Fortuna Imperatrix Mundi

"Le repos de la couturière ? cillais-je. C'est à l'autre bout de la ville et je ne suis pas certaine que Chapeau Rouge puisse endurer un tel trajet, surtout avec la foule habituelle de Fort Chardon. Emmenons-le chez nous, notre maison est un peu plus loin que les Salons de Symbaroum et à mi-chemin de l'Odovakar. Qui plus est les rues de ce côtés sont un peu moins animées, nous y avancerons donc plus facilement. Et de cette façon, Vérama n'aura qu'à prolonger sa route pour ramener quelqu'un capable de soigner votre ami."

Mon assurance revenait peu à peu avec l'idée d'apporter mon soutien à un compagnon, même si nous ne connaissions que depuis une journée.

"C'est encore la meilleure solution, d'autant que je ne pense pas que l'auberge apprécie de vous voir arriver avec un type à moitié mort et qui se vide se son sang sur le parquet."

Caeso aquiesça.

-Très bien. Ensuite je ramènerai le chariot au guet. Inutile de traverser toute la ville avec.

Depuis la planque du défunt Manteau noir jusque chez nous il fallait compter un peu plus d'une vingtaine de minutes de marche, impliquant de traverser la Place du Crapaud généralement bondée quelle que soit l'heure de la journée, puis emprunter une rue assez large pour laisser passer le chariot sans gêner les autres passants. Arrivée devant notre porte, je l'ouvris et fis signe à Hagen de soulever le blessé pour l'installer dans notre petite maison soudainement bien remplie.

Notre installation était encore assez récente et manquait un peu de mobilier. Dans la pièce principale Il y avait tout de même une table et trois chaises, un petit vaisselier très peu rempli -après tout, nous n'avions pas souvent l'habitude de recevoir des invités jusqu'à aujourd'hui-, un râtelier où je déposais mon cistre ainsi qu'un fauteuil qui avait connu des jours meilleurs ; un coin cuisine avec le strict nécessaire de poêlons à côté de la cheminée présentement éteinte ; deux portes menaient aux chambres, celle de Vérama et la nôtre, à Fjola et moi et où je fis déposer Ledros. Dans chacune, un grand coffre pour ranger nos affaires et une petite table basse sur laquelle reposait une vasque de bois pour les ablutions.

"Quand tu auras fini avec le Rossignol, dis-je à Hagen, tu iras chercher Fjola à la garnison. j'imagine que le capitaine ira rendre la cage, vous pourrez la ramener tous les deux."

C'était plus une remarque qu'une réelle question. je m'installais sans cérémonie dans mon fauteuil en soupirant.

"Je suis désolée, en bonne hôtesse de maison je devrais vous proposer quelque chose à manger ou à boire mais je n'avais pas prévu de courir après des méchants aujourd'hui, nos réserves sont donc un peu vides. J'ai tout de même un broc d'eau et le puits n'est pas très loin."

Ledros ouvrit de grands yeux quand Hellebore lui posa la question de sa famille et commença à remuer dans sa couche. A s'agiter dangereusement, comme s'il cherchait à se lever.
"Non !... N... Non ! Pas la famille ! Je... Non!"

Il ne parvient pas à dire plus et retomba avec des yeux emplis d'une terreur sourde plantés dans ceux d'Hellebore.

A Ledros, Hellébore répondit avec un dépit mêlé de détachement :

" Si tu ne veux pas je n'irais pas."

" Mais de toute façon, personne ne va plus te forcer à te marier maintenant. "

Verama revint, accompagnée comme convenu d'une sorcière dont l'accoutrement ne pouvait laisser aucun doute sur ses pratiques ou ses origines. Celle-ci, âgée d'une cinquantaine d'années, inquiétait suffisamment pour que personne ne lui cherchât des ennuis. De toutes façons, la plupart des sorcières expérimentées ne restaient jamais bien longtemps à Fort Chardon, d'autres affaires plus importantes les attendant auprès des siens. Celle-ci tenait en plus un encensoir fumant dans la main gauche, ce qui embauma la pièce de senteurs de bois brûlé.


Verama faisait comme chez elle, à raison, et oublia de présenter la femme à ses compagnons et surtout à Heidi qui était assise dans son fauteuil. De toutes façons, la vieille sorcière se contenta d'un salut des plus silencieux pour Caeso et la maitresse de maison. Verama, quand à elle, put très vite repérer où avait été alité Ledros et laissa la sorcière entrer dans la chambre, en toute confiance.

"Dites-moi, si vous avez besoin de quelque chose, Elmé." dit Verama avec beaucoup de respect, avant de la suivre pour assister à ce prodige.

Elmé s'agenouilla auprès de Ledros, et posa enfin son encensoir. Dans sa main gauche, apparut une pierre gravée d'un symbole. Sa main droite se posa sur le sternum du mourrant. Elle ferma les yeux, et de ses lèvres sortirent des murmures...

La sorcière que ramena Vérama à la maison n'avait pas grand-chose à envier à Agdala si ce n'est qu'elle avait l'air moins acariâtre, ce qui, de mon point de vue, était déjà une bonne nouvelle. J'envoyais Hagen chercher de l'eau afin de faire du thé tout en suivant du regard la nouvelle arrivante. Elle faisait froid dans le dos à sa manière et je me surpris à me demander si ma petite sœur de cœur finirait par ressembler à cela un jour. L'imaginer avec ce même attirail me fit pouffer de rire.

J'avais cependant entendu Ledros paniquer à l'idée qu'on appelle sa famille. Lui aussi semblait avoir des problèmes familiaux suffisamment lourds à porter pour qu'il ne veuille pas les voir même au seuil de la mort. C'était quelque chose que je pouvais comprendre et je préférais ne pas en rajouter en restant à ma place, attendant que la sorcière ait accompli son office.

Caeso revint à son tour après avoir redéposé le chariot au guet. Une sorcière était penchée au dessus de Ledros et marmonnait quelques incantations inaudibles. Tout le monde avait l'air plus secoué que l'air qu'il se donnait. Le contraire aurait été étonnant. Ils avaient été à deux doigts de perdre Ledros. Encore fallait il qu'il survive... Il profita du fait qu’hellébore était un peu à l'écart pour s'approcher d'elle.

-Nous avons trouvé une sorte de salle de réunion à l'étage. Il y avait plusieurs siège avec des lettres brodées, probablement des initiales. Si le cerveau de l'organisation préside ses initiales seraient K.S, les autres : S.A, R.G, E.D et I.B. Je ne connais pas le nom de famille d'Elfeno mais il ne devrait pas être difficile à trouver. S.A m'a fait penser à Suria d'Argonna. Nous étions passés à la légation avec Nurg il y a quelques jours. Pour les autres je ne sais pas. Probablement des huiles également. Cela peut peut être t'évoquer des personnes ? A l'Ordo ? Même si c'est moins probable ça vaut le coup de s'en assurer. Pour le moment ça ressemble plutôt à une espèce de secte fanatique qui trouve que Prios est un peu trop mou avec les hérétiques. Mais il y a probablement des gens qui ont une influence politique sur Fort Chardon ou qui aimeraient en posséder d'avantage et qui se servent de ces gens là pour effectuer leurs basses œuvres en vue de quelque chose de plus gros.

Ledros entendait Caeso déblatérer des choses non loin, mais il était trop mal pour réussir à se concentrer dessus. Il laissa glisser les mots sur lui comme l'eau sur les plumes d'un canard et se redressa très légèrement quand Vérama introduit la sorcière. Très peu rassuré, Ledros aurait préféré qu'Hellébore continue son oeuvre, plutôt que d'être mis entre les mains de cette femme qui semblait adepte de rituels étranges et de sorcelleries douteuses.

Encore une fois, cependant, il était trop faible pour se concentrer là-dessus ou s'en offusquer. Plein de ce qu'on aurait pu penser être de la bonne volonté, mais qui ne tenait que de la résignation, Ledros soupira et se laissa aller entre les mains professionnelles - il l'espérait - de la sorcière.

Hellébore s'assit non loin pour surveiller ce qui se passait et intervenir au besoin.

Elle avait acquiescé et remercié Caseo pour les précisions. Elle sortit un carnet pour rapidement noter les initiales, de peur de ne pas s'en rappeler.

Apparemment aucune initiale ne lui parlait et elle était un peu étonnée que des gens prennent le temps de mettre des chaises brodées dans un repaire secret. Une sorte de lubie maniaque peut-être ?