[OdE Chap. 7-4] La reconnaissance du père I (Madenig)

[Casaïr]

Si Madenig n'était pas la seule à courir, elle était indubitablement la première. Elle arriva bien vite devant la maison de la famille de Bryn. Il y régnait un silence assourdissant, effrayant.Elle entra prudemment et entendit enfin quelque chose, le souffle de quelqu'un qui respirait bruyamment. Une odeur forte, ferreuse lui emplit les narines. Son regard se perdit vers le sol et elle vit le sang, trop de sang. En suivant la rivière pourpre, elle vit un corps allongé, celui d'Hector. Ou ce qu'il en restait. Le sang s'écoulait d'une plaie béante au flanc et la tête de l'homme était écrasée d'avoir prit trop de coups. Un œil avait même jailli de son orbite sous les chocs répétés. Bryn se tenait debout au dessus du cadavre, respirant comme une forge, un tisonnier en main dégouttant de sang. Quand il entendit Madenig approcher, il se tourna vers elle, désespéré.

"C'était... Il m'a poussé à bout, j'ai pas eu le choix..."

Il lâcha son arme alors que Bremalen entrait à son tour et constatait le carnage.

"Bon sang, Bryn, qu'as-tu fait ?..."

[Madennig]

Madenig n'hésita pas une seconde, malgré l'horreur de la scène. Elle se plaça devant Bryn comme pour le protéger de tout ce qui pourrait arriver maintenant, les bras tendus sur les cotés.

"Il n'a pas eu le choix. Ne lui fais pas de mal..." dit-elle à Bremalen. "Tu sais bien que c'est notre faute à tous si cela est arrivé ! Bryn n'a fait que se défendre..."

Et elle respira enfin, soulagée que le sang versé ne soit pas celui de Bryn. Elle le serrerait plus tard dans ses bras, car pour l'instant, il valait mieux négocier.

[Casaïr]

Une partie du village arrivait sur leurs talons, si bien que le demorthèn n'eut pas le temps de répondre à la jeune femme. Ganan et Redrik entrèrent. Les deux hommes faisaient partie de la milice du village, celui-ci étant trop petit pour avoir une vraie garde et, devant le carnage, n'hésitèrent pas une seconde.

"Bryn, on t'arrête pour le meurtre de ton père. Tu connais la peine pour ça, j'imagine."

Tout le village le savait : si les crimes étaient rares à Salaïs, ils n'en étaient pas moins sévèrement punis, et la peine pour le meurtre était la pendaison.

"Attendez ! dit Bremalen en se retournant vers les deux miliciens. Laissez-moi deux jours avant d'exécuter la sentence."

Les deux hommes se regardèrent, intrigués mais acceptèrent. Bremalen écarta Madenig tandis que Bryn, effacé, se laissait emmené.

"Je vais m'assurer qu'il vive mais tu dois comprendre que ce qu'il a fait est très grave. Je vais demander à Breorn de confirmer ce que je viens de demander et ensuite je vais chercher quelqu'un pour nous aider, à Llewellen. Rentre chez toi, il n'y a rien que tu puisses faire."

[Madennig]

Madenig suppliait Bremalen du regard. Il semblait vouloir faire le meilleur pour eux, mais ce meilleur là n'était pas du tout celui dont le jeune couple avait besoin. Si elle avait eu une quelconque connaissance en matière de justice, elle aurait opposé la légitime défense. Mais elle ne savait rien de ce monde-là et elle se sentait si faible d'un coup, tout ce qu'elle avait prouvé dans ce tournoi ne servait à rien, cette fois, pour sauver celui qu'elle aimait... Bryn s'éloignait, contraint par la garde, attirant ses larmes au bas de ses joues. Et elle resta là, sans voix, sans mouvement, au milieu de la scène du crime, les bottes collées de sang. Elle attendit encore, espérant qu'on lui annonça que ce n'était qu'un mauvais tour. Pendant de longue minutes. Mais rien. Ou presque.

Des sanglots la tirèrent de son choc, et elle chercha leur origine. Ils venaient de la mère de Bryn, ce qui fit monter toute sa colère enfin. Elle s'approcha d'elle, et au lieu de la consoler...

"C'est de votre faute ! A vous aussi ! ..." ragea-t-elle, avant de sortir, toute haine dehors, bousculant tout ce qui se mettait en travers de son chemin.

Elle se posta devant la prison de Bryn, et frappa à la porte, à plusieurs reprises.

"Je veux le voir ! Laissez-moi voir Bryn !"

[Casaïr]

Salaïs n'avait pour toute prison qu'une maison de pierre à l'aspect sinistre, utilisée dans les rares cas où la sentence devait attendre plus d'une journée. Elle ne disposait que d'étroites fenêtres placées bien trop haut pour pouvoir les atteindre, et une porte de bois aussi dure que ses murs empêchait tout intrus d'entrer ou de sortir. Une trappe s'ouvrit dans la dite porte et le regard sévère de Ganan croisa celui de la jeune fille.

"Ton p'tit copain est un tueur, il n'a pas droit aux visites conjugales. Rentre chez toi."

Et ce fut tout. La trappe se referma d'un coup sec tandis que Madenig s'appuyait contre la porte, pleurant et hurlant contre ceux qui voulaient lui prendre la seule personne à l'avoir jamais aimé et qu'elle aimerait jamais.

***

Deux jours passèrent. En milieu d'après-midi on avait installé la corde et une petite estrade sur laquelle se trouvait déjà Bryn. Breorn était dans son fauteuil alors que la foule se massait autour de la scène. Madenig aurait voulu s'élancer pour libérer son amour mais les deux miliciens veillaient, armés de bâton.

"C'est avec une grande tristesse que nous sommes réunis aujourd'hui. Bryn a commis un acte terrible en ôtant la vie de quelqu'un, son propre père. Je n'ignore pas qui était Hector mais il y avait sûrement de meilleures solutions que celle de commettre un parricide. C'est pour cela que, malgré toute l'affection que je peux avoir pour ce jeune homme, je prononce la sentence : la mort par pendaison. Que les C'maogh aient pitié de son âme..."
"ATTENDEZ !"

Cette voix était celle de Bremalen, essoufflé mais il n'était pas seul : à ses côtés se tenait un homme, visiblement un soldat. En l'observant attentivement, Madenig reconnut l'emblème sur son bouclier : c'était un chevalier-ronce.

[Madennig]

Madenig avait cessé de manger depuis que Bryn avait été enfermé. C'était à peine si Clervie arrivait à la convaincre d'aller dormir chez elle à la nuit tombée. Épuisée, elle avait déjà trop pleuré et hurlé devant la porte résolument fermée. Elle ne pouvait plus qu'attendre le retour de Bremalen et espérer qu'il sauve Bryn, d'une manière ou d'une autre.

Quand la corde fut hissée en haut de la potence, et que Bryn fut amené sur la place, Madenig eut le réflexe de vouloir le serrer dans ses bras, mais on lui refusa tout contact avec le condamné à mort. Elle se mit à pleurer à nouveau, à genoux, face aux gardes, les suppliant encore. Mais ils ne se laissèrent pas attendrir, et le discours commença, avec en fond, les protestations de la jeune fille.
Enfin Bremalen arriva, avec un chevalier-ronce... Madenig se tut, le coeur vibrant d'un espoir nouveau.

[Casaïr]

Les villageois s'étaient retournés et voyaient tous venir vers eux Bremalen accompagné d'un inconnu. Des chuchotements se répandaient mais personne n'osa interpeller le demorthèn sur son passage. Il s'arrêta devant Madenig et lui tendit une main pour se relever. Quand elle vit son visage elle fut surprise de le voir aussi épuisé. Il n'avait du prendre que très peu de repos.

"Je remercie les C'maogh de m'avoir permis d'arriver à temps, dit-il alors qu'il reprenait son souffle. Je venais offrir une alternative à la condamnation de Bryn."

Il tendit une main alors que certains s'apprêtaient à lui répondre. Il continua ainsi après avoir museler ceux qui souhaitaient parler.

