[OdE - Chap. 1] La Forêt engloutie

[Casaïr]

Aeldred ne savait trop que penser. Il n'était pas vraiment contre l'autorité royale mais Blodwen, qui n'avait pas pipé mot depuis leur arrivée au château, semblait désapprouver la présence des hilderins. Sans doute était-ce lié à son passé si mystérieux. Il espérait voir dans les gestes de Uilleam quelque chose qui trahirait ses véritables intentions, mais l'homme était de marbre.

"Si vous le souhaitez, messire, je pourrai vous servir de guide jusqu'à ce que vous preniez vos marques, je connais parfaitement la région et ce serait pour moi un honneur de vous aider."

Et cela me permettra sûrement d'en apprendre plus sur la raison de votre venue ici, pensa-t-il.

[Iris]

Uilleam de Terkhên accepta l'offre du chasseur Aeldred (qui précisa bien évidemment son identité et où le joindre).

Les Hilderins n'allaient pas tarder à se remettre en route, ayant dans l'idée d'arriver à Swelbecky le jour même, ou au moins le soir. Cela laissait à Aeldred un temps suffisant pour se préparer, et à Blodwen de réfléchir à ce qu'elle comptait faire pour sa part, incluant de discuter avec son ami après avoir ramené le vieux seigneux dans son lit.

[Casaïr]

Une fois rentré dans ses pénates, Aeldred réfléchit à ce qui venait de se passer. Tout en rangeant ses affaires, il se posait beaucoup de questions, notamment face à la passivité étonnante du seigneur Mac Terfynisel et du commandeur des Ronces.

Il se dit qu'il irait voir Blodwen après avoir mangé et s'être débarbouillé, il était fort possible qu'elle en sache plus sur le sujet. Elle avait beaucoup voyagé après tout. Il pensa aller voir Rhea également, en tant que dàmàthair, elle savait peut-être quelque chose au sujet des Ronces et des hilderins, en tout cas les bases qui lui permettraient de mieux se préparer au futur. Il s'était proposé pour servir de guide au commandeur Uilleam mais il commençait à penser que c'était peut-être une mauvaise idée, mais cela lui permettrait de s'occuper hors du village. Même si l'arrivée des étrangers les distrayaient de leur sujet favori, le jeune chasseur espérait que cela pourrait durer plus longtemps en évitant de se montrer au village plus que nécessaire.

Son repas prit et une fois nettoyé, il se hâta jusque chez Blodwen afin de lui parler.

[Casaïr]

Quand Aeldred arriva chez Blodwen, il se rendit compte qu'elle n'était pas encore chez elle. Cela lui rappela qu'elle devait sûrement s'occuper jusque tard du vieux seigneur et il se tapa la tempe, se réprimandant pour son manque de patience. Depuis qu'elle lui avait demandé de l'accompagner pour chercher des herbes médicinales, quelques temps plut tôt, et surtout qu'elle l'avait accepté pour ce qu'il était, il se sentait plus libre, comme un cours d'eau rompant le barrage naturel qui le comprimait pour se déverser sans retenue. Il se rendait compte également que cela pouvait lui attirer des ennuis d'un genre nouveau, lui d'ordinaire plutôt du genre à ne pas se faire remarquer...

Il n'était pas encore trop tard, aussi décida-t-il de rendre visite à Rhea afin de lui demander ce qu'elle savait des Ronces et des Hilderins, en espérant qu'elle pourrait éclairer quelque peu sa lanterne. Et demain matin, j'irai trouver Blodwen.

Arrivé à la porte de sa demi-soeur, il entra tout en frappant, comme il faisait à l'accoutumée et en s'annonçant d'une voix joyeuse, tout en sachant qu'elle devinerait immédiatement toute la fausseté de ce ton. Plus il était inquiet, plus il se forçait à la gaieté, et là, il se sentait perdu, comme à la croisée des chemins...

[Arthus]

Bon, ben Erase and Rewind alors : les réflexions restent, mais c'est plutôt au niveau des actions qu'il y a du changement...

La réaction du commandeur Ronce Hafnir rassura quelque peu Blodwen : s'il confirmait aussi volontiers l'information du Hilderin quant aux effectifs de l'actuelle garnison ronce de Swelbecky, c'est probablement qu'il était déjà au courant de la situation, et qu'il l'acceptait sans mauvaise grâce.

La jeune femme se sentit un peu idiote d'avoir échafaudé d'aussi sinistres conjectures, même si une petite voix au fond d'elle-même lui intimait toujours de rester prudente. Après tout, son passé lui avait appris que les apparences pouvaient parfois s'avérer douloureusement trompeuses. Et le changement qui s'annonçait était également porteur de grandes inconnues.

Quoi qu'il en soit, il n'y avait présentement plus vraiment matière à douter du bien fondé et de la bonne foi de Sire Uilleam, du moins à première vue.

