Conscience (W.I.P.)

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Iris
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Chapitre 12 - Eden Club

Message : # 6534Message Iris
28 janv. 2012, 11:55

ÉDEN CLUB

Aucune difficulté pour se repérer, c’était là où il y avait foule.

Des néons aux couleurs vives se reflétaient sur les vitres sombres, le métal chromé d’élégants véhicules qui passaient devant pour déposer des passagers. À force d’être piétinée la neige sur le trottoir avait fini par fondre très largement tandis qu’elle tenait sur les bas-côtés et tous les reliefs. Au mépris de la glace qui se formait ailleurs dans la ville, les noctambules portaient des vêtements légers, se protégeant du froid à l’aide d’épais manteaux, dont quelques uns particulièrement ostentatoires tout en fourrure. Ils les remettraient au vestiaire sitôt entrés dans les locaux surchauffés, effet des installations, des réglages, et de la densité.

...

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Iris
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Message : # 6977Message Iris
04 mars 2012, 19:24

(pour lire avec une présentation différente : http://iris-d-automne.over-blog.fr/arti ... 40525.html)

...

Laissant promener son regard tout autour, elle eut l’impression d’un dessin à l’encre, avec des réserves sur le papier pour la neige, et puis une seule zone colorée, saturée au centre, puis se diluant pour ne laisser qu’une nuit en noir et blanc. Les lignes étaient élégantes, sobres, géométriques. Façades épurées, ruelles à angles droits avec places de parking à l’arrière des bâtiments, à côté des poubelles, bennes à ordures et escaliers de secours dessinant des lignes d’acier, des diagonales suspendues dans le vide. Les cours intérieures, plus ou moins aménagées, étaient majoritairement plongées dans l’obscurité, au mieux la pénombre, une pâle et froide clarté tombant de quelques fenêtres d’appartements allumés.

Maintenant que le gros des arrivants était entré, elle allait pouvoir également se rendre à l’Éden Club sans avoir l’impression qu’elle allait se faire piétiner par un troupeau surexcité. Un coup d’œil à droite et à gauche, elle pouvait passer sans risquer de se faire écraser par une voiture. Faire constamment attention à la présence des autres était une chose à laquelle elle commençait doucement à s’habituer, avec tout de même la sensation de ne pas être très à l’aise ce faisant. Il lui semblait que les citadins parvenait à réagir presque inconsciemment, c’était totalement intégré, une partie de leurs actions et réactions dans la foule n’étaient même plus réfléchies, elles venaient d’elles-mêmes et permettaient sans doute de consacrer les activités de leur esprit à d’autres activités.

Parvenue à l’entrée, elle s’arrêta une seconde en considérant les vigiles, se demandant s’ils étaient là pour seulement impressionner les clients ou bien s’ils agissaient parfois vraiment.
« C’est souvent comme ça ? » demanda-t-elle en désignant d’un mouvement de la tête la fin de la cohorte qui venait d’entrer. L’homme qui la dépassait de deux têtes et devait bien être deux fois plus large qu’elle eut un imperceptible haussement d’épaule : « C’est un anniversaire apparemment, des lycéens, ils sont venus à une ou deux classes on dirait. Ils ont réservé le bar à l’étage. » Cela devait sans doute suffire à expliquer implicitement que la cliente qu’elle était aurait la paix au rez-de-chaussée, pas de gamin ne tenant pas l’alcool qui viendrait la draguer en bégayant ou vomir avant d’atteindre les toilettes. Ne saisissant malheureusement pas la totalité du message par manque de pratique des soirées à Sikaakwa, elle remercia la réponse d’un bref hochement de tête, avant de passer le seuil de l’Éden Club.

Le pourtour de la porte était remarquablement soigné, une sorte de sculpture graphique. Le nom de l’établissement était écrit en néons avec des lettres stylées, modernes, arrondies autant que dépouillées, encadré dans une sorte de cartouche rectangulaire aux bords arrondis. De là partaient une multitude de lianes qui s’entremêlaient de feuillages stylisés et qui se rejoignaient pour former des colonnades, avant de partir vers l’intérieur de l’établissement. L’impression qui se dégageait était celle d’une sorte de ruine élégante, une dévastation naturelle qui aurait absorbé la forêt urbaine, qui serait entrée en osmose avec elle. Un tapis d’un vert tendre signalait les couloirs que le client était invité à parcourir. Régulièrement, un peu partout, les motifs végétaux de l’entrée étaient repris pour orner des colonnettes et des miroirs qui donnaient l’illusion d’agrandir les espaces les plus encaissés.

Les branchages d’un arbre improbable, exotique ou onirique, couraient sur tout un pan du plafond. En remontant la ramure jusqu’au tronc majestueux et noueux, on arrivait au vestiaire, sur la droite, en descendant une volée de larges marches formant une sorte d’arc de cercle dont le centre serait le tronc fictif. Le tout évoquait une place un peu mystique où se réuniraient les bien-heureux habitants du jardin d’Éden, un mythe d’orient qui avait voyagé jusqu’ici, popularisé dans des œuvres littéraires, poésies et romans. L’éclairage provenait des fruits piriformes et violacé qui pendaient aux branches de l’arbre, se distinguant de l’ambiance lumineuse du couloir et de chaque salle de l’établissement. L’éclairage contribuait directement à sculpter un espace rêvé, fantasmagoriques par endroit.

