Fortuna Imperatrix Mundi

Kiddle avait été amené au village de l'Orée de la forêt et avait demandé à retourner au château. Il voulait parler de ce qu'il avait vu, de ce qui s'était passé.

Un coin de la taverne avait été libéré pour les premiers soins, Nolwenn et Kiddle attendaient que le médecin leur fasse un signe de s'approcher. Les gens les dévisageaient avec pitié, lui gêné, il évitait leurs regards. Instinctivement il serra la petite contre lui, un peu comme le ferait un grand frère.

Pwyll savait que son destin était d'accompagner le groupe qui tenterait de localiser la source du mal qui se répandait dans les silences qui entrecoupaient les soupirs de la forêt.

Voir Kiddle s'occuper de Nolwenn le rassura et le convainquit d'autant plus que tous ces gens avaient besoin que d'autres aillent au devant du danger.

Il approcha de l'adolescent.

"Suis fier de toi Kiddle, je vois qu'elle est entre de bonnes mains. Elle aura besoin de toi. On se reverra à Llewellen."

Le médecin venue de Llewellen officiait dans un coin de la grande salle commune de l'unique taverne du hameau. Les tenanciers avaient pris l'habitude de lui déplier un paravent de toile brune tendue sur des armatures en bois. Quand elle entendit la porte principale s'ouvrir et le silence couvrir le brouhaha des conversations, elle sut que ses patients arrivaient. Un Hilderin avait annoncé leur venue un peu plus tôt...
Ses yeux noirs apparurent aussitôt par dessus le paravent, en alerte, pour voir arriver les deux enfants. Un immense bonhomme parlait au plus âgé. Elle n'avait pas posé trop de questions à Tiernmael, une connaissance de Llewellen, mais elle montra très vite des signes d'anxiété.

Elle sortit de sa mauvaise cachette, et tendit le bras pour indiquer avec un empressement plein d'empathie aux deux jeunes gens où s'installer.

Derrière le paravent, il y avait une table garnie d'une couverture de laine pliée de sorte qu'elle recouvre toute la surface, recouverte d'un drap de lin beige.
Sa trousse volumineuse de médecin était ouverte, posée sur un banc à coté. Une vasque en terre cuite au sol près de la table apportait un peu de chaleur à ce coin de la salle grâce aux braises rouges qu'elle contenait..

"Venez donc vous installer... La plus jeune d'abord..."

"Je.. Je m'appelle Tuilelaith Maoilriain. Je suis médecin... Si vous préférez qu'elle voit un Demorthen, je le comprendrais, mais je peux déjà lui apporter des soins avant son arrivée."

"Oui Pwyll, on.. on s'reverra à Llewellen je.. j'espère."
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"Bon.. bonjour, fit-il faiblement devant la trousse volumineuse du médecin avant de relever ses yeux cloqués au beurre noir. Je.. je.. on s'appelle Kiddle et Nolwenn. Elle, oui.. elle doit être soignée, merci.. Dame Tuilelette."

Il souleva la petite dans ses bras, lentement il la coucha sur la table, il vit mille et une étoiles, il faillit s'effondrer sur le côté, mais non, il tint bon.

"C'est le.. le, le moment de dire à la dame où qu'ça t'fait mal pucette…
Je.. heu, vous.. vous dites qu'un Demorthen va venir... ici ? P'te qu'on devrait.. l'attendre. Faut lui dire, on a vu c'qui arrive… vous savez ?"

La veille, être dans les bras de Kiddle aurait été le rêve de la petite Nolwenn. Depuis que son petit univers s'était fait piétiné par une horde de feondas en colère, ses yeux effrayés ne distinguaient plus que des cauchemars... Pwyll qui partait se battre, Kiddle qui voulait l'abandonner à un docteur... La petite tremblait et gémissait de douleur et de peur, accrochée au cou de la seule tête connue.
Tuilelaith voulait répondre à Kiddle à propos du Demorthen, mais l'état émotionnel de la fillette devint sa seule urgence.

"Nolwenn, Kiddle va rester avec toi, je vais aller vous chercher une boisson chaude et quelques fruits secs à mâcher. Allongez-vous tous les deux, si nécessaire...Il y a une couverture en plus, juste derrière, et de l'eau dans le pot et des serviettes, si vous voulez vous rincer un peu..."

L'enfant avait encore le sang de son père qui tâchait sa peau pâle et dissimulait ses mignonnes tâches de rousseurs.

"Je reviens dans quelques minutes."

Tuilelaith essaya de leur offrir un sourire rassurant, avant de disparaître de l'autre coté du paravent, et se diriger en cuisine.

"Oui.. d'accord.. on se rince.. on se..."

L'instant d'après Tuilelaith Maoilriain disparaissait de l'autre côté du paravent.

Malgré tous les efforts que cela lui avait coûté il n'avait pas cligné des yeux depuis qu'il était arrivé. Ses jambes lui faisaient un mal de chien, il avait l'impression d'avoir le cou déboîté, il ne savait plus ce que la gentille médecin venait de leur dire mais il savait très bien ce qui s'était passé. La petite Nolwenn gémissait de douleur, il l'enveloppa dans la couverture et il se mit à lui parler...

"Je comprends pucette, je comprends.. c'est dur. Allez repose-toi. Tout ça, c'est bientôt fini. On va te remettre sur pied, tu pourras recommencer ta vie, tu pourras mettre tout ça derrière toi, te faire des amis, te faire de nouveaux…"

Sa voix se fit murmure :

"…de nouveaux rêves."

La petite Nolwenn n'avait plus de mot pour répondre, mais elle accueillit tout de même les paroles de Kiddle. Impossible pour elle de se reposer, la douleur était bien trop vive. Sous les décombres, elle n'avait eu que de brefs moments de somnolence et beaucoup de confusions. Sous la couverture, elle trembla encore un peu, comme si la perte violente des membres de sa famille et de sa maison ne pouvait laisser qu'un vide glacial autour d'elle. Ses yeux se posèrent sur la personne la plus proche et la plus en vie, pour s'y accrocher.

Tuilelaith finit par revenir avec une planche pour plateau, soutenant ainsi un bol fumant et une assiette garnie de fruits secs.

"Ils vont nous apporter du pain beurré... Vous pourrez essayer de manger un peu, lentement..."

Elle posa la planche sur le banc et se pencha vers l'enfant dont elle toucha le front, puis la carotide dans le cou.
Puis elle regarda Kiddle et la petite.

"Je... Je vous propose de vous amener tous les deux à Llewellen, chez moi, j'ai un logement assez grand pour vous y accueillir le temps nécessaire à votre rétablissement. Ici, ce n'est pas un endroit assez calme pour vous."

Elle faillit bien ajouter "pas assez sûr, non plus" mais elle se retint. Elle se tourne pour prendre le bol entre ses mains.

"Il faut boire cette infusion, Nolwenn, pour te reposer. Cela atténuera la douleur pour les prochaines heures."

Et alors que docilement, la survivante se redressait pour boire, sentant bien la soif dans sa bouche :

"Kiddle, as-tu mal toi aussi ?"

"Hahhh... par contre je.. je suis désolé, je mange pas d'fruits secs, mais du pain et du beurre oui. Merci, merci beaucoup Dame Tuilelette, vous.. vous êtes notre sauveuse. Je.. j'pense que si.. si vous avez rien contre on sera bien mieux chez vous."

Il regarda Nolwenn avaler ses gorgées d'infusion.

"Oui j'ai.. j'ai mal moi aussi, mais je peux tenir le temps du trajet..."

Du pain bis et du beurre furent apportés à Kiddle, il put manger un peu et même boire un peu du reste de la tisane de Nolwenn. L'effet du breuvage devint légèrement visible au bout d'une demi-heure, car l'enfant arrêta de trembler. Mais impossible pour elle de fermer les yeux, ou de parler à nouveau.
Kiddle retrouva assez de force pour porter le corps frêle de l'orpheline jusqu'à la charrette. Elle fut bien calée entre des sacs et des couvertures. Kiddle avait même un peu de place pour se coucher lui aussi, si il le désirait.

Tuilelaith démarra et sur le chemin rien ne les retarda. Ils purent entrer à Llewellen vers midi... La jeune doctoresse souffla, rassurée d'avoir pu les emmener à temps dans l'enceinte de la ville.
Elle demanda à son cheval de réduire l'allure dans les rues étroites, et s'arrêta devant un immeuble à deux étages. La porte d'entrée s'ouvrit à leur arrivée, une petite dame à la quarantaine et coiffée d'un bonnet de coton sortie l'air inquiet.

Tuilelaith avait l'air de la connaitre, et même de l'avoir déjà vue aujourd'hui, puisqu'elle ne la salua pas et dit avec empressement et assez bas.

"Noalig... Merci d'être encore là ! Pourriez-vous faire monter chez moi mes deux patients ? Ouvrez-leur le lit de la chambre verte et faites chauffer de l'eau, et préparer des chemises propres... Je vais emmener la charrette à l'auberge et j'arrive pour vous aider."

Puis elle se tourna vers les deux enfants, elle leur sourit un peu.

"Suivez sans crainte mon amie, elle s'appelle Noalig, elle va vous installer... C'est au premier étage, faites attention dans les escaliers."

Et elle descendit de la charrette pour vider la charrette des sacs, pendant que Noalig venait aider Kiddle et Nolwenn.