[OdE Chap.7-31] Une soirée à Snaimhantus

[Iris]

Blodwen émit une interrogation prudente :

" ... Tu parles de nous ?... "

" Je ne comprends pas bien cette histoire de racine rongée ? "


Mais elle n'insistait pas, et laissait les autres s'exprimer.

" Tu espérais quelque chose de particulier Ethel ?"

[Pwyll]

"J'étais... je faisais partie de... non. J'étais la nature et j'ai senti qu'une racine de l'Arbre-Monde était à la fois rongée et brûlée, sectionnée. Peut-être l'oeuvre d'Aingeal et Sniomh, je ne sais pas. Les autres racines continuent de protéger le monde et nous, qui en faisons partie. Une protection indispensable. C'est la seule barrière entre nous et, des ombres, des présences mauvaises et destructrices de l'autre côté. Des choses qui règnent déjà sur une version très différente de notre monde, une version morne, terrible, sans espoir, sans beauté verdoyante. J'ai senti la présence de Six Adversaires. C'est bizarrne puisque le Lan-An-Saol nous enseigne que le monde a été créé par trois Esprits majeurs. Il y aurait plus d'ennemis que... enfin voilà je ne veux pas non plus gâcher votre soirée. Je ne pense pas que ce soit juste une folie de méditation. Je crois que j'ai vu quelque chose d'important. Peut-être... que les C'maoghs ont entendu quand je disais à Korneli que je voulais protéger les gens des saletés comme les Morcails notamment. Il faut bien que ces tordus tirent leurs pouvoirs interdits de quelque part."

Pwyll souffla profondément, comme après avoir déposé un fardeau très lourd, qu'il lui faudrait bientôt reprendre sur son dos. Un frisson le parcouru alors qu'ils étaient en pleine chaleur.

"Est-ce que je parle de nous... Blodwenn ? Je parle de tout le monde, je crois."

[Iris]

Blodwen demeura silencieuse, nimbée de vapeur, et ajouta au bout d'un moment de nouveau de l'eau sur les pierres chaudes.

[Pwyll]

Pwyll lança le mouvement vers le bain rafraîchissant. Même s'il était peut-être le premier à sortir, peu lui importait, il avait déjà oublié ses rodomontades à l'attention de Jazkez, trop pris dans ses réflexions métaphysiques dont il avait si peu l'habitude.

[Iris]

Le sauna était peut-être un lieu de méditation, mais guère de discussion.

Personne ne semblait disposé à s'épancher, et dans la moiteur, les pensées complexes se dissolvaient, et s'évaporaient.

Blodwen se frictionna et finit par sortir à son tour.

Il n'y avait qu'une dizaine de pas entre le sauna et le début du parcours de bain. On descendait quelques marches dans la lumière déclinante du crépuscule. A l'heure bleue, les couleurs changeaient, les feuillages et les matériaux inertes devenaient rapidement sombres et ternes, tandis que les quelques fleurs étincelaient de tous leurs pétales. Dans le bain, il y avait un léger courant, et les baigneurs arrivant du sauna avançaient contre lui. L'eau était claire, transparente et fraîche. Les reflets à sa surface dansaient, et renvoyaient mille image décomposée des lanternes de la maison de repos.

Blodwen se plongea entièrement dans l'eau et nagea un peu au fond du bassin, prit appui et se propulsa à la surface. Elle reprit son souffle, et prit du temps à nager et se laisser flotter, tandis que les premières étoiles apparaissaient dans le ciel.

Un paquet de serviette les attendait, pliées : une grande pour le corps, une plus petite pour la tête. Il n'y avait plus ensuite qu'à aller s'allonger ou s'asseoir confortablement sous le porche de la maison de repos, avec vue sur la rivière.

[Pwyll]

L'eau venait s'enrouler et se fendre autour de sa taille alors que Pwyll s'amusait à avancer à vigoureuses enjambées, comme un grand enfant. Une lutte dans laquelle l'eau ne se lasserait pas la première. Il finit par nager plus tranquillement. Une sensation étrange et agréable après la chaleur du sauna et surtout en se souvenant que sa dernière nage remontait au combat contre le féond. Ce bain offrait l'occasion idéale pour se réconcilier avec la pureté enveloppante d'Usgardh.

Il jeta un coup d'oeil quand les autres sortaient du sauna. Sur Jazkez aussi, pour donner le change, évidemment. Ce n'était pas bien raisonnable, sans doute. Pour lui, l'attirance pour le corps féminin n'avait rien de honteux, il avait passé depuis un moment l'âge moyen du mariage en Tri-Kazel et se demandait s'il était désolant ou amusant d'en être à jeter des regards en coin sur les filles prenant leur bain. Bah...

