[OdE Chap. 7-53] Dans la cour - 7h10

[Casaïr]

Aeldred ruminait, comme d'habitude, sur le comportement de Kiddle qui avait une fois de plus trouvé le moyen de casser un agréable moment de camaraderie. Cherchant à se calmer et à se recentrer comme il en avait l'habitude, il alla dans sa chambre récupérer son arc puis sortit du château, se faisant indiquer le champ de tir, un peu à l'écart de la vie à l'intérieur de l'auguste bâtisse. Si près de l'océan, le vent avait un goût de sel prononcé, ce qui perturbait l'archer. Puisque le but était moins un exercice de précision que de relaxation, il se positionna à une vingtaine de mètres des bottes de pailles utilisées par les soldats du duc pour s'entraîner. La distance était courte mais c'était plus le principe de se focaliser sur sa cible qui lui importait, afin de se vider la tête. C'était d'autant plus nécessaire qu'il avait cru voir chez Pwyll un certain intérêt pour Madennig mais c'était peut-être son esprit qui lui jouait des tours.

Et même si c'était le cas, ça changerait quoi ? Juste le fait qu'au final, ce qu'elle m'avait sur ses histoires de rester célibataire n'était que du vent.

Il encocha une flèche, visa avec son arc, tendit la corde. Inspira, bloqua sa respiration. Tira. La flèche se ficha dans la paille avec un petit bruit étouffé. Le tir n'était pas parfait, loin de là. Ses pensées parasites l'empêchaient de se concentrer correctement, ce qui pourrait s'avérer problématique pour le reste de la journée. Il prit une nouvelle flèche, visa de nouveau et encore une fois le trait atteignit tout juste le mannequin de paille. Le troisième tir fut plus franc et toucha en plein la cible. Il parvenait enfin à atteindre cet équilibre qui lui permettait de mettre de côté ses problèmes pour un temps, même s'il sentait confusément que cela ne durerait pas forcément suivant les événements de la journée à venir.

[Caeso Senjak Khan]

Le jour était déjà levé lorsque Jazkez pénétra dans la cour du château de Lewellen. Il était habillé de pied en cape avec la tenue réglementaire de l'ordre hilderin. Il remarqua la présence d'Aeldred en train de s’entraîner mais commença par se diriger vers un palefrenier occupé à brosser un cheval.

-Il nous faudra une monture supplémentaire pour le retour, j'ai perdu mon destrier en venant ici. Vois ce que tu peux faire pour moi.

Il laissa là le palefrenier et s'approcha d'Aeldred en train de s’entraîner au tir sur une cible.

-Salut 'Dred. T'es drôlement matinal dis donc. Bien dormi ? Moi j'ai roupillé comme un bébé...

Il étira ses bras en laissant échappé une petite plainte de satisfaction.

-Je vois que tu prends très à cœur ta formation clérical. Une flèche au but pour une âme sauvée j'imagine ?

Le reste de la cour commençait doucement à s'éveiller.

-t'as pas vu Pwyll au fait ? Je pensais qu'il serait avec toi.

[Casaïr]

"Pwyll est toujours en chambre, j'imagine, répondit Aeldred sans se retourner. Il s'occupe de Madennig."

Le ton de cette dernière affirmation était plutôt ambiguë et le peu de concentration que le jeune clerc avait pu mobiliser venait de s'évaporer alors qu'il commençait à imaginer des choses.

"J'aime bien tirer à l'arc, dit-il sans entrain. Ça me permet de me focaliser sur une chose précise, sur l'essentiel. Et de me calmer aussi."

Ce qui est désormais fichu depuis que tu es arrivé, songea-t-il mornement.

"Je n'ai pas tout saisi hier de votre discussion mais j'ai eu l'impression que Briaga n'appréciait pas que Mad' soit passé osfei. Elle pourrait invalider votre décision ?"

[Madennig]

Dans la cour, passait une jeune femme de petite taille, aux cheveux clair, portant une large corbeille d'osier, remplie de draps pliés, contre sa hanche. A ses vêtements on devinait qu'elle faisait partie du personnel du château, certainement une des blanchisseuses. Elle se dirigeait vers l'aile où logeait la délégation de Terfynisel, quand soudain, elle trébucha et tomba à genoux.

Spoiler () :

Sa corbeille tomba aussi sur le sol de la cour, et elle eut une quinte de toux.

[Caeso Senjak Khan]

Jazkez haussa les épaules.

