[OdE - Chap. 12.6] Ambition [FOCUS]

[NailsEater]

Oanell observa la varigale, essayant de jauger son attitude. Briaval ne pouvait pas ... Mais si elle avait raison. Elle lui proposait de ne pas la payer ... Qu'avait-elle a y gagner ?
L’apprentie barde était désemparée. Que faire dans ce cas là ? Son mentor est si étrange ces derniers temps ... Elle tournait l'enveloppe dans ses mains, glissant ses doigts sur le symbole inconnu.

Il est temps d’arrêter d'être naïve ...

La barde ouvrit enveloppe, décidée à comprendre ce qu'il se passait.

[Casaïr]

Oanell découvrit avec agacement que la première enveloppe en contenait effectivement une autre, ce qui expliquait en grande partie l’épaisseur du courrier qu’elle transportait. La mention du nom -et surtout de la destination- figurant sur la seconde fit perdre toute couleur à la jeune femme :

Pour Maelor,
Terfynisel, château MacTerfynisel

C’est en tremblant violemment qu’elle entreprit de décacheter la véritable lettre, le cœur cognant à tout rompre dans sa poitrine, comme s’il cherchait à s’en extraire pour s’enfuir le plus loin possible de cet endroit.

« Mon cher ami,

Voilà bien longtemps que l’on ne s’est vu et je te prie de bien vouloir m’en excuser, tout comme je te demande pardon pour ce que tu liras ici.

À l’heure où j’écris cette lettre, j’ai appris de mon médecin que j’étais mourant. Combien de temps me reste-t-il exactement ? Je ne pourrai pas te le dire au juste. Cela se compte en semaine néanmoins, pas en mois ni, à mon grand désarroi, en année.

Je ne t’envoie pas ceci pour que tu viennes à mes obsèques, ne t’inquiète pas ! Je te sais bien trop loin et occupé pour ce genre de choses, même s’il y a longtemps nous avons été bons amis toi et moi. Non, ce que je désire, et pardonne-moi mon égoïsme de te demander cela sur mon lit de mort sans que tu puisses avoir ton mot à dire, c’est que tu prennes ma relève. Depuis quelques années, j’éduque, j’élève, une jeune fille. Ou plutôt une femme maintenant. Je lui ai enseigné ce qu’il y avait à savoir sur notre métier, et elle en apprit seule sa dureté. Elle continue d’apprendre d’ailleurs, et continuera sûrement bien après ma mort, si elle n’en est pas dégoûtée quand elle te trouvera.

Cette jeune femme est originaire de Terfynisel, je ne suis pas certain qu’y retourner lui fasse grand plaisir mais je sais que tu sauras lui apporter certains des éléments que je n’ai pu lui donner, telle qu’une situation stable, pour commencer. Elle s’appelle Oanell, et elle est très volontaire. Bien sûr, elle a ses humeurs, et je crains de n’avoir légèrement déteint sur elle sur certains points que je te laisserai deviner, mais c’est quelqu’un qu’on ne peut qu’aimer. Ho, je suis sans doute partial dans mes propos ; les années passant, j’en ai fini par la considérer comme ma propre fille, moi qui n’ai jamais eu d’enfant, et à l’aimer comme telle. Je suis certain en tout cas que l’expérience qu’elle s’est faite en voyageant avec moi, en voyant d’autres villes, d’autres gens, lui sera plus que bénéfique pour Terfynisel et qu’elle saura te seconder efficacement.

Il est inutile de répondre à cette lettre, il est fort probable que je ne sois plus de ce monde quand tu la recevras et qu’Oanell se soit déjà mise en route pour son ancien foyer. Pas de gaieté de cœur, ça non, mais je sais qu’elle saura en tirer le bien et qu’elle y gagnera davantage en maturité encore. Si elle pouvait l’être d’avantage que son vieux mentor, ce sera toujours ça de gagné non ?

