[OdE 7.7] Une matinée à Louarn

[Casaïr]

Il éclata d'un rire qui alla se répercuter en échos le long de la falaise.

"Cette nuit ne restera pas dans mes favorites, tu peux me croire ! Je n'avais strictement rien compris à ce qui se passait, je n'ai fait que subir les événements et ça m'a un peu rappelé ma vie. Maintenant, quel moment je préfère... Je dirais bien celui-là : je trouve nos discussions très agréables et on est dans un cadre que j'apprécie, donc je pense que je mettrais celui-là en haut de ma liste. On ne dirait pas mais j'aime bien ma tranquillité aussi !"

Il rit de nouveau avant de chasser un brin d'herbe sur sa veste.

"Tu sais, j'ai pas l'impression d'être devenu plus fort ou quoi que ce soit. Et je ne suis pas parvenu à ce résultat tout seul : Aussi incroyable que cela puisse être, c'est l'Unique qui m'a permis de revenir et surtout qui m'a aidé à surmonter tout le malheur qui obscurcissait mon cœur mais je me connais, j'ai un penchant pour la déprime, je dois donc veiller jour après jour à ne pas sombrer dedans. Certains sont plus faciles que d'autres. Et de la même façon qu'Il m'a aidé, je me dois de porter secours aux habitants de Terfynisel, même s'ils ne m'ont pas toujours montré un visage bienveillant depuis la mort de mes parents."

Voilà quelque chose qui pouvait dérouter Madenig : Elle en était venu à haïr les habitants de Salaïs pour leur hypocrisie alors qu'Aeldred ne semblait pas avoir de ressentiment pour l'adolescence qu'il avait vécu au sein de gens qui ne voulaient qu'une chose, le voir partir.

[Madennig]

Ca, pour être déroutée, elle l'était. Elle resta un instant, la bouche entrouverte, croyant à peine ce qu'elle venait d'entendre. Quand il parlait de nettoyer la forêt, elle n'imaginait pas qu'il s'agissait de la forêt de Terfynisel spécifiquement, ou du moins, pas pour le confort de ses voisins.

"Hm... Tu es bien trop gentil..."

Elle croisa les bras, contrariée.

"Si tu penses qu'ils te remercieront comme un héro... Ça ne durera qu'un jour, et dès le lendemain, ils ne verront plus que ton passé si tu les déçois, même un tout petit peu. Une vie où on a jamais le droit à l'erreur n'est pas une belle vie... "

Elle balaya de ses doigts le sable du chemin. Songeuse.

"Qu'est-ce qui te fait dire que c'est l'Unique qui t'a permis de survivre ?"

"Tu as donné ton avis, et je vais te dire le mien, au sujet de ce qui m'a rendu plus forte. Il me semble évident que chaque combat, qu'il soit gagné ou pas, me rend plus forte. Alors qu'une rupture, ce n'est pas un combat, c'est comme... si on arrachait un bout de toi, un bout de ce qui te semble être le meilleur de toi-même... Alors ça t'affaiblit. Je ne rêve pas de mariage, Aeldred, aussi pour ça. Mais de combats toujours plus palpitants... "

Elle lui adressa un sourire fier et combatif. Il put voir qu'une idée venait de traverser les pensées de Madenig, rien qu'à son changement d'expression allant vers plus de douceur.

"Tu pourrais adopter un enfant ?"

[Casaïr]

"Je ne le ferais pas pour une quelconque reconnaissance, juste parce que... C'est difficile à expliquer, aussi vais-je reprendre du début."

Il prit une profonde inspiration puis reprit la parole.

"Quand je suis mort, je me suis retrouvé dans les Limbes, un endroit dépourvu de toute vie, une plaine morte sans fin. J'ai été pris en chasse par des ombres qui cherchaient à dévorer le peu qu'il restait de moi, et j'ai couru, longtemps. Pour finir par tomber sur... un endroit resplendissant qui débordait d'affection, où je sentais que je pourrais trouver ma place si je le voulais. Les ombres n'ont pas pu me suivre, alors je me suis retourné pour les voir fuir, et c'est là que j'ai senti que la forêt toute entière était sous l'emprise de ce fléau. J'ai donc décidé de revenir alors que j'avais l'assurance d'une après-vie sans souffrance."

