[OdE - Chap. 12.6] Ambition [FOCUS]

[Casaïr]

Le lendemain, Oanell n'était pas allée en cours, trop déprimée pour seulement songer à sortir de son lit. Briaval avait tout tenté pour l'en sortir mais rien n'y avait fait.

Finalement, en milieu d'après-midi, Oanell entendit la porte d'entrée s'ouvrir, et Briaval accueillir plusieurs personnes. Tendant l'oreille, la jeune fille reconnut ses amies et, au son de leur voix, elle devina leur inquiétude. Elle était sur le point de cacher sa tête sous sa couette quand...

"QUOI ?! LE PETIT-FILS DE BÂTARD !!"

C'était tellement inattendu que la jeune fille fit un bond dans son lit. Qu'avait-il bien pu se passer pour que son mentor hurle comme ça ?...

[NailsEater]

Elle se leva, inquiète :

- Bravial ? Tout va bien ?

Elle sortit sa petite mine déconfite de l'entre brasure de la porte. Son teint et ses yeux rouges laissaient peu de place au doute quant au résumé de sa journée.
Elle aperçut les filles, glissant un petit sourire un peu forcé. Et finit par sortir voir son maître, la curiosité et l'inquiétude l'emportant légèrement sur le chagrin.

[Casaïr]

Oanell trouva Briaval en train de tourner à une vitesse insensée dans son bureau, menaçant de dévisser les têtes des trois filles qui le suivaient anxieusement du regard. Il était véritablement ivre de colère, un état dans lequel la jeune apprentie ne l'avait jamais vu et qui l'effraya tout autant que ses amies.

Il finit par la voir et, toujours sans qu'elle s'y attende, se jeta sur elle pour la serrer contre elle.

"Ma pauvre, pauvre Oanell. Si tu savais comme je suis navré pour toi. Tes amies viennent de me raconter ce qui t'était arrivée hier."

"O...ouiiiii, murmura presque Noela, dont on sentait l'envie de se trouver ailleurs qu'ici en ce moment même. Mais je n'ai pas eu le temps de... de tout lui dire..."

La voyant hésiter, Sellina enchaina : "On en a apprit une belle aujourd'hui, et on vient te dire que c'est plus la peine de le pleurer."

"Laissez-lui le temps de souffler, les filles, les raisonna Maria d'un ton de maîtresse d'école. Regardez, elle est tout pâle là... Monsieur, vous devriez la lacher, je crois qu'elle étouffe..."

Briaval, comme électrocuté, relâcha son étreinte et accompagna sa pupille jusqu'au fauteuil et resta debout à ses côtés. Sellina reprit son souffle, cherchant visiblement à ménager d'avantage le vieux barde que son amie.

"En fait, on l'a croisé "par hasard" aujourd'hui, dans les couloirs de l'école et... il parlait de votre rupture. Mais pas dans des termes très élogieux à vrai dire..."

"Tu veux dire que c'est un salaud, oui ! lâcha Noela qui avait reprit du poil de la bête. Il a osé dire que tu l'avais bien amusé pendant le mois où vous étiez ensemble mais que de toutes façons ça ne pouvait pas marcher vu que tu vient d'un milieu moins... favorisé..."

"Pauvre." Le mot claqua durement (et de façon inhabituelle) dans la bouche de Maria. "Il a dit qu'il n'aurait jamais pu espérer ne serait-ce que le quart d'une dot convenable en t'épousant et qu'il avait déjà repéré "celle qu'il lui fallait" depuis plusieurs jours."

[NailsEater]

Oanell se fit toute petite en voyant Briaval s’énerver. Elle n’aimait pas les colères et sentait toujours un peu coupable quand quelqu’un haussait le ton.

Il finit par l’apercevoir et ni une ni deux se jeta sur elle pour … un câlin ? Abasourdie la jeune fille ne reprit conscience que lorsqu’elle entendit Maria.

"Laissez-lui le temps de souffler, les filles, les raisonna Maria d'un ton de maîtresse d'école. Regardez, elle est tout pâle là... Monsieur, vous devriez la lacher, je crois qu'elle étouffe..."

