[OdE Chap. 7-4] La reconnaissance du père I (Madenig)

[Casaïr]

Les dernières résistances du jeune homme volèrent en éclat suite aux baisers de Madenig. Il l'embrassa alors, tendrement d'abord puis de plus en plus passionné, tandis que ses mains parcouraient avec délice le corps de la jeune femme, toujours prisonnier de sa fine robe mais plus pour très longtemps. Déjà une bretelle glissait avant d'être suivie par sa sœur.

C'est ainsi qu'il s'aimèrent pour la première fois, sous le regard protecteur des étoiles d'une belle nuit de Luchar.

***

Les jours passèrent rapidement tandis que les jeunes du village se préparaient avec frénésie pour le tournoi de Bremalen. Celui-ci s'absenta plus d'une semaine tandis que les adultes s'occupaient d'installer des cibles de tir et de clôturer un espace d'une trentaine de mètres carrés pour les combats à l'épée. Et même lorsqu'il revint il n'était que très peu disponible, les villageois souhaitant profiter de l'occasion pour organiser une fête, il fallut donc préparer les grandes tables, désigner ceux qui prépareraient les tourtes à la viande et les rôtisseries, vérifier les réserves de cervoise, décorer le village, le tout avec la bénédiction de la nature.Alors que Salaïs n'avait jamais été un village très vivant, l'excitation palpable ressentie par tout un chacun le transfigurait. Cependant cela n'arrangeait que moyennement les affaires de Madenig et de Bryn : avec toute cette agitation, le jeune couple n'avait pas réussi à discuter en privé avec le demorthèn et cela les rendait de plus en plus nerveux. La bonne nouvelle toutefois était qu'ils pouvaient aisément s'esquiver, pour une étreinte ou un baiser, et leurs absences n'étaient réellement perçue que des jeunes de Salaïs -et de Clervie- qui s'en amusaient mais se gardaient bien de vendre la mèche aux adultes. La dàmàthair veillait sur ses protégés, leur trouvant souvent de bonnes excuses quand le père de Bryn venait lui demander s'il avait vu son fils. Madenig lui en était reconnaissante, tout autant que pour la robe que sa mère de cœur avait catégoriquement refusé de reprendre.

Finalement, ce n'est que la veille du tournoi, alors que les villageois rentraient chez eux, pressés de déjà être au lendemain, que les deux jeunes gens eurent l'occasion d'aller trouver Bremalen. Ils le trouvèrent chez lui, comme à l'accoutumée, alors qu'il faisait chauffer une tisane de bergamote qui sentait délicieusement bon. Ils accueillit volontiers avec un grand sourire.

"Que me vaut l'honneur de votre visite ? demanda-t-il au jeune couple en leur proposant une tasse. Inquiets pour demain ?"

[Madennig]

Les deux jeunes vibraient comme rarement, au rythme des cachotteries pleines de délices qu'ils s'offraient l'un l'autre.
Ils profitèrent du long chemin jusqu'à la bâtisse du demorthèn pour le rendre encore plus tortueux, quelques courses-poursuites, quelques douceurs... Madenig offrit même un bouquet de fleurs à Bryn, quelques fleurs des champs qu'elle avait cachées dans son dos.
Mais l'approche de la conversation avec Bremalen assombrissait le regard de Madenig, qui redevenait plus sèche, même à l'égard de celui qui était devenu son amoureux.

La mine renfrognée de Madenig parlait certainement d'elle-même. Avait-elle peur ? Sûrement... Mais pas des épreuves du tournois.
Elle regarda un instant Bryn, pour se donner du courage. Elle avait essayé de trouver une solution, lui permettre de rester la meilleure sans pour autant obtenir pour récompenser un exil doré*.

"Bonjour Bremalen. Je me demandais si il était pas possible de changer le premier prix... Quelque chose de plus adapté à ce que je voudrais faire de ma vie."

Elle ne doutait de rien.

Spoiler (*) :

Le plaquage de l'exil fut plutôt fait d'oxyde de cuivre !

[Casaïr]

Bremalen regardait la jeune femme et semblait prêt à éclater de rire. Il se retenait malgré tout et fit signe aux jeunes gens de s'installer.

"Comme tu y vas dis donc ! Es-tu si persuadée que ça de gagner ? Tu ne crois pas que le prix des épreuves va rendre autrement plus combatif tous ces jeunes hommes fringants qui n'attendent que de te faire choir de ton trône de Princesse de Salaïs ? Oui, je connais le surnom qu'ils te donnent, même si dans leur bouche le sens est certainement moins sympathique."

Il secoua la tête mais semblait bien plus compatissant que d'ordinaire.

"Je sais que vous deux c'est très récent et que cela pourrait changer beaucoup de choses, mais désolé, les règles sont les règles et le prix est tel qu'il doit être."
"Alors, si l'un de nous gagne, est-il possible de faire une lettre de recommandation pour l'autre ?"

Bryn tenait à cette idée qu'il ruminait depuis deux semaines, persuadé qu'elle serait certainement plus acceptable. D'ailleurs Bremalen eut l'air de réfléchir.

