[OdE Chap.7-2] La malédiction de l'omelette

[Madennig]

S'apercevant du trouble de Aeldred, Madenig eut la délicatesse de baisser les yeux, afin qu'il puisse pleurer sans se sentir épié ou jugé. L'histoire avait de quoi troubler de toutes façons, même sans être proche du petit garçon qu'il a été. Elle s'est contenté d'écouter en silence, humble devant certaines réalités.

Quand il eut fini de parler, elle acquiesça toujours le regard baissé.

"Crois-tu donc qu'il soit possible d'étudier le potentiel maudit de certains objets ? Peut être que Blodwen pourrait te confier une des pièces du trésor... Je ne sais pas bien si cela peut se mesurer... Tu crois que c'est possible ? Ce bracelet et une pièce... Quel est ton plan ?"

Un peu gênée soudain, elle s'excusa.

"Pardon, tu me confies certainement les moments les plus difficiles de ta vie et je passe sûrement pour une insensible..."

"... Je ne sais pas bien comment t'aider, parce que... Les malédictions, j'y crois... J'en ai vu une un jour s'accomplir devant mes yeux... Ce n'était pas aussi horrible et terrifiant que pour toi, qui étais un petit garçon, c'est certain... Mais cela fait froid dans le dos... Crois-tu que ce soit lié aux Feondas aussi ?..."

[Casaïr]

"Ne t'en fais pas pour moi, lui sourit-il. Si je ne te l'avais pas dit, tu aurais de toutes façons fini par l'apprendre par quelqu'un d'autre. Et même si c'est toujours un peu difficile, je le vis mieux qu'avant. J'ai compris certaines choses depuis, et je suis plus serein."

Considérant le rapport aux feondas, Aeldred haussa les épaules.

"Tout est possible, mais je suis encore trop novice dans l'exercice pour être affirmatif. Il y a aussi des hommes qui, intentionnellement ou non, vont ensorceler certains objets qui propageront le malheur autour d'eux. Et puis il y a les fantômes. Avec Pwyll et Oanell on a été confronté à un cas de possession il y a quelques temps, un couple qui n'avait su rejoindre l'au-delà et qui cherchaient à rester ensemble. Malheureusement ils ont aussi semé la mort autour d'eux et la seule solution que trouva Ultana, plutôt que d'exorciser les esprits fut de brûler les vivants."

"Si j'avais eu les connaissances nécessaires, j'aurais pu tenter quelque chose mais c'était juste impossible à ce moment-là. J'ai un livre, qu'une femme de passage il y a trois mois pendant les événements de Swelbecky, m'a donné. Il parle de ce genre de manifestations occultes. Je pourrais toujours regarder dedans s'il y a quelque chose au sujet de nos pièces."

Il se coupa un morceau de fromage qu'il engloutit rapidement tout en regardant à la dérobée Madenig.

"Tu... as évoqué une malédiction. Ça t'es arrivé à toi ?"

[Madennig]

"Oui..." répondit-elle, évasive.

Madenig put constater que la discussion aussi émouvante soit-elle ne coupait pas l'appétit de son interlocuteur. Ce qui la fit bien entendu sourire.
C'est qu'en général, les deux se voyaient dans les pires moments, ils n'ont pas eu vraiment le temps d'échanger autre chose que des mines déconfites.
Au moins, cela avait quelque chose de rafraichissant.

"Ce livre... Je ne suis pas très douée pour lire, autant être honnête. Mais j'aimerai bien le voir... J'en vois tellement peu souvent. Il y a des illustrations dessus ? Il ne parle pas d'une incantation pour faire revenir l'être aimé d'ailleurs...? A défaut, au moins ton sourire ? Tu as l'air triste... Vraiment souvent. Tu as du chagrin pour tes parents ou pour Oanell maintenant ?"

[Casaïr]

À la demande de la jeune hilderine, Aeldred s'était levé rapidement pour sortir le livre d'une sacoche en cuir mais s'arrêta en entendant la fin de sa phrase.

"Mon... ?"

Les mots de Madenig désarçonnèrent Aeldred, bien qu'il était pertinemment conscient de l'image qu'il renvoyait. Cependant, il ne s'était pas attendu à cela, aussi ramena-t-il la conversation sur le Manuel de la Lune Noire.

"Il y a quelques illustrations disséminées dans le livre mais elles ne sont pas de nature joyeuse. Et non, pas de sortilège de se genre dedans, j'en ai bien peur."

Il déglutit visiblement alors qu'il laissait la jeune femme feuilleter le livre.

"Ces dernières semaines ont été un peu... difficile, c'est vrai. Mes parents me manquent, je ne peux pas le nier, c'est une blessure profonde et permanente. Oanell..."

Il se tourna vers la jeune femme qui semblait... Il ne savait pas trop en fait. Il n'avait jamais été très empathique finalement, la faute à son isolationnisme forcé. Les rapports humains restaient en grande partie mystérieux pour lui.

"Oanell, c'est juste... fini." Il prit un air contrit. "Si j'étais ce genre de personne, je dirais que mon soudain changement de statut va certainement changer le regard des gens à mon égard, et faire de moi l'un des partis les plus intéressants de la région mais... je ne sais pas."

