tête soutenait les nuages. Sa respiration était calme et régulière. Elle se sentait de plus en plus légère. Son regard se perdit dans le paysage. Monotone et tapissé de mousse, ... mais elle lui paraissait soudain moins uniforme...




La mousse, elle n'était pas qu'un agrégat vert pâle, mais un monde immense, un univers, un terrain étrange et fascinant, peuplé de formes de vie qui défiaient les limites du langage commun. Il y avait ces êtres qui bougeaient, et puis les lichens, les mousses, et chacun était infiniment différent, vivant, plein d'une vitalité stupéfiante, gorgé d'énergie. Chacun existait pour lui-même, mais ils étaient pourtant aussi tous interdépendants. Ils avaient besoin les uns des autres, et pourtant, sous la façade de paix idyllique, la vie ne cessait de lutter. C'était mouvement si lent pour ses yeux qu'il paraissait ne pas exister, et pourtant, il y avait là une complexité aussi vaste qu'un océan. Cette étrange harmonie n'était pas pacifique. Il y avait là comme un vertige, un paradoxe que l'esprit -- humain ? -- peinait à saisir.

L'esprit se défaisait de ses attaches, il ne sentait presque plus le corps, il s'absorbait.

Il semblait que le corps était assis là, mais que son être réel, léger, si léger, flottait doucement hors de l'abri et posait les pieds sur le sol moussu.

[Madennig]

Tout cet univers dépassait de loin ce qu'elle pouvait connaitre.
Même si plus jeune il lui était arrivé parfois d'observer différentes petites fleurs en forme de cloche, butinées alors par des insectes, tout en se demandant quel monde caché vivait à l'ombre de ces pétales, elle n'y voyait jamais plus que le résultat de son imagination fertile.
A présent, s'ouvrait devant son esprit léger, le cosme de la mousse, les intrigues ficelées entre ses rhyzomes, un monde parmi les mondes, minuscule au point d'être quasi invisible... Alors, elle s'allongea mollement contre ce tapis végétal sans l'écraser, au point de sentir un souffle encore circuler entre son esprit et le sol. Elle espérait ainsi voir de plus près ce qui semblait grouiller de vie entre ses plumeaux vert sombre.

[Iris]

Allongée, son feuillage s'étendait de toutes parts. Elle se dissolvait dans la mousse et devenait la mousse.

Le temps s'écoulait d'une manière qu'elle n'avait jamais ressentie. Elle n'aurait su dire si c'était plus lent ou plus rapide. En une journée, elle voyait de petits coléoptères pour qui l'été était une vie entière ; et elle discernait la mémoire des saisons, des changements de luminosité qui étaient dus aussi bien au mouvement du soleil qu'à la pousse des arbres, année après année. La forêt changeait sans cesse. Elle était à la fois un domaine du temps infiniment long, bien plus que son ancienne vie d'humaine, et bien plus court et rapide, minuscule et agitait.

Sous elle, elle sentait un dialogue aussi animé qu'une place de marché remplie de monde. C'était la foule obscure, invisible et parfois aveugle du domaine des racines. Ils recevaient la nourriture par la mort : feuillage disloqué et cadavre. En se nourrissant, ils transformaient la terre et distribuaient la force, l'énergie de la vie, qui était nécessaire. Il n'y avait ni commencement, ni fin, et pourtant changement perpétuel.

[Madennig]

Madennig assistait, passive, au manège de la vie qui se délite dans la mort, elle-même nourrissant le renouveau dans le gigantesque chantier perpétuel de la nature. Hypnotisée par les tourbillons des particules, flots continuels d'énergie allant d'un amas à un autre, elle respirait à peine pour ne rien troubler. Bientôt vibrèrent, en elle, les grondements sourds de ces automates qui œuvraient sans rechigner dans le but inconscient de maintenir cette mousse toujours aussi verte à chaque printemps. Ce rythme erratique de la vie toujours renouvelée captait toute son attention au point de ne plus savoir qui elle était encore.
Le temps ne s'écoulait plus autour d'elle, mais, sans elle.

Elle se laissa voyager dans la sève de cette mousse qui l'avait accueillie, pour appréhender les distances à l'échelle de la chlorophylle.

[Iris]

Madennig se retrouva dans son corps et dans ses yeux. Elle était sortie de sa méditation. Quelque chose l'avait ramenée chez elle, mais elle avait du mal à saisir quoi. Elle se sentait un peu ankylosée, engourdie.

Dans le coin de son oeil, elle discernait la silhouette d'Oanell.

Un chevreuil traversa la clairière.

[Madennig]

Nostalgique, Madenig aurait aimé continuer à vivre à l'unisson avec la végétation tapissant le sol, mais elle se fit assez vite une raison. Elle n'avait pas assez de pratique ! Tant pis. Elle se remémora un long moment toutes les sensations vécues pendant ce voyage pour en garder un souvenir fidèle, tout en apercevant ce chevreuil si proche d'eux.
Contrairement aux autres, profondément enfouis dans leur méditation, Oanell était attentive aussi au passage de l'animal.

Madennig s'approcha sans bruit de la Barde, et vint s'asseoir dans un silence souriant, tout à coté d'elle pour observer le cadre merveilleux dans lequel ils étaient nichés.

[Iris]

Apaisée et heureuse, Madennig attendait la fin de l'expérience méditative dans un état de profonde quiétude, presque de bonheur.