[OdE Chap. 7-4] La reconnaissance du père I (Madenig)

[Casaïr]

"Hoooo, alors c'est vrai..." fit Clervie en cachant son sourire de sa main.

La dàmàthair était sans doute la seule qui pouvait aisément taquiner Madenig. Elle eut fort heureusement la sagesse de ne pas trop insister, préférant serrer sa fille de cœur dans ses bras.

"À force de vous voir vous tourner autour, je désespérais de voir ce jour arriver, tu sais ? Allez, une robe, de quoi te coiffer ! Pendant ce temps, va te nettoyer, on ne va pas retrouver un garçon avec de la terre sur le bout du nez !"

Vite, elle poussa la jeune fille dans l'escalier, lui claquant pratiquement la porte au nez tandis qu'elle s'activait, tirant de sous son lit le lourd coffre renfermant ses vêtements. Quand Madenig revint, toute fraiche, Clervie l'observa d'un œil attentif.

"Tes cheveux sont assez longs, je pense qu'on peut opter pour une tresse, qu'en penses-tu ? Dommage, je n'ai pas de maquillage, tu aurais été tellement mignonne -pas que tu ne le sois pas au naturel ?- mais j'ai ma belle robe que j'ai mit pour le mariage de ma sœur aînée. Elle sera peut-être un rien grande mais cela ne devrait pas trop se voir."

Clervie était presque plus excitée que Madenig, à croire que c'était elle qui allait retrouver un garçon !

[Madennig]

Madenig ne résista pas bien longtemps à la douceur de sa dàmàthair. Plusieurs fois par le passé, elle aurait aimé vivre chez elle, oublier ses vraies origines comme si elles n'avaient jamais existé. Tout aurait été plus facile. Du moins, le croyait-elle. Elle rougit quand elle vit la robe, ce présent d'un soir qu'elle lui faisait. Elle lui murmura un merci, la gorge serrée. La pauvre Clervie avait-elle conscience que sa robe risquait de subir les tumultes d'une adolescente ? La jeune fille n'était pas bien à l'aise, mais ce n'était rien à coté de ce qui la poussait à agir ainsi.
Malgré quelques grognements, elle se laissa coiffer. Ce ne fut pas sans peine, ni douleur pour chacune des parties.

"Il m'a dit qu'il m'aimait, je crois qu'il dit la vérité... Il prend souvent soin de moi, tu sais. Et moi ...J'ai un nœud au ventre rien que d'imaginer qu'il ne puisse pas faire le mur de chez lui ce soir..."

Peut être, alors, Clervie comprenait pourquoi Madenig n'avait pas autant sauté de joie que les autres enfants du village. Partir, oui. Mais seule ?

"Tu as toujours de bons conseils pour tout le monde, ici. Que pourrais-tu me conseiller pour que tout se passe bien ce soir ?"

[Casaïr]

"Je vous connais bien tous les deux, dit Clervie simplement. Je vous ai vu grandir et vous épanouir à votre façon. Aucun de vous deux n'a eu les parents qu'il aurait voulu, c'est pour ça finalement que vous vous êtes rapprochés tous les deux."

Elle continuait de brosser tendrement la chevelure flamboyante de la jeune fille.

"Bryn t'aime tendrement, je l'ai vu très souvent te dévorer du regard. Ce n'est pas à moi de te dire ça mais j'ai un panier en bas avec quelques gourmandises et un grand drap par dessus qu'il sera facile de disposer dans un certain endroit, avec un arbre majestueux par exemple. Je crois qu'une jeune fille que je connais bien y va régulièrement pour penser, ou crier contre le monde quand elle n'en peut plus des adultes. bref, si ce panier disparaissait j'en serais fort triste bien sûr, mais tant que je le retrouve demain matin, même vide, ça ira."

Clervie s'étira visiblement.

"Et moi je crois que je vais aller me coucher, donc si tu veux bien me laisser..."

Elle regarda la jeune fille toute apprêtée.

