Fortuna Imperatrix Mundi

Étrangement détaché à l'approche de la forteresse dont la vision était presque familière, Pwyll rendit au chevalier Mac Rhidian un regard où ses pupilles baignaient dans une morne et blanche désolation vaguement humide.

"Je me sens un peu coupable et malheureux, ça devrait aider, du coup."

Il suivit docilement, non sans avoir lancé un regard en arrière vers Uilleam alors qu'ils le laissaient, mené vers la place. Une pointe d'empathie surgit malgré lui pour le chevalier déchu. S'il avait été victime d'un envoûtement, son seul mauvais caractère justifiait-il qu'il soit pendu ?

Les voyageurs se séparèrent à l'entrée de la citadelle. Uilleam, Divemeria et ses compagnons faisaient halte dans la grande place centrale avant de se diriger vers les prisons.

Dans le même temps, Jazkez Mac Rhidian et Pwyll allaient droit devant eux, dans le bâtiment principal, à la porte surmontée par un blason gravé dans la pierre blanche. A l'intérieur ils s'engagèrent dans l'escalier principal qui desservait le premier étage où se trouvaient de nombreux bureaux, salles de travail, archives et salons des officiers. Les bureaux d'Ergon Tamir se trouvaient entre le corps principal du bâtiment et la grande tour de gauche.

Une fois annoncé, les deux hommes patientèrent quelques minutes, le temps que la commanderesse en ait fini avec son interlocuteur actuel. Une sous-officière quitta le bureau en les saluant au passage et disparut, retournant vaquer à ses occupations. La dirigeante de la Citadelle les accueillit sobrement et sans affectation, avec une forme de rudesse directe qui lui était coutumière. Elle attendait de ses interlocuteurs qu'ils allassent aux faits.

Rozenn accompagna Jazkez et Pwyll jusqu'à la porte du bureau, plus pour connaitre le chemin et admirer l'intérieur de la citadelle que pour véritablement les suivre jusque dans le bureau du commandant de Dèas. Une fois sur place, elle eut un petit sourire de courtoisie.

"Je vais vous attendre ici, je ne fais pas partie de l'ordre et je ne pense pas que votre commandant acceptera de parler de certaines choses avec quelqu'un d'extérieur aux hilderins. Ne vous inquiétez pas, je trouverai bien à m'occuper."

Elle les regarda pénétrer dans l'office d'Ergon Tamir, attendit que la porte se fut fermée pour chercher quoi faire. Assurément, l'endroit valait d'être visitée, mais n'étant pas hilderine, il y avait peu de chances pour qu'elle soit totalement libre de ses mouvements. Elle décida donc de flâner un peu dans les couloirs, observant lorsque cela était possible l'extérieur depuis une fenêtre ou une meurtrière.

En professionnels du métier, les soldats qui s'étaient alignés à leur arrivée l'observèrent avec un impeccable silence. Tandis qu'un sinistre crachin tombait sur ses vieux habits hilderins, le chevalier renégat contempla les défenses de la citadelle d'un air affligé... Dire qu'il était venu prendre ses ordres de mission à Dèas, il y a de cela une éternité. Et aujourd'hui, un criminel, voilà ce qu'il était. Quel foutu gâchis. Ils pourraient toujours jacasser sur son compte, mais viendrait le jour où il faudrait être prêt.
Uilleam fut conduit en prison encadré par Viktor et Divemèria. Au moins, à l'abri des regards il pourrait se préparer mentalement, patiemment. Une chose qu'il avait l'habitude de faire.

Il fallait reconnaître cela aux Hildeux. Il savait bâtir. Même dans cet état, la citadelle avait de la "Gueule". Rien que pour cela, elle comprenait le complexe des frère Osag.

Elle avait suivi les ordres, déposé le prisonnier avec un peu de tristesse... Elle avait apprécié moyennement les tentatives de foutre la merde dans le groupe... Mais elle comprenait que c'était sa forme de défense. Et probablement qu'il ne lui restait plus que cela comme moyen d’expression.

Elle avait demandé ce qu'elle devait faire après la dépose du prisonnier et avait respecté les consignes.

Jazkez salua sobrement Ergon Tamir en s'inclinant et en faisant claquer ses talons. Il était sur le point de s'exprimer mais ne put réprimer un éternuement et se détourna vite vers Pwyll qu'il saupoudra probablement de quelques postillons.

-Commandant. Sale temps !

Le chevalier se redressa et prit la parole.

-Nous ramenons prisonnier le capitaine Uilleam de Terkhem comme convenu. La traque fut laborieuse et coûteuse mais c'est indéniablement une victoire pour l'Ordre. Je voudrais être clair sur le rôle de mon auxiliaire hilderin dans sa capture. Sans lui, Uilleam serait toujours en train de se prélasser au cœur de la foret engloutie. Je voudrais également reporter la perte de mon Osfei Madennig. Les épreuves qu'elle a traversée pendant cette période au cœur du marais ont eu raison de son esprit. Elle a été reformé par l'Osfer Iarnuud pour raison de santé peu de temps après la capture de Uilléam.