Blodwen sourit légèrement lorsqu'Aeldred soumit son offre au chevalier : lui qui était d'ordinaire distant et renfermé en raison de son douloureux statut de paria, le voilà qui venait de se faire le répresentant de sa communauté auprès de l'ordre Hilderin! Nul doute que cela jaserait dans le village dès que cela se saurait... Mais Aeldred méritait cette opportunité, et Blodwen était sincèrement heureuse pour lui. Ne restait plus qu'à le mettre en garde que cette accointance avec les Hilderins ne lui attire pas encore plus d'antipathie au village.

Cette proposition fort opportune avait également donné une idée à Blodwen : pourquoi ne pas proposer aux deux ordres de collaborer? Après tout, la rosace de Terfynisel pourrait rapatrier les hommes de la garnison de Swelbecky, ce qui constituerait un renfort appréciable en cas de danger extérieur, tandis que toute la région bénéficierait de la protection supplémentaire des cinq Hilderins.

Mieux encore : les ordres pourraient se porter assistance, ce qui pourrait même permettre le développement de la région pour peu que les Hilderins se donnent les moyens de transformer Swelbecky en carrefour commercial. Et dans ce cas, bénéficier de la compétence des Ronces en matière de gestion pourrait s'avérer profitable pour les deux ordres, mais aussi pour la région toute entière.

Blodwen allait faire part de cette idée aux commandants Hilderin et Ronce présents dans la pièce, lorsque le seigneur Mac Terfynysel fit de grands signes pour qu'on le ramène dans son lit, nécessité que confirmait son regard fiévreux et son teint blafard.

Elle décida donc de hâter la fin de cette entrevue pour s'occuper de son patient. Sa proposition pouvait toujours attendre, surtout si elle avait d'autres occasions de parler plus tranquillement avec les représentants des deux ordres.

Messires, madame, si vous voulez bien m'excuser... Le seigneur Mac Terfynysel a à présent besoin de repos, je vais donc le reconduire à ses appartements. Toutefois, j'aimerais ajouter mon offre à celle d'Aeldred : je ne connais pas la région aussi bien que lui, mais j'ai de très bonnes connaissances de la nature, et j'ai déjà eu l'occasion de voyager. Par ailleurs, je gage que mes compétences médicinales pourront vous être utiles, comme elles le sont déjà au seigneur dont j'ai la charge, mais aussi aux habitants du village et aux chevaliers-ronces qui protègent cette région.

Après avoir reçu la réponse du chevalier, Blodwen alla mettre son patient au lit, et s'occupa de lui du mieux qu'elle put, malgré son état de santé préoccupant. Fort heureusement, le remède qu'elle lui administra sembla calmer la toux du vieux seigneur, qui ne tarda pas à sombrer dans un profond et paisible sommeil.

Après s'être assurée que tout allait bien, Blodwen revint dans la grande salle, et proposa de faire prévenir sa tante pour qu'elle veille sur le malade en son absence, conformément à l'arrangement que les deux femmes avaient fixé avec le château.

A cet effet, elle avait rédigé une courte note indiquant l'état du seigneur, ainsi que la composition et l'heure exacte des remèdes qui avaient été administrés : elle la confierait devant témoins à celui qui irait chercher sa tante. Ainsi, toutes les précautions avaient été prises pour qu'en cas de rechute, sa tante sache quoi faire.

Elle-même était déjà prête au départ : elle n'avait eu qu'à enlever la robe large qu'elle avait enfilé par-dessus sa tenue de voyage. Une vieille habitude du passé, qu'elle n'avait jamais perdu.

Enfin, si les chevaliers Hafnir et Uilleam étaient tous deux encore présents, elle leur demanderait brièvement si leurs deux ordres collaboreraient activement, en suggérant que tout le monde aurait à y gagner dans une telle situation. Sinon, elle en parlerait aux deux hommes séparément, dès que l'occasion se présenterait...

[Casaïr]

Aeldred retourna rapidement préparer ses affaires, ne prenant que le strict nécessaire pour ce court voyage, jetant pêle mêle dans son sac une belle miche de pain enveloppée dans un torchon, un peu de fromage et de viande séchée, une gourde d'eau encore à moitié remplie (ce qui n'était guère dérangeant, il aurait l'occasion de la remplir en route) ainsi qu'une couverture usée qu'il utilisait lorsqu'il campait à la belle étoile, vérifia la tension de son arc avant de s'en équiper ainsi que de son vieux carquois, récupéra rapidement son épée qu'il failli oublier avant de repartir précipitamment rejoindre les hilderins sur le départ.

C'est donc un peu essoufflé et quelque peu échevelé qu'il se présenta de nouveau face à Uilleam, fin prêt pour prendre la route.

Quitter le village, même pour seulement deux jours, était toujours agréable, quel que soit le prétexte. Toutefois, il ne cessait de songer au comportement de Blodwen depuis que les chevaliers étaient arrivés.

Il chassa rapidement ses pensées d'un revers de main et se tourna vers le commandant des chevaliers, en mettant le plus possible d'assurance dans sa voix qui ne trembla presque pas :

"Je marcherai en tête pour vous guider, enfin si vous le souhaitez, messire. La route n'est guère dangereuse, mais la nature changeante du terrain peut toujours réserver des surprises."