- Hmm, l’invalider non je ne pense pas mais lui casser les pieds probablement. Elle désapprouvera son origine de basse extraction incompatible selon elle pour représenter dignement le roi. Ce sera à Mad de lui prouver le contraire. Briaga aimerait probablement que tous les hilderins soient de gentils gratte-papiers comme elle. Dis lui qu’elle se repose un peu ce matin, il se pourrait toujours que cette vieille bique décide de passer la voir avant de retourner à Deas.

Il vit la blanchisseuse s’effondrer non loin.

[Casaïr]

"Après tout les efforts qu'elle a fait pour en arriver là, ce serait... Mais on a déjà prévu de lui donner des cours d'écriture pendant sa convalescence -pas pour les mêmes raisons mais elles sont au moins tout aussi motivantes. Si Briaga voit qu'elle sait aussi bien tenir une plume qu'une épée, elle laissera filer, du moins j'espère."

Son attention, comme celle de Jazkez, fut détournée par l'arrivée d'une jeune femme lourdement chargée. Quand elle trébucha et tomba en lâchant son panier, il posa son arc et s'approcha en trottinant près d'elle.

"Ça va, vous allez bien ? Attendez, je vais vous aider."

Il récupéra rapidement le linge, le secoua lorsqu'il présentait de la terre de la cour, l'examina d'un œil faussement critique et jugea qu'il n'était pas suffisamment sali pour mériter un nouveau nettoyage. La toux de la lavandière l'intrigua davantage.

"Vous allez bien ? Vous avez l'air souffrante."

[Madennig]

La petite lingère reprenait son souffle, alors que Aeldred s'occupait de sa panière et époussetait ce qu'elle contenait. Quand elle fut à nouveau debout, elle avait les joues rouges d'avoir trop toussé, mais ses yeux creusés témoignaient de sa fatigue. Elle fut tout de suite désolée...

"Oh pardon messire, il ne faut pas que vous vous dérangiez pour mes étourderies..." s’inquiéta-t-elle, à voix basse. "Je vais très bien. Vraiment, pardonnez-moi."

Elle plia les genoux pour faire une révérence maladroite et vite reprit sa corbeille, de peur qu'un de ses supérieurs ne voit la scène.

"Merci, Messire, merci beaucoup." ajouta-t-elle tout en vérifiant que rien ne s'était sali.

Ses mains étaient abîmées à force de tremper dans les eaux des lessives et des vaisselles, et pourtant, le reste de sa peau était d'une pâleur parfaite.

[Casaïr]

"Mess... Nonon, pas de messire, protesta-t-il, je ne suis pas noble, pas du tout même."

Il l'aida à se relever malgré ses récriminations et épousseta ses vêtements.

"Vous devriez faire une pause, je sais que je ne suis pas médecin, ni même d'ici mais vous tuez à la tâche ne fera pas avancer le travail plus vite."

[Madennig]

"C'est possible... Messire... Mais les pauses ne sont pas autorisées avant 10 heures. Les règles sont strictes messire. Je dois aussi vous appeler messire, au cas où... Je n'ai pas à parler aux invités normalement."

La blanchisseuse se sentait de plus en plus mal à l'aise, dans cette conversation dont elle n'avait pas l'habitude.

"Je dois continuer mon travail, si vous avez besoin de quelque chose, je peux chercher Flamenn pour vous. Pardon messire..."

Elle fit une nouvelle révérence très maladroite.

[Casaïr]

Aeldred se trouvait dans une situation à la fois inédite et embarrassante : c'était la toute première fois qu'on lui témoignait le respect que l'on accordait qu'aux gens ayant un certain statut, statut qu'il avait eu si récemment que même à Terfynisel les gens le tutoyaient encore. D'ailleurs, il ne se souvenait pas qu'on l'ai appelé une seule fois "messire" aux différentes haltes de leur voyage. Il se rappelait surtout s'être fait chasser de la cuisine de Louarn mais pas d'une quelconque forme d'amabilité de ce genre, si bien qu'il se révéla incapable de savoir de quelle façon réagir.

"Désolé de vous avoir... Enfin si cela peut vous éviter une quelconque réprimande, vous n'aurez qu'à dire que c'est moi qui vous aie parlé en premier et que vous ne vous sentiez pas de refuser. Je... vais vous laisser vaquer à vos occupations."

La jeune femme semblait tout de même plutôt pâle à ses yeux, aussi se promit-il d'en parler à quelqu'un afin de s'assurer qu'elle aille bien. Mais pour cela...

"Comment vous appelez-vous ? Ne vous en faites pas, c'est juste pour me familiariser avec le château et son personnel, je crois que je vais rester ici quelques temps et j'aime autant pouvoir mettre un nom sur un visage."