Il regardait Madenig, cherchant à deviner ses pensées.

"Je ne m'attends pas à ce que tu comprennes, les autres ne l'ont pas plus compris. Pwyll est trop gentil pour dire que ce sont des bêtises, Jazkez est trop lui pour ne pas traiter le sujet avec cynisme et Oanell... Je ne sais pas ce qu'elle en pense à vrai dire. Je ne cherche pas la reconnaissance, et pas à être un héros ; ce que je veux, c'est éviter à d'autres les souffrances que j'ai vécu, ainsi que celles dont j'ai été l'impuissant témoin. C'est aussi pour ça que je veux promouvoir une certaine éducation au village, pour faire reculer la peur et les vieilles superstitions. En tant que clerc je ne pourrais sans doute pas enseigner, mais je pourrais trouver quelqu'un pour le faire à ma place, ce qui me convient aussi à dire vrai. Pendant ce temps je pourrais me consacrer à la recherche de la source du mal qui étreint la forêt."

Il se rendit soudain compte de l'air très sérieux qu'il arborait et rougit instantanément.

"Pardon, c'était peut-être un peu prétentieux de ma part." Il décida de changer de sujet pour répondre à la dernière question de son amie. "Je pense que oui, dit-il après un temps de réflexion, mais ce serait égoïste d'élever un enfant tout seul. Il lui faudrait une mère car les mères sont irremplaçables."

À ces mots il décrocha la fibule d'argent qu'il portait en permanence.

"Ça appartenait à ma mère, je ne sais plus si je te l'avais dit. Grâce à ça, j'ai l'impression qu'elle est toujours là, quelque part, à veiller sur moi. C'est très certainement l'objet auquel je tiens le plus. Il m'a aidé à tenir le coup dans certains des moments les plus difficiles. Tout ça pour dire que je suis tout à fait prêt à être un père, mais que je tiens avant tout à offrir à mon futur enfant le foyer le plus stable possible. J'ai eu une belle enfance, de ça je peux me servir. Le reste... je devrais l'apprendre."

"Désolé, je parle beaucoup, même moi j'ai pas l'habitude de m'entendre autant."

Il se tut l'espace d'un instant, pour savourer un peu le moment et aussi pour reconstituer son stock de salive, avant de prendre un air de chat.

"Tu parles de combat palpitant... tu n'as jamais envisagé que la vie à deux pouvait en être un ? Du genre toujours surprendre l'autre pour maintenir la flamme vivace et autre ? Du coup, le mariage pourrait devenir une sacrée aventure en elle-même -et pas très reposante si on fait comme ça."

Il éclata de nouveau de rire à cette idée un peu folle.

[Madennig]

Elle sourit, mais ne rit pas à sa remarque. Elle toucha du bout de ses doigts abîmés à force de s’entraîner à toutes sortes de combat la fibule d'argent.

"Non" déclara-t-elle simplement. "Je crois que le mariage c'est comme une résignation... Pas un combat. Mais je me trompe peut être ! Et je vais prendre le temps d'y réfléchir..."

"En tous les cas, je comprends mieux ce que tu cherches à faire, et franchement, ça me plait... Me battre contre des hommes et des femmes indisciplinés, c'est bien, mais contre des forces contre-nature, c'est véritablement palpitant ! Tu peux compter sur moi pour compléter ton équipe de tueurs d'engeances des bois. Si en plus ta mère est là, quelque part... Il ne devrait rien nous arriver de trop fâcheux..."

"En attendant, que veux-tu qu'on fasse pour se préparer ?"

[Casaïr]

Voyant que Madenig s'intéressait au rossignol, Aeldred le lui tendit pour qu'elle le prenne en main. Il prit ensuite le temps de réfléchir à sa question.

"C'est compliqué... Il faudrait déjà que je lise plus d'ouvrages sur la région. On ne peut pas se lancer à l'aveuglette dans une aventure pareille. Au début je pensais déjà à nettoyer les environs immédiats de Terfynisel et Swelbevky, et ça va passer par ce foutu Drewfilig qui nous échappe depuis des mois. Une fois cela fait, on pourra voir à une échelle un peu plus grande, d'autant que cela sera bénéfique aux deux villages pour leur développement. Dans l'intervalle j'aimerais aussi... chercher ma sœur. Si elle est toujours vivante."

