[OdE 3] Dans mon potager (Forêt engloutie)

[Casaïr]

Le village où les trois compagnons de route arrivèrent semblait plutôt petit de prime abord et rappela un peu Swelbecky au jeune homme. Toutefois, libéré des a priori qu'il aurait pu avoir dans ce qu'il pouvait presque nommer "sa vie d'avant", il prit le temps d'observer les alentours, appréciant notamment la présence étrangement rassurante de la forêt à quelque distance d'ici. L'automne luttait pour laisser sa marque sur la plaine mais chaque jour qui passait voyait son influence se racornir devant celle de l'hiver, saison qui lui déplaisait surtout pour des notions pratiques. Enfin, si ça se trouve Oanell aime bien la neige... Se rendant compte qu'il ne lui avait jamais demandé, il se promit d'aborder le sujet un peu plus tard.

Juste avant d'entrer dans le village même, ils se firent aborder par deux garçons. Comme Aeldred s'en doutait, ce n'était pas un endroit habitué à voir des gens de passage, encore moins un petit groupe bigarré comme le leur. Même si Aeldred faisait des efforts ces derniers temps, tant vestimentaire que soin de lui-même, il passait clairement pour... ma foi, pour ce qu'il était, un chasseur. Surtout comparé à Oanell qui, malgré sa tenue de voyage, semblait happer le peu de luminosité que la saison voulait bien accorder à la terre en ce jour. Et comme souvent, un mélange de fierté et d'étonnement apparut sur son visage alors qu'il songeait qu'ils étaient bel et bien en couple. Enfin, à ce qu'il paraissait ! Le peu de fois où ils s'étaient retrouvés ensemble rien que tous les deux pour autre chose que parler de la vie au château le faisait parfois douter de la réalité de leur relation.

Aeldred ne refit surface que sous le feu des questions des gamins et leur répondit rapidement.

"On vient de la forêt, dit-il en la désignant de la main, d'un village s'appelant Terfynisel pour être exact, et il est probable que l'on reste quelque temps ici..."

Préférant rester évasif quant à la raison de leur présence ici face à des enfants, le jeune homme apprit que pour dormir il n'y avait guère qu'une grange mise à disposition des voyageurs, mais, à tout prendre, ce serait toujours mieux que de dormir dehors. Bien sûr, il aurait préféré un autre endroit pour y poser ses affaires mais il devrait faire avec.

Les enfants continuaient de pépier autour d'eux, réclamant une chanson ou un air de musique à Oanell. Aeldred regardait cela d'un air à la fois amusé et nostalgique, alors qu'il se remémorait ses propres frasques quand il avait leur âge. Encore une autre vie, se dit-il. Un instant, il se demanda ce que ça faisait d'être parent avant de secouer la tête ; même s'il était vrai que ne pas avoir fonder de famille passé la vingtaine était presque synonyme d'échec, lui-même avait encore du mal à s'imaginer avec une famille dont il devrait s'occuper alors qu'il n'avait même pas terminé de remettre en ordre sa propre vie.

"Dites voir tous les deux, demanda-t-il aux garçons, hormis l'ansaileir, à qui pourrait-on demander des indications sur la région, ses histoires, ou autre ? On a vu ce château dès qu'on a quitté la forêt, et on aimerait en apprendre un peu plus à son sujet. Vous sauriez qui peut nous renseigner ? Et peut-être qu'Oanell voudra bien pousser la chansonnette pour vous," ajouta-t-il avec un sourire mutin en direction de la jolie barde.

[Iris]

Les enfants blêmirent à la mention du château : "Il est maudit. Y'a un monstre dedans qui dévore les gens !"

Voyant une aînée arriver, ils s'égayèrent, avant de trouver un poste d'observation plus loin, suivant toujours du regard les nouveaux venus.

Leur grand-mère sortit en serrant contre elle son châle. Apprenant qu'ils venaient de Terfynisel, elle manifesta une certaine perplexité : "Qu'est-ce que vous v'nez faire ici ?" Avant de confirmer ce que les enfants avaient dit : la maison de l'ansailéir (ou sa grange) accueillait les rares étrangers de passage. Quant à connaître les légendes du coin ou les nouvelles... A priori si le trio logeait chez l'ansailéir et qu'Oanell animait la soirée de récits et musique, tout le hameau se presserait et très vite, les investigateurs auraient sous la main quantité de gens -- potentiellement un peu alcoolisés.

