[OdE - Chap.7-12] La reconnaissance du père II (Madenig)

[Casaïr]

De l'avis général, le duo Aeldred-Madenig était des plus singuliers : ni l'un ni l'autre ne se parlait jamais vraiment, même pendant les entrainements. Cependant ils échangeaient des signes et semblaient se comprendre de cette façon. Comme c'était leur première patrouille ensemble, et la première pour Madenig, il rompit la règle.

"C'est pas très compliqué mais un peu long : on va faire le tour de la ville puis aller jusqu'aux maisons les plus isolées. Il y en a deux ou trois d'abandonnées et qui peuvent toujours servir de repère ou d'abri. Sauf incident, le tour devrait nous prendre un peu plus d'une heure. Maintenant, Louarn est calme depuis quelques semaines mais on est pas à l'abri pour autant. Les Ronces sont pas là depuis très longtemps et ils ont beaucoup à faire, il y a donc des possibilités de tomber sur des types louches."

Ils sortirent de la petite garnison mais ne firent pas trois pas qu'ils virent de l'agitation : l'on chargeait plusieurs chariots de sacs sous le regard du demorthèn Galenor qui vit arriver les deux ostiens.

"Ha, vous tombez bien, vous deux. Emmenez-voir Kennegan s'il vous plait, j'ai à lui parler."

[Madennig]

La jeune femme écouta sans broncher le menu de la ballade. Elle espérait bien trouver quelque chose de fabuleux à faire, et elle le savait, l'inspiration lui viendrait bientôt. Il suffirait encore de quelques pas suppl... Puis le chargement des sacs l'interrompit dans ses spéculations.

Madenig fronça les sourcils alors que le demorthèn leur donna l'ordre de chercher le sergent instructeur et regarda en coin Aeldred. C'est qu'elle avait gardé ce réflexe un peu frondeur quand il s'agissait des demorthèns...

"J'y vais si tu veux. Reste-là en attendant."

Ce qu'elle fit dès qu'elle le vit acquiescer d'un signe de tête.

Il ne lui fallut pas plus de 5 minutes pour revenir avec le sergent, suivant son pas de près.

[Casaïr]

Madenig et Aeldred s'étaient écartés mais n'étaient pas repartis, Kennegan leur ayant demandé d'attendre. La situation fut vite expliquée : Llewellen était en proie à la famine et l'on envoyait de la nourriture de tout le duché pour soutenir la capitale.

"Il faudrait que tes gardes accompagnent le convoi pour le protéger."
"Je ne vois pas d'objection mais ce sont des ostiens, ils n'ont pas vocation à s'éloigner autant d'ici", grinça le sergent.
"J'entends bien mais on n'a pas vraiment le choix : les chevaliers Ronce ne sont pas là pour le moment et il faut bien les escorter sur une partie de la route."

Kennegan se retourna vers les jeunes gens en se grattant le menton, perplexe.

"C'est pas une mission anodine..."
"La situation ne l'est guère plus. Ils n'auront pas à aller jusqu'à la capitale. Ils font la moitié du chemin et après ils reviennent. Après il devrait y avoir assez de trafic pour protéger nos chariots."

Kennegan se laissa finalement convaincre, ordonnant aux deux ostiens de filer préparer de quoi voyager et dormir car ils risquaient de dormir à la belle étoile cette nuit.

"Et ramenez aussi Cerdan et Rihann, ils vous accompagnent."

[Madennig]

Madenig bouillonnait. Elle se rendait compte enfin que c'était là tout ce qu'il lui manquait depuis des semaines : un véritable défi pour maintenir la tête hors de l'eau. Quand elle acquiesça aux ordres de Kennegan, avec son regard dur et déterminé, le sergent comprit peut être qu'il venait de lui offrir un beau cadeau.
Il ne lui fallut pas bien longtemps pour préparer son paquetage, suivant à la lettre les conseils de Aeldred.
Les deux autres garçons furent prêts assez vite aussi, d'autant plus que Madenig donna un coup de main à Cerdan. Fantou devra se passer de lui pendant une nuit, et lui pourra se reposer.

Les quatre ostiens rejoignirent bientôt le convoi sur le départ.

Madenig souriait maintenant.

