[OdE Chap 8-12]16e ceitean / 5 juin - Chez Aeldred - 12h00

[Iris]

Aeldred n'habitait pas loin du château et venait de rentrer pour retrouver Gweneth afin de prier Lumines puis déjeuner.

Alors qu'ils s'installaient pour rendre grâce à l'Unique dans la lumière de ce beau jour de fin de printemps, ils remarquèrent qu'une femme arrivait avec un charriot. Il s'agissait de Rozenn, l'étrangère arrivée cette nuit.

[Casaïr]

Rozenn avait suivi à la lettre les indications des villageois qui lui avaient indiqué le chemin menant jusqu'à la maison du clerc. Si elle fut surprise de constater qu'il ne dînait pas au château, elle considéra que c'était également une chance de lui parler directement chez lui. Ainsi, elle pourrait juger elle-même de la demeure du jeune homme et se faire une idée de comment s'aménager un coin bien à elle. Tout en guidant Hilfa, sa jument, elle se repassait en tête ce qu'elle devait dire ou pas, exercice qui lui aurait semblé facile si elle n'avait pas à moitié échoué avec Blodwen. Elle décida qu'il serait sans doute mieux de prendre des gants et de demander à être logée plutôt que d'imposer sa présence.

Elle aperçut bien vite la chaumière d'Aeldred et la détailla rapidement. Si elle ne semblait pas grande au demeurant, elle suffirait largement pour deux personnes, ce qui la rassura quelque peu. Elle remarqua également l'ombre d'un bâtiment juste derrière et à l'aspect nettement plus sinistre. Curieuse, elle s'approcha et découvrit le squelette de ce qui devait être un atelier au vu de la double porte sur le côté et qui devait accueillir un chariot. En temps normal, cette vision l'aurait grandement intéressée mais les souvenirs de sa première nuit refirent surface et se superposèrent, la faisant frissonner. Elle flatta distraitement l'encolure d'Hilfa et détourna enfin les yeux de la bâtisse pour se diriger vers la porte d'entrée de la maison principale et toqua gaiement.

[Gweneth]

Quand la jeune uniste vit arriver la magientiste, elle ne put retenir un soupir :

« Par l'Unique.. »

Puis, elle leva les yeux au ciel.

« Seigneur, est-ce là une nouvelle épreuve ? Un test ? »

Puis elle se tourna vers Aledred,

« Il était prévu qu'elle vienne ? Tu sais que les magientistes n'apportent que malheur et désolation partout où ils passent. Ils se targuent d'apporter avec eux un prétendu progrès, mais il ne s'agit là que de mensonges. Leur science hérétique empoisonne la Terre. C'est un blasphème aux yeux de l'Unique et la porte ouverte aux démons des Limbes. Je suis persuadée que c'est un magientiste qui a ouvert le passage qui a permis aux féondas de venir sur notre monde. »

La jeune femme souffla et reprit un peu de contenance. Quand Rozenn frappa, elle demanda à l'élu :

« Je vais lui ouvrir ou tu préfères le faire ? »

[Casaïr]

Aeldred

Aeldred avait vu arriver Rozenn bien sûr, mais avait préféré attendre qu'elle se présentât d'elle-même à sa porte pour... eh bien, pour voir ce qu'elle voulait en vérité. La réaction de Gweneth ne le surprit guère mais, sans doute parce qu'il n'avait jamais baigné dans les histoires du culte, lui ne voyait pas le mal que pouvait bien faire une femme seule.

"Magientiste ou pas, elle est aussi médecin, et une amie d'Oanell", répondit-il en se levant.

Avant d'ouvrir la porte, il regardait la jeune femme réticente à la venue de ce qui semblait être une menace pour elle, aussi prit-il sur lui de rassurer l'uniste.

"Je sais qu'on ne la connait pas, je ne vais donc pas chercher à te convaincre de quoi que ce soit tant qu'on n'en saura pas plus sur elle. Cependant, je pense que tu ne devrais pas non plus la juger trop hâtivement. Il y a sûrement des gens malhonnêtes chez les magientistes mais il y en a aussi forcément des biens. Je pense que quelqu'un souhaitant soigner les autres ne peut que difficilement faire partie de la première catégorie."

Enfin, j'espère. Il garda cette dernière pensée pour lui alors qu'il ouvrait la porte pour se retrouver nez à nez avec Rozenn, tout sourire.

"Re-bonjour, je peux vous... aider... ?"

Il n'avait pas vraiment fait attention mais maintenant il ne pouvait pas vraiment ne pas voir le chariot qui accompagnait la jeune femme. Un long frisson dans le dos lui indiqua que des ennuis étaient en préparation.

[Casaïr]

Rozenn

"Re-bonjour ! Chantonna gaiement Rozenn. Je vois que vous êtes bien installé ici. Je comprends mieux pourquoi Nelly m'a parlé de votre maison."

Voyant l'incompréhension se dessiner sur le visage d'Aeldred, elle enchaina pour ne pas lui laisser le temps de réagir :

"En fait, j'aimerais louer une chambre chez vous, le temps que moi-même je puisse emménager dans mon propre chez-moi, bien entendu. Je n'habiterais ici que provisoirement bien qu'il me faille tout de même trouver un moyen de subvenir à mes besoins."

Inutile de lui avouer qu'à ce stade, elle n'avait qu'une idée somme toute assez sommaire de ce qui pourrait lui apporter une rentrée d'argent régulière, ce serait totalement contre-productif. À ce sujet, la discussion avec Nevena n'avait pas été très productive.

"En gage de bonne volonté, je peux d'hors et déjà vous donner un givre pour ce mois-ci. Cela vous conviendrait ? Je peux également aider à la maison -sauf à la cuisine, mon père vous dirait que c'est une très mauvaise idée de me mettre derrière les fourneaux. Je peux aussi me faire toute petite si vous préférez, après tout c'est vous l'hôte. Du moins si vous acceptez de m'héberger."

[Gweneth]

Gweneth fronça les sourcils en entendant la jeune femme parler de loyer. Sauf erreur de sa part, il n'y avait que deux chambres dans la maison et elle ne voyait pas Aeldred la mettre dehors, mais après tout qu'en savait-elle ? Elle se leva pour s'approcher de la porte et se manifester.

« Bonjour mon enfant. Il y a un souci ? »

[Casaïr]

Aeldred

Aeldred écarquillait les yeux aussi bien devant l'aplomb de la jeune femme que devant le daol de givre qu'elle lui proposait et qui le laissait perplexe. Il n'avait absolument aucune idée du coût de ce genre de service, mais il lui semblait néanmoins que ce que lui proposait Rozenn était largement au dessus du tarif. Ces considérations mises à part, le clerc sentait aussi que d'autres difficultés se profilaient : il avait certes deux chambres mais il allait se retrouver avec deux femmes sous le même toit ! Qui plus est de factions diamétralement opposées. Le plus évident serait qu'elles dorment ensemble mais vu la réaction de Gweneth, cela pourrait s'avérer dangereux. Quelle était l'autre solution, dormir avec l'une des deux ? Impossible ! Et puis laquelle d'abord ? Gweneth qu'il ne connaissait en réalité que depuis une semaine ? Rozenn qu'il ne connaissait que depuis quelques heures ? Et voilà que la jolie uniste mettait son grain de sel dans cette histoire en intervenant.

Bordel, c'est pas bon pour ce que j'ai, tout ça !

Pourtant, il ne se voyait pas refuser de l'aider, et puis ce serait temporaire, non ?

"Elle demande à louer un lit", répondit-il à Gweneth en se tournant vers elle à demi, pas rassuré pour un sou.

Il se lécha les lèvres, indécis quant à cette épineuse question du coucher pour regarder ce qui faisait manifestement partie du lot accompagnant la magientiste, soit un chariot et un cheval. S'il avait eu un doute auparavant, le fait qu'elle ait tant de choses et qu'elle soit prête à payer un daol de givre sans broncher, révélait sans le moindre doute possible qu'elle était issue d'une famille fortunée. Tout cela mit bout à bout rendait sa présence d'autant plus incompréhensible, que ce soit sur le pas de sa porte ou dans la Forêt Engloutie en général, même en prenant en compte sa condition de magientiste.

