[OdE - Chap. 12-01] Flambeaux dans la brume
Publié : 21 déc. 2020, 17:45
Les nuits d’été étaient brèves. Dans la Forêt Engloutie, les grenouilles demeuraient silencieuses et soudain se mettaient à coasser si fort qu’il fallait hausser le ton pour s’entendre. Leur chant provenait de toutes parts dans la végétation dense. Elles se trouvaient sur les nénuphars des clairières, dans les roseaux fins des bords d’îlots, sur les racines partiellement aériennes de saules et palétuviers.
Dans le douloureux demi-sommeil de l’inconscience, ils percevaient le mouvement de la barque et l’humidité, tout autant qu’ils étaient assaillis par le concert discordant et épuisant des batraciens. L’obscurité était un peu réduite par la clarté diffuse d’une lanterne de lucioles hallucinantes. Enfermées dans le papier ciré, elles permettaient aux navigateurs de se diriger avec l’assurance de ceux qui connaissent bien leur environnement.
Bien qu’attachés, ils étaient déposés avec autant de délicatesse qu’on pouvait en espérer en cette circonstance – laquelle d’ailleurs ? Que s’était-il passé ? Leurs souvenirs étaient confus. Ils se rappelaient avoir été en visite chez le vecteur Fredelme, un soir. L’ambiance était cordiale. Aeldred, Gweneth et Ludd s’y trouvaient pour dîner et discuter. Des étrangers avaient surgi pour enlever l’uniste, mais ils n’avaient pas prévu la présence des autres. Il eut un grand moment de confusion, mais Aeldred et Gweneth portaient des hexcelsis sur leur poitrine, et le vecteur Fredelme les traitait avec la plus grande prévenance. Les inconnus décidèrent d’emmener les invités du vecteur. Il fallait faire vite ! La nuit était courte et la route était longue.
La liqueur de morphène troublait l’esprit. Comment savoir combien de temps s’était écoulé ? Est-ce que le ciel devenait insensiblement plus clair ? Les cimes des arbres étaient d’un noir profond, mais les étoiles avaient disparu.
Les prisonniers retrouvaient leurs sens, encore engourdis, et découvraient leurs ravisseurs anxieux. Ces gens ressemblaient à des villageois, mais ils portaient tous un hexcelsis. Leurs vêtements étaient de facture artisanale modeste, peut-être en fibre d’ortie ? Ils avaient été tissés sur de petits métiers comme on peut en trouver dans les fermes. Ils se distinguaient également par le fait qu’ils n’étaient, pour la plupart, pas teints. Les manteaux en couleur brun sombre tranchaient. Le blanc – ou le non-teint – était une couleur arborée par les fidèles ardents des paroles du prophète Soustraine. Cependant, aucun des prisonniers n’avait connaissance d’une communauté uniste dans la Forêt Engloutie. Il y avait un monastère près de Llewellen et un vecteur à Terfynisel, et la présence du Temple n’allait pas plus loin – du moins le croyaient-ils jusque-là.
« Ils reprennent conscience !
– On devrait leur ôter les baillons ?
– On ne risque plus rien, ça devrait aller, oui. »
L’instant d’après, les prisonniers pouvaient parler et se tenaient assis dans deux barques à fond plat qui naviguaient côte à côte.
« Pardon, vraiment… On ne voulait pas que ça se passe comme ça… On voulait aller vite… Il ne fallait pas laisser de traces, qu’on nous suive, vous comprenez ? C’était nécessaire, si on avait pu faire autrement… Vecteur, nous avons besoin de vous ! »
Tous les regards des ravisseurs se tournaient vers l’homme de foi qui était dépassé par la situation. Il ne faisait nul doute qu’en dépit des moyens douteux employés, les prisonniers n’étaient pas en danger. Ils étaient attachés par précaution, pour éviter des luttes au pire moment, et dans l’attente d’explications qui devaient permettre d’évacuer tout malentendu. Des échanges de paroles confus se succédèrent, mêlant réponses hésitantes du vecteur et excuses mortifiées des ravisseurs – néanmoins déterminés à arriver à bon port. En définitive, le vecteur obtint la libération de tous les prisonniers contre la promesse d’accepter de se rendre au village des ravisseurs.
