[OdE Chap 8-??] Le retour aux barreaux de roseau - 1er Oghmios

[Iris]

Incertaine de sa destination, la barque pèlerine cherchait à atteindre le lieu de recueillement et de prière qui permettrait à ses passagers de revenir peut-être à la vie.

Sous le frisson des feuillages des arbres clairs des marais, un héron battait des ailes avant de s'envoler quand les inconnus s'approchèrent davantage de l'île.



Les barreaux de roseau étaient un îlot entourés de hautes plantes et de jonquilles d'eau. On discernait pourtant ici et là des vestiges de pierre.

Uilleam et Madennig avaient quitté leur refuge avec détermination, sans savoir s'ils parviendraient jamais à y revenir -- mais y tenaient-ils ? -- Guidés par ce qui devait être une intuition ou la voix des esprits, les parias survivants arrivaient en ce lieu hors du temps où tout avait basculé pour Uilleam. L'osfer en quête de rédemption et l'osfei incertaine accostaient, mettaient pied à terre sur le débarcadère.

[Madennig]

Madennig avait pris soin de relever Uilleam à la rame, pour éviter que la fatigue ne le fasse douter des issues du voyage.
L'enfant terrible aux boucles de feu renvoyait régulièrement un sourire confiant à son compagnon, quand elle n'était pas occupée à observer avec une naïve curiosité les reflets des feuillages et des eaux.

Les barreaux de roseaux.

Elle ne voulait pas y penser. Juste continuer. Foncer comme d'habitude vers l'avant, sans savoir se retourner.

"Uilleam.. Tu te souviens d'ici ?" murmura-t-elle, les pieds déjà dans l'eau.

[Kiddle]

L'arrivée au château d'une jeune hilderine entre la vie et la mort avait sonné la fin de sa réclusion. Jour après jour, les doutes et les cauchemars s'étaient espacés, avaient disparu de son quotidien grâce à la présence lumineuse de l'osfei. Puis un beau jour, ils étaient repartis, emportant avec eux le peu qu'ils possédaient. Mais l'essentiel était ailleurs.
Uilleam, qui était plus intuitif que fin observateur de la nature, sauta hors de la barque rejoindre Madennig.

Je me souviens d'une ruine, et c'est à peu près tout. Est-ce que mes hommes sont morts ici ? Ce dont je suis sûr, Osfei Mad, cet endroit abrite un héron que nous venons de déranger, murmura-t-il.

Uilleam aimait l'appeler par son titre, "Osfei".

Que proposes-tu ?

[Pwyll]

Au début, il ne pensait qu'à Madennig et à ses échecs. Une nuit au sous-sol, en proie à l'humidité et à l'angoisse d'une attaque de féond ou, pire, d'une traque humaine qui aurait déjà retrouvé sa trace, l'avait forcé à revenir à des considération plus immédiates de survie.

La notion de confort était bien loin, il s'agissait pour lui de ne pas mourir de froid, de faim et surtout de complication de ses blessures, même si aucune n'était bien profonde.

Il avait donc déblayé pour commencer, mais plusieurs jours avaient été nécessaires pour retrouver un passage pratique entre le rez-de-chaussée de la ruine et le funeste sous-sol.

Pwyll avait tenté de poser quelques collets dans les environs, s'était efforcé de parvenir à faire du feu, à mieux reconnaître les bruits du marais au alentours.

Tout cela prenait du temps, de l'énergie, de la concentration. Son esprit s'agrippait fermement à ces tâches pour ne pas se laisser aspirer par la boue épaisse et avide des remords et de la culpabilité.

Résistant, bâti pour durer, comme cette ruine sans doute, le colosse s'était remis de ses blessures corporelles. Celles de son coeur étaient encore presque à vif.

Plus d'une fois, en comptant les jours et en voyant s'étioler le mince filet d'espoir que Jazkez vienne un beau matin lui annoncer en secret la survie de l'osfei, il avait encore caressé l'idée de repartir vers Losgadh, comme un homme inquiétant caresserait le fil d'un poignard.

Il avait renoncé, de peu, chaque fois, s'en remettant aux C'maoghs et aux exercices de médiation. La frugalité forcée de sa condition l'aidait en cela, même si la faim était une compagne difficile à dompter les premières nuits, le corps s'habituait.

Ses amis, s'ils l'avaient découvert là, après ces dix jours, aurait certes reconnu ce gaillard blond d'une bonne toise de haut, mais les joues creusées sous la barbe, les yeux un peu plus enfoncés et la taille moins marquée n'auraient pu manquer de leur échapper.

Ce premier Oghmios, il avait d'abord cru rêver, mais l'impression ne dura pas, car Pwyll restait malgré tout en alerte. Dix jours, voilà donc ce qu'il avait fallu aux sbires des MacLormel du sud pour le retrouver ?

Pourtant, les barbotages et paroles échangées éclairaient la situation sous un autre jour. Les chasseurs à qui il avait eu affaire n'auraient pas commis de telles erreurs. Pwyll repensa alors soudain à la sorcière et à la découverte des cadavres. Se pouvait-il que les coupables reviennent sur les lieux du crime ?

Il saisit coutelas et hachette et se mit en mouvement pour contourner les intrus et les observer, caché dans les roseaux.

[Iris]

Dissimulé, Pwyll ne mit pas longtemps à remarquer une chevelure rousse tombant un peu au dessus des épaules, portée par une jeune femme impatiente vêtue pauvrement. Elle était accompagnée d'un homme solidement bâti, mais là aussi portant des vêtements usés, avec un équipement de soldat ou de chevalier.