"C'est d'accord, dit-il tout en sentant le regard de Gweneth lui brûler le dos. Il va cependant falloir réfléchir à la répartition des lits puisque nous serons trois désormais. Il y a deux chambres ici, donc deux lits et…"

Sentant qu'il risquait de s'enliser pire que dans une fondrière, il changea rapidement de sujet.

"Enfin on pourra voir ça tout à l'heure ! Avec Gwen nous comptions faire un potager, vous pourrez toujours nous aider à ce sujet. Il y a de la place pour votre chariot dans la cour, cependant je ne dispose pas d'enclos pour votre cheval. Je demanderai si on peut l'installer au château en attendant."

Les habitants comméraient déjà ce matin en nous voyant sur la place du village, pensa-t-il, qu'est-ce que ça va être demain lorsqu'ils apprendront la nouvelle ?...

Rozenn

Tout le temps des explications d'Aeldred, Rozenn lui jetait un regard faussement intimidé tout en affichant un léger sourire. Elle haussa les sourcils d'étonnement en apprenant la présence d'une autre locataire. Son sourire s'agrandit davantage, emplit d'une joie espiègle et enfantine lorsqu'elle comprit de qui il s'agissait.

"Je ne serais donc pas la seule ? Vous cachez bien votre jeu, monsieur le clerc ! En fait vous collectionnez les femmes sous votre toit, c'est ça ? Avec moi il ne vous manquerait plus qu'une jolie demorthèn et le tour serait joué ! Vous allez faire des envieux, j'en suis certaine…"

La dernière phrase se voulait volontiers taquine voire aguicheuse mais Rozenn ne força pas plus et préféra se tourner vers Gweneth qui la regardait bizarrement. La jeune magientiste soupira sans se départir de son sourire imperturbable. Son ordre et celui de l'uniste n'avait aucune chance de s'entendre en tant qu'organisation, mais rien n'interdisait les amitiés au niveau local. C'est sans doute pour ça qu'elle se dirigea immédiatement vers l'autre blonde de la maisonnée et lui prit vivement les mains.

"Je suis certaine que nous saurons parfaitement nous entendre, toutes les deux, dit-elle joyeusement. C'est d'ailleurs une très bonne chose que je sois là : on ne peut pas laisser une femme vivre seule avec un homme sans qu'ils soient mariés tous les deux, ça pourrait jaser, surtout dans un village aussi petit ! Ainsi pourrons-nous veiller mutuellement sur la vertu de l'autre, ajouta-t-elle avec un clin d'œil malicieux avant de se retourner vers Aeldred. Je vous aiderais volontiers à entretenir votre jardin, c'est la moindre des choses que je puisse faire."

[Gweneth]

Gweneth croyait halluciner. Après lui avoir proposé de la loger, voilà qu'Aeldred accueillait une magientiste et allait probablement lui demander de partager sa chambre avec elle. Quant à l'autre pimbêche, voilà qu'elle voulait faire amie-amie sous prétexte de chaperonner ce nigaud d'Aeldred. La jeune uniste ne put s'empêcher de demander :

« Mais je ne comprends pas pourquoi vous êtes là... Terfynisel est probablement pleine de fermes susceptibles de vous accueillir ? Pourquoi venir ici? »

[Casaïr]

Rozenn

"Pourquoi suis-je ici ? répéta Rozenn sans cesser de sourire. pour la simple raison qu'après avoir demandé à Nell... pardon, à Oanell, le nom d'Aeldred est naturellement venu dans la conversation. Je me suis dit que ce n'était sûrement pas anodin alors je suis venue voir de moi-même. Et, pour tout dire, c'est également l'une des premières personnes amicales que j'ai rencontré aujourd'hui, et les premières impressions comptent beaucoup pour moi. Par exemple, je sais que celle que vous vous êtes faite de moi se base sur le fait que je sois magientiste et je respecte cela. C'est aussi pour cela que je n'ai pas cherché à vous amadouer en prétendant être un médecin à la recherche de nouveaux remèdes. Quoiqu'en y réfléchissant, ç'aurait malgré tout été la stricte vérité", ajouta-t-elle avec un clin d'œil.

Rozenn recula d'un pas, lâcha les mains de Gweneth.

