[Focus] Coeur (Pwyll)

[Iris]

Quelques heures plus tard, Pwyll dut se rendre à l'évidence : sa fiancée était introuvable.

Il s'inquiéta, craignit le pire, mais était encore loin du compte car on lui annonça qu'elle avait été vue sur le cheval du ronce... et qu'ils filaient au loin, vers la vieille route du sel, en direction d'Ostreach.

Un messager apporta à Pwyll le coup de grâce : Kristiana n'avait pas été enlevée, elle fuyait. Son mariage, sa vie au village, une existence sans avenir ni intérêt réel à ses yeux.

[Pwyll]

Duana, la plus ancienne damathair du village, traversait la place d'un pas prudent mais assuré. Sur le seuil d'une petite maison toute neuve, elle aperçut la forme courbé d'un grand gaillard qu'elle connaissait bien.

"Alors, Pwyll, que fais-tu là à cette heure de la journée. Tu ferais mieux de rentrer ces bottes de foin à la grange, ces nuages ne me disent rien qui vaillent."

Elle s'approcha du jeune homme dépenaillé. Entre ses mains, il tenait un parchemin froissé. Il jeta un regard vers elle, mais ses yeux rougis esquivèrent le regard acéré de celle qui avait mené Pwyll jusqu'au 3ème cercle d'âge.

"Tu ne la tiens même pas dans le bon sens, benêt, ce n'est pas comme ça que tu parviendras à la lire... de toute façon je me souviens bien de la tête que tu faisais lors des leçons de lettres."

Pwyll prit quelques inspirations hésitantes. Il avait peur qu'au moment de parler sa voix ne se brisât pour révéler malgré lui sa profonde détresse.

"Je... je la connais par cœur cette lettre Duana. C'est vrai, j'aurais sans doute dû faire plus attention quand tu m'enseignais ces choses, je serais peut-être devenu quelqu'un de plus intéressant, de plus (il retint un sanglot) quelqu'un de plus important."

Duana posa sa main rugueuse et ridée sur la large épaule du garçon qu'elle voyait encore comme un enfant.

"Ne dis pas ça Pwyll. Beaucoup de gens t'apprécient. Combien de fois as-tu sorti des ennuis tes voisins ? On ne compte même plus."

Pwyll répondit, d'une voix très basse : "et combien de fois ai-je amené le désastre autour de moi ? Elle a eu bien raison de... de partir. Je crois qu'elle sera plus heureuse comme ça."

Duana resta muette quelques instants, raffermissant sa prise sur l'épaule du jeune homme. Elle finit par reprendre d'une voix à la fois plus douce, mais aussi plus fervente que d'accoutumée, abandonnant un instant son rôle d'éternelle professeure : "Tu n'es pas commun, Pwyll, c'est vrai. Tout le monde ne peut pas voir ce que j'ai vu en toi. Nous avions eu une longue discussion sur les grandes choses et les petites gens. Un jour, je pense qu'on parlera de toi, ici, avec fierté. Prends soin de ton bon cœur mon bon Pwyll. C'est un trésor précieux."

Pwyll se redressa un peu et fit de son mieux pour faire croire à Duana qu'il était soulagé, qu'il allait mieux. Il ne voulait pas qu'elle se fasse trop de souci, à son âge.

"Merci Duana, tu es une bonne damathair, nous avons de la chance de t'avoir. Je crois que je vais marcher un peu, puis je suivrai ton conseil pour le foin."

Duana esquissa un demi sourire et regarda Pwyll s'éloigner et franchir la palissade entourant le village pour se diriger vers les sous-bois. Il serrait la lettre tout contre lui.

Une violente averse se déclencha brutalement et le parchemin, que Pwyll s'était fait le serment de conserver précieusement, partit rapidement en lambeaux, à l'image, pensa-t-il, du reste de sa vie.

Quelques instants plus tard, pourtant, l’œil du fermier fut attiré par les improbables couleurs d'un arc-en-ciel. Il ne put s'empêcher, entre ses larmes, de murmurer "Ah merde, qu'est-ce que c'est joli."

[Iris]

897 fut une année faste dans le domaine MAC ELOWAN, situé juste au nord de celui des Terfynisel. On organisa à l'occasion du solstice d'été une grande fête qui attira beaucoup de monde.

Le jeune Pwyll avait 14 ans et étant du domaine, toujours serviable et souriants, il avait reçu comme charge de s'occuper de l'accueil des jeunes visiteurs en bas âge.

Les dàmàthairs de Terfynisel avaient chargé les enfants les moins jeunes sur un chariot pour les emmener à la fête. Ils étaient partis de bon matin, avant l'aube, en trottant vaillamment. Un paysage buccolique se révélaient devant eux : des champs dorés bordés de haies abritant des oiseaux et des papillons, des prés gras où paissaient moutons et boernac, des chaumières, des hameaux et le château à l'horizon, pas beaucoup plus grand que le leur, mais tout de même plus fier.

