[OdE 7.7] Une matinée à Louarn

[Casaïr]

La nuit s'était passée sans encombre, Pwyll et Madenig y avaient veillé, même un rat n'aurait su passer sans être repéré à proximité de la chambre de la seigneuresse Blodwen Mac Terfynisel ! S'il y avait eu des rats, bien entendu. Le bouillon de Madenig ne lui avait que passablement calé l'estomac et c'est avec l'estomac dans les talons qu'elle s'était levée ce matin, avant de rejoindre tout le monde dans la grande salle comme la veille. Le petit déjeuner était moins formel que le dîner de la veille et plus vite expédié également.

Aeldred avait décidé de passé un peu temps dehors, profitant ainsi des agréables températures de la saison. Lorsque Madenig voulut en faire autant, elle percuta un homme qui venait d'un autre couloir. La jeune femme tomba sur les fesses en se frottant le nez, tandis que des excuses lui venait de plus haut.

"Je suis désolée, je ne vous ai pas fait ma... M... Mad', c'est toi ?"

Le timbre était familier, et le surnom utilisé par une seule personne à sa connaissance. Surprise elle releva la tête et le vit alors. Il avait prit quelques centimètres, comme si cela était vraiment nécessaire, était plus musclé également. L'uniforme des ronces lui allait plutôt bien et en d'autres circonstances elle ne l'aurait probablement pas reconnu mais cette tignasse brun-roux, ce regard rieur et le sourire narquois qui l'accompagnait n'appartenait qu'à une seule personne.

"Tu comptes rester assise par terre ? Je sais que c'est agréable par ce temps mais je ne suis pas certain que ce soit bien vu. On est pas à Salaïs."

Bryn lui souriait franchement et lui tendait une main pour l'aider à se relever.

[Madennig]

Etait-il aussi choqué que Madenig ?

Le séant déjà au sol, elle ne pouvait tomber plus bas. Son cœur se bloqua sur une pulsation, frémissant à cette voix, si familière et pourtant plus entendue depuis des années. Il se pencha pour lui offrir son aide, mais ce fut bien inutile. Elle le regarda d'abord, des pieds à la tête, puis inversement, il n'était plus le Bryn de ses souvenirs, ses traits avaient durci; son corps s'était renforcé. Mais cela ne gâchait rien. Malgré son sommeil haché par les tours de garde, elle trouva la force de lui bondir dans les bras, sans plus attendre. C'était bien stupide de perdre plus de temps en vérifications, c'était bien lui, Bryn de Salaïs ! Et chaque seconde devint précieuse à compter de cet instant.

Elle le serra tout contre elle, de ses bras. Elle était toujours aussi petite à coté de lui, elle n'atteignait pas vraiment ses épaules avec le dessus de sa tête. Elle décida de se hisser sur les demi-pointes pour mieux apprécier ces retrouvailles.

"Je suis si contente de voir que tu es en vie... Merci merci merci..." murmura-t-elle, submergée par des émotions à l'état brut.

Mais comme au moment de son départ pour les Ronces, elle ne le relâchait pas.

[Casaïr]

Bryn la serra dans ses bras avec douceur avant de desserrer leur étreinte.

"Doucement, tu vas m'étouffer, riait-il. Je ne m'attendais pas à te voir ici. À vrai dire, je n'aurais pas imaginer que nos chemins se recroiseraient au bout de quatre ans. Que deviens-tu, dis-moi ?"

Tout en parlant il entraîna la jeune femme à l'extérieur afin qu'ils puissent profiter de la fraîcheur matinale.

[Madennig]

Elle accepta sans mal le fait qu'il troqua l'étreinte contre une petite discussion à l'extérieur. Elle avait gagné en docilité en 4 ans. Grâce aux Hilderins peut être, ou à cause d'autres événements. La petite Madenig rebelle avait pris du plomb dans l'aile, certainement, et Bryn pouvait facilement s'en apercevoir. Un autre détail notable, Madenig portait, en plus de ses armes et ses morceaux d'armures de cuir renforcé, une béquille accrochée dans le dos.

"Et bien... Je n'ai fait que vivre au rythme de l'ordre des Hilderins depuis que tu es parti... Je ne sais pas trop quoi te raconter, à part les ordres, les entraînements, les gardes, les missions... Pour l'instant, ça se passe bien pour moi. L'Osfer Jazkez m'a nommée Osfei il y a peu, je suis contente et il n'est pas mauvais avec moi, il a la patience de m'apprendre le métier. C'est une étape de plus qui m'éloigne de ce qu'aurait pu être ma vie à Salaïs."

Tout en marchant, elle le regarda un instant en silence sans qu'un gramme de son sourire ne se perde, avant de reprendre :

"Quand j'ai des doutes, ce qui arrive assez rarement, il suffit de repenser à ce qui s'est passé là-bas pour que de nouveau j'ai la hargne de m'en sortir. Tout ne peut pas être complètement négatif quand on respire encore !"

