[Focus] Héritage (Blodwen)

[Iris]

Automne, 10e Damhar 909

La fièvre du vieux seigneur Breth McTerfynysel était peut-être contagieuse finalement..? Blodwen s'était réveillée en sueur au milieu de la nuit. Des bribes confuses de rêves lui revenaient, des souvenirs du château. Le regard de son patient avait été tellement intense qu'elle en avait été choquée. Il délirait sous l'effet des médications censées apaiser les douleurs de ses crampes. Celui qui avait été un fier guerrier et meneur d'hommes n'était plus que l'ombre de lui-même. Il déclinait depuis plusieurs années déjà, mais jusqu'ici avait toujours gradé toute sa tête. Sa seconde épouse, DameGloada Mc Terfynysell rôdait avec des allures de vautour guettant le moment de son repas. Les pièces étaient sombres, étouffantes...

Sombrant de nouveau à demi dans les ténèbres, Blodwen était enveloppée dans ses couvertures, sur un matelas de paille. Chaque année on les reconstituait à partir de foin ou de paille, en essayant d'en faire un nid douillet, enveloppés d'une couche de laine de mouton et d'une toile solide pour éviter d'être piqué par les brins passant à travers les fibres du textile. C'était comme ça ici. On dormait au milieu de l'odeur des prairies en pente où paissaient les moutons. Que ce lit était grand ! ... ou bien était-elle toute petite dans ce monde de géants ?

Les grands discutaient à côté, en faisant attention pour ne pas la réveiller, mais elle les entendait suffisamment pour savoir qu'il y avait maman et sa tante. Le voyage était prévu pour bientôt. On lui avait d'être sage et de faire tout ce qu'on lui dirait, sans faire d'histoire. Tout irait très bien.

... mais pourquoi Maman pleurait-elle ? ...

[Arthus]

Malgré ce que lui avaient dit les grands, qui avaient fait tout leur possible pour paraître rassurants, la petite Blodwen était inquiète. Bien sûr, il y avait ce voyage vers l'inconnu, cette grande aventure qu'elle attendait avec autant de crainte que d'impatience... Mais il y avait aussi quelque chose de plus, qu'elle ne comprenait pas vraiment, et qui lui faisait peur.

Quelque chose n'allait pas, elle le sentait. Quelque chose que les grands cachaient, et dont ils parlaient à voix basse quand ils pensaient qu'elle ne pouvait pas les entendre. Et maintenant Maman pleurait.

Blodwen était tiraillée entre la crainte et la curiosité, mais ce fut cette dernière qui l'emporta. Désormais parfaitement réveillée, elle continua à feindre le sommeil tout en tendant l'oreille, dans l'espoir d'entendre quelque chose d'intéressant qui lui permettrait de comprendre les étranges décisions que ses parents avaient prises ces derniers jours.

[Iris]

Blodwen tendait l'oreille depuis son lit, mais les grands chuchotaient. Elle n'entendait pas suffisamment pour avoir une idée globale de la discussion :

" Dis-lui... "

" ... pas possible..."

" ...oublier..."

L'échange se poursuivait, mais pour combien de temps ?

[Arthus]

Agacée de ne rien entendre, sa curiosité enfantine désormais piquée au vif, la petite Blodwen sortit le plus silencieusement possible de son lit pour se rapprocher du battant qui la séparait de la pièce où discutaient les grands.

Afin de se donner un prétexte au cas où elle se ferait prendre, elle prit son petit pot de chambre en terre cuite avec elle, afin de pouvoir prétendre un besoin nocturne au cas où on l'attraperait à écouter aux portes. Une fois son stratagème mis en place, elle tendit l'oreille, juste à côté de la porte.

[Iris]

La fillette voulait savoir, mais la conversation était bien avancée désormais... réussirait-elle à en apprendre davantage ?

Sa tante se tenait debout. Elle était prête pour le voyage durant lequel elle emmènerait sa nièce.

" Je l'aime comme ma fille. Je t'assure que tout ira bien."

" Je sais, c'est dur, c'est tout." finit par répondre sa mère en s'essuyant les yeux. "C'est la meilleure chose à faire pour elle."

[Arthus]

Les dernières paroles de sa mère furent comme un coup de poing dans la poitrine de la petite fille.

Alors... Maman ne venait pas? Mais pourquoi... pourquoi allait-elle la laisser seule? Et Papa, allait-il l'abandonner lui aussi?

Prise de légers tremblements, la fillette retint sa respiration et continua à écouter, faisant le moins de bruit possible, serrant à s'en faire mal son petit pot de chambre contre elle...

[Iris]

Tandis qu'elle se réveillait en pleurant de ce cauchemar, l'esprit embrumé, avec l'idée "que Papa ne venait pas", une pensée confuse avait jailli : "Papa est varigal. Papa n'a jamais été là"


Il était encore bien tôt et Blodwen, malgré le malaise, finit par se rendormir, laissant le rêve replonger dans les profondeurs des ténèbres, noyé dans l'oubli.

Les réminiscences du rêve peuvent revenir quand tu le souhaites, c'est libre !

--- FIN de l'épisode ---

[Iris]

Il y avait du travail pour Blodwen à la rosace : des nouveaux venus, qui devaient aller prendre la relève à la garnison de Swelbecky. Les membres qui se trouvaient là-bas allaient être mutés... Bref, on jouait au jeu des chaises musicales. En soi ces changements ne concernaient pas la guérisseuse, mais un des nouveau était paraît-il légèrement blessé, alors autant le soigner avant qu'il ne parte.