[Madennig]

Elle le gardait dans sa main, soupesant et observant les détails.

"Oui... Enfin, tu peux compter sur moi pour leur faire face ! Pour te défendre si ça se complique... Pour la phase préliminaire, si déjà j'apprenais à lire plus d'une ligne sans hurler d'ennui, ce serait bien."

Elle lui rendit la fibule, avec un sourire tranquille.

"Quand commencerons-nous d'ailleurs ? A notre retour à Terfynisel ? Tu vas avoir beaucoup à faire pendant ce voyage, tout comme moi. Nous aurons du mal à trouver un moment tranquille comme celui-ci à partir de demain." constata-t-elle, finalement.

"Comment était ta maman ?"

[Casaïr]

Aeldred acquiesça. Ils n'allaient certainement pas chômer à Llewellen. La question de son amie ne le surprit pas tant que ça.

"Elle était à l'image de ce rossignol, toujours enjouée. Et elle chantait tout le temps. Avec le temps j'ai oublié les paroles mais il faut dire qu'elle improvisait souvent. Elle s'y connaissait beaucoup en plantes mais ça je te l'avais déjà dit. Elle dansait aussi, elle arrivait même à faire bouger papa qui pourtant était plutôt... maladroit , c'est rien de le dire. Une fois, il a tellement fait virevolté maman qu'ils ont cassé un vase."

Les souvenirs, soudain vivaces, firent trembler sa voix.

"Elle se serait bien entendue avec Oanell, elle adorait décorer la maison de fleurs des champs, d'ailleurs c'était elle qui s'occupait de notre potager. Je pense que tu l'aurais beaucoup aimé aussi, elle n'était pas du genre à se laisser faire et à prendre les problèmes à bras le corps. Et elle n'avait pas sa langue dans sa poche."

Sa main serra avec force le petit rossignol au points que ses phalanges blanchirent.

"Ça fera bientôt dix ans qu'on me l'a arraché. Si je trouvais demain celui qui a osé fabriquer un objet pareil ou celui qui l'a donné à mon père, je crois que..."

La rage qui s'exprima soudain surprit Aeldred et elle s'évapora rapidement, ne laissant que la tristesse.

"Ils me manquent tous les deux", dit-il en séchant ses larmes naissantes.

[Madennig]

Madenig hésita un instant. Puis voyant la rage suivie de tristesse traverser Aeldred, elle ne put s'empêcher de le prendre dans ses bras. Le sentiment diffus de le comprendre naquit en elle, rendant son étreinte plus ferme. Elle n'avait rien à ajouter, aucune parole ne pouvait soulager le sentiment de vide que laisse la disparition de ceux qu'on avait aimé. Elle n'avait que son affection à lui offrir, son soutien silencieux. Et un baiser dans ses cheveux.

[Casaïr]

La réaction de Madenig prit Aeldred totalement de court mais la tendresse de la jeune femme lui fit du bien, aussi ne chercha-t-il pas à se retirer immédiatement. En fermant les yeux il retrouva une forme de quiétude plaisante qu'il ne voulait pas voir se terminer. Ses bras enserrèrent la taille de l'hilderine en douceur alors qu'il relevait la tête vers elle. Son regard trahissait ce qui se passait dans sa tête à cet instant mais il finit par desserrer son étreinte en souriant, penaud.

"Merci, dit-il timidement. Ça fait du bien."

Ses mains étaient toujours sur les hanches de la jeune femme aussi recula-t-il doucement.

"Je te dois un câlin maintenant. Enfin, pas un câlin, mais.... tu vois ce que je veux dire, non ?"

[Madennig]

"Non." dit-elle soudain, ravie de son effet. "Mais tu ne me dois rien. Je me suis servie au passage, t'inquiète pas."

Son air mystérieux perdurait, alors qu'elle rajouta :

"C'était pas un câlin... C'était au delà... Parfois, les mots ne peuvent pas tout soulager. Ni les livres. Ni les combats. Ni les enfants, ni les mariages. Il faut dans ce cas utiliser les remèdes les plus simples... "

Et elle se mit à bailler derrière sa main.

"La nuit fut trop courte... Je pensais faire une sieste cet après-midi. Et toi ?"