"Et toi, Bryn."

Le ton n'indiquait pas une question, mais certainement plus une prière. Au fond, elle mourrait d'envie de savoir ce qu'il était devenu depuis que la corde avait été nouée pour lui.

[Casaïr]

"Moi ?"

Bryn prit le temps de réfléchir tandis qu'ils marchaient. Tant de temps à résumer...

"Après mon départ du village je suis allé à Llewellen pour m'engager pour de bon. Enfin, j'ai signé d'une croix à vrai dire, dit-il un peu embarrassé, mais j'ai appris à lire et à écrire depuis. Je ne suis pas encore complètement à l'aise mais je peux lire un texte simple si on m'en laisse le temps."

"Je ne suis pas resté longtemps à Llewellen, deux jours tout au plus, le temps de troquer mes vêtements contre une tunique plus adaptée. Depuis mon départ et jusqu'à ce que mes instructeurs me pensent prêt, je vis à Osta-Baille. Et je n'ai pas une minute à moi, tu peux me croire !"

De là où ils étaient ils voyaient aisément les murs qui ceignaient Louarn, la protégeant des agressions extérieures; quelques champs cultivés çà et là. Bryn conduisit son amie vers l'un de ceux-là près duquel poussait un grand orme assez similaire au chêne qu'affectionnait Madenig à Salaïs.

"Je suis content de savoir que ça se passe bien pour toi avec ton supérieur, reprit-il avant de changer d'attitude, celle qu'il prenait lorsqu'il s'apprêtait à dire une bêtise plus grosse que lui. J'imagine qu'en quatre ans, tu as fini par me remplacer par quelqu'un, hein ? Ton fameux supérieur peut-être ?"

[Madennig]

"Te remplacer...?" répéta-t-elle sans comprendre sur le moment.

Puis elle se mit à rire de sa remarque, elle secoua son visage souriant. Il faut dire qu'elle n'avait jamais vraiment associé Jazkez à ce genre de possibilité.

"Oh... Euh non, je ne crois pas ça possible... Même toi, le Bryn d'aujourd'hui, je ne sais pas si tu pourrais remplacer celui que j'ai pu aimer il y a 4 ans. Je ne serais pas contre que tu me montres ce dont tu es capable de faire pour m’impressionner aujourd'hui, attention ! D'autant que maintenant tu sais mieux lire que moi, et je dois dire que ça ne me laisse pas de marbre !"

Elle rit de nouveau, puis elle finit par redevenir plus nostalgique.

"... Mais non... Je ne sais pas quoi te répondre..."

"Je suis pas certaine de vouloir revivre cette douleur là... Tu sais... Celle qu'on ressent quand on voit partir celui qu'on aime dans la direction opposée à la sienne... Alors si ta question est : as-tu aimé quelqu'un depuis que nous nous sommes quitté ? La réponse est non, je ne suis pas tombée amoureuse depuis."

"Ça m'arrive même de penser à toi... Encore... Si si. Plusieurs fois, j'ai hésité à prendre de tes nouvelles, mais j'avais peur qu'on m'annonce ta mort." dit-elle, avec une certaine tristesse.

"J'ai pensé dernièrement à m'engager aussi chez les Ronces, mais c'est trop tard, un Hilderin ne serait jamais accepté dans vos rangs. "

Pourtant son sourire ne mit pas très longtemps à réapparaître.

"Pas trop déçu ? Et toi, est-ce que tu es heureux maintenant ? Plus heureux que lorsque tu étais à Salaïs...?"

[Casaïr]

"Déçu ? Tu ne peux pas imaginer à quel point !"

Le sourire qu'il affichait empêchait Madenig de savoir où s'arrêtait le mensonge et où commençait la vérité, d'autant qu'il ne lui laissa pas le temps d'y réfléchir.

"Je ne sais pas vraiment si c'est mieux ou moins bien. C'est différent, c'est sûr et j'ai fait plein de rencontres passionnantes -entre deux leçons barbantes. Parfois je repense à Salaïs. Je me demande si le village a changé, comment va maman. Je sais déjà que Bremalen se porte bien, il est passé me voir il y a quelques mois. Il m'a dit que le tournoi était devenu un événement annuel financé grâce aux marchands qui vont vendre leurs produits sur les étals de Llewellen. Il m'a dit que Tudal allait participer cette année mais je n'ai pas eu de nouvelles depuis, je ne sais donc pas s'il a réussi."

Il s'assit au pied de l'arbre, savourant l'instant présent.

"Ça fait longtemps que tu es là ? Moi je suis arrivé hier soir, très tard. Et je devrais m'en retourner tout à l'heure pour la capitale. Drageon est parfois synonyme de larbin chez les Ronces", sourit-il.