"Tu es splendide, aucun garçon ne pourrait te dire non habillée comme ça. Aucun garçon ne te reconnaitrait non plus cela dit, pouffa-t-elle. Ho, et n'abîme pas ta nouvelle robe, ce serait dommage d'y faire un accroc à peine reçue."

[Madennig]

Madenig n'avait jamais imaginé être déguisée ainsi un jour. Peut être plus tard, bien plus tard, quand elle serait vraiment grande, mais pas à son âge. S'habiller comme les garçons était si pratique au fond. Pourtant, il fallait bien l'avouer, elle avait peut être fait le tour des jeux d'enfants et pas vraiment exploré ceux des adultes. D'ailleurs, les adultes jouaient-ils encore ? Sûrement que non...

C'était donc la tête dans ce nuage de pensées contradictoires, qu'elle abandonna sa dàmàthair, un panier à la main et une robe longue à ne pas déchirer. Bien sûr qu'elle la serra dans ses bras pour la remercier, et qu'elle pleura tant elle était touchée par cette femme.

Une fois dehors, la nuit tombante dissimulait ses traits, elle pouvait passer pour n'importe quelle jeune femme ainsi. Elle entendait la rumeur de la taverne non loin, l'annonce du demorthèn faisait encore fureur. Elle irait le voir lui aussi, mais après.

Elle s'approcha de la maison de Bryn, et lança une petite poignée de sable sur la fenêtre de sa chambre. Dès qu'il pourrait sortir, il saurait où la chercher.
Et elle continua vers le grand chêne, pour l'attendre en bas pour une fois, ne pouvant grimper sur ses branches à cause de sa robe.

[Casaïr]

Elle n'eut pas besoin de patienter bien longtemps, la foulée reconnaissable entre toutes de Bryn se fit rapidement entendre, bientôt rejointe par sa voix.

"Tu aurais dû voir ça, mon père était comme fou, plaisantait-il. Il doit croire que les corrections qu'il m'administre vont servir à quel... M... Madenig ? C'est bien toi ?"

Maintenant qu'il était suffisamment proche, il pouvoir voir la ravissante jeune femme qui se tenait désormais devant lui. Il continua d'avancer, plus intimidé qu'à son arrivée.

"Tu... Tu es superbe", souffla-t-il en arrivant à sa hauteur, incapable de détacher son regard de la silhouette de sa petite amie.

[Madennig]

Même si le compliment la touchait, elle fit comme si elle n'avait rien entendu. Elle préféra étaler la nappe, et l'inviter à s'asseoir près d'elle. Elle prit d'ailleurs bien soin de ne pas trop froisser la robe.
Elle lui sourit, comme si ce qui se passait maintenant était tout à fait normal.

"Tu as faim ?"

Le pauvre Bryn avait déjà mangé, certainement, mais il allait devoir se forcer.
Madenig découvrir avec lui de quoi était chargé le panier de Clervie. Elle sortit un biscuit de sa boite et la posa dans les lèvres entrouvertes de son ami :

"Bremalen est rusé... Il sait que je vais tout faire gagner. Il veut que je m'en aille d'ici, Bryn, parce que s'engager chez les Hilderins, ce n'est pas juste pour une année...C'est comme si c'était pour toujours. Hier encore, j'aurais sûrement sauté de joie. Mais si tu penses vraiment m'aimer... Il faut que tu m'empêches de gagner."

Avant même qu'il ne réponde, elle embrassa ses lèvres légèrement sucrées.

[Casaïr]

"T'empêch..."

Il n'eut pas le temps de finir qu'elle l'embrassait comme pour le faire taire. À voir sa mine, on devinait qu'il tentait de comprendre ce qui se jouait ici. Quand Madenig recula, il tenta de reprendre.

"Je sais bien que Bremalen ne fait pas ça pour rien. D'ailleurs, même si les adultes sont super heureux, entre nous on sait bien que nos chances contre toi sont réduites. D'ailleurs... Tu n'as pas envisagé qu'il faisait ça pour toi, et pas contre toi ? Ce serait une chance extraordinaire ! Découvrir le monde, voir autre chose que ces marais pourris à perte de vue* ! Bon sang, j'ai bien envie de gagner aussi mais... Si l'un de nous gagne, on sera quand même..."