L'ansailéir était un jeune garçon, tout juste sorti de l'adolescence et succédant à son père. Apparemment personne n'avait été volontaire pour lui prendre la place. Aîné de sa fratrie Lidare s'occupait de sa mère, veuve, et de ses cadets. Il officiait avec sérieux, empreint de l'importance de sa charge. Il expliqua aux voyageurs qu'ils pouvaient loger dans la grange -- ce dont ils commençaient à se douter -- et qu'ils pouvaient être nourris s'ils avaient de quoi payer ou troquer. En cette saison, il n'y avait plus guère de grands travaux, aussi ne proposait-on pas un séjour payé à la force de ses bras, même si couper du bois ou se proposer ici et là pour réparer des objets -- à supposer d'être bon artisan -- était possible et pouvait réduire les coûts.

Le soir tombait vite, le jour gris cédant la place à une soirée anthracite puis noire d'encre. La maison de l'ansailéir était éclairée en clair-obscur par les flammes de la cheminée et beaucoup se pressaient pour écouter. Les voyageurs étaient appelés à raconter ce qu'ils avaient vus, les nouvelles et événements extraordinaires dont ils avaient entendu parler. On buvait un alcool léger, à base de levure fermentée parfumée avec de la jusquiame noire et de la belladone -- deux plantes toxiques mais augmentant l'ivresse.

[NailsEater]

La mise ne route du groupe avait été somme toute efficace. Oanell était finalement assez excité par ce voyage, même si sa fierté l'empêchait de le crier sur tous les toits. Elle pensa à mener sa lyre avec elle, tant pour occuper ses compagnons que pour se sentir plus sereine.

Ils évitèrent soigneusement de traverser les marais et finir par arriver dans un petit village aussi accueillant que Swelbecky. Au loin, ils pouvaient apercevoir la silhouette du château qu’ils venaient “visiter”. Oanell commençait déjà à réfléchir à un moyen de conter leur histoire. Elle avait par ailleurs commencé à relater dans un journal les différentes histoires qu’il lui arrivait depuis qu’elle était revenu.

A l’approche du hameau, ils furent accueillis par des enfants, visiblement peu habitués à voir des voyageurs qui les accompagnèrent, tout en leur listant les endroits où ils pourraient dormir.
Une des aînées les rejoignit et se montra perplexe quant à leur présence. Elle essaya de la rassurer, indiquant qu’elle cherchait juste de nouvelles histoires à conter et que ses amis lui servaient à la fois de guide et de garde du corps.

Après s’être installé dans la grange, et avoir remercié les habitants pour leur hospitalité, la barde se joignit aux autres pour jouer son rôle de porteuse de nouvelles. Elle évita soigneusement de boire, ayant gardé de mauvais souvenirs de l’effet de l’alcool sur son mentor. Elle aimait bien cette ambiance de fête et adorait voir le visage des enfants s’illuminer quand elle commençait à jouer de son instrument.

Elle raconta des histoires qu’elle aimait bien, mais pris aussi le temps de donner des nouvelles des villes qu’elle avait traversé. Ainsi, Terfynisel avait une nouvelle dirigeante qui semblait beaucoup se soucier du sort de la ville. Cherchant coûte que coûte à améliorer la vie de ses habitants. Elle vanta les quelques améliorations en cours et raconta comment Dame Blodwen avait sauvé Swelbecky de la maladie. Elle tut les histoires paranormales du moins pour l’instant, ne sachant pas s’il était de bon ton de colporter des histoires passées si proche de leur ville. Quand elle eut l'occasion, elle glissa quelques compliments sur ses coéquipier, encensant leur bravoure et leur témérité. Elle pouffa en voyant son amoureux rougir quand tous les regards se tournèrent vers lui et lui lança un clin d’œil accompagné d'un regard attendrit, avant de reprendre ses moqueries subtiles. Racontant l'histoire d'un noble chasseur combattant un nénuphar à mains nues !

[Casaïr]

Aeldred écoutait tranquillement Oanell raconter ses histoires et les nouvelles attendues par la communauté tout en buvant un verre de l'alcool local qui, sans être pourtant très fort, lui tourna pourtant rapidement la tête. Se disant qu'il était plus traître qu'il n'y paraissait, il décida de le siroter tout doucement, cherchant ainsi à éviter de finir fin saoul devant sa compagne qui... qui qu... ?