« Tu vois, c’est exactement comme dans mes rêves ! C’est pour ça que j’aime ce club ! »

Étonnée, Amih Kaïn tourna la tête vers le trio sur sa gauche. Deux hommes et une femme, entre 20 et 25 ans. Celui qui venait de parler désignait une fresque, panneau orienté en portrait, bien plus haut que large, évoquant un paysage merveilleux, sauvage, majestueux. Une cascade tombait depuis le coin droit et on devinait des animaux qui ne devaient probablement exister que dans l’imagination du peintre. Alors de quels rêves parlait-il ? La femme l’interrogea et il répondit avec un peu plus d’hésitation :

« Eh bien, tu sais, on en parlait l’autre jour, non ?

- Mais je croyais que tu parlais d’un rêve en particulier qui revient sans cesse ? C’est pas ça ? questionna de nouveau la femme

- Si… enfin, pas exactement… C’est le lieu du rêve, le cadre.

- T’en as parlé à ton psy ? reprit l’autre homme

- J’ai arrêté d’aller le voir, il me disait rien d’utile. Il parlait tout le temps des arbres, le lien au passé, à la famille, genre, comme si j’avais besoin de revenir dans mon trou natal. Ce qu’il arrivait pas à comprendre, c’est que j’ai toujours rêvé de cette forêt, la même. »

Interdite, elle écoutait après s’être déportée sur le côté, près du mur, avec l’air de guetter une arrivée, en regardant le couloir par où les gens entraient, mais surtout, elle tendait l’oreille pour n’en perdre un mot. Ne sachant que penser, décider si c’était important ou vain, elle préférait prendre le temps nécessaire pour se faire une idée. Ce n’était peut-être rien… mais cette mention des rêves et d’un « psy » , ça lui faisait irrésistiblement penser à l’énigme des crises de folie de Sikaakwa. La folie, comme le rêve, est censée être unique, chaque distorsion étant individuelle, radicalement, fondamentalement. S’il y a des catégories, des ressemblances, ce sont surtout des typologies de fonctionnement dans lesquelles puiser et combiner. Folie et rêve, deux domaines impossible à mesurer précisément, deux manifestation de l’esprit d’un individu qui échappaient pourtant à sa conscience, au contrôle de sa volonté visible, connue.

Le trio prévoyait de discuter dans un coin tranquille, près du bar du rez-de-chaussée que le rêveur allait montrer à ses deux amis. Souhaitant ne pas manquer trop de détails de conversation mais pas non plus être visiblement suspecte, Amih décida d’avoir l’air de quelqu’un qui en a marre d’attendre, va au vestiaire, dépose son manteau avant d’aller au bar. Pourvu qu’ils traînent à prendre leurs boissons et n’évoquent rien d’intéressant tant qu’elle n’était pas installée elle aussi !

Ne pouvant pas trop les surveiller par-dessus son épaule sans avoir l’air suspecte, elle tapotait sur le comptoir du vestiaire. Le service n’était ni lent, ni de mauvaise volonté, mais elle était pressée, craignant de perdre le trio dans la forêt artificielle. Il lui fallait se forcer pour ne pas courir dans les couloirs, ne pas se précipiter tandis qu’elle se traitait d’idiote de ne pas les avoir suivis avec sa veste, et tant pis pour l’encombrement. Par où ? Si la fête d’anniversaire était à l’étage sans doute que les trois étaient restés au rez-de-chaussée pour parler au calme en buvant un verre, ça semblait l’usage. Logiquement ils choisiraient une salle où le volume sonore leur permettait de discuter. Négligeant les passages d’où elle percevait des basses frénétiques ou des aigus distordus, saturés, troublés, à contretemps, mélodiques, elle s’orienta vers une salle de sèves rouges comme un sang clair, chargé d’oxygène.

Au plafond rayonnait une corole géométrique, constituée de pétales de verre, chacun fait d’éclats multiples fusionnés ensembles à la courbure voulue pour évoquer un végétal impossible, entre le lotus, la rose et le tournesol. Cette étrangeté faisait tomber une sombre clarté, se reflétant presque blanc sur des supports métallique et voilant d’ombre les textiles, caressant les peaux, dessinant les silhouettes comme les traits des visages avec style. De là-haut partaient plusieurs tiges qui devenaient une infinité de racines, presque des nervures, avant de se disperser, se dissoudre dans les panneaux muraux ou de se rejoindre pour former des troncs noueux qui devenaient la matière, le support, l’assise du bar en arc en cercle. De grands miroirs fumés séquençaient la courbure du mur de la salle, derrière le zinc et les réserves de bouteilles mises en scène avec élégance. De discrètes sources de lumière éclairaient bien sûr le plan de travail du barman qui devait voir ce qu’il faisait même si tout le monde était plongé dans une atmosphère fantasmagorique et crépusