Fortuna Imperatrix Mundi

Ses yeux gonflés par un long et profond sommeil cherchèrent l'auteur des paroles qu'elle entendait. Le réveil avait été confus et les soins douloureux. Elle remercia avec son sourire cette vieille dame qui prenait soin d'une inconnue. Elle aurait aimé faire plus. Ce sera pour plus tard.

L'anro et le beau temps.

"Je veux bien..."

Voir le ciel lui permettra de se raccrocher à la réalité, et de partager la même activité avec Pwyll, où qu'il soit.

"Je n'ai pas fait l'anro, Jazkez m'a nommée osfei il y a peu de temps. Et... Briaga m'a donné une liste de compétences à acquérir longue comme un hiver en Gwidre."

Briaga, je ne vois pas qui c'est, encore une administratrice qui déprimerait un régiment tout entier !

Il rit de bon coeur, manifestement de bonne humeur.

Quoiqu'il en soit, moi je dis que tu es en plein anro, et qu'il serait dommage d'arrêter là alors que tu as déjà fait plus de la moitié. Je me constitue ton prisonnier, nous allons à Osta Baille où tu déclareras avoir été capturée, t'être échappée, avoir été délaissée par ton Osfer, tout ça en plein marais, j'en suis témoin. Evidemment, je passerai en jugement pour avoir abandonné ma manicle, mais tu plaideras pour moi ?

Voilà, c'est simple, fit-il en la soulevant délicatement dans ses bras, il ne nous reste plus qu'à sortir d'ci.

Elle eut un sourire gêné à l'écoute du déroulé du plan. Et lorsqu'il la souleva, pour l'emmener prendre l'air, elle comprit qu'il ne s'était pas tant que ça encrouter.

Son plan à lui ne lui plaisait guère, ce n'est pas vraiment ainsi qu'elle voyait son retour à la civilisation. Du moins la civilisation qu'elle connaissait.

"Non... Je ne peux pas me servir de celui qui m'a secourue pour valider ma carrière... Je n'en retirerai que de la honte. Et puis l'anro ne me suffit pas. Je me demande même si l'ordre hilderin est vraiment fait pour moi. C'est vrai qu' en théorie c'est un ordre important, mais en pratique, ils ont surtout que l'appui du roi. Ils n'ont pas beaucoup de hauts faits. On m'a dit qu'à Llewellen ils n'avaient pas pu aider les habitants contre les attaques de Jerry. Jazkez, mon mentor, cherche à être détesté par sa hiérarchie j'ai l'impression, et toi, tu t'es enfui. "

" Je ne cherche pas juste à assouvir une ambition pour dominer un maximum de personnes, non, je veux juste que ma vie soit au service des gens... Et te faire prisonnier ne servira à personne. Ça ne rendra pas les routes plus sûres, ça n'apportera pas de meilleures récoltes... Ça ne sauvera personne. "

" L'anro, c'est réussir à survivre une fois... Alors que ce que je cherche, c'est sauver des vies plein de fois ! "

" Si tu veux vraiment partir et quitter les esclavagistes dont tu me parlais hier soir, tu peux m'accompagner, Jazkez saura t'aider. Je crois qu'il aimerait comprendre ce qu'il s'est passé... Parce que c'est étrange, non ? Tu étais peut-être amoureux, mais amoureux à ce point...? C'est vraiment possible ? "

Les chevaliers sauvaient-ils vraiment des vies ? Etait-ce là le coeur de leur existence ? Ils contribuaient à assurer l'ordre dans la société, cela valait sans doute mieux que le chaos d'une guerre de tous contre tous.

... Les paysans qui nourrissaient la population des campagnes et des villes étaient le socle vital qui permettait à tous de survivre. Sans eux, il n'y aurait rien qu'un peu de chasse, de cueillette et de pêche.

... Les guérisseurs eux, sauvaient vraiment des vies. Madennig serait morte si elle n'avait pas reçu de soins.

... Les dàmàthairs étaient au service de la communauté. Personne ne doutait de leur importance et tous avaient bénéficié à la fois de leurs soins et de leurs leçons au cours de son enfance.

Il fut prudent dans les marches d'escalier, Madennig vit enfin le ciel bleu, et le château, pourtant elle n'y prêta guère attention, elle avait beaucoup de choses à dire. Uilleam ne pouvait qu'écouter attentivement, légèrement essoufflé, il posa un genou à terre.

Je comprends ton écoeurement, à l'origine les Hilderins avaient pour vocation la traque des feondas. Cette vocation, fondamentale, a pu donner du sens à mon engagement. Jeune idéaliste je me voyais en défenseur de la liberté, au service du roi. Mais le métier de chevalier est devenu bien compliqué. l'Ordre intervient partout où il est question du pouvoir. D'où les intrigues avec les nobliaux, les combines douteuses avec les Ronces, les abus de pouvoir, etc… La raison de ma fuite ? J'imagine, un peu tout et n'importe quoi : folie, dépression, que sais-je, j'ai craqué. Tu te demandes si on peut tomber amoureux au point de trahir, et probablement au point de tuer ? Oui, Mad, tout est possible.

Honnêtement, ton anro... Tu n'aurais pas eu besoin de moi pour le faire valider, mais de ton Osfer. Je suis d'accord, oublions mon plan. Oublions ce que je t'ai raconté hier soir, ça n'a pas de sens. L'avenir est de sortir vivants d'ici, tu pourras retrouver les tiens et leur parler, et surtout parler à Jazkez. Moi j'irai seul à Osta Baille. Nous allons trouver des solutions, il faudrait fouiller la mémoire de ce lieu. Si les c'maoghs nous ont portés jusqu'ici, il devrait au moins y avoir une raison, tu ne crois pas ?

Il n'écartait pas la possibilité de se présenter à la Citadelle de Dèas, si celle-ci s'avérait être la plus proche, mais il pensait que ses actes avaient été suffisamment graves pour finir manu militari au tribunal d'Osta Baille.

Uilleam lui administra les mots qu'il fallait pour rassurer Madennig. Ils auraient encore quelques jours pour fouiller et comprendre ce lieu qui les avait accueillis et réunis.

"Bien... Laisse-moi par terre si tu te sens fatigué, il y a sûrement un endroit où s'installer."

"Je n'oublie pas que l'Ordre demande une ferveur quasi aveugle à un système loin d'être parfait. Toi comme moi cherchons un moyen, voyons cet endroit comme une retraite, un peu mystique, pour avancer dans nos réflexions..."

Elle prit un instant, pour observer le ciel et humer l'air frais qui lui procura un agréable frisson.

"Ces personnes dont tu m'as parlé hier soir... Nous pourrions y revenir grâce à toi, mais en nombre, pour éviter qu'elles ne nous attrapent. Elles t'ont fait du mal ?"

Pour y revenir, il faudrait retrouver le chemin… Nous sommes trois ici à avoir été malmenés, la vieille a des traces de brûlure sur elle, elle vit recluse loin du monde. Et moi je me suis enfui, une fois de plus…
J'ai été pourchassé par les Autres, il me semble que des feondas ont attaqué, c'est peut-être ce qui m'a sauvé la vie, rien n'est certain, j'ai oublié... C'est étrange...
Et toi, tu ne te souviens toujours pas ?

Uilleam réfléchissait, mais ne voyait toujours pas d'endroit où s'installer, il voulait offrir à Madennig une jolie vue d'ensemble, peut-être qu'en s'éloignant un peu, contre une pierre levée ?