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Etmer_Fachronies
15 mars 2017, 00:33
Froid. En cette heure du jour naissant, où les ténèbres de la nuit cèdaient rageusement devant les premières lueurs d'une aurore conquérante, il faisait froid. Quelques restes épars de neige brillaient timidement sous les rayons pâles de l'aube, scintillant comme s'il ne devaient plus jamais y avoir de lendemain. Perçant au travers des arbres massés en ordre de bataille, les traits du jour ne parvenaient pas à chasser les restes de l'hiver, qui ceignaient encore les gorges en ce début de printemps. Oui, en cette aube hésitante sur ces étendues sombres, il faisait vraiment froid.
Mais à bien y réfléchir, c'était l'humidité omniprésente qui gênait le plus les voyageurs, massés piteusement devant les portes d'un fort qui les engloutiraient sans ciller une fois les portes ouvertes. En lisière de la forêt tant honnie et révérée, une file de pauvres ères laissés à tous les vents attendait, recroquevillés. Les hommes et les femmes pataugeait de concert dans une boue infâme, remugle sordide et puant des allées et venues incessantes qui faisaient battre le cœur de cette région du monde. En lisière de Davokar la Grande, les âmes meurtries des requérants s'entassaient aux portes de Fort Chardon, et y croupissaient au bon vouloir des fortifiés.
Thar jeta un regard sombre vers les cieux qui s'éclaircissaient de seconde en seconde. La caresse du soleil ne suffisaient guère à dissiper les lambeaux de brumes qui s'accrochaient aux toits des bâtisses élancées de la cité. Derrières les épaisses palissades de bouleaux, les cheminées des demeures citadines crachaient en cœur un panache de fumée âcre, tapissant les cieux d'un second voile gris. A l'intérieur des murs, la cité dormait, paisible, pendant que les autres trimaient dehors, dans une cohue bruyante, sale et désespérée.
Le barbare blond s'arracha de la contemplation de la ville qu'il s'apprêtait à rejoindre, et jeta un œil à la longue file de badauds qui pataugeait dans la boue. Il secoua la tête de dépit. Certains, il le savait trop bien, ne passeraient pas la journée ainsi. Le froid, la maladie, les coupes-jarrets, les mouvements de foule... Comment les Ambriens pouvaient-ils accepter de traiter ainsi les leurs, il l'ignorait encore. En dépit de ses années à les côtoyer, ceux du Sud restaient par bien des côtés un mystère pour lui. Il fronça les sourcils et se massa les temps. Décidément, la vue des réfugiés ravivaient des souvenirs qu'il n'aimaient guère ressasser, surtout au sortir d'une nuit sans lune.
Il secoua la tête, s'extrayant de force de ce puits sans fond. Après tout, c'était un problème qui ne le concernait guère. Sanglé comme il l'était dans son armure épaisse, il ne craignait pas la morsure du froid. Ni aucune autre morsure, à bien y réfléchir. Sur sa peau claire, une lourde épaisseur de mailles s'entremêlait habillement à des plaques de cuir durci et de fourrures rembourrées. Une création qu'il avait mis du temps à ajuster, mais qui était aussi solide et fonctionnelle qu'une peau de seigneur troll. Rajustant sa lourde cape imperméable autour de ses épaules, le barbare rabattit sa capuche sur son vidage. Inutile de donner du grain à moudre aux commères du Sud, il en avait déjà bien trop soupé sur la route.
L'homme jeta un œil averti aux espaces qui séparaient la longue palissade de rondin des premiers arpents de forêt. Là encore, le génie ambrien avait fait son œuvre. Les arbres avaient été savamment massacrés, dans une minutie à faire rugir les esprits des bois. Pas une pousse ne se levait vers le ciel. Seules les souches éplorées gisaient à perte de vue, témoins impuissants des martyrs qui se dressaient là quelques années plus tôt. La hache s'étaient abattue, et les arbres avaient péri. Thar grimaça, adressant silencieusement une prière aux âmes des bois injustement chassés.
Pourtant, une fois encore, son dégoût fut contrebalancé par une sincère admiration pour la technique employée. Si détestables et cruels qu'ils soient, les Ambriens était un peuple de talent. Si un corps d'armée s'avançait vers la ville, il ne pourrait le faire sous couvert des arbres, et s'exposait de fait à la riposte des sentinelles perchées sur les nombreuses tours de guets. Un plan judicieux, et à n'en pas douter mûrement réfléchi. Dans leurs entreprises de conquête, ceux du Sud brillaient par leur maîtrise. Si seulement les Jézora avaient su s'inspirer d'une simple partie de leurs techniques... Non, le passé était mort. Il était inutile de se lamenter sur des regrets stériles, surtout quand le présent restait encore à écrire. Et en cette heure, c'était à Fort Chardon qu'il s'écrirait, car Thar l'avait décidé ainsi.
Du coin de l’œil, le blond surveillait Jabre, sa mule de bât. Accrochée à l'arrière d'un chariot de la caravane marchande, la pauvre bête peinait à avancer. Comme tous ici, elle pataugeait dans la boue, et manquait de s'enfoncer sous le poids de son chargement. La monture transportait ses effets de forge, qui constituaient tant sa raison de vivre que son gagne-pain. Tant qu'il errerait sur les routes, Thar n'aurait de cesse de faire appel à ses équipement. Si d'aventure un malandrin ou un tire-laine, comme il en existait bien trop en ces terres décadentes depuis l'arrivée des Ambriens, faisait mine de s'en approcher, il tâterait l'acier de la lourde hache à tête double qui pendait dans son dos. Une arme impressionnante, que le guerrier-forgeron portait depuis son départ de son clan, lors de ce jour maudit où sa sœur avait été emportée.
Le souvenir de sa sœur le rendit plus morose encore. Cela faisait tant d'année... les rares pistes qu'il avait trouvé au cours de ses années sur les routes n'avaient mené qu'à des chimères. Fort Chardon aurait peut-être des réponses à lui offrir, mais il en doutait. Plus le temps passait, et plus les espoirs s'avéraient vains. Mais il n'abandonnerait pas, car c'était là ce qu'il avait juré. Et sa parole, plus que tout en ce monde, était ce qui importait à ses yeux. Il retrouverait Karova, car c'était ce pour quoi il avait tout sacrifié. Plus jamais la mort n'emporterait un membre de sa famille, dusse-t-il périr en pour y parvenir, et...
Un choc soudain le distrait de ses rumination. Un homme pressé venait de le percuter de dos. Inamovible, Thar encaissa le choc sans broncher, regardant la silhouette mince de son assaillant de circonstance s'effondrer dans la boue. Par réflexe, il porta la main à sa bourse. Non, elle était toujours là, l'homme n'avait pas tenté de le voler. Le barbare dévisagea alors l'individu. Un ambrien, de toute évidence, et d'âge mûr. Pourtant, quelque chose piquait sa mémoire. Il dévisagea plus attentivement l'homme, mais une jeune fille se présenta à sa rescousse et l'interpela.
- Edogaï ? Toi, ici ?
Le nom bien connu fit écarquiller les yeux à Thar. Effectivement, c'était bien l'alchimiste qui venait de le percuter. Par toutes les mânes des anciens, qu'est-ce que ce vieux fou venait faire en ces lieux désertés par les esprits ? Avant que Thar puisse aviser, la jeune fille continuait d'un rire franc :
- Excuse-moi, je ne m’attendais pas à te croiser à Fort-Chardon. Quelles affaires t’y amènent ? Tu n’as toujours pas envie de t’installer quelque part pour vendre tes élixirs ? Après tout, tu ne vas pas en rajeunissant…
Thar s'avança, sans laisser le temps à l'alchimiste de répondre.
- Oroké me pique, gronda-t-il, Edogaï, tu as le chic pour les rencontres percutantes. Si tu n'étais pas venu t'écraser sur mon épaule, je n'aurais jamais douter te trouver ici. Quelle idée de jouer des coudes ainsi, en revanche ! Est-ce une nouvelle vision qui t'amène ici ? Celles de la Hyuldra ne goûtaient guère à tes dires, la dernière fois que nos chemins se sont croisés.
Thar regarda la jeune femme qui le soutenait. Une femme assez jeune, mais au regard dur et au corps capable. Des nattes serrées prévues pour l'action, un arc croisé d'une épée en bandoulière, d'un métal de bonne qualité qui plus est... une guerrière, de toute évidence.
- La jeune femme est une amie à toi ? Gamin doit également être dans les environs, si tel est le cas. Franchissons les portes ensemble, j'en ai plus qu'assez d'attendre le bon vouloir de ces citadins corrompus. Nous discuterons chemin faisant.
Le barbare avisa alors le félin qui trainait aux abord de la jeune femme. Un félispectre, et de bonne taille ! Il dévisagea la bête, lui rendant sans faillir son regard. Que faisait une telle bête dans le convoi ? Thar se crispa, failli attaquer, mais quelque chose le retint de faire jaillir sa hache. Le monstre semblait calme, apprivoisé. Était-ce lui qui délirait ? Ou bien... non, à la façon de bouger, la bête devait accompagner la guerrière. Lint l'assiste, cette mâtinée était décidément celle des surprises !
- Et si ce monstre est le vôtre, ajouta-t-il à l'adresse de la jeune femme, tenez-le par la bride devant les gardes. Si un homme des clan n'inspire guère confiance en ces lieux, y ajouter un mangeur d'homme sera de mauvaise augure pour ces fous. Quitte à payer un péage pour franchir les portes, autant y entrer sans encombre.
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