[OdE Chap.8-03] Le berger et ses ouailles

[Madennig]

Le visage enjoué de la convertie s'éclaira doublement : elle pourrait préparer le repas de l'élu et de sa préceptrice, et en plus, il viendrait offrir sa bénédiction à sa petite fille.

"Son prénom est Omaell, merci, merci beaucoup ! Vous pourrez toujours compter sur moi, Aeldred... Toujours !"

Ses paroles exprimaient une véritable promesse, une profession de foi. Etre si proche d'un élu tenait en soi du miracle... Elle ne pouvait s'empêcher de poser la question qui brûlait ses lèvres.

"Oh.. Mais alors... Aeldred, quels pouvoirs vous a offert l'Unique ? On dit que vous avez ressuscité après avoir été mis à mort par un Feond. C'est vrai tout ça ? Vous pouvez ressusciter les gens ?"

[Gweneth]

Le visage de Gweneth se figea quand Paskell posa sa dernière question. Elle n'avait jamais pensé à interroger réellement Aeldred sur les conséquences de son retour des Limbes. Elle comprenait tout à fait ce que la femme voulait dire mais cela la gênait et elle ne put s'empêcher de la corriger :

« Vous savez Paskell, seul l'Unique peut ramener une âme des Limbes. S'il s'avère qu'Aeldred démontre une capacité miraculeuse similaire c'est qu'il sert simplement de canal d'expression à la gloire de l'Unique. »

Elle souriait toujours et faisait un grand effort pour cacher son trouble à la vieille femme. Mais Aeldred et Fredelme devaient l'avoir percée à jour.

[Casaïr]

Si Gweneth avait pu sembler troublée devant la question de Paskell, ce n'était rien comparé à Aeldred qui donnait l'impression d'avoir reçu un seau d'eau glacée. C'était typiquement la question qu'il aurait voulu éviter le plus longtemps possible et voilà qu'il y était confronté dès maintenant et devant quelqu'un qui, il y a encore peu, pensait qu'il valait mieux se débarrasser de lui.

"Je n'ai pas de pouvoirs, je suis désolé", dit-il finalement, la gorge sèche.

C'était ce qui caractérisait vraiment un élu et lui n'avait rien, raison de plus pour lui de penser que, sans doute, le Temple voyait en lui quelque chose qui n'existait pas. Il ne sentait même pas différent par rapport à... à avant. Était-ce grave ? Il était incapable de le dire mais il n'avait pas envie de passer pour un menteur ou un hérétique alors qu'il clamait depuis le début qu'il n'était pas celui qu'on pensait.

[Iris]

"Allons, allons Aeldred, c'est une question de temps ! Tous les élus sont des adeptes du Temple, ils connaissent les prières et la parole de Soustraine. C'est ainsi qu'ils se mettent en harmonie avec l'Unique et deviennent pleinement ses porte-paroles. "

" Tu as été sauvé par un miracle, c'est la volonté de l'Unique. Il a un plan pour toi. Aie confiance, laisse-le te guider en la personne de Gweneth. "

" Cette nouvelle vie qui s'offre à toi est un don et tu es un don pour les vies qui t'entourent. Tu es la preuve que l'Unique veille sur Terfynisel, en ces contrées sauvages, dans lesquelles une vie rude et dangereuse n'a pour perspective que l'extinction totale de l'âme à la mort. Tu as vu l'au-delà et la lumière de l'Unique. Tu es le porte-parole de l'espoir : cette vie n'est pas qu'âpre survie, elle est un cheminement vers d'autres contrées."

[Madennig]

Paskell allait s'excuser. Elle avait fait un bel abus de langage et Gweneth faisait bien de la reprendre. Elle se rendait bien compte qu'elle était encore novice... Mais la réponse de l'élu la désarçonna un moment, jusqu'à ce que Fredelme, avec sa prêche ne lui regonfle le cœur d'espoir.
Aussi, elle se rappela qu'elle avait un dîner à préparer.

"Oh... Bien, bien, pardon. Je range le rouet et je cours vous préparer votre repas. Merci encore d'accepter une novice comme moi dans vos fourneaux, Aeldred, Gweneth, Vecteur Fredelme."

Elle s'inclina face à ses trois interlocuteurs, avant de s'éloigner pour mettre son travail de filage à l'abris sous l'appentis.

[Casaïr]

Alors que Paskell s'éloignait, Aeldred repensait aux paroles de Fredelme. Le porte-parole de l'espoir ? Bon sang, il devait y avoir de meilleurs candidats que lui pour un tel poste ! Il avait déjà assez de mal à se gérer lui, alors une congrégation... D'ailleurs, en y repensant, le fait que Fredelme ait annoncé vouloir partir une fois l'église construite (même si cela prendrait sûrement encore un certain temps) lui pinça l'estomac. Avec le temps il avait fini par considérer le vecteur comme un ami et se dire qu'un jour il partirait vers d'autres horizons l'attristait. C'était même quelque chose qu'il n'avait jamais envisagé.