Maria ? Mais que faisait-elle ici ? Et les autres aussi. Il se passe quelque chose ? Elle les écoutait parler sans comprendre totalement le sens de la discussion.

"Pauvre."

Ce simple mot sonna comme la fin d’un temps pour Oanell.

"Il a dit qu'il n'aurait jamais pu espérer ne serait-ce que le quart d'une dot convenable en t'épousant et qu'il avait déjà repéré "celle qu'il lui fallait" depuis plusieurs jours."

Il avait donc décidé de finir ainsi ? Il avait sans doute raison dans le fond. Que pouvait-elle espérer ? Même Briaval lui avait fait remarquer que ça en marcherai pas. Les larmes montaient à nouveau. Je suis … insignifiante.

Elle jeta un regard autour d’elle, s’apercevant des quatre visages inquiets qui la regardaient. Et se mit à rire, un rire nerveux et impossible à arrêter, elle riait et pleurait, laissant coi ces amies et son mentor qui ne savaient comment réagir.

- Désolée de vous avoir inquiétés. Je vais bien. C’est un salaud et ce n’est pas le premier ni le dernier. Je crois qu’il est temps que je vois les choses autrement. Hmm … Noela ... tu m’avais bien parlé d’un jeune homme assez bien placé qui me regardait avec insistance ?

Elle lui lança un clin d’œil. S’il ne voulait pas d’une pauvre alors elle n’en serait plus une.

- C’est décidé les filles je deviendrais la meilleure Barde qu’est connu Osta-Baille, et quand je viendrais chez lui dans quelques années, il s’en mordra les doigts. Briaval, je compte sur toi.

Elle leur offrit un sourire, beaucoup moins piteux qu’avant. Ses yeux brillants d’une détermination nouvelle et inattendue. Bien sur, la tristesse était là mais la colère aussi. Je suis peut être insignifiante, mais ça ne va pas durer.

[Iris]

Automne 900 - Service d'Ost d'Oanel

Nord-est de Bregan.

C'était une angarde sans envergure en terrain forestier, isolée, surveillant une ancienne route qui menait à des villages aux abords des bois de Cahltair. Même en étant sur les bords des Mòr Forsair, il y avait de quoi être impressionnée par la majesté inquiétante de cette sylve ancestrale.

Ses marges étaient entamées par les bûcherons qui coupaient toujours plus de bois pour alimenter les verriers de Bregan, au grand dam des croyants traditionnels qui estimaient les arts du feu comme profanateurs.

Mais cette petite tour de rien du tout était déjà loin de ces disputes. Son voisinage se limitait à un avant-poste des Ronces, une rosace à peine mieux fournie que l'angarde, habitée par trois ronces qu'Oanell avait à peine aperçue.

Briaval s'était installé à Brégan pour le temps du service d'ost de son apprentie et s'était assuré que le sergent qui l'encadrerait était un homme responsable, qui veillait sur ses "bleus" avec bienveillance, en leur évitant des missions inutilement dangereuses. Et puis du côté de cette angarde paumée, c'étaient les ronces qui faisaient le gros du travail : les petits soldats en Ost étaient ainsi relativement à l'abri. Briaval s'était informé avec soin pour trouver cette "planque" qu'il estimait convenable pour Oanel. Il pouvait même la voir environ une fois tous les 15 jours environ quand elle se rendait dans les villages de bûcheron pour faire des courses avec ses collègues.

Ce devait être une sorte de colonie de vacances un peu sportive.

... mais les bûcherons avaient dit avoir trouvé une dépouille de cerf massacré... et d'autres parlaient de disparition, à quelques kilomètres plus au sud. Ce pouvaient être des brigands, il y en avait beaucoup autour de Koskan.

Mais si ce n'était pas le cas ?


Les jeunes "ostiens" se tenaient au sommet de leur angarde, avec ces seules informations incertaines pour s'occuper, la visibilité coupée par les grands arbres. Partout, la forêt. Ils étaient si seuls ici...