Mais ? Il se passe quoi là ?

Les gens le dévisageaient. Bon Pwyll aussi, mais pourquoi le... ? Réalisant qu'Oanell parlait de lui -et de Pwyll- en termes plus qu'élogieux, le jeune homme se sentit rougir comme une pivoine avant de rire un peu bêtement, incapable de réagir devant une attaque aussi sournoise de la barde. Se disant qu'elle ne perdait rien pour attendre tout en reprenant une gorgée d'alcool, il avala clairement de travers quand elle narra son "combat" contre un nénuphar ! Terriblement gêné et par l'histoire (purement inventée qui plus est !) et par sa propre réaction, il lui fallut une bonne minute pour retrouver ses esprits ainsi qu'un peu de dignité, épreuve difficile quand on était si rouge qu'on aurait pu être confondu avec une écrevisse.

"A... Arrête de dire des bêtises", fit-il, à la fois embarrassé et un peu en colère de s'être fait mettre en boite de cette façon. Désireux de changer de sujet, il demanda aux personnes présentes : "en parlant d'histoire, on nous a dit en arrivant que le château était maudit, pouvez-vous nous raconter ce qu'il s'y est passé ?

[Iris]

L'histoire du château ne réjouissait guère l'assemblée mais l'ivresse, la bonne humeur de Pwyll et le talent d'Oanell permirent d'en savoir un peu plus.

Tout était comme dans le récit qu'ils connaissaient : les Mac Bretor avaient disparu. On disait que la folie coulait dans leur sang depuis plusieurs générations, se manifestant ponctuellement par un seigneur excentrique ou vraiment inquiétant, mais la dernière génération avait été la pire et avait poussé la lignée à sa perte. Aujourd'hui les parents de l'épouse du dernier seigneur réclamaient ces terres, mais le seigneur à Louarn estimait qu'elles lui revenaient. Dans tous les cas, il s'agissait plus de questions de principe. Les gens ici ne se souciaient pas outre mesure de ces disputes qui n'emportaient guère d'enjeu apparemment.

Non, il y avait eu plus sérieux : un jeune homme allé dans les ruines y était devenu fou.

Comment ?

Il avait enlevé une jeune fille -- qui n'avait jamais manifesté d'intérêt pour lui -- et ils avaient disparu. Etant donné que la dernière disparition était celle d'un varigal, les gens du hameau étaient tout disposés à craindre et éviter le château.

[Pwyll]

Jusque là, Pwyll passait un très agréable moment. Le voyage l'avait comme extirpé d'une chape d'angoisse que la perspective d'une vie de fermier solitaire faisait sournoisement peser sur ses épaules.

D'ailleurs, le garçon avait semblé encore plus ouvert et jovial que d'accoutumée sur le chemin les menant tous trois à l'aventure.

Même s'il n'avait pas beaucoup parlé, il affichait une mine rayonnante et un sourire communicatif. Il se tenait plus droit que dans les parages de sa maisonnette et n'en paraissait que plus grand, faisant une tête de plus qu'Aeldred et au moins deux de plus qu'Oanell.

C'est sans doute l'ivresse de l'altitude qui lui faisait parfois dire n'importe quoi...

Que ce soient les enfants, la vieille dame ou les sympathiques tentatives d'Oanell pour mettre Aeldred mal à l'aise, tout ça lui paraissait aussi plaisant que palpitant.

Lorsque les explications sur la malédiction commencèrent, il laissait une jeune femme tâter son biceps gauche alors qu'il maintenait du bras droit deux jeunes enfants qui riaient aux éclats à se faire ainsi balancer dans les airs. Il avait bu au moins trois bons godets de l'alcool local, mais, à la mention de l'enlèvement d'une jeune fille, il fut brutalement dégrisé et pris soudainement la parole :

"Mais... qui est cette jeune femme ? Depuis combien de temps a-t-elle disparu ? Elle a de la famille ici, vous l'avez cherchée ???"

Pwyll se rendit compte qu'il avait posé la dernière question avec sans doute un peu trop de force et de début de colère et tenta de faire reprendre à ses traits une expression plus aimable, tout en déposant doucement les enfants qui s'agrippaient tantôt à son bras tendu et le regardaient maintenant avec des yeux ronds.