Et après tout, c'est plutôt vous le danger sur ce trajet...

Il se garda bien de prononcer cette dernière réflexion à haute voix toutefois et huma rapidement l'air en levant les yeux au ciel, tentant de déterminer le temps à venir. Il n'avait pas pris de toile cirée en cas d'intempérie et cela l'ennuyait déjà.

[Iris]

Le Ronce Hafnir était en train de se rendre à la rosace, tandis que les Hilderin faisaient une pause, visitant vaguement les lieux. Si Blodwen voulait lui parler il faudrait se dépêcher, sinon, eh bien, ça attendrait. Elle savait que le commandeur Hafnir était un homme raisonnable : il en faudrait beaucoup pour qu'il devînt une source de problèmes.

Aeldred revint et se proposa pour ouvrir la marche, ce à quoi les hilderins n'avaient rien à objecter. Certains parmi eux semblaient franchement dépités par la pauvreté des lieux et avaient l'air de voir cette affectation comme une corvée voire une punition. Il n'y avait que Uilleam à montrer encore un certain entrain en l'état.

[Arthus]

Lorsqu'elle arriva dans la grande salle, Blodwen constata que le commandeur Hafnir avait déjà pris congé. Tant pis, elle lui parlerait plus tard, dès que l'occasion se présenterait.

En présence de tous les présents de la salle, elle confia sa note au garde du château qui était venu la chercher avec instruction d'aller chercher sa tante et de lui remettre la note : même si le seigneur semblait aller mieux maintenant qu'il dormait, il serait plus prudent que quelqu'un vienne s'assurer que son état n'avait pas empiré dans la journée.

Dès qu'Aeldred fut revenu, elle alla se présenter au chevalier Uilleam, et lui fit brièvement part de son idée :

Messire, si je puis me permettre... je n'ai pas vraiment eu l'occasion de me présenter lors de l'entrevue.

Je me nomme Blodwen et, bien qu'étant originaire de la région, j'ai déjà eu l'occasion de voyager quelque peu.

Son accoutrement, qui pouvait paraître surprenant, surtout au regard de sa tenue précédente, soulignait ce fait.

Pardonnez-moi si je suis indiscrète mais... puis-je vous demander comment vous envisagez votre collaboration avec l'ordre des Ronces? Connaissant la réputation et la vocation des ordres Ronce et Hilderin, ainsi que la nature de votre mission, je suppose qu'une collaboration active pourrait être profitable à tous...

Elle laissa sa phrase en suspens, laissant à son interlocuteur le loisir de répondre.

[Iris]

Le chevalier Uilleam se montra courtois sans excès : il n'avait pas de raison particulière d'être déplaisant ou chaleureux avec Blodwen. Le fait qu'elle eût déjà voyagé un peu n'émut pas Uilleam mais provoqua quelques commentaires d'autres hilderins, parlant trop bas pour qu'on pût connaître la teneur de leur propos. Leur ton était un peu moqueur, mais de là à savoir si c'était envers la jeune femme ou le village...

" Rien n'a été décidé quant à une éventuelle collaboration."

Les autres n'avaient pas l'air de porter les Ronces dans leur coeur.

" Je pense qu'il faut surtout voir la situation comme un partage : nous nous occuperons du nord de la forêt engloutie et des marches des marais de Salann Tir, là où les Ronces de Terfynisel pourront se concentrer sur la moitié sud."

Il n'était pas difficile de voir qu'il répondait un peu en improvisant. Il n'avait réfléchi spécialement à la question mais trouvait que cette réponse n'était pas plus mauvaise qu'une autre.


Si Blodwen n'avait pas d'autres questions, le groupe n'allait pas tarder à prendre la route après un frugal déjeuner.

[Casaïr]

Aeldred écoutait l'échange entre son amie et le commandant, essayant de saisir un concept qui lui était parfaitement étranger.

Les rires moqueurs des hilderins ne le touchaient absolument pas bien que dans le même temps il ne voulait pas que Blodwen passe pour une simple péquenaude à leurs yeux -elle était bien plus cultivée que les trois quarts des villageois à ses yeux- mais ne voyait pas vraiment quoi faire pour le moment.

Il décida de couper court aux rires et de permettre aux chevaliers de se concentrer sur autre autre chose en reprenant son sac posé au sol le temps de manger quelque chose.

"Si vous le souhaitez, nous pouvons nous mettre en route dès à présent. J'imagine que vous avez hâte de prendre vos quartiers à Swelbeky (il jeta un rapide coup d'oeil aux autres chevaliers pour déterminer leur humeur au moment où il prononçait ses mots), et si nous voulons arriver avant la nuit, il ne nous faut pas nous attarder outre mesure. Si le temps est avec nous, vous dormirez dans un bon lit ce soir."

Il savait que les hilderins douteraient grandement de cette dernière affirmation, mais peut-être que cela les forceraient à penser à autre chose qu'à un village somme toute bien modeste à leurs yeux.

Il se tourna ensuite rapidement vers Blodwen en articulant, sans prononcer les mots : "ça va ?"