"Si cela avait un meurtre gratuit, je ne me serais pas opposé à cette sentence, croyez-m'en, cependant Bryn est tout autant une victime. Aucun de nous n'ignorait ce qu'il se passait sous le toit d'Hector mais nous avons choisi de l'ignorer parce que c'était plus simple. Moi-même je n'ai pas su faire mieux, je lui ai parlé plusieurs fois, ait tenté de le ramener à la raison, mais en mon for intérieur, je savais qu'avec son caractère cela aurait fini par arriver. Et Madalen était totalement incapable de fuir, terrorisée qu'elle était par son mari."

"En réalité, Bryn a eu de la chance car c'est lui qu'on aurait pu retrouver mort, et Hector sur le point d'être pendu mais alors, je vous le demande, combien d'entre vous aurait été soulagé que ce soit le cas ? Laissez-moi vous répondre : tout le monde, moi compris. Nous avons laissé faire, nous avons laisse cette horreur se produire. C'est pourquoi je propose cette alternative : Permettre à Bryn de s'engager chez les Ronces. Ainsi son "crime" sera absout et il pourra quitter le village en vie."

Les villageois regardaient leurs pieds tandis que Bremalen leur exposait la vérité en face. Et si elle comprenait la chance qui était offerte à son petit ami, Madenig savait également ce que signifiait s'engager chez les Ronces : il ne se marierait jamais, n'aurait jamais d'enfant, ne reviendrait probablement jamais au village. Elle vit son amour la regarder, désemparé, incapable sur le moment de prendre une telle décision.

[Madennig]

Madenig, comme souvent, oublia d'hésiter. Mais oui ! Les Ronces ! Son visage s'illumina légèrement, en regardant un Bremalen épuisé, puis enfin Bryn. Elle était toujours triste, mais ce n'était plus la même peine à présent. Il pouvait être sauvé. L'idée de le voir partir était bien plus supportable que de le voir pendu.
Malgré tout, elle lui laissa prendre sa décision, maintenant qu'il pouvait deviner sur son visage ce qu'elle ressentait.

Elle le regarda accepter son nouveau sort, mais lorsqu'il s'approcha du chevalier, elle courut pour se placer juste devant Bryn et le serrer dans ses bras.

"Je ne t'oublierai jamais..." lui murmura-t-elle. "Je ne serai pas là pour prendre soin de toi, mais ce n'est pas si grave, du moment que tu es heureux loin de ce village qui voulait ta mort. Fais bien attention à toi, Bryn."

Mais maintenant qu'elle était là, tout contre lui, il semblait impossible de le relâcher.

[Casaïr]

Bryn s'agrippa de toutes ses forces à Madenig, il lui chuchotait :

"Je ne veux pas te perdre..."

Il l'embrassa une dernière fois tandis que Bremalen s'approchait pour les séparer en douceur. Il sembla un instant que le demorthèn aussi pleurait mais ce n'était sans doute qu'un effet de lumière. Bryn rejoignit le chevalier-ronce et , après un dernier regard vers sa bien-aimée, il partit.

"Je suis tellement, tellement désolé, souffla Bremalen. Je ne voulais pas de cette fin pour vous deux mais c'était la seule possibilité que j'avais de le garder en vie. Avec de la chance, vous vous retrouverez peut-être dans le futur, quand tu seras devenue hilderine. C'est bien le moins que je puisse te souhaiter."

Une partie de Madenig s'en était allée aujourd'hui, accompagnant le garçon qu'elle aimait le plus en ce bas monde, le seul qui lui ait témoigné de l'intérêt, le seul à avoir vu au delà de ce que la jeune femme voulait bien montrer, le seul qui ait pu lui montrer qu'il restait de belles choses en ce monde.

Bryn partit, Madenig ne supporta bientôt plus la façon dont les gens la regardaient. Bremalen avait raison, ils étaient responsables de son sort et ils ne méritaient pas qu'elle reste. Cependant, Bremalen avait su la convaincre de laisser une autre chance aux habitants de Salaïs te de revenir lorsqu'elle serait suffisamment expérimentée pour enseigner à la nouvelle génération ce qu'elle aura apprise. Narquoise, elle avait affirmée qu'elle ne reviendrait pas avant une bonne vingtaine d'années, ce à quoi le demorthèn n'avait rien dit.

Une semaine après le départ de son tendre amoureux, elle s'en alla à son tour, direction Louarn, pour son service d'Ost.

Mais cela est une autre histoire.

--Fin de l'arc--