Fortuna Imperatrix Mundi

Bientôt le solstice d'été, an 899

Fragan avait dans les dix ans, le bel âge des promenades dans les sentiers forestiers aux abords immédiats du village de Terfynisel, d'une ferme à une autre.

Il y avait une nouveauté : une veuve de Swelbecky venait d'emménager avec ses enfants chez son nouvel époux, un fermier de Terfynisel. La veuve avait un garçon du même âge que Fragan et tout ce petit monde habiterait assez près de la maison de Fragan.

Poussé par la curiosité, le petit Fragan alla gambader et observer son homologue, un blondinet tout petit et tout maigre : difficile de croire que Fragan et lui avaient le même âge !







Et dans les clairières ou prairies près des fermes :

Fragan mesurait bien une tête de plus et les nombreuses escapades en forêt - accompagnées d'innombrables escalades sylvestres - lui avaient déjà sculpté des muscles nerveux. Pourtant, toujours craintif et timide, habitué à rester à l'écart, il n'osa pas s'approcher trop.

C'est embusqué derrière un épais taillis qu'il se livra à un examen de la maison et de ses occupants. Là, à l'abri réconfortant des ombres, il pourrait observer tout son saoul cet étrange gamin, si frêle... et peut-être parviendrait-il à rassembler suffisamment de courage pour le héler...

Il tripotait nerveusement le petit couteau que venait de lui offrir son père : il lui fallait bien ce talisman supplémentaire pour rester si près des inconnus. Le coeur battant, il scruta les allées et venues dans la maison.

Eochaid prenait la mesure de son nouvel environnement pendant que sa soeur était à l'intérieur, aidant leur mère pour effectuer une tâche quelconque.

Le déménagement ne lui plaisait qu'a moitié, même si Terfynisel lui semblait "mieux". Enfin, dans la bouche de sa mère en tout cas, pour le moment il en doutait encore. Car, s'il n'avait pas la carrure des autres garçons de son âge, il se pensait plus fûté qu'eux (il fallait bien compenser !).

"Maman ! Je vais faire un tour !" lança-t-il assez fort vers la maison avant de filer sans attendre de réponse.

Il avait entendu dire qu'il y avait une rivière pas loin, et, si la pêche ne faisait pas partie de ses activités préférées, il aimait bien le bruit de l'eau. Ses pas l'emmenaient donc à la fois dans la direction du cours d'eau... et de la discrète cachette de Fragan...

L’inconnu s’approchait d’une démarche décidée, et Fragan eut tout le loisir de le jauger : l’expression déterminé, quoiqu’un peu agacée, les traits fins et les yeux pétillants d’intelligence… Il ignorait pourquoi, mais il se sentait attiré par ce petit personnage. Or, Fragan était depuis toujours habitué à se fier aux élans de son cœur… ce qui n’avait pas manqué de lui causer d’innombrables ennuis, dans la mesure où une fois emporté par l’instinct, il lui arrivait de faire la sourde oreille aux appels de la raison.

Le jeune Eochaid passa devant sa cachette sans le remarquer…ou bien l’avait-il vu et l’ignorait-il à dessein ? Tenaillé par le doute, Fragan n’y tint plus : il bondit comme un ressort hors de son refuge pour surgir dans le dos de l’autre gamin.

Mû par l’irrépressible envie de se faire remarquer, il n’avait pas tenu compte de divers facteurs. Notamment, comment réagirait Eochaid à l’apparition brutale de ce grand échalas crasseux, aux genoux écorchés et aux cheveux en bataille, qui brandissait par ailleurs toujours le couteau de son père…

Le cri qu’il poussa - AH ! - pouvait-il être interprété comme une menace ?

Ces questions ne lui traversèrent l’esprit qu’une fois qu’il fut bien en vue, dressé devant Eochaid comme un malandrin en travers d’une route…

Tout a ses pensées, Eochaid ne réagit que d'une seule façon au cri du garçon qui venait de surgir devant lui, sale et hirsute : il fit un bon de côté terrible qui l'envoya bouler dans un buisson de ronces !

"Eh mais ça va pas ?! T'es pas bien ou quoi, on t'a jamais appris à dire bonjour normalement ?"

Il se releva tant bien que mal, ses vêtements accrochés aux épines acérées qui ne l'avaient pas vraiment épargné. Après quelques "aïeuh !" Eochaid se campa devant... C'était bien un garçon comme lui même s'il ressemblait plus à un sauvageon osag en ce moment.

"Ca t'arrive souvent d'espionner les gens comme ça ? T'es qui, un bandit ? Tu viens voir si on a quelque chose à voler ? Parce que si c'est le cas, on a rien !"

Eochaid faisait le bravache, mais il n'était pas difficile de voir qu'il voulait être partout sauf ici, devant ce gamin bizarre qui lui faisait un peu peur.