"Ma foi... ce n'est pas impossible, estima-t-il. Mais pour que j'accède à ta demande, il faudra que le deuxième soit au moins aussi bon. Ce qui signifie que si l'un de vous termine premier dans un maximum d'épreuves, l'autre devra terminer second."

Il soupira d'aise en avalant une gorgée de thé brûlant.

"Pensez à cela comme à la chance d'obtenir mieux que ce que vous avez. Si pour que vous soyez heureux, vous devez partir ensemble, alors j'y consens. Toutefois, je ne suis pas votre père."

[Madennig]

Le rire de Bremalen avait fini de mettre en colère Madenig. Les paroles du Demorthèn la confortaient dans l'idée qu'il avait fait exprès pour la voir partir, en titillant sa fierté ainsi.
Heureusement Bryn était bien plus calme et réfléchi qu'elle. Sa voix apaisa Madenig, elle le regardait du coin de l'oeil. Elle avait envie de le prendre dans ses bras. Ou juste tenir sa main dans la sienne. Elle l'aimait elle aussi, elle en était certaine.

Finalement, n'y tenant plus, elle fixa à nouveau Bremalen de ses pupilles en feu.

"Je ne me suis pas excusée pour l'autre jour, quand je suis partie sans te saluer. Je voudrais m'excuser maintenant, je n'aurais pas du..."

"C'est à cause de ça que tu as pensé à ce tournois ? Parce que tu n'as aucune prise sur moi ?"

[Casaïr]

Le demorthèn haussa les sourcils d'étonnement.

"À cause de toi ? Non, tu n'y es pas. Je ne nierais pas que je n'ai pas pensé à toi en élaborant ce plan, mais certainement pas pour te nuire. Et ce n'est pas à moi d'avoir une quelconque emprise sur toi, et tu le sais aussi bien que moi."

Il resservit ses hôtes et lui-même puis poursuivit.

"Clervie est venue me voir il y a plus d'u mois, préoccupée comme jamais. Elle craignait que toutes tes tentatives pour attirer l'attention de ton père ne te soit fatale. Cela je te l'ai déjà dit. Alors j'ai réfléchi, j'ai cherché une solution. J'ai essayé de parler à ton père pour avoir son avis et..."

Il hésita avant de continuer mais le fit malgré tout.

"Quand il te regarde, il n'arrive pas à voir quelqu'un d'autre que ta mère. En grandissant tu lui ressembles de plus en plus et il n'arrive pas à le supporter. Il l'aime toujours, tu comprends ? Son remariage avec Helori, c'était sa façon à lui de vous trouver un substitut à tous les deux : une mère pour toi, une femme pour lui. Il ne l'aime pas, du moins, pas autant que ta mère. Et il a eut des enfants pour que tu te sentes moins seule mais il est, aujourd'hui comme hier, incapable de te parler. La seule solution que j'ai vu était de vous éloigner un temps tous les deux. Tu découvriras des choses différentes, mèneras une vie différente, rencontreras des gens qui te forgeront. Lui, pendant ce temps fera ce qu'il n'a jamais su faire pendant toutes ces années : son deuil. Et quand tu reviendras, même si tu ressembleras toujours à ta mère, tu seras aussi tellement différente qu'il ne pourra que se rendre compte de tout ce qu'il a raté."

Bremalen se pencha pour poser sa main sur la jeune femme.

"Mon intention n'a jamais, et ne sera jamais de te faire du mal. Je suis là pour vous guider quand vous ne voyez pas la route à suivre, pour vous rassurer lorsque vous êtes effrayés, pour vous apaiser quand tout vous met en rage. Et tu n'as pas besoin de t'excuser, d'autres l'ont fait pour toi."

Il jeta un rapide coup d'œil à Bryn avec un léger sourire.

[Madennig]

Des larmes coulaient sur ses joues. Elle ne fixait plus Bremalen, mais la table plus bas. Alors qu'il posa sa main sur la sienne, il put sentir qu'elle tremblait comme une feuille.
Une colère bien plus éprouvante s'empara d'elle, une colère restée cachée par toutes ses bravades.

"De toutes façons, je m'en fiche de lui... Clervie a fait ce qu'elle a pu, mais j'aurais préféré qu'on me donne un autre père... Même toi Bremalen, tu aurais pu faire l'affaire, je demandais pas grand chose au fond... "

Sa colère devenait impossible à contenir. Elle saisit à son tour la main du demorthèn avec force, elle tremblait toujours et son visage était déformé par sa profonde peine.

"Je me débrouillerai... Je partirai, au risque de vous oublier. Que ce soit chez les Hilderins, ou ailleurs. Compte là-dessus."

Le demorthèn fut relâché. A croire qu'elle lui reprochait de ne pas avoir fait plus pour elle... Alors qu'il avait déjà fait beaucoup.

"Merci Bremalen... " réussit-elle à dire finalement. Puis, sans attendre Bryn, elle se dirigea vers la sortie.

