Fortuna Imperatrix Mundi

Jazkez pouffa à la proposition de Uilleam et lui assena une petite tape derrière la tête comme pour le réprimander.

-Qu'est ce que tu racontes ? réhabiliter de quoi ? Pourquoi pas te nommer commandant ou gouverneur pendant que tu y es ?

Il reprit sa position lorsque Ergon Tamir s'exprima et attendit qu'elle eut terminé.

-Ça répond à ma question de savoir à quoi j'allais bien pouvoir m'occuper. Prévoyez vous de détacher à cette fin quelques moyens supplémentaires sur Terfynysel et Swelbecky ? Je pense que vu la situation actuelle, il vaudrait mieux renforcer notre présence dans ce secteur plutôt que le vider de sa substance. Je peux voir les détails logistiques avec Briaga en même temps que je commande la potence, aucun problème.

" Vous repartirez avec un groupe de 30 hilderins et auxiliaires. Il restera à l'officier en charge du domaine, Iarnuud, de se coordonner avec vous. Vous concernant, vous avez déjà connaissance du terrain, vous mènerez les questions opérationnelles en coordination avec l'officier Iarnuud. La citadelle restera en contact avec Terfynisel. En cas de besoin, nous interviendrons."


Pwyll et Jazkez pouvaient sans peine imaginer que 30 personnes en plus impliquaient des lieux où les loger. En l'état, il n'y avait rien de prévu. Il faudrait donc trouver des solutions pratiques à ce petit souci logistique.


" Uilleam, allons au plus court : êtes vous en état de servir l'ordre oui ou non ? Discipline, obéissance, sang froid. Si non, vous pourrez être réformé pour suite de détention, et vous retournerez à la vie civile. Cela étant vous pourrez aussi continuer d'aider l'ordre si vous le souhaitez, dans la mesure de vos moyens."

Sans laisser planer le doute une seconde de plus, Uilleam exprima d'une voix grave ses vœux.

Commanderesse, à votre interrogation, je réponds que certaines épreuves marquent un homme à vie, mais quand on tombe de cheval, la meilleure chose à faire est de remonter en selle. Je suis prêt à présenter mes excuses, à jurer de nouveau fidélité à l'Ordre. Je m'en remets à sa justice, j'accepte sa condamnation quelle qu'elle soit, j'assume ma responsabilité. Je suis et je resterai, en mon âme et conscience, un Hilderin.

Ce genre de paroles étaient à même de parler à Ergon Tamir qui hocha pensivement la tête :

" Tant mieux. "

" Pour les excuses, vous les présenterez aux proches de vos compagnons d'armes tombés, mais pour l'heure, nous avons à faire à une menace sérieuse. "

" Vous aurez l'occasion de payer vos dettes envers l'ordre et vos compagnons en contribuant activement à résoudre la crise. "

" Vous avez l'expérience des marais, vous serez en mesure d'aider l'osfer Jazkez et l'officier Iarnuud. Vous recevrez vos ordres d'eux. Nous avons besoin d'équipes soudées face à un danger qui demeure pour le moment largement méconnu. Nous manquons de tout : de cartes des territoires, d'état clair des lieux de population, des troupes, des allégeances. Nous soupçonnons deux périls croissants : la sédition de féodaux et ce qui arrive des profondeurs de la Forêt engloutie. "

" Messieurs, rapport à transmettre à Briaga de Caiginn. Il faut que je m'entretienne avec elle. Je le répète, une bonne coordination et transmission de toutes les informations sont vitales. Les choses peuvent très vite se précipiter. Soyons vigilants. Tenons-nous prêts."

Au sortir du bureau, Pwyll regarda les deux chevaliers. Comment ces deux-là pourraient-ils travailler correctement ensemble ?

"Bah dites donc, nous voilà comme les trois doigts d'une main estropiée. Jazkez, j'ai cherché ma dose de taloches sur le crâne, mais faudrait si possible que je reparte d'ici moins nu que maintenant."

Il fit un pas de côté et se tourna vers les deux autres, esquissant un rond du bout du doigts englobant tous les trois.