Allez, c'est pas pour tout de suite, inutile de te faire du mouron, se raisonna-t-il. Enfin, plus que d'habitude.

Pour changer ses pensées, il revint en arrière dans leur discussion, maintenant que Paskell les avait laissé.

"Pour vos moutons, vous pouvez demander à Pwyll, il en a récupéré quand nous étions à Llewellen -une longue histoire. Je ne sais pas s'il saura mieux s'en occuper que de son jardin mais vous ne perdez rien à essayer."

[Gweneth]

Gweneth se mordit la lèvre. Avait-elle été trop sèche avec Paskell? Elle regretta un moment d'avoir ainsi réagi, après tout il ne s'agissait là que d'une tournure de phrase... elle se promit d'être un peu moins prompte la prochaine fois.

Les propos de Fredelme la sortirent de ses réflexions. Elle fut admirative, le vecteur avait le don pour trouver les mots justes.

« Le vecteur Fredelme a raison, Aeldred. Laisse-toi le temps d'embrasser pleinement ce qu'il t'est arrivé et de comprendre ce que l'Unique a prévu pour toi. Je suis là pour t'aider, pour t'accompagner sur le chemin de cette compréhension, et aussi pour t'approprier et vivre selon les préceptes de Soustraine. Et je suis sûre que le vecteur t'accompagnera aussi le temps de sa présence à Terfynisel comme il l'a fait par le passé. »

Puis reprenant sa bonhommie, elle ajouta le visage illuminé par un sourire :

« Mais au fait, n'était-il pas question d'une tisane? »

[Iris]

" Si, venez. Et pour ce qui est de Pwyll, merci, j'irai le voir demain."

Fredelme guida les nouveaux -venus vers chez lui. Il était temps d'allumer le feu, faire chauffer une bouilloire. Les unistes pouvaient s'installer au milieu des fleurs en attendant que l'eau chauffe.

" Installez-vous et racontez-moi votre voyage. Et vous ma sœur, je serai heureux de savoir quels lieux vous avez visité."

[Casaïr]

"Ce n'était pas très palpitant, répondit Aeldred qui resta debout un peu plus longtemps que les autres, le regard perdu dans le ciel. De mon point de vue en tout cas, excepté la visite à l'abbaye et le procès. On est passé par Louarn et Seilea’ghalla. Les jeunes de Terfynisel souhaitant devenir artisan pourront s'y rendre pour recevoir leur enseignement là-bas. Il y a bien eu les feondas sur l'ancienne route mais au final c'est Pwyll et Jazkez qui pourraient mieux que moi vous raconter cette partie de l'histoire : peu après notre arrivée à Llewellen ils accompagnèrent une troupe hilderine pour nettoyer la forêt d'un nid feond."

"Au final je n'ai pas été très utile."

Il soupira et s'étira avant de s'asseoir lui aussi.

"Enfin c'est assez normal, ce n'est pas comme si j'étais à ce poste depuis des mois ou des années. À peine nommé, je me retrouve dans une affaire importante alors que je n'étais encore qu'un simple chasseur il n'y a pas trois semaines. C'est un peu rude mais je m'améliorerai. Je ne suis toujours pas doué pour parler avec les gens -et de toutes façons, ceux d'ici ne se donneront probablement pas la peine de m'écouter- mais je ferais ce qui est en mon pouvoir pour améliorer leur quotidien à Terfynisel."

[Iris]

" Eh bien, dire que des feondas sont moins palpitants qu'un procès et qu'ils ne méritent même pas un récit..."

Fredelme rit brièvement avec embarras.

" Ce voyage a dû beaucoup te fatiguer et je t'oblige à en parler. Tu dois avoir hâte de rentrer chez toi et je te retiens. Hum. "

Il se leva pour ranger un peu ses légumes et ses œufs.

" Souhaites tu prendre une portion de bouillon que tu pourras réchauffer chez toi avec du songe et quelques œufs ? On m'en a donné en plus des tiens, ça m'en fait beaucoup. Je sais que Paskell se proposait de cuisiner pour toi, mais tu voudras peut-être plutôt te reposer seul. Hum. Ah oui, j'ai tes poules ici dans mon poulailler. C'était tout de même plus simple que faire l'aller-retour plusieurs fois. J'ai des paniers en osier pour les transporter."

" Ma sœur, où logerez-vous ? J'ai assez de place pour vous accueillir, mais sentez vous libre de choisir."