Je te dis adieu, mon ami, et pardonne-moi mes errances.

Briaval »

[NailsEater]

Les mains tremblantes, le regard dans le vague la jeune femme sentait les larmes qui coulaient le long de ses joues. De colère ou de tristesse, surement les deux. Elle les essuyât d'un revers de main, puis se leva, droite et digne comme à son habitude. Elle sortit deux daols de Givre qu'elle posa sur la table.

"Merci pour votre aide et désolée pour le dérangement."

Après ces simples mots pour la varigale, Oanell se dirigea vers l'auberge. Briaval lui devait des explications.
Comment pouvait-il ... Pourquoi ?! Elle n'était plus une enfant ... il n'avait pas à lui cacher les choses. Comment pouvait-il croire que tout irait bien comme ça ! La barde se sentait trahi et abandonné. Il lui avait consciemment menti. Elle s’arrêta dans la rue, les larmes recommençant à couler sans qu'elle ne puisse rien y faire. Ces dernières semaines avaient été épouvantable et les choses n'iront pas mieux. Plus maintenant.

[Casaïr]

Le vent s'était levé pendant qu'Oanell était à l'auberge et se faisait violent, comme s'il était au diapason des sentiments de la jeune femme qui se sentait trahie par cet homme qui était devenu, au fil des années, un père de substitution. Si elle avait levé les yeux au ciel, elle aurait sûrement remarqué les lourds nuages noirs annonciateurs de pluie qui s'amoncelaient au dessus de Koskan mais elle était occupée pour l'heure à conserver un peu de dignité dans ce vent qui s'ingéniait à se glisser sous ses vêtements pour les aider à s'envoler. Heureusement, elle n'était pas la seule à lutter contre cette tempête qui menaçait, aussi passa-t-elle inaperçue tout le long du chemin de retour.

Elle franchit la porte de l'auberge au moment ou éclair aveuglant traversa le ciel, rapidement suivi par le grondement assourdissant du tonnerre. La jeune barde n'avait pas franchit la moitié de la salle commune quand une pluie torrentielle s'abattit dans une fureur quasi divine -si elle avait cru à cela, bien entendu. Ne prêtant aucune attention aux soupirs désabusés et autres exclamations de consternation des clients coincés à l'intérieur de l'auberge, elle traversa la pièce, gravit l'escalier à pas lourds, ressentant à chaque marche qu'elle passait une douleur aiguë dans sa poitrine. Elle atteignit finalement la porte, avec l'impression d'avoir escaladé une montagne tant elle se sentait harassée. elle l'ouvrit avec l'intention de demander des explications à Briaval mais elle trouva celui-ci endormi, ronflant paisiblement quoiqu'un rien difficilement. L'orage dehors fouettait avec violence la fenêtre mais elle n'en avait cure car en cet instant, les mots de cette maudite lettre lui revenaient en mémoire, comme appliqués au fer rouge.

Bien sûr, elle pouvait toujours réveiller son maître pour avoir une discussion, elle se sentait capable d'une telle chose en ce moment, ses émotions tempêtant en elle avec la même violence que la pluie qui semblait décidée à noyer toute la ville sous des trombes d'eau. Mais elle hésita malgré tout ; cela faisait longtemps qu'il n'avait pas non plus eu de nuit tranquille sans souffrance. Que devait-elle faire alors ?...

[NailsEater]

Elle observa Briaval dormir. Dans sa tête, les questions et les pensées se bousculaient. Elle ne savait pas vraiment quoi faire. Elle finit par s'asseoir à même le sol, face à son mentor, ami, père, attendant qu'il se réveil. Elle sentait ses larmes couler le long de ses joues. Elle retira ses lunettes, inutiles dans ces conditions, et ramena ses genoux contre son front.

Elle profita de ce temps pour laisser aller un peu sa colère et se calmer. Puis, décidé se releva et commença à fouiller dans les affaires personnelles de son mentor. Elle ne savait pas ce qu'elle cherchait, des indices quelconques prouvant qu'elle n’avait pas bien compris, n'importe quoi qui ne la laissé pas à se morfondre.