[Casaïr]

Madenig, bouleversée, quitta en trombe la maison du demorthèn, les yeux voilés par tous ces sentiments qui se bousculaient. Elle n'entendit pas Bryn l'appeler, pas plus qu'elle ne ralentit pour voir s'il le suivait. Elle voulait seulement être seule.

...

Le voulait-elle vraiment ?...

***

Le lendemain matin, les villageois se réunirent pour ce qui allait représenter un événement dans le village : cinq jours de fête, d'épreuves pour les jeunes gens qui avaient sorti leur plus beaux habits pour l'occasion pour l'ouverture des festivités. Madenig regardait tout cela d'un œil morne, des cernes sous les yeux et des coulées sales sur les joues. Elle s'était endormie dans son arbre et ne s'était réveillée qu'à cause du froid du petit jour. Bryn était là aussi, encadré par son père qui le couvait comme un prédateur sa proie. Il y avait un côté réellement effrayant à assister à pareil spectacle et Madenig frissonna malgré elle.

Les épreuves ne devant pas démarrer immédiatement, la jeune femme avait l'occasion de faire un tour si elle le souhaitait. Elle put remarquer ses petits frères qui la cherchaient du regard, contrairement à son père. Mais peut-être n'avait-elle pas envie d'aller leur parler...

[Madennig]

Malgré sa saleté et sa mine fatiguée, elle fit signe aux trois garçons de la suivre derrière une des maisons, à l'abris des regards. Elle n'avait plus envie de voir toutes ces personnes se réjouir de cette fête... Pas tout de suite et pas dans cet état. La vision de Bryn aux cotés de son père l'avait vraiment mise mal à l'aise...
La veille, elle avait pleuré. Elle avait regretté de s'être emportée aussi, mais elle était bien trop fière pour ensabler encore une fois la fenêtre de Bryn qui l'avait vu pleurer, trop fière aussi pour quémander un peu d'attention auprès de Clervie ou quelques minutes de paix auprès de Bremalen.
Une fois les trois adorables petits frères à ses cotés, elle en mit un sur son dos, un autre sous le bras, et le dernier savait qu'il aurait le droit de s'accrocher à une de ses jambes.
Elle fit le grognement de l'ogresse, comme ils aimaient ça. Puis elle leur demanda :

"Vous avez bien dormir cette nuit, j'espère, parce qu'il va falloir faire la fête !"

[Casaïr]

Les trois garçons, ravis, répondirent "Ouiiiiiiiiiiiiiii !" en chœur puis partirent en quête de mignardise avec leur grande sœur qui parvenait à donner bonne figure devant eux. Elle ne vit donc pas son père lui jeter un regard douloureux...

***

En début d'après-midi, les jeunes furent réunis à l'est du village sous un soleil radieux de circonstance avec l'humeur de pratiquement tout le monde. Madenig observait Bryn qui se tenait non loin d'elle en se tenant le bras. Bremalen grimpa sur un rocher tout proche et fit signe aux concurrents de s'approcher.

"L'épreuve de ce jour est à la fois une course d'orientation et une chasse aux trésors : j'ai malheureusement égaré ma bourse d'ogham et je serais heureux si vous pouviez me la retrouver. C'est une jolie bourse de cuir d'un beau marron sombre et qui tient dans le poing."

La description arracha quelques soupirs de désespoir : chercher un objet aussi petit dans les marais allait prendre un temps fou, sans compter que les mangroves dans les parages pouvaient s'avérer des pièges redoutables.

"C'est là que l'on saura si vous savez lire une carte ou si vous aviez du sable dans les oreilles pendant vos leçons. Vous avez jusqu'au coucher du soleil."

Il lança un sac au sol contenant suffisamment de petits rouleaux pour que chacun ait sa propre carte des environs. Quand Madenig ouvrit la sienne, elle grimaça : Il y avait bien des repères qu'elle reconnaissait comme le village, la maison de Bremalen et quelques lieux qu'il valait mieux éviter, mais les indications étaient malgré tout succinctes. Bremalen avait en revanche l'air de bien s'amuser, perché comme il l'était au dessus d'une marée de jeunes désappointés.

[Madennig]

Lire les cartes, ou même lire tout court, ce n'était pas sa tasse de thé.
La pauvre Clervie avait pourtant fait de son mieux pour attirer la petite Madenig auprès du peu de livres que possédait le village, mais lire demandait un effort insurmontable : arrêter de bouger. Et puis, lire ? Pour quoi faire ? Impressionner qui ? La dàmàthair l'aimait déjà telle qu'elle était !

Après un bref regard dépité vers Bremalen, c'est Bryn qui eut toute son attention. Elle s'approcha de lui, les sourcils froncés, oubliant son odieuse colère de la veille. Puis regarda le bras qu'il se tenait.
Le demorthèn avait pourtant lancé le départ... Et au lieu de s'inquiéter pour l'épreuve, c'est pour lui qu'elle se faisait du mauvais sang. Arriverait-il à être dans les deux premiers si il a mal ?

"Ça ira Bryn ? Tu veux qu'on le fasse ensemble ?"