[Casaïr]

Les ostiens devaient guider trois chariots tirés par des boernacs sur une distance d'environ trente kilomètres, ce qui correspondait à une journée de marche à vitesse de bovin. Ils avaient donc prévu des rations pour deux jours, un peu de change en cas de gros temps et surtout des sacs de couchage. Pour ne pas se fatiguer inutilement et pour rester libres de leurs mouvements en cas de soucis, ils avaient mit leur barda dans le chariot du milieu puis s'étaient répartis : Rigann et Cerdan devant, Aeldred et Madenig à l'arrière. Rigann plaisantait avec la seule autre femme du convoi, Goulven, qui n'était guère plus âgée qu'eux. Aeldred révéla à Madenig qu'elle avait terminé son Ost peu avant qu'elle n'arrive et qu'ils s'étaient entichés l'un de l'autre.

"On aura peut-être même un mariage avant le prochain Earrach Feis, hein Rigann !"
"Arrête d'écouter aux portes, 'Dred !" balança l'intéressé subitement gêné.
"Ça c'était pas possible, rétorqua Aeldred, vous criiez bien trop fort. Marrant que Kennegan s'en soit jamais rendu compte."

Un peu plus joyeux lui aussi qu'au départ, il jeta un regard à Madenig, s'attarda quelques secondes avant de se concentrer de nouveau sur la route.

Cela faisait deux heures qu'ils étaient partis et déjà les premiers soucis s'annoncèrent. Un arbre s'était effondré sur la route et en bloquait l'accès. Rigann prit immédiatement les commandes.

"Cerdan et moi on reste ici pour les aider à dégager la route, vous deux, vérifiez que c'est bien un accident."

[Madennig]

Madenig était complètement concentrée, et même lorsque Aeldred lui expliquait pourquoi Rigann parlait à la jeune femme, elle ne semblait pas réagir vraiment. Lorsqu'il l'interpela, par contre, elle fut surprise, extirpée de ses pensées d'un coup. Très vite, elle se mit à sourire, se réjouissant de cette union, mais ne demanda pas de détail. Peut être qu'ainsi Aeldred pourrait comprendre que ce n'était pas son sujet favori. A croire qu'il n'y avait pas beaucoup de sujet favori chez Madenig. Il n'avait pas beaucoup de chance de l'avoir reçu comme binôme.

Puis le tronc d'arbre coupa la route. Madenig fut aussitôt aux aguets. Si elle avait voulu piller un convoi, elle n'aurait pas fait moins bien. Quand les ordres furent donnés, elle suivit aussitôt Aeldred comme son ombre, prête à se défendre comme à le défendre lui aussi. Il était devenu sa précieuse lumière après tout, il méritait qu'elle prenne soin de lui.

"J'suis là... " murmura-t-elle dans le dos du jeune homme, comme si il était possible d'en douter. "T'inquiète pas."

[Casaïr]

"Je sais", se contenta de répondre l'intéressé.

Il se retourna néanmoins vers Madenig, une lueur étrange dans le regard. Celle-ci disparut aussi subitement qu'elle était apparue et il chercha de nouveau des traces suspectes, une flèche encochée. Ils découvrirent que l'arbre s'était brisé et était tombé tout seul. Des traces de pourriture sur son tronc indiquèrent au jeune homme qu'il devait être malade mais impossible de savoir depuis combien de temps il souffrait. Ils poursuivirent leurs investigations quelques minutes afin de s'assurer que personne ne chercherait à profiter de l'occasion sous les "tchac !" des haches découpant le tronc mort, puis retournèrent voir leurs compagnons.

"Rien du tout, dit Aeldred. L'arbre était rongé par la maladie."
"Ouais, et il tombe forcément sur nous, lâcha Rigann un peu agacé. Ça va nous prendre un peu de temps pour découper ce truc et le déplacer, on va facilement perdre une heure ou deux. Et il se fait pas tôt."