[Casaïr]

La jeune femme fouillait dans les sacoches de Briaval, de plus en plus frénétiquement quelque chose qui infirmerait la volonté de son maitre de la renvoyer là où il l'avait récupéré. Tout plutôt que ça ! Elle tomba bientôt sur un paquet de feuillets, une correspondance entre le barde et cette fameuse Sesilina, un échange de lettres qui durait depuis un moment de ce qu'en comprenait Oanell, des semaines, peut-être même des mois. Une lecture rapide lui rappela ce qu'avait dit Briaval plus tôt : cette femme était dangereuse et tenace. Toutefois, il y était surtout question de dettes à rembourser. Le montant n'était jamais explicité, aussi dut-elle poursuivre ses recherches.

Elle faillit pousser un cri de triomphe mais se retint juste à temps, craignant de réveiller son maitre qui dormait paisiblement. Son sommeil n'était pour une fois pas interrompu par de violentes quintes de toux, elle voulait le ménager encore un peu. Lisant à toute vitesse, elle trouva la lettre de crédit qu'avaient signé Sesilina et Briaval et le contenu l'estomaqua tant qu'elle cru à un faux. Le barde avait emprunté une forte somme d'argent qu'il s'était engagé à rembourser, plusieurs dizaines de daols de givre, de quoi vivre un train de vie normal pendant des mois. Cependant ce n'était pas cela qui lui avait révulsé l'estomac, mais la contrepartie à laquelle s'était engagé Briaval s'il ne parvenait pas à rembourser la somme prévue : il l'avait vendue !

La pluie au dehors semblait désormais au diapason des émotions de la jeune femme.

[NailsEater]

Ne sachant même pas comment elle se devait de réagir, l'apprentie barde lisait et relisait les documents qu'elle avait en main. Il y avait forcement un erreur. Il ne pouvait pas ... Il n'avait aucune raison de ... Son regard s'attardait sur les lettres joliment tracés telle qu'elle les connaissait depuis son enfance. Cette signature qu'elle aurait reconnu entre mille. L'incompréhension laissait place petit à petit à une déception et une colère telles qu'elle n'en avait jamais connu.

Elle se releva, les papiers toujours en main et se dirigea vers le lit. Elle voulait des explications et Briaval les lui devait. Elle n'hésita pas cette fois et chercha à réveiller son maître endormi ... si paisiblement.

[Casaïr]

La pluie semblait tomber toujours plus drue à mesure que la nuit avançait. Le vent s'était lui aussi renforcé et faisait battre méchamment les volets de leur petite chambre. Pourtant, Imperturbable, Briaval dormait toujours. Il avait même un léger sourire, comme s'il faisait un joli rêve.

Oanell s'en voulait de troubler le repos de son mentor, paisible pour la première fois depuis longtemps. Elle s'approcha et le secoua gentiment. Voyant qu'il ne réagissait pas, elle le secoua plus fort.

Toujours aucune réaction.

La panique grandissait dans le cœur de la jeune femme qui attrapa le barde par les épaules tout en l'appelant, en vain. Les larmes aux yeux, elle toucha la joue mal rasée de celui qui était devenu, au fil des années, son vrai père, et la trouva froide.

Ce qu'elle s'était efforcée de ne pas croire, devenait soudainement la plus cruelle des vérités : Briaval ne rirait plus jamais, ne chanterait plus jamais avec elle. Il ne ferait plus jamais l'idiot, juché sur des talons bien trop féminins pour lui. Plus jamais il ne la consolerait lorsqu'elle aurait une peine de cœur. Et surtout, surtout, elle n'aurait jamais la raison qui avait pu le pousser à pareille ignominie envers elle.

Briaval s'était éteint, et la nuit semblait déjà plus noire.