"On a nos différends et il reste une sacrée dose d'amertume et de violence entre vous deux. Faudra peut-être vous bagarrer dans le calme quand on aura le temps. En restant ensemble au moins, on se tient à l’œil et puis il y a pire en face. Chevalier Uilleam, sans rancune pour la capture ? Et j'espère que vous êtes moins dingue que vous en aviez l'air en parlant de guerre sainte. Le vouvoiement, c'est fait exprès pour repartir sur de nouvelles bases. Nan mais sinon tu vois Jazkez, genre du cuir bouilli au moins, une hache sérieuse ou alors une épée longue ? Mmh ? En échange j'attaque plus de château sans toi."

Jazkez avait ostensiblement pincé ses lèvres à la mention de la réhabilitation de Uilléam mais n'avait pas protesté. Il accueillit positivement dans un coin de sa tête le fait que leur hiérarchie s'était inversé et qu'il n'aurait au moins plus à suivre ses ordres idiots. Il salua Ergon Tamir lorsque celle ci les congédia et rejoignit le vestibule avec Pwyll et le chevalier déchu re-chu.

-Ne t’inquiètes pas, si Ergon tamir n'a pas jugé bon de le pendre c'est qu'elle doit avoir ses raisons. Mon boulot était de retrouver et ramener ce salaud, pas de rendre justice. On va aller trouver de quoi t'équiper. Il me faut un cheval, j'ai pas envie de rentrer à pinces.

Il se tourna vers Uilléam.

-Je te laisse le bénéfice du doute que tu t'es fait retourné ta cervelle de piaf par cette sorcière et que tu as plus subi que agi. Le revers de la médaille c'est que ma patience envers toi est au stade zéro. Soit tu te tiens à carreau et tu me prouves par tes actes que la mort de Morch n'a pas été vaine et ça ira peut-être. Soit tu fais le malin et je m'arrange pour que tu passes le restant de tes jours dans un avant poste à la frontière Gwidrite avec l'Unique comme seul compagnie avec qui tu sembles avoir des affinités. Reçu ? Cap' ?

Uilleam se rendit compte que son attitude risquait de mettre de l'huile sur un feu que les dernières interventions tendaient à réduire. En considérant l'évocation de la mort de Morch -- meilleur ami de Jazkez -- comme faisant partie d'une plaisanterie, il courait le risque d'être considéré comme méprisant et insensible. Par ailleurs, il se comportait d'une manière incompatible avec la hiérarchie et le fonctionnement d'un ordre militaire : le respect de la hiérarchie. Aujourd'hui Jazkez était son supérieur. Il ne partait pas du bon pied avec lui.

Rozenn revenait paisiblement vers le bureau dans lequel ses compagnons de voyage étaient entrés il y a déjà un bon moment de cela. Elle en avait profité pour faire un petit tour de Dèas, ou en tout cas de ce qu'on lui permettait de visiter. Elle avait pris quelques notes au passage, cela ne lui coûtait rien et nourrissait son intérêt pour l'endroit. Elle ne fut guère surprise de voir Uilleam avec eux, mais sentit immédiatement que la situation était électrique. Elle avait saisi les tout derniers mots du hilderin déchu et comprit qu'il y avait là matière à s'envenimer.

"Cette forteresse est incroyablement bien pensée, dit-elle en s'interposant volontairement entre Jazkez et lui, tout en s'adressant en premier. Il est malheureux que je n'ai pu avoir de guide, je me suis heurtée à bon nombre d'impasses de nature administrative. J'escompte bien pouvoir remédier à cela dans un futur proche, peut-être même pourrez-vous me servir de guide ?"

Soyez rassurée dame Rozenn. répondit Uilleam dans le dos de la magientiste, devinant sa subtile diversion.
Je vais être réhabilité, nous nous apprêtions à acter tout ça dans le bureau de l'officier Briaga de Caiginn, voulez-vous nous accompagner ? Dès que ce sera fait, je serai sous les ordres de l'Osfer Jazkez Mac Rhidian et de l'Osfer Iarnnud de Terkhên. J'aurai l'occasion de payer ma dette envers l'Ordre, je redeviens un soldat comme Divemeria, Viktor et Klass. Dangereux prisonnier à l'aller, frère d'arme au retour… ça va leur faire bizarre, fit-il un clin d'oeil pour Jazkez. Mais vous, en tant que médecin, hélas je crains que vous n'ayez plus trop l'occasion d'admirer les belles crédences, nous renforçons nos effectifs en vue d'une menace sérieuse, il nous faudra tout le corps médical prêt à soigner les blessés...