La jeune femme arrivait à la rosace. Hemsten, un orphelin de 13 ans recueilli et apprenant le métier de palefrenier la conduisit à Hafnir. Elle connaissait le chemin, mais le commandeur souhaitait qu'Hemsten apprenne autant que possible les usages pour trouver plus facilement un emploi par la suite. S'il voulait rester avec les Ronces, tant mieux, mais l'essentiel était de lui laisser le choix.


Le bureau d'Hafnir était une pièce fonctionnelle et confortable, un brin dépouillée, signalant néanmoins un certain goût dans le choix des matériaux et l'agencement. Il accueillit chaleureusement Blodwen, et après les salutations d'usage en vint aux faits :

" Nous avons gagné une nouvelle recrue, Roparz... peu avant qu'il se fasse pendre pour meurtre. Il m'avait vu dans la foule et en a fait appel au vœu des Ronces : échapper à la mort par la main des hommes pour tomber sous les coups des feondas en sauvant les communautés humaines. A ma connaissance, personne n'a jamais refusé de répondre à ce vœu, et je l'ai donc accepté parmi nous. Il est entré en formation dans la Rosace d'OstaBaille. A présent, il m'a été, si l'on peut dire, renvoyé, façon de me remercier d'avoir enrichi l'ordre de ce bel élément. "

" Je t'ai fait venir car cet imbécile a réussi à recevoir un coup de couteau au cours d'une bagarre. D'après ce que je sais, ils étaient sortis dans une taverne à OstaBaille pour fêter la fin de leur formation, et se sont heurtés à des hilderins en sortie. Le ton a monté... Tout le monde a fini par être dispersé et on ne déplorait officiellement aucun blessé. Seulement cet idiot, lui était touché et n'a rien dit. Le genre "je serre les dents, ça cicatrisera bien tout seul à la longue. Evidemment le trajet menant ici est assez long et ça n'a pas guéri. Le fait qu'il n'ait qu'un mauvaise infection est la preuve que c'est un vrai boernac, mais il ne manquerait plus qu'il ne prenne une fièvre des marais et nous aurions un mourant à Swelbecky."

[Arthus]

Blodwen se laissa gentiment conduire par Hemsten : bien qu'elle connaisse le chemin, elle n'aurait pas voulu nuire à la formation du garçon, qui semblait prendre sa tâche très au sérieux.

Elle arriva ainsi dans le bureau du commandeur Hafnir et, passées les salutations cordiales, la jeune femme écouta le récit du commandeur. Elle ne put s'empêcher de sourire devant la bonté qui transparaissait du récit du chevalier : malgré son agacement, il sauvait manifestement une deuxième fois un homme qui, aux yeux de beaucoup, ne le méritait probablement pas. D'autant qu'il lui aurait été facile de le laisser mourir : il lui aurait suffi de feindre qu'il n'avait pas vu la blessure. Vu le passé de l'individu et le destin de la plupart de ceux qui rejoignaient l'ordre pour échapper à la corde, personne ne lui aurait probablement rien reproché. Personne, si ce n'est lui-même.

Je suis prête à le voir, j'ai amené tout mon nécessaire avec moi, comme toujours.

[Iris]

Quelques minutes plus tard, Blodwen se trouvait dans la cellule de Roparz. Fenêtre étroite munie de barreau, un lit, une chaise, un coffre qui tenait de la cantine et suivrait son propriétaire à sa prochaine affectation. La porte pouvait être fermée et ouverte de l'intérieur, mais le verrou était à l'extérieur. Les Ronces de rang inférieur pouvaient ainsi être enfermés dans leurs quartiers au besoin.

L'homme était assis sur le lit, grognon, et assez effrayant dans son genre. On n'aimerait pas le rencontrer un soir dans une ruelle mal éclairée. Il évoquait irrésistiblement à Blodwen des souvenirs de l'épisode tragique qui lui avait valu d'abandonner sa vocation de varigale. Des gens de ces sortes semblaient capables de beaucoup de choses, notamment du pire. Pour l'instant néanmoins, il avait le regard brillant, fébrile, et son visage marqué par une douleur qu'il essayait de supporter stoïquement.

Hafnir fit les présentations, avec un ton qui indiquait clairement que Roparz avait intérêt à se tenir correctement avec la guérisseuse. Mais même s'il manquait cruellement de savoir-vivre, le nouveau Ronce avait également conscience de souffrir et qu'il n'était pas impossible que sa vie dépendît de cette femme.

" Déshabille-toi qu'elle puisse t'examiner."

Grognant un acquiescement, il s'exécuta.

" Je vous attends à l'extérieur Blodwen."

Hafnir la voussoyait devant Roparz, sans doute pour inciter ce dernier au respect.

Un malaise croissant, Blodwen revoyait les brutes qui l'avaient torturées. Les images revenaient à la surface jusqu'à la nausée. Jusqu'à un passage, un détail. Les hommes s'étaient associés à d'autres du coin, deux vauriens, pour la capturer. Elle ne les avait pas bien vu alors et il faisait si sombre déjà ce soir-là... Mais... à présent qu'elle avait Roparz sous les yeux, elle était presque sûre qu'il était l'un de ces deux mercenaires d'appoint !