[NailsEater]

Oanell reprit son sérieux quand les langues commencèrent à se délier au sujet du château. Elle ne s'était cependant pas attendu à de telles révélations. Voyant Pwyll réagir avec force, elle lui lança un regard en biais, espérant l'inciter à garder son calme. Prenant un air de conspiratrice, commère de village, elle commenta :

- Han ! Vous pensez qu'il l'a enlevé ? Le jeune homme était du village ? Voilà qui ferait une histoire à raconter. Il avait donc perdu la raison ... Vous pensez que le château porte malheur ?

un air grave sur le visage, elle essayait d'observer les réactions des habitants, notant ceux qui semblait ravit d'apporter leur pierre au qu'en dira-t-on, mais aussi, ceux qui ne voyait pas les médisances d'un très bon œil.

[Iris]

Ah mais ce n'était pas tout !

Les villageois avaient effectivement cherché le jeune homme et la jeune fille... et même, ils avaient payé des aventuriers pour ça. Un trio, avec armure et épée. Les gars avaient retrouvé leur piste et avait capturé l'homme. A leur grande surprise ils avaient été attaqués en traître par la fille. Au final, ils avaient pris cher et avaient lâché l'affaire.

Le garçon et la fille avaient fui.

Puis il y avait genre, trois mois, on avait entendu parler d'un couple leur ressemblant. Ils avaient logé dans une ferme, plus au nord. Jusque là, ça allait. Mais on n'avait plus jamais entendu parler des habitants ensuite !

Le garçon s'appelait Bronn et la fille Préïvia. Ici, on espérait ne jamais les revoir.

[Casaïr]

Wowowowowow, un château maudit, un couple bizarre, et quoi après ? Des attaques d'animaux mutants ?

Aeldred se sentait un peu perdu en écoutant tout ça et commençait sérieusement à se demander dans quel guêpier il s'était encore fourré. J'aurai dû le savoir qu'avec Pwyll rien ne restait jamais simple ! Toutefois, il y avait toujours un point commun : que ce soit l'ancienne famille régente, ou les gens de passage osant s'aventurer entre les murs noircis du château, tous semblaient y avoir perdu la raison, et rien que cela parlait au jeune homme nouvellement féru de ce genre d'histoire. D'ailleurs, il était tellement intéressé par tout ceci qu'il n'avait même pas pris la peine de rattraper le comportement quelque peu désobligeant de son rustaud d'ami. Il vit toutefois le regard plus qu'éloquent que venait de lui jeter Oanell, et il préféra soudainement se trouver à sa place qu'à celle du grand gaillard.

Laissant échapper un soupir un peu désabusé, il jeta un regard à ses compagnons avant de s'adresser à leurs hôtes.

"Nous vous remercions pour toutes ces nouvelles, je pense qu'elles méritent d'être connues du plus grand nombre. Je suis navré mais le voyage fut long et je dois admettre que la fatigue de la marché additionnée à votre... remède local m'invitent à aller me reposer. Vous pouvez rester si vous voulez, ajouta-t-il à l'adresse de sa compagne et de Pwyll, profitez donc un peu."

Il se leva en titubant légèrement, embrassa rapidement Oanell sans vraiment y penser avant de sortir prendre l'air, en direction de la grange et d'une bonne meule de foin dans laquelle s'écrouler.

[Pwyll]

"Ahh... euuh, bien d'accord. Sinon, une certaine Steren Slaine ça vous dit quelque chose, une femme qui serait peut-être passée par ici et aurait posé des questions ?"

Pwyll se trouvait un peu penaud de s'être emballé aussi vite alors qu'il s'agissait d'une histoire qui datait un peu, d'autant plus que les braves villageois avaient apparemment tenté de retrouver la trace de cette Préïvia en payant sans doute à grand peine un trio de ces personnes peu recommandables qui traînent sur les chemins en quête d'on ne sait quelle mésaventure...

mais au fait... un trio en goguette... Bon, finalement, il ne fallait pas juger trop vite ces trois personnes qui pensaient sans doute faire au mieux.

Avec ou sans réponse sur Steren Slaine et sans oublier le regard en coin qu'Oanell lui avait lancé pour l'appeler au calme, Pwyll avait l'intention de tenter de faire oublier son éclat en se faisant le plus naturellement aimable et serviable possible avant de s’éclipser à son tour pour décider quoi faire avec ses deux camarades puis de sombrer dans le sommeil.