[Madennig]

Il partait bientôt.

L'apprendre fut comme si on s'apprêtait à lui arracher une nouvelle fois un bonheur à peine découvert. Alors elle s'assit contre l'arbre à ses cotés, pour regarder dans la même direction que lui, l'espace de quelques minutes.

"Je n'ai pas pris de nouvelle de Salaïs, ni n'en ait donné. Tu n'imagines pas comme je les hais, comme je prends plaisir à oublier ce que j'ai pu vivre là-bas. Bremalen... Clervie... Il n'y a plus qu'eux, et encore ! Comme de toutes façons, je ne leur écris pas... Même mes frères, j'espère qu'ils m'ont oubliée."

"Tu mérites mieux que d'être leur larbin... Tu veux que je leur dise ? Je suis capable, tu sais... J'ai croisé un Ronce pas très commode hier soir au dîner... Grâce à lui, j'ai eu droit à un bouillon..."

Elle se mit à rire encore, en y repensant.

"Nous sommes arrivés hier soir, avec la Dame de Terfynisel, Blodwen, et il me semble que nous ne repartirons que demain. Moi aussi, je rencontre des personnes intéressantes... Au fond, on a de la chance de voir du pays."

Maintenant elle le regardait avec douceur.

"Est-ce que tu as toujours cette peur d'être comme ton père, ou depuis c'est passé ...?"

[Casaïr]

"Non mais j'ai dû travailler sur ma colère les premiers mois. Ça n'a pas été facile, heureusement le sergent instructeur est un type vraiment gentil. Il a connu d'autres gars un peu paumés, comme moi. Il a su m'apaiser, même si ça lui a pris du temps. J'ai hâte de pouvoir quitter Osta-Baille et visiter un peu la péninsule. Il y a plein de choses que j'aimerais voir mais cela dépendra en grande partie de mon affectation future."

Voyant le regard de son amie, il lui décocha une pichenette sur le front, devinant ses pensées.

"Je croyais que tu avais grandis, Mad'. Ne t'en fais pas, maintenant que je sais où tu es, je t'écrirais. Au moins une fois par mois tu recevras de mes nouvelles. Terfynisel, hein ? J'en ai vaguement entendu parler, parait que c'est vraiment un trou paumé. Enfin, plus que chez nous."

"Et évite de parler de moi au commandeur Arthus, s'il te plait, ajouta-t-il en lui tirant la langue, c'est justement lui que j'ai été voir ce matin, je lui amenais un courrier et il m'a donné la réponse que je dois rapporter à mes supérieurs. Tu sais, j'ai l'air de me plaindre mais je me dis finalement que je préfère être chez les Ronces que les Hildeux. Vous êtes tellement coincés quand vous vous y mettez !"

Il éclata de rire instantanément, provoquant l'envol de perdrix dans le champ juste à côté. Ce rire qui avait tant manqué à Madenig pendant toutes ces années.

[Madennig]

Elle rit aussi, à vrai dire, elle partageait son avis : il ne se serait sûrement pas plu chez les Hilderins. Le sort, ou les esprits, avaient bien fait les choses à ce niveau-là. Mais avaient-ils eu raison aussi de séparer les deux amants si tôt et si violemment ?

Elle chuchota ces mots, avec un ton moqueur :

"Je ne suis pas certaine, tu sais, ton commandeur je l'ai vu s'essuyer élégamment le coin de la bouche avec une serviette hier soir. Je crois que dans l'avenir, il n'y a pas que la lecture et l'écriture que tu vas maîtriser, mais aussi les... bonnes... manières..."

"...Je pense même que tu t'es ramolli à force de faire travailler ton cerveau. Et je te le prouverai bien si je n'avais pas peur de te blesser ou de te fatiguer... "

Elle haussa les épaules, avec un sourire malicieux, contente d'avoir rendu la monnaie de sa pièce au Ronce bien présomptueux.

"Alors... Oui tu peux m'écrire... Mais évite les mots trop compliqués, du moins au début, sinon je serais obligée de la faire lire par quelqu'un d'autre... Compte sur moi pour essayer de m'améliorer en lecture, de sorte que si ta petite amie du moment n'est pas à la hauteur de tes besoins d'homme, tu pourras même m'envoyer quelques allusions grivoises dans tes petits mots sans que tout Terfynisel le sache. Aussi petit soit ce village sur la carte."

Elle s'adossa au tronc, et ferma un instant les yeux.

"Raconte-moi, tiens, comment c'est Osta-baille... J'espère un jour pouvoir y aller, mais je crois que j'ai le temps... Et après Osta-baille, où voudrais-tu aller ? ... Tu aimerais que je puisse t'écrire aussi ?..."