"Bien que vous soyez persuadée du contraire, je ne suis pas votre ennemie, pas plus que vous n'êtes la mienne. Du reste, je ne pense pas avoir le loisir de m'en faire. Je ne suis ici que pour soigner des gens que la médecine conventionnelle n'ait pas parvenue à aider, rien de plus."

Aeldred

Le clerc suivit l'échange avec intérêt et culpabilité : il imposait une situation qui déplaisait fortement à Gweneth mais il ne se voyait pas renvoyer la magientiste. Pas comme ça. Il toussota dans sa main pour attirer leur attention après avoir prit une décision.

"Puisque c'est une solution temporaire, on peut au moins faire un essai. Si votre séjour ici se passait mal, je vous aiderai à chercher ailleurs, dans l'intervalle, je ne vous demanderais que de participer aux besoins de la maison."

Il regarda l'uniste sans trop savoir si ce qu'il dirait ensuite serait accepté ou non.

"Tant que vous n'aurez pas trouvé un terrain d'entente, il me semble exclu d'imposer la présence de l'une à l'autre dans la même chambre. Jusqu'à ce que j'ai récupéré de quoi faire un lit d'appoint, je te propose, Gwen, de..." il déglutit visiblement avant de reprendre : "Je te propose de dormir avec moi. En tout bien tout honneur !"

Ses joues prirent feu à une vitesse alarmante mais il ne voyait que cette solution pour ménager la chèvre et le chou.

"La chambre de mes parents est un peu plus grande, on pourra donc y aménager un lit de camp ou quelque chose d'approchant, comme ça on ne sera plus obligé de partager le même lit. Si vous êtes d'accord, on peut se répartir de cette façon pour cette nuit et demain nous aviserons pour adapter tout cela."

[Gweneth]

Gweneth soupira. Il y avait comme un point commun entre Aeldred et Rozenn, même si elle ne put mettre le doigt dessus.

« Croyez-moi mon enfant, je n'ai rien contre vous, et si vous êtes venue soigner les maux de Terfynisel alors tant mieux. J'ai juste un souci avec votre... science. Je ne comprends pas comment on peut s'y adonner. Tout à un coût et celui que les gens vont devoir payer pour la magience ne me semble pas valoir le confort temporaire qu'elle offre. Par exemple, je ne comprends pas comment on peut choisir de remplacer des morceaux de son corps par du métal et se dire que cela n'aura aucun impact. Je ne comprends pas comment vous pouvez vous dire que prélever votre... flux... n'aura pas de conséquence... Il y a toujours des conséquences, toujours. » 

Elle avait dit tout cela sans élever la voix, de manière presque monotone. La seule impression que se dégageait de son discours était la tristesse ou l'inquiétude. Car Gweneth était inquiète pour les hommes et pour leurs âmes. Et elle était inquiète pour Aledred, car elle avait l'impression de ne pas savoir comment l'atteindre. C'est au jeune élu qu'elle adressa les derniers mots de sa tirade et il put lire la tristesse de son regard.

Puis la jeune uniste se détourna et en levant les mains au ciel ajouta :

« Bon vous savez quoi, je vais vous laisser régler vos problèmes de logement. J'ai quelqu'un à aller voir. »

Elle entra dans ce qui aurait dû être sa chambre. Elle prit son manteau, rangea ses quelques affaires dans son sac et enfila le tout. En sortant de la chambre, elle attrapa à deux mains la soupière qu'elle devait rendre à Fredelme. Puis s'adressant aux deux jeunes gens qui restaient dans l'embrasure de la porte :

« Puisque vous semblez vouloir tenir le montant de la porte, profitez-en pour la laisser ouverte que je passe. »

Et sans détourner la tête, elle s'adressa à l'élu et à sa future locataire.

« Aeldred, n'oublie pas la prière de Lumines et quand tu auras fini avec tes responsabilités au château tu pourras passer me voir pour le reste de tes leçons. Je serai sûrement chez Fredelme. Quant à vous Rozenn, je vous laisse la place. Sachez qu'avec deux femmes et un homme sous le même toit, les gens jasent. Avec une seule femme et un homme, ils ne jasent plus, ils tirent des conclusions. »

Et ce fut d'un pas encombré, sans leur laisser le temps de répondre, que Gweneth quitta Aeldred et Rozenn pour se diriger vers la maison du vecteur.