Il se retrouva incapable de finir sa phrase. La situation était tellement injuste.

Spoiler () :

* S'il avait su !

[Madennig]

"Tu dis des âneries parce que je suis en robe, tu oublies de me rappeler que je ne fais pas le poids face à toi... J'ai toujours eu horreur des robes, je me souviens maintenant pourquoi !"

Et elle se leva pour délasser le haut de sa robe, en souriant toujours, le défiant du regard de tenter de l'en empêcher. Bien vite, il ne lui restait plus qu'une robe fine de coton à bretelle. La robe de la dàmàthair gisait, pliée par terre. Bryn n'avait eu aucun effort à faire pour ce résultat.
Elle revient s'asseoir près de lui. Et toujours avec sérieux, comme si il s'agissait d'un véritable plan d'attaque :

"Tu vas me battre, je ne sais pas, assomme-moi ? Et ensuite tu laisses un autre gagner... Aedan tiens ! Tu crois que tu en aurais le courage ? A moins que... peut-être, tu aies envie d'aller voir du pays ?"

La peur fit trembler ses yeux, alors qu'elle le regardait fixement.

[Casaïr]

La pomme d'Adam de Bryn se mit à jouer au yoyo tandis qu'il observait sans trop y croire le manège de Madenig. Il faisait soudainement bien plus chaud et le jeune homme dût changer de position pour dissimuler le plaisir coupable qu'il prenait à ce petit spectacle. Il tentait -vainement- de conserver son sérieux tout en s'évertuant à ne pas regarder la trop fine robe de lin qui, par un effet de lumière renvoyé par la lune, laissait transparaître bien trop de choses, tel l'ombre d'un sein ou la petite dépression où se situait le nombril de la jeune femme. Et plus bas... Il toussa bruyamment, releva les yeux brutalement, écarlate. On aurait cru qu'il allait s'évanouir.

"Ae...dan, ga-gagner ? Bon sang, rien que la course d'orientation c'est foutu, il ne trouverait pas son cul même avec la meilleure carte de varigal. Et je ne parle pas des autres."

Il se rapprocha et sa main frôla par inadvertance (vraiment ?) la cuisse de la jeune femme. Ses yeux brûlaient d'un désir ardent qu'il peinait à contenir et pourtant il s'évertuait à chercher une solution à leur problème.

"J'ai pas envie de te perdre, Mad'. On peut peut-être en parler avec Bremalen ? Il aura sûrement une solution, comme faire une lettre de recommandation pour celui de nous deux qui perd ? Tu en penses quoi ?"

Il était désormais à une distance terrible, trop près pour ne pas effleurer la moindre parcelle du corps de Madenig au moindre faux mouvement, mais trop loin pour que le moindre geste envers elle ne soit pas interprété comme une tentative d'en avoir plus. S'ils avaient pu entendre chacun le cœur de l'autre, ils aurait pourtant entendu les mêmes battements fébriles, résonnant à l'unisson sur ce qui pouvait se produire en cet instant même.

[Madennig]

Madenig riait encore à la remarque de Bryn à propos d'Aedan, quand il frôla sa cuisse. Alors, elle redevint presque sérieuse, avec ce regard défiant toujours son interlocuteur.
Elle secoua la tête, un peu moqueuse, à la proposition d'aller en parler tous les deux à Bremalen. Elle avait sûrement autre chose en tête, en cet instant.
Ses lèvres s'approchèrent de son cou, puis de son oreille. Juste un souffle chaud, un murmure :

"Tu dis des bêtises toi aussi... Dépêche toi de saisir ta chance, Bryn, car à minuit je m'en irai, et il faudra de nouveau me courir après pour m'attraper. Et vu ton état..."

Plusieurs baisers brûlèrent le cou du jeune homme, dans le but certain de l'empêcher de réfléchir une seconde de plus.