Il repensa à Ultana, la demorthèn et à la façon dont elle semblait naviguer dans sa vie personnelle comme sur sa barque au cœur du marais. Doucement, sans trop se poser de question, mais apparemment d'une main sûre, vers un cap qui semblait découler d'une évidence. Elle avait eu des enfants avec différents hommes, sans en prendre la charge elle-même.

Pouvait-il vraiment devenir demorthèn, aussi tardivement et était-ce l'avenir qui l'attendait ? Encore fallait-il vivre assez longtemps.

Sans arriver à la moindre conclusion, il abandonna sans regret le fil de ces pensées pour bientôt sortir du bain.

Soudain, vint de nulle par l'idée qu'il aurait beaucoup aimé voir l'éclat donné à la peau nue de Madenig par le reflet des lumières et la fine pellicule d'eau qui aurait ruisselé sur son corps. Il devait sans doute arrêter au plus vite de penser comme ça. À long terme d'abord, pour préserver son amitié avec Dred, et de façon plus urgente surtout, pour pouvoir sortir du bain sans... attirer l'attention d'une façon qui donnerait à Jazkez un prétexte à plaisanteries sur plusieurs années. Alors, Pwyll au gourdin, toujours d'attaque ? Il imaginait déjà les tirades et pouffa dans sa barbe.

Il plongea sa tête sous l'eau, longtemps, l'en ressortit et respira profondément avant d'aller se sécher et s'allonger sur le porche, les yeux dans les étoiles.

[Iris]

Pwyll ouvrait la voie, et Blodwen suivait après avoir barboté un moment. Pour ceux qui étaient encore dans l'eau, il fallait avancer au jugé, en s'appuyant sur les silhouettes des murets en bois. Il n'y avait ensuite qu'à aller faire encore quelques pas, monter des marches, attraper une serviette, s'enrouler dedans, suivre le chemin de bois, et la lumière d'un lampion allumé sous le porche de la maison de soin. Là, sur des plateaux attendaient des tisanes et quelques biscuits légèrement salés aux herbes (fenouil notamment) accompagné de radis.

Après s'être installée, Blodwen constata avec une note de satisfaction dans la voix : "Ils ne sont pas riches, mais ils sont bien organisés, et ça change tout. C'est ce qu'il nous faut à Terfynisel."

Quelle rivière proche du village prévoyait-elle d'aménager ? Où un sauna verrait-il le jour ? Qui serait le préposé à ce travail ?

En attendant l'effervescence future, la nuit n'était troublée que par le chant d'oiseaux nocturnes sur fond de ruissellement de la rivière.

[Caeso Senjak Khan]

Le sauna se révéla plus éprouvant que prévu pour le chevalier hilderin. La première impression de chaleur passée le corps s’habituait assez vite, pour peu qu'on ne gesticule pas trop. Mais son dos se rappela à lui très vite et sa cicatrice se mit rapidement à le démanger puis à le lancer, d'abord modérément puis de plus en plus régulièrement jusqu'à un fond douloureux permanent ponctué de sensations de fourmillements et de décharge le long de la marque violacée. Il serra les dents en vociférant intérieurement contre tous les félins et les simples d'esprits et commença à se cingler les cuisses avec son branchage.

La conversation autour du Cintarheid détourna un peu son attention et occupa son esprit à autre chose que la douleur. Il aurait pu partager son expérience mais Blodwen ne semblait rien comprendre à rien et il avait trop mal pour se montrer patient et prévenant s'il ouvrait la bouche. Le gamin avait l'air d'avoir remonté la seigneuresse à bloc et il aurait été bien mal avisé d'asticoter Blodwen à cet instant présent. Il se tut donc et chercha dans l'observation des corps nus de ses camarades une autre diversion à sa douleur. Il se demandait si les corps portaient en eux des marques particulières reflétant le statut social ou la position de ceux à qui ils appartenaient. Il ne vit rien de concluant de ce coté là.

Lorsque Pwyll lança le mouvement vers le bain, il se leva aussi sec de sa natte et s'avança à la suite de Blodwen et de son ami en se frappant toujours fermement et régulièrement les cuisses avec sa branchette de bois vert, ce qu'il semblait apprécier.

[Iris]

Mis à part quelques murmures ou observations, dans l'ensemble personne n'était porté à parler ce soir. Pour le moment, les uns et les autres gardaient pour eux-mêmes leurs expériences et leurs songes. Certains s'interrogeaient, se projetaient dans l'avenir, d'autres essayaient simplement d'apprécier le présent.

Il n'y avait qu'à savourer et voguer dans son monde intérieur, reprendre des forces et se ressourcer avant d'affronter la dernière partie du voyage.