[OdE Chap 8-32] Le vilain breithan - souvenirs de Jazkez

[Iris]

18e ceitean 905 - 7 juin 905

Jazkez le rebelle avait la dernière lettre de sa sœur dans son veston. Il l'avait reçue le matin même. Le jeune breithan d'environ 18 ans était dans les quartiers hilderins d'Osta-Baille depuis un an et demi. Malgré tous ses efforts, il n'avait pas été renvoyé, seulement puni à répétition. Nettoyage des écuries, épluchage, tour de cour au pas de course, séjours plus ou moins durables au trou.

Le garçon avait été convoquée sans savoir le motif. On l'avait conduit dans un bureau, de ceux utilisés par les chevaliers hilderins en visite depuis leur stationnement. Une femme, encore jeune mais les cheveux déjà grisonnants coupés au carré regardait par la fenêtre. Elle se tourna lentement à son arrivée, calme, avec une expression détachée.

" Je suis Riwalenn de Tulg, osfer de l'ordre hilderin. Et toi tu es Jazkez Mac Rhidian, breithan depuis un an et demi, et en bonne voie pour le rester encore longtemps."

Elle n'avait réclamé ni garde à vous, ni quoi que ce soit. Elle le regardait en silence, le jaugeant sans doute.

[Caeso Senjak Khan]

C'est l'esprit légèrement distrait et enjoué par le contenu de la dernière missive de sa soeur que Jazkez se rendit à sa convocation du pas trainant mais réglementaire dont il avait parfait l'usage. Il ne se rappelait pas exactement pour quelle raison il avait de nouveau écopé d'une corvée mais ne douta point de sa pertinence et il se félicita intérieurement d’être arrivé à un stade où son comportement exaspérait ses supérieurs sans que lui même ne fasse quoi que ce soit en ce sens.

-Susciter la corvée ! articula t'il fièrement dans un petit sourire en arrivant devant la porte.

Une femme qu'il ne connaissait pas, Osfer, l'accueillit.

" Je suis Riwalenn de Tulg, osfer de l'ordre hilderin. Et toi tu es Jazkez Mac Rhidian, breithan depuis un an et demi, et en bonne voie pour le rester encore longtemps."

Il leva mollement la main droite jusqu'à sa tempe dans une forme de salut avant de la laisser retomber lourdement.

-Affirmatif Osfer Riwalenn.

Un moment passa, sans aucune réprimande.

-D'ailleurs si son Osfer avait l'obligeance de bien vouloir m'indiquer ma corvée, je me ferai un plaisir de disparaitre de sa vue pour la prochaine année et demie.

[Iris]

Une seconde s'écoula. Jazkez eut peut-être l'impression d'être examinée par une chouette ou un rapace ? Ou juste une osfer lente à s'énerver.

" Ah c'est donc ça. Tu aimes souffrir, être subalterne -- de préférence houspillé et humilié--, passer ta vie dans le crottin et dans les fossés boueux. "

" Évidemment dans ce cas, je ne peux rien faire pour toi."

[Caeso Senjak Khan]

Jazkez releva un sourcil interrogateur mais rassuré. Un court instant il crut être tombé sur un officier différent des autres, capable de contenir son énervement plus de trois secondes.

-C'est bien ça Osfer, le breithan que je suis n'aurait pas dit mieux. Vous ne pouvez pas grand chose pour moi en effet. Je ne suis, vous en conviendrez, d'aucune utilité pour l'Ordre.

[Iris]

" Je me demande si tu utilises ta tête pour autre chose que des saillies railleuses de sale gosse."

Elle disait ça avec le même ton détaché qu'elle pourrait commenter la forme et les taches d'une grenouille.

" Eblouis-moi : parle-moi de ce que tu crois pouvoir obtenir en jouant les forte-tête masochistes ? "

[Caeso Senjak Khan]

-Rentrer chez moi et mettre fin à cette parodie de pseudo héroïsme chevaleresque suintant ?

[Iris]

" Tu ne rentreras pas."

Après un temps de silence, elle poursuivit avec détachement :

" Tu pourrais battre le record du gars resté le plus longtemps breithan en mourant de vieillesse à ce degré de formation, mais à mon avis tu risques davantage de finir tabassé à mort, au trou, et quelqu'un écrira dans la lettre de condoléance que tu as eu un accident."

[Caeso Senjak Khan]

Jazkez écarquilla les yeux en entendant la réponse de l'Osfer puis ceux ci s’étrécirent de nouveau.

-Je ne vous crois pas ! Vous n'avez pas le droit de lever la main sur nous ! Et puis de toute façon il y aurait forcement une enquête et l'ordre n'aurait plus qu'a fermer ses casernes et finir chez les ronces !

La menace à peine voilée à l'encontre de son intégrité physique avait visiblement intimidé le jeune breithan qui semblait prendre subitement conscience de son isolement et surtout de ses implications potentielles.

[Iris]

L'osfer Riwalenn leva vaguement les épaules avec indifférence :

" . Quand quelqu'un a un coup de sang, il pense juste à ce qui suscite sa rage, pas aux conséquences. Les gens ne raisonnent pas toujours à long terme. Il n'y a qu'à te regarder."

La femme soupira :

" Un ordre de chevalerie, c'est la canalisation de la violence au service du bien commun. Si tu t'amuses à percer des trous, il ne faut pas t'étonner de te retrouver trempé. "

" Pour ton information, les incidents se déroulant dans la caserne sont gérés par les officiers en charge. Justement ceux que tu provoques constamment. Pour qu'une enquête plus approfondie soit ouverte, il faudrait que tu aies des amis dans l'Ordre, ou des amis puissants tout court, vu que ta famille n'habite pas dans le coin. Et puis même si, soyons fou, quelqu'un -- on se demande bien qui -- ferait du zèle par principe pour ta pomme : une fois mort, ça te ferait quoi ? "

[Caeso Senjak Khan]

Jazkez se tint silencieux pendant un long moment. Il n’avait jamais pensé à l'éventualité de sa mort. A vrai dire il pensait plutôt à son probable bien qu’encore flou brillant avenir au delà de cette parenthèse martiale qu’il considérait comme une regrettable lubie familiale. Et comme tous les jeunes hommes issus de bonne famille, sans même prendre en compte son amour-propre hypertrophié, Jazkez Mac Rhidian s'était senti jusqu'à maintenant assez logiquement invincible.

Il secoua la tête et se passa la main sur le visage comme s’il s’agissait d’une mauvaise farce. L’Osfer n’avait pas bougé, le vide dans sa poitrine non plus.

-Vous avez raison sur un point important Osfer, la mort ne m’apportera certainement pas la satisfaction à laquelle j’aspire. Vous me pardonnerez ma naïveté d’avoir omis la tuerie dans les enseignements dispensés par l’ordre. Cette variable étant réintégrée dans l’équation en quoi suis-je plus avancé ? Si je ne peux pas sortir par le bas où je suis entré ?