Jazkez laissa échapper malgré lui un soupir et produisit auprès de la commanderesse le document officiel signé de la main du vieil osfer vétéran.

-Lors de cette traque mon auxiliaire s'est rendu coupable de méthodes répréhensibles certes, mais efficaces qui ont eu pour finalité de retrouver et capturer Uilléam. Il a fait depuis amende honorable et se présente humblement à Déas afin de répondre des accusations de violence et de trouble de l'ordre publique dont il est accusé par le seigneur d'une sombre bourgade locale du nom de Losgadh. Je suis tout a fait favorable à cette démarche et à cette nécessité de tirer cette histoire au clair. Je sollicite néanmoins auprès de vous que la responsabilité de ce jugement et les démarches administratives en découlant soient à la charge des dits plaignants et qu'il leur soit laisser le soin de prouver la culpabilité de mon auxiliaire. J'ai déjà perdu mon Osfei dans ce marais, je ne peux me permettre de perdre mon auxiliaire dans des démarches juridiques sans fin. Je demande juste qu'il soit considéré libre et innocent jusqu’à preuve de son hypothétique culpabilité.

Ergon Tamir était partagée. Satisfaite bien sûr d'avoir Uilleam de Terkhên sous la main, mais aussi assez contrariée d'avoir de sombres affaires diplomatiques à venir ou d'entendre qu'une osfei avait flanché après une mission. Même si elle pouvait entendre que certains avaient des difficultés, la faiblesse mentale n'était pas quelque chose qu'elle abordait spontanément avec empathie. Sortir les éléments trop faibles pour s'accrocher était donc une nouvelle qu'elle prenait avec un relatif dédain, chassant ce détail de son esprit.

" S'ils ont quelque chose à nous demander, ils s'adresseront à Briaga. Les féodaux se croient dans un monde où ils peuvent faire ce qu'ils veulent dans leur petit domaine autarcique. Toutes ces bêtises n'ont jamais empêché les brigands ou les feondas de se répandre. Chacun à mener sa politique de voisinage bas de plafond ! "

" Doucement quand même sur la diplomatie musclée, nous avons déjà de quoi faire à mater les Mac Fanch, nous ne pourrons pas envoyer des troupes importantes à trop de lieux différents simultanément. "

" D'ailleurs vous êtes plutôt dans le sud, des échos des osags ? Les terres de Dèas... Non ? Pas grave, mais soyez vigilants. "
" On va régler ça rapidement avec Uilleam de Terkhên, ça n'a que trop traîné cette affaire."

" Pour vos soucis de voisinage, faites un rapport à Briaga. Autant qu'elle sache à quoi s'attendre en réclamations."

Pwyll maintenant une posture droite, qui se voulait martiale, les mains derrière le dos. Son regard oscillait, tantôt droit devant lui, focalisé sur le fond de la pièce derrière Ergon Tamir, tantôt en laissant une possibilité pour elle de le saisir, si elle voulait s'adresser à lui directement.

La description peu flatteuse de la situation de Mad lui fit un pincement au cœur, mais il ne pouvait rien y faire. Au moins, il ne pouvait qu'être d'accord avec l'évaluation que la commandante faisait des petites manigance des Mac Lormel. Une bande de nobliaux qui jouaient aux cons au fond de leur marais alors qu'une horde de sauvages avec on ne sait combien de morcails risquait de leur tomber bientôt sur le coin de la tronche.

Pwyll se contenta de hocher légèrement la tête pour signifier qu'il comprenait les ordres, même s'ils ne lui étaient sans doute pas directement destinés.

Jazkez salua de nouveau en s'inclinant légèrement.

-Honnêtement nous avons été surpris par le niveau d'hostilité de ces gens envers l'ordre hilderin. Nous avons été contraint... d'improviser mais si c'était à refaire nous agirions probablement différemment.

-Concernant Uilléam de Terkheim, celui ci déclare avoir été en contact avec une sorte de Morcai qui l'aurait empapaouté et forcé malgré lui à se compromettre de la sorte. Même si cette explication me parait bien lui convenir, elle colle avec les agissements d'une sorcière qui sévit dans notre région depuis plusieurs mois. Il affirme avoir été témoin lors de sa semi-captivité de la présence de plusieurs clans barbares et belliqueux, d'actes de cannibalisme et de pratiques primitives obscures. Nous parlons de plusieurs centaines de combattants. Malgré tout le ressenti que j'ai pour Uilléam je pense qu'un interrogatoire complet avant tout autre procédure de jugement pourrait permettre de mieux identifier la menace et son niveau. Quand j'y pense, c'est probablement pour cette seule et unique raison que j'ai fait l'effort de le ramener jusqu’à Déas et qu'il ne s'est pas noyé par inadvertance dans son gruau.

Ergon Tamir approuva :

"Faisons ça. Les procès sont des pesanteurs dont je peux me passer s'il n'est pas possible de faire autrement."

La commanderesse alla à la porte donner l'ordre de faire venir le prisonnier Uilleam de Terkhên.
" Autre chose ? " demanda-t-elle à Jazkez et Pwyll. " A propos de Terfynisel et de son voisinage. Attitude des maisons nobles, brigandage, trafics..."