« Nous devrions faire connaissance de manière plus civilisée, suggéra Fredelme. Vous savez apparemment qui je suis. Aussi laissez-moi vous présenter l’Élu de l’Unique Aeldred, vassal de la seigneuresse Blodwen de Terfynisel. Si vous estimez devoir être respectueux envers moi, soyez le encore plus à son égard, car l’Unique L’a ramené d’entre les morts pour nous guider dans les heures sombres. La clerc Gweneth est une femme sage et érudite, qui sera de bon conseil. L’artisan Ludd est un homme inventif et plein de ressource, à même de résoudre les problèmes les plus compliqués. »
Dans le douloureux demi-sommeil de l’inconscience, ils percevaient le mouvement de la barque et l’humidité, tout autant qu’ils étaient assaillis par le concert discordant et épuisant des batraciens. L’obscurité était un peu réduite par la clarté diffuse d’une lanterne de lucioles hallucinantes. Enfermées dans le papier ciré, elles permettaient aux navigateurs de se diriger avec l’assurance de ceux qui connaissent bien leur environnement.
Bien qu’attachés, ils étaient déposés avec autant de délicatesse qu’on pouvait en espérer en cette circonstance – laquelle d’ailleurs ? Que s’était-il passé ? Leurs souvenirs étaient confus. Ils se rappelaient avoir été en visite chez le vecteur Fredelme, un soir. L’ambiance était cordiale. Aeldred, Gweneth et Ludd s’y trouvaient pour dîner et discuter. Des étrangers avaient surgi pour enlever l’uniste, mais ils n’avaient pas prévu la présence des autres. Il eut un grand moment de confusion, mais Aeldred et Gweneth portaient des hexcelsis sur leur poitrine, et le vecteur Fredelme les traitait avec la plus grande prévenance. Les inconnus décidèrent d’emmener les invités du vecteur. Il fallait faire vite ! La nuit était courte et la route était longue.
La liqueur de morphène troublait l’esprit. Comment savoir combien de temps s’était écoulé ? Est-ce que le ciel devenait insensiblement plus clair ? Les cimes des arbres étaient d’un noir profond, mais les étoiles avaient disparu.
Les prisonniers retrouvaient leurs sens, encore engourdis, et découvraient leurs ravisseurs anxieux. Ces gens ressemblaient à des villageois, mais ils portaient tous un hexcelsis. Leurs vêtements étaient de facture artisanale modeste, peut-être en fibre d’ortie ? Ils avaient été tissés sur de petits métiers comme on peut en trouver dans les fermes. Ils se distinguaient également par le fait qu’ils n’étaient, pour la plupart, pas teints. Les manteaux en couleur brun sombre tranchaient. Le blanc – ou le non-teint – était une couleur arborée par les fidèles ardents des paroles du prophète Soustraine. Cependant, aucun des prisonniers n’avait connaissance d’une communauté uniste dans la Forêt Engloutie. Il y avait un monastère près de Llewellen et un vecteur à Terfynisel, et la présence du Temple n’allait pas plus loin – du moins le croyaient-ils jusque-là.
« Ils reprennent conscience !
– On devrait leur ôter les baillons ?
– On ne risque plus rien, ça devrait aller, oui. »
L’instant d’après, les prisonniers pouvaient parler et se tenaient assis dans deux barques à fond plat qui naviguaient côte à côte.
« Pardon, vraiment… On ne voulait pas que ça se passe comme ça… On voulait aller vite… Il ne fallait pas laisser de traces, qu’on nous suive, vous comprenez ? C’était nécessaire, si on avait pu faire autrement… Vecteur, nous avons besoin de vous ! »
Tous les regards des ravisseurs se tournaient vers l’homme de foi qui était dépassé par la situation. Il ne faisait nul doute qu’en dépit des moyens douteux employés, les prisonniers n’étaient pas en danger. Ils étaient attachés par précaution, pour éviter des luttes au pire moment, et dans l’attente d’explications qui devaient permettre d’évacuer tout malentendu. Des échanges de paroles confus se succédèrent, mêlant réponses hésitantes du vecteur et excuses mortifiées des ravisseurs – néanmoins déterminés à arriver à bon port. En définitive, le vecteur obtint la libération de tous les prisonniers contre la promesse d’accepter de se rendre au village des ravisseurs.
« Nous devrions faire connaissance de manière plus civilisée, suggéra Fredelme. Vous savez apparemment qui je suis. Aussi laissez-moi vous présenter l’Élu de l’Unique Aeldred, vassal de la seigneuresse Blodwen de Terfynisel. Si vous estimez devoir être respectueux envers moi, soyez le encore plus à son égard, car l’Unique L’a ramené d’entre les morts pour nous guider dans les heures sombres. La clerc Gweneth est une femme sage et érudite, qui sera de bon conseil. L’artisan Ludd est un homme inventif et plein de ressource, à même de résoudre les problèmes les plus compliqués. »