[NailsEater]

Oanell observait la forêt, une fois de plus … Le temps semblait leur jouer des tours s’échappant bien trop lentement pour être crédible. Accoudée contre la rambarde, elle s’exerçait à détailler la nature, cherchant l’inspiration pour écrire une trine mais rien ne venait. La nature était d’un ennuie. Comment faisait les poètes pour toujours s’extasier d’elle ? La barde avait beau y regarder elle ne voyait qu’inconvénient et monotonie.

Elle jeta un regard à ses « compagnons d’armes » -si tenté que cet appellation ait un sens. Ils parlaient encore des disparitions qui avaient eu lieu plus au sud. Oanell se demandait comment ils pouvaient encore trouver quelque chose à en dire … ce n’est pas comme si nous avions une myriade d’informations …

Un soupir s’échappa de ses lèvres avant qu’elle plonge la tête entre ses bras, posés sur la balustrade. Vivement que ça se termine …La jeune femme n'aspirait qu'à une chose, retourner auprès de Briaval et fuir en ville. Satané forêt !

[Casaïr]

"Alors, encore en train d' bailler aux corneilles ?!"

La voix qui venait de claquer tel un fouet appartenait à Maugan, le sergent instructeur chargé de "veiller" sur la bleusaille. Aux yeux d'Oanell, c'était un rustaud qui ne devait connaitre le terme de "bain" que pour mieux l'oublier ensuite (ce qui était parfaitement injuste, elle le savait bien au fond d'elle). Briaval lui avait assuré que c'était quelqu'un de responsable et qui prenait à coeur son travail, mais elle n'avait vu de lui qu'une espèce de tyran voué à lui faire subir un entrainement tout à fait inutile et invariablement salissant.



Elle avait appris (sans savoir si c'était vrai) de la part de Deneg, l'un des autres ostiens avec lui, que son épaisse barbe dissimulait une grosse brûlure, mais impossible de savoir comment il se l'était faite. Il n'empêche que cela ne rendait pas forcément l'homme plus facile d'accès.

"Me d'mande bien c'qu'on fera d'vous, dit-il, légèrement dépité. Bon, deux ou trois, ça changera pas grand chose, m'est avis que vous rateriez une troupe d'osags armés jusqu'aux dents si l'envie leur prenait de passer par ici ! Allez, Oanell, avec moi ! Et vous deux, ouvrez les yeux, pour changer ! Avec un joli cul en moins, vous devriez être plus efficace. C'est dehors qu'il faut surveiller, compris ?"

Une fois au bas de la tour, il vérifia rapidement comment était attachée son épée pour finalement lui faire signe de la suivre. Oanell se rendit vite compte qu'il l'emmenait en patrouille à l'extérieur et, si du haut de la tour on pouvait encore apprécier la forêt, au niveau du sol celle-ci prenait un air plus... intimidant.

"T'en fais pas, on va pas aller trop loin, fit-il avec un plissement du visage indiquant qu'il souriait, juste faire le tour des fermes, faut que j'vois si y a pas de soucis, t'vois. Et j'ai pas encore eu l'temps de discuter avec toi, comme j'ai fait avec les autres clampins là-haut. Ca m'permet de connaitre les oisillons qui passent par ici, tu comprends ? D'toutes façons, dit-il, rigolard, c'est pas comme si t'avais le choix, hein ? T'en as pour un an ici et y en a eu d'autres avant toi, et y'en aura autant après, des qui croient qu'ils ont rien à fiche ici. Mais j'me dis qu'une fois qu'ils ont fini leur temps, ils sont mieux armés qu'en arrivant."

Il renifla bruyamment tout en se dirigeant dans une direction totalement aléatoire aux yeux de la jeune fille, tout en adoptant rapidement le pas réglementaire du soldat en patrouille, enjoignant Oanell à l'imiter.

"Allez, parle-moi d'toi, et sois pas timide, la confiance passe aussi par là. Quand on patrouille comme ça, en binôme, on doit pouvoir faire confiance à son collègue."

[NailsEater]

"Alors, encore en train d' bailler aux corneilles ?!"

Surprise, Oanell rattrapa de justesse ses lunettes qui faillirent tomber -tant elle se releva vite. Maugan venait d’arriver et, une fois de plus, elle se trouva à railler son manque d’hygiène et de connaissance des convenances sociales.

