Fortuna Imperatrix Mundi

La nouvelle apportée par Ethel soulagea Aeldred autant qu'elle lui apporta une pointe de suspicion. Était-ce un survivant, une personne de passage content de trouver une maison vide pour s'y installer temporairement ? Un bandit attendant le reste de sa bande ? Trop de possibilités, aucune réponse. Pour l'instant du moins. Il attrapa son arc et une flèche, l'air décidé.

"Tu as bien fait. Emmène-nous, et si personne ne répond à la porte, on entre. Vu la situation, je ne pense pas qu'on nous reprochera notre manque de courtoisie."

Gweneth fronça les sourcils.

«Je ne suis pas sûr de te suivre, Aeldred. En quoi la situation justifie-t-elle que l'on pénètre ainsi chez les gens ? Le village est clairement abandonné, qui peut reprocher à quelqu'un d'avoir pris possession des lieux ? Et en quoi cela nous dispense de nous montrer respectueux de son intimité ? Pourquoi ne pas plutôt chercher où cette personne a pu aller ? Tu es un chasseur, non ? Tu dois pouvoir repérer ses traces et les suivre ? »

L'uniste se tourna vers Ethel, à la recherche de son soutien.

Près des trois aventuriers, se tenait le puits dans sa robe de lierre. Une brise légère caressait ses feuilles et des moineaux se posèrent sur son petit toit.

Je vis le regard de Gwen et je détournais les yeux.


"C'est justement parce que je ne savais décider si je devais rentrer ou pas que je vous ai attendu. D'un coté, comme je n'ai pas pu voir la maison en entier, une partie de moi se demande s'il n'y a pas quelqu'un qui aurait besoin d'aide abandonné de tous... Mais d'un autre coté, commencer une mission diplomatique en violant les lois de l'hospitalité et de la courtoisie, je ne crois pas que cela soit la bonne idée.

Donc, comme moi, je ne suis personne, je vous laisse décider.
"

Ils commençaient à tergiverser et Aeldred n'aimait pas cela. chaque fois qu'il leur avait été difficile de se décider rapidement, cela avait coûté des vies inutilement. Il serra les mâchoires et les poings autour de ses armes.

"J'ai une mission, ma première mission officielle en tant que clerc, et il n'est pas question que je la bâcle, lâcha-t-il d'un ton cassant. Cette personne, si elle vit bel et bien dans un village totalement vide, est peut-être quelqu'un de bien, mais il y a autant de chance pour qu'on ait affaire à quelqu'un qui profite de la situation pour s'installer ici ou même à un ou plusieurs brigands."

Et dans ce cas-là, songea-t-il, je suis le seul capable de me battre à peu près correctement.

Il secoua la tête, ce n'était pas le moment de penser au pire. Qui sait, il avait peut-être déjà eu lieu et ne se manifesterait plus.

Comme avec les bandits.

Il était à cran depuis qu'il avait rencontré les fantômes de ceux-ci dans le monde des rêves puis les griffes dans celui des vivants. Un sentiment d'urgence le forçait à se hâter et il se refrénait à grand-peine. Il avait besoin de prouver qu'il pouvait être utile et restait persuadé qu'il devait toujours démontrer ce qu'il était capable de faire pour sa communauté.

"Dans le pire des cas, celui ou ceux vivant là ne nous apprendront rien." Il fit quelques pas avant de s'arrêter de nouveau. "S'ils ne sont pas une menace, je m'excuserai comme il se doit."

La discussion était manifestement close pour lui alors qu'il reprenait la route vers la seule maison habitée.

Je trouvais la réponse d'Aeldred un peu ingrate.
J'avais souvent dormi dans des ruines abandonnées et si le titre de vagabonde ne me dérangeais pas, j'étais quand même pas bien à l'aise avec celui de brigande.
De même, j'aurai pu lui répondre que si j'avais décidée de lui demander son avis, c'était bien pour le respecter. Dans le cas contraire, je m'abstenais de ces complications.

Mais visiblement, notre clerc semblait souffrir d'un mal courant chez les chefs en herbes, le manque de confiance en soi... Et l'un des moyens d'y remédier est d'aboyer sur ses subordonnées.

Aussi, je décidais de ne pas relever.

Et avec la nonchalance qui me caractérise, commençais à me diriger vers la maison à sa suite.

Gweneth s'étonna de la réponse du jeune clerc. Cela ne ressemblait guère au Aeldred en proie au doute permanent qu'elle avait connu jusqu'ici. Ne voulant pas rompre cet élan, même si elle n'approuvait pas les décisions qui en découlaient, elle décida de capituler. Levant les mains en l'air en signe de reddition et secouant la tête, elle répondit un simple :

« Soit. »

Puis, elle se mit à suivre l'élu et Ethel, se tenant plusieurs pas en arrière.

Les moineaux eurent un pépiement ahuri, quand les trois voyageurs approchèrent de la porte de la maison encore meublée. En tête, Aeldred tenta de soulever le loquet et à la grande surprise de tous, la porte n'était pas entravée.

En franchissant le pas, une odeur rance et moisie les prit à la gorge. Il y avait des pommes dans un panier au sol, toutes fletries, et un bout de lard abandonné dans un bol en bois à côté.

Pas un bruit. Pas un mouvement.

La cheminée était froide et sur la table, un bol unique était posé, celui qu'avait pu apercevoir Ethel. Une bouillie de céréales y avait séché. Une cuillère sale reposait à côté.

Dans les étagères, on pouvait voir des pots d'épices et de graines.

Rien de plus. La pièce pourtant était vaste pour un petit village.

Au fond, il restait un passage qu'un rideau tiré gardait.

L'odeur prit Aeldred à la gorge qui dût se couvrir la bouche et le nez avec sa manche. Vu la pestilence qui régnait ici, les chances de trouver quelqu'un en vie venaient de fondre comme neige au soleil.

Au moins, se dit-il sombrement, je n'aurai pas d'excuse à formuler pour mon intrusion.

"Dommage que Rozenn ne soit pas là, dit-il dans un murmure, elle aurait sans doute pu nous dire de quoi est mort ce qui se trouve là."

Car oui, il y avait forcément un cadavre. Mais... son expérience lui avait appris que même les morts pouvaient encore hanter le monde des vivants. Et Oanell lui a dit suspecter une présence occulte chez les Mac Trahern, d'où sa présence ici. Tirer dans une maison n'étant pas des plus pratiques, il posa son arc contre le mur extérieur, rangea sa flèche dans son carquois pour tirer son épée à la place. Il ne voulait pas affronter un mort ambulant, mais s'il n'en avait pas le choix, mieux valait être prêt à toute éventualité. Puis il songea à Ethel et Gweneth qui le suivaient. Il se retourna alors avec un faible sourire vers les deux femmes.

"Vous n'êtes pas obligées de venir. Je vais juste m'assurer de ce qui s'est passé ici et je ressors. Je ne devrais pas être trop long."

Gweneth resta sur le seuil de la maison, silencieuse. Etait-ce par peur de ce qu'elle risquerait de voir à l'intérieur ? Ou pour ne pas pénétrer dans une demeure dans laquelle elle ne se sentait pas la bienvenue ? Elle-même ne le savait pas à ce moment là.