[Casaïr]

Aeldred était plutôt excité d'aller à la fête du domaine machintruc (il n'avait fait aucun effort pour en retenir le nom, s'étant arrêté au mot "fête") et Enora avait dû faire des pieds et des mains pour le maintenir en place le temps de l'apprêter comme il faut mais c'était peine perdue, aussi dut-elle appeler Killian en renfort pour lui remonter les bretelles.

Le garçon avait finit par bouder mais c'était largement préférable, car au moins LA, il ne bougeait pas ! Il avait trouvé aussi des plus injustes le fait de ne pouvoir emmener son épée de bois sous prétexte qu'il risquait de "blesser quelqu'un". Sa tentative pour convaincre ses parents, argumentant qu'il ne s'en serait servit que pour punir les méchants, ne parut pas obtenir l'effet escompté. Aussi dut-il promettre de la laisser dans sa chambre, ce qu'il fit... après avoir récupéré une pelote de ficelle qui lui permettrait aisément de s'en refaire une sur place.

le garçon piaffait d'impatience en voyant le chariot et les dàmàthairs prirent le relais, au soulagement des parents d'Aeldred, à la fois soulagés et contents qu'il aille s'amuser. Toutefois, l'enfant déchanta rapidement quand il comprit que le voyage prendrait tout de même un bon moment, ce qui lui attira le regard mauvais de la plus sévère d'entre elles, Tuallen.

"Aeldred, tiens-toi tranquille où je te jure que tu ne vivras la fête qu'au travers des souvenirs de tes camarades !"

Mouché pour un moment, le garçon soupira en regardant le paysage défiler mollement sous ses yeux, sentant qu'il finirait sans doute par mourir d'ennui. Les autres enfants regardaient le paysage, écoutant sagement les recommandations des dàmàthairs (comme éviter de mettre du bazar partout). Le beau soleil promettait un temps radieux pour la journée, et c'était bien là tout ce que voulait bien retenir le turbulent garçon.

Finalement, Tuallen annonça aux enfants qu'ils étaient presque arrivés, ce qui fit bondir tel un diable à ressort Aeldred, qui serait bien descendu pour rejoindre le lieu des festivités en courant si le regard de la matriarche ne l'en avait dissuadé dans la seconde. Bougonnant qu'il ne pouvait jamais rien faire, il se mit lui aussi à observer ces nouveaux lieux et les trouva finalement jolis, jusqu'au château qui faisait moins rabougri que celui des Mac Terfynisel.

Le chariot s'arrêta (ENFIN !!) prêt d'un enclos ou d'autres enfants attendaient patiemment avec leurs dàmàthairs respectives, ou leurs parents pour ceux qui étaient d'ici. D'un regard de chat curieux, Aeldred furetait déjà en quête d'activités avant de sentir une main se refermer sur son oreille, lui arrachant un "aïe !" de surprise consternée.

"Ecoute quand je parle, enfin ! tonnait Tuallen, qui décidément avait décidé de le tenir à l’œil. Un jeune d'ici va s'occuper de vous expliquer les lieux, aussi j'aimerai que tu écoutes, pour changer ! Sinon je te ramène chez toi par la peau des fesses, et tu sais que je le ferai !"

"Oui, Tuallen..." marmonna Aeldred.

Le garnement croisa les bras sur sa poitrine et suivit la dàmàthair jusqu'à l'endroit ou un garçon plus âgé accueillait avec un large sourire toutes ces nouvelles têtes.

[Casaïr]

Il semblait à Aeldred que l'accueil n'en finissait pas. Il aurait adoré courir dans la prairie qui s'étendait tout autour d'eux comme une promesse de jeu, que ce soit à chat, à brigands-et-Ronces -un jeu de son invention dont il était particulièrement fier-, à cache-cache. Las ! Tuallen le surveillait de si près qu'elle aurait pu tout aussi bien être son ombre, ce qui faisait maugréer de plus belle le garçon qui tapait du pied en s'impatientant.

"Il est lent, non ?" dit-il, s'attirant immédiatement les foudres de la plus ancienne des Dàmàthairs.

Elle lui jeta un seul regard et Aeldred se tint coi, trouvant tout cela injuste alors que tout ce qu'il voulait, c'était aller s'amuser. Ce fut bientôt au tour de leur petit groupe de se présenter devant l'adolescent qui les accueillait en souriant. Les autres enfants écoutaient ce qu'il disait mais Aeldred lui, n'avait d'yeux que pour ce qu'il y avait derrière lui. La fête lui tendait ses bras et lui devait faire la queue.

C'était injuste !