Allez, Oanell, avec moi ! Et vous deux, ouvrez les yeux, pour changer ! Avec un joli cul en moins, vous devriez être plus efficace. C'est dehors qu'il faut surveiller, compris ?"
Vulgaire … Je déteste les gens vulgaires …

Malgré son manque de motivation, la jeune fille restait disciplinée. Elle suivit alors Maugan, maugréant encore plus sur ce service d’ost à la noix. Ses ronchonnements s’arrêtèrent quand elle se retrouva au pied de la tour, la forêt n’avait plus rien d’amusant vu d’ici. La jeune femme réprimait un frisson quand son supérieur … lança la conversation ? Elle culpabilisa un peu de se comporter comme une chipie jusqu’à ce qu’il la fasse marcher au pas réglementaire.
Ridicule !

"Allez, parle-moi d'toi, et sois pas timide, la confiance passe aussi par là. Quand on patrouille comme ça, en binôme, on doit pouvoir faire confiance à son collègue."

De moi ? Il n’y a pas grand-chose à dire. J’aspire à devenir barde et je ne sais pas ce que je fais là … Hmm m’fin je sais bien pourquoi je suis là mais … je n’ai pas vraiment d’utilité … fin vous voyez.

Oanell n’aimait pas raconter sa vie et encore moins à des inconnus aussi préféra-t-elle changer le cours de la conversation.

Et vous ? Vous ne vous lassez pas de voir passer des jeunes gens immotivés, qui n’attendent qu’une chose : de rentrer chez eux ?

Oups, je suis peut-être allée un peu loin … mais après tout, il voulait de honnêteté.

[Casaïr]

Maugan, contre toute attente, éclata de rire.

"Briaval m'avait prévenu à ton sujet, une fille qu'a pas sa langue dans sa poche ! Mais ça pourrait te jouer de sales tours plus tard, alors fais attention. Heureusement que je t'ai demandé de parler normalement, autrement ça te mettait de corvée à la cuisine !"

Il réfléchit ensuite à la question de la jeune fille avant de hausser les épaules et de cracher par terre.

"Y a deux types de branleurs qui font leur service d'ost : ceux qui pensent que ça sert à rien et qui prennent ça comme une corvée, et ceux qui savent pas si ça leur servira et qui passent leur temps à r'garder les nuages en attendant qu'ça passe. Pour les premiers, y a pas grand chose à faire j'te l'accorde, mais ils sont pas plus motivés une fois dehors. Les autres, y a toujours moyen de trouver à les occuper, p'tèt même à les faire changer d'idées quant à leur utilité. Encore que sur ce point, c'est moi qui décide si vous êtes des bons à rien pleins de bonne volonté ou juste des j'en foutre indécrottables. Alors, dis-moi dans quoi t'es douée, ou c'que tu préfères, on trouvera bien un moyen d'utiliser tes talents en plus du reste."

[NailsEater]

Encore que sur ce point, c'est moi qui décide si vous êtes des bons à rien pleins de bonne volonté ou juste des j'en foutre indécrottables. Alors, dis-moi dans quoi t'es douée, ou c'que tu préfères, on trouvera bien un moyen d'utiliser tes talents en plus du reste."

- Je ne sais pas dans laquelle de ces catégories vous me rangeait mais moi je ne saurais pas le dire. Quant à mes talents, je ne suis pas favorable au traitement de faveur qu'importe ce que Briaval vous a demandé. Je suis là pour apprendre -au moins vaguement- à me défendre et je le saurais tant bien que mal à la fin de mon service. Cependant, si vous avez envie d'un peu de musique ou de chanson pour égayer cet endroit morne, je me ferai un plaisir de répondre à votre demande.

Elle hésita à poser une question qui lui brûlait pourtant les lèvres. Une fois n'est pas coutume elle céda à la curiosité:

Vous semblez connaitre mon maître et je suppose qu'il vous a parlé de moi alors pourquoi me poser des questions pour lesquelles vous avez déjà des réponses ?

Elle guettait la réaction de Maugan, comme une enfant qui test ses limites.