Madennig ? Si ce n'était pas elle, elle lui ressemblait énormément !

[Pwyll]

Mais... que, qu'est-ce que qu'elle...

Pwyll respira calmement et se concentra fortement, la sorcière pouvait-elle brouiller ses sens et prendre l'apparence de ce qu'il voulait voir ?

L'homme qui l'accompagnait avait bien l'air d'avoir quitté son ordre ou sa maison depuis trop longtemps pour être honnête en plus...

Au pire, qu'avait-il à perdre ?

Il se redressa et se racla la gorge pour indiquer sa présence.

"Mad, tu..." sa voix sonnait étrangement à ses oreilles, il n'avait parlé à personne depuis dix jours !

"Tu es venue distribuer des petites fleurs blanches pour décorer mon déjeuner ?"

Il ne savait pas vraiment pourquoi il avait invoqué ce moment précis et prononcé cette phrase, c'était trop tard.

[Madennig]

D'un simple signe de tête, Madennig répondit affirmativement à la première question de Uilleam. Tous les deux tiraient la barque hors de l'eau, pour que la terre retienne celle-ci.

Madennig cette fois avait suivi à la lettre les recommandations muettes de la vieille femme qui s'entêtait à rester au creux de son paradis terrestre. Comme déjà morte, hors du monde des hommes. Elle avait essayé de l'observer mais elle n'obtint aucune réponse. Le mystère de ce lieu et de sa gardienne restait entier quand finalement Uilleam se sentit prêt à affronter ce qu'il avait laissé derrière lui. Il n'avait pas cherché à se donner des excuses pour adoucir ses fautes, et Madennig n'était pas en position de l'accabler puisqu'il l'avait sauvée.
Si il se rendait, ce ne serait que de son plein gré.

Elle cherchait le héron du regard quand elle entendit la voix de Pwyll. Sur ses gardes mais loin d'être équipée pour un combat efficace, elle doutait. Ce lieu avait été la scène de la perte de beaucoup de Hilderins finalement...
Au moment où elle vit le colosse, et ce, malgré la brutalité de son cœur cognant sa poitrine, elle eut peur d'être face à un mensonge.

Le mirage se dissipa lorsqu'il évoqua ces fleurs qu'elle lui avait offert. Ça ne pouvait être que lui ! Oubliant d'expliquer quoi que ce soit à Uilleam, elle courut dans les bras de l'exilé, un sourire immense aux lèvres incapables de trouver une réponse intelligente à prononcer... Pourtant, l'osfei gardait dans sa manche une petite lame, juste au cas où.

[Pwyll]

Il serra l'apparition contre lui pour se convaincre de sa réalité, puis se souvint qu'il ne devait pas sentir très bon après ces jours d'isolement...

Éloignant Madennig et la tenant par les épaules, à bout de bras, pour bien l'examiner des pieds à la tête, il remarqua qu'elle avait dû se remettre de sévères blessures et que son visage portait encore quelques traces sur ses pommettes et ses lèvres qui devaient être sérieusement tuméfiées il n'y a pas si longtemps.

La prise de conscience de la survie de la jeune femme prenait du temps à atteindre sa pleine puissance, mais déjà des larmes luttaient vaillamment pour déborder la digue de ses yeux.

"T'es vivante alors ! Comment... comment tu t'en es sortie ? J'ai pas réussi à te trouver, je te demande pardon Mad..." sa voix s'érailla sur cet aveu particulièrement terrible pour lui.

[Kiddle]

Uilleam avait précautionneusement posé une main sur la garde de son épée, mais il semblait que l'Osfei et le grand blond se connaissaient. Voyant qu'ils n'étaient pas loin de pleurer, le chevalier aux yeux gris et aux vêtements usés s'éloigna.
Il alla impassiblement s'asseoir un peu plus loin, sur un tronc d'arbre. L'ancien Osfer économisait ses gestes, agissait avec lenteur. Il n'était pas pressé. Bien-sûr il se doutait que Mad avait des amis, et même pourquoi pas un petit ami qui serait parti à sa recherche.

[Madennig]

Et il la repoussa.
Elle n'avait pas imaginé ces retrouvailles aussi distantes ! Pourquoi devait elle le pardonner... Qui aurait pu la retrouver à part ceux qui eux même s'étaient perdus ?

Son visage s'anima soudain de stupeur : il la pensait morte et...

Elle ne savait même pas depuis combien de temps elle avait été forcée de quitter le domaine de Tairdelbach. Peut être qu'il avait tourné la page, tout simplement. Sauf qu'elle n'avait pas envie d'avoir cette conversation... Pas maintenant.

Elle lui offrit un sourire rassurant finalement. Elle n'avait pas assez mal pour lui refuser des paroles réconfortantes.

"Tu ne peux pas me sauver à chaque fois, Pwyll. D'autant que ce n'était pas le fait des Feondas."

Elle se tourna vers Uilleam. Elle prit un instant pour réfléchir, ce qui n'était pas coutumier chez elle, et reprit.

"Viens que je te présente celui qui m'a retrouvée. Nous avons fait le voyage ensemble. "

Elle tendit sa main vers le grand blond, pour l'encourager à la suivre. Une fois auprès de l'ancien Hilderin, elle eut un geste posé : elle s'agenouilla pour s'asseoir devant lui, avant de s'adresser de nouveau à Pwyll.

"Je serai morte sans sa pitié."

Elle n'ajouta rien, c'était à eux de faire connaissance. Elle préférait détailler ce colosse pour tenter de deviner ce qu'il pouvait bien faire ici...