Le soleil entamait effectivement bel et bien sa courbe descendante et, s'il se couchait plus tard en été, le petit convoi ne pourrait pas voyager beaucoup plus longtemps. Aeldred et Madenig mirent la main à la pâte pour dégager plus rapidement la route mais il leur fallut tout de même une bonne heure de travail acharné. Ils se remirent en route aussitôt malgré la fatigue et firent finalement halte deux heures plus tard, complètement vidés. Pendant que les villageois s'occupaient des boernacs, les jeunes ostiens préparèrent le camp , déposèrent leurs affaires, étendirent leur sac de couchage pour la nuit avant de s'effondrer dessus, totalement vidés. Un feu fut allumé et l'odeur de ragoût emplit délicieusement les narines.

[Madennig]

Madenig, déjà à cette époque, ne se montrait pas difficile avec la nourriture. Elle avait appris très vite que chaque repas était un chance et qu'il ne fallait rien gâcher. Sans pour autant manger des tonnes, elle ne se servait uniquement que de ce qu'elle saurait finir. De plus, elle prenait son rôle d'escorte très au sérieux. Si des brigands arrivaient, il ne s'agirait pas de vomir trois litres de ragouts, avant de réussir à prendre son arme.
Mais pour le moment, elle était aussi allongée, tout autant fatiguée que ses compagnons. Elle avait aidé autant qu'elle le pouvait pour dégager la route. Insatisfaite pourtant de sa performance, elle se promit de s'entrainer plus durement afin d'être au point pour la prochaine fois.

Son corps se roula sur le coté, et elle se mit à regarder le feu de camp couronné d'une marmite. Elle commença à découvrir du charme à cette situation, sans pour autant que ce soit le feu d'artifice des sens. Mais être là, en pleine nature, avec d'autres, la rendait plus vivante qu'elle ne l'avait été depuis ces dernières semaines.

Alors, elle sourit plus franchement.

"Comment vous organisez les tours de garde cette nuit ? Je propose qu'on laisse Cerdan dormir, le pauvre ne tiendra pas bien longtemps."

Ce fut certainement la plus longue tirade entendue de la bouche de Madenig par les ostiens présents.

[Casaïr]

Rigann regarda l'intéressé qui rougissait tout en se défendant.

"N-non, je peux le faire !"
"C'est sûr que tu as de l'entrainement", fit son coéquipier avec un grand sourire.
"Méfie-toi, ajouta Aeldred, ça a commencé un peu comme ça pour Rigann avec Goulven."
"Dis donc ! lâcha la jeune fille pas très loin, tu seras bien contente quand tu seras invité au mariage."
"J'attends que ça ! Mais... Hé ! Tu me l'avais pas dit !"

Rigann chassa la nouvelle d'un geste de la main.

"Maintenant tu le sais. Et c'est prévu pour l'Earrach Feis prochain, content ? Maintenant, les tours de garde. Cerdan fera le premier, moi le dernier, Aeldred et Madenig dans cet ordre en deuxième et troisième."

Cerdan approuva d'un geste énergique de la tête et les voyageurs terminèrent leur repas avant d'aller s'allonger. Juste avant de se coucher, Madenig entendit Rigann.

"Si tu sens le sommeil venir, tu te lèves et tu marches. C'est pas le meilleur remède mais ça retarde toujours un peu. Et si vraiment tu ne tiens plus, tu réveilles 'Dred, d'accord ?" Quand Cerdan acquiesçât, il se coucha sur un "Bonne nuit tout le monde."

Aeldred suivit le mouvement et s'allongea lui aussi du côté opposé au groupe. Il était finalement tout seul de son côté. Restait à Madenig de s'installer.

[Madennig]

Madenig rit avec les autres, cette conversation la rendait joyeuse et elle se régala de les voir ainsi se taquiner. Tout le monde se coucha, et elle s'installa sans hésiter à coté de son binôme.
Pourtant, avant de fermer les yeux, elle s'assit dans son sac de couchage et regarda Cerdan. Elle lui fit signe pour attirer son attention. D'autres signes suivirent : Cerdan, dormir, attention, réveiller, Madenig.
Pourquoi embrouiller le jeune homme avec un ordre contraire ? Peut être qu'elle avait peur qu'il s'endorme sans oser demander qu'on le relève. Alors elle voulait lui montrer qu'il pouvait compter sur elle et sur sa discrétion.

Enfin, elle se coucha sur le coté bien emmitouflée jusqu'aux joues et...

"Psss... Aeldred, tourne-toi..." chuchota-t-elle.