Le sujet le mettait bizarrement mal à l'aise, il n'était pas bien certain de comprendre où voulait en venir Madenig.

"Ce n'est pas vraiment ce que je veux, je préférerais une histoire simple. Ça me changerait pas mal je pense", rit-il.

[Madennig]

Puisqu'il riait, elle rit aussi. Comme si le sujet avait le droit de rester léger. Après tout, ils étaient en train de parler d'amour, non ?

"Une relation simple ? Qu'est-ce que tu appelles une relation simple. Trouver une femme pour fonder une famille, ici, dans ta demeure ? Oui, alors, il est possible que ton changement de statut te le permette... Je n'en sais rien. Je n'envisagerai jamais ce genre de vie, tu t'en doutes, alors, je ne sais pas trop ce qui peut motiver une femme à se marier pour obtenir un meilleur statut social... "

Elle n'osait pas vraiment toucher le livre, ne faisait que le regarder sans savoir par où prendre les pages pour les tourner, par peur de le salir avec ses mains certainement.

"Mais... il y a-t-il des informations pour détecter les envoûtements ? Ou pour désenvoûter des objets ?" demanda-t-elle finalement, plus sérieusement.

"Parce que... Un jour, j'ai eu affaire avec deux anciens des Roseaux de fer... Et... Ils se vantaient d'avoir pu dérober une partie de ce trésor... J'entends encore leurs cris parfois quand je dors la nuit... "

"Et hier soir... Souviens-toi de cette rage qui a fait de nous des quasi-meurtriers... Nous les avons presque tous tué, ils ne voulaient pas se rendre !... Nous étions d'un coté comme de l'autre, comme pris d'une folie sanguinaire... Franchement, j'ai du mal à croire que ce trésor puisse être inoffensif..."

[Casaïr]

"Pour tout te dire, j'ignore ce que ce serait une relation simple, sans doute une où l'autre ne rompt pas après qu'on lui ait demandé sa main j'imagine. Dire que j'évitais l'Earrach feis pour ne justement pas vivre ce genre de déconvenue, me voilà bien attrapé", rit-il d'un ton désabusé.

Voyant que Madenig n'osait pas toucher le manuel, il se concentra sur les préoccupations de la jeune femme, laissant de côté les siennes. Y avait-il des méthodes de détection ?

"Pas vraiment, ou plutôt pas de méthodes efficaces à cent pour cent. Les quelques témoignages parlent surtout d'enquêtes rigoureuses pour déterminer ce qui a une explication logique de ce qui tient vraiment du surnaturel. Et c'est uniquement là qu'il est possible d'agir, au travers de ce qu'ils appellent un exorcisme, qui permet de faire fuir les fantômes d'un lieu où d'une personne. Mais je suis encore bien incapable de réussir un tel prodige."

"Quant à cette nuit, je ne m'explique pas ce qui s'est passé. Ils étaient tous fous de ce trésor mais je ne sais pas s'il y a une cause plus profonde. Moi en tout cas je n'ai pas ressenti le besoin de tuer. Je voulais juste arrêter cette femme, pas mettre fin à ses jours."

Un frisson le traversa en repensant à ce qui s'était passé.

"Il n'est pas près de bouger en attendant, nous aurons tout le temps d'aviser à son sujet."

[Madennig]

Son regard fixa un point de la pièce, silencieuse. Elle devait se repasser les souvenirs de la veille. Puis, sombre, elle reprit :

"Tu n'as pas ressenti quelque chose d'étrange en toi cette nuit ? Avec toute cette pluie, cette pénombre qui nous permettait à peine de distinguer qui venait à nous... Ami, ennemi... J'en ai encore des frissons de peur... Et les coups... Oh... Je vais mal dormir encore quelques nuits... Et même l'Osfer Jazkez aurait pu mourir !"

"Mais finalement, c'est tout aussi étrange que tu n'aies pas ressenti de folie, ni de peur et que pourtant, tu aies réussi à tuer quelqu'un sans le vouloir..."

A l'entendre, Madennig voyait des signes de malédiction dans tout. Trop d'imagination superstitieuse chez elle certainement.
Puis fronçant les sourcils et souriant à Aeldred, elle revint à tout autre chose.

"Je crois que tu vas être tellement occupé et tellement heureux de découvrir tes nouvelles fonctions que bientôt c'est toi qui nous remontera le moral ! Peut être que la routine te va mal, et que ce changement de vie va te permettre de t'exalter enfin ! Souris pour voir ? Un sourire plein de foi en l'avenir ! Je regarde."

Accoudée à la table, en effet, elle se mit à attendre que Aeldred sourît.

[Casaïr]

"Mais finalement, c'est tout aussi étrange que tu n'aies pas ressenti de folie, ni de peur et que pourtant, tu aies réussi à tuer quelqu'un sans le vouloir..."


Aeldred, songeur, tenta d'analyser la situation autant que possible. Il secoua la tête finalement.

"Même si je n'avais jamais employé mes compétences contre des hommes jusqu'à cette nuit, je suis un bon tireur, entraîné. Cependant, avec elle qui gesticulait, sur un cheval paniqué et toi qui s'accrochait à ses jambes, un accident pouvait très facilement se produire. Je suis déjà soulagé que ce ne soit pas toi qui ais pris cette dague dans le dos au cours de cette mêlée. Et non, je me sentais parfaitement normal, si j'excepte le fait qu'il a fallu attendre la fin de cette course pour enfin comprendre ce qui se passait."

Il ne savait pas trop comment rassurer Madenig sur le moment, elle semblait intimement persuadée que le trésor était maudit et était responsable de ce qui s'était passé.

"Maintenant, hasarda-t-il, tout ce magot a été acquis de façon plus que malhonnête, peut-être ne punit-il que ceux qui cherchent à s'en emparer de vile façon ?... Et ainsi auraient péri tous ceux qui cherchaient à le prendre par la force sans se soucier des autres. C'est possible, il me semble avoir déjà entendu ça quelque part, il y a longtemps."

Elle fronça les sourcils et changea d'un coup de sujet, prenant Aeldred totalement à contre-pied.

"Hein ?"

Un sourire plein de foi envers l'avenir ? I n'y a pas si longtemps, son avenir ne ressemblait qu'à un grand trou noir dans lequel il tombait perpétuellement. Depuis son retour miraculeux, il cherchait des réponses à ses questions, se cherchait également, mais le sourire n'apparaissait jamais que de façon éphémère.

"Tu te rends compte que le sourire sur commande ça ne fonctionne pas toujours, hein ?" lui dit-il.

Malgré cela, quelque chose se dessina sur ses lèvres qui s'arquèrent presque imperceptiblement. Puis réalisant quelque chose, il rebondit à son tour sur les propos de la jeune femme.

"Dis donc, tu m'as quand même pas mal tiré les vers du nez, à mon tour maintenant ! Qu'est-ce qui te ferait sourire toi ? Et puisqu'on parlait de ma vision d'une relation simple, c'est quoi la tienne ?"

Il la regardait d'un air effronté en attendant sa réponse.

[Madennig]

A la fois gênée par la question et peu convaincue par l'exploit facial de Aeldred, elle se redressa d'un coup, raide sur le banc. Elle le toisait maintenant, avec un faux air de femme offusquée.

"Ooh hooo... !"

"Tu souhaites t'aventurer du coté de mon jardin secret...? Pour avoir le droit de regarder ne serait-ce que par le trou de serrure, il sera nécessaire avant, de sourire mieux que ça... Là, franchement, tu es loin de la contracture, je suis sûre que tu peux encore faire un effort ! Mais bon, je veux bien attendre que tu t’entraînes..."

Enfin, pour lui montrer qu'elle n'était pas si troublée que ça par la question, elle reprit cette position si confortable, accoudée à nouveau sur la table. Madenig amorça alors trèèès habilement un virage vers un changement de sujet.

"En parlant de jardin...."

".... Qu'est-ce que tu fais avec tes poules ? Tu les nourris pour éviter qu'elles puissent s'enfuir ? Ou tu en fais des foies gras et des magrets ? Parce que là... C'est à peine si leurs pattes les soutiennent encore... Et si nous mettions une pièce autour du cou du coq, et que nous observions son comportement... ?"

[Casaïr]

Aeldred éclata d'un rire gêné lorsque Madenig aborda le sujet de la basse-cour.

"Je récupère surtout leurs œufs de temps en temps. C'est bête à dire mais je ne me vois pas les tuer pour les manger ! C'est un peu la seule compagnie que j'ai ici et j'aime bien les entendre caqueter. Mais j'avoue ne pas savoir doser leur alimentation..."

Un sourire contrit apparut sur son visage. Il était un peu déçu du refus de Madenig de se confier plus que cela mais il ne s'en offusqua pas davantage. Et puis, il aimait bien ce moment de partage, ça lui changeait agréablement les idées.

"Tant pis pour la serrure alors, j'achèterais un passe-partout une prochaine fois."

Il lui tira la langue avant de repartir de rire.

"Malgré tout, je pense que savoir ce qui te fait sourire toi n'est pas non plus une trop grosse intrusion, non ? Je ne sais pas, les contes, la musique, les balades. Moi par exemple, quand j'étais petit, j'adorais deux choses : chasser les têtards et partir en promenade avec maman. C'est elle qui m'a appris une bonne partie de ce que je sais sur la nature et comment y vivre convenablement. Elle connaissait le nom de toutes les fleurs, de tous les arbres. Elle connaissait même des histoires pour presque chacun d'entre eux. Elles étaient parfois tristes, parfois drôles. J'en ai oublié une grosse partie malheureusement, toutefois cela reste des moments chers à mon cœur."

"Et... en parlant de jardin secret... j'en ai un, au sens littéral. Une clairière que j'ai un peu aménagé et dans laquelle je me rends assez régulièrement. C'est à la fois un cocon protecteur m'isolant du village quand je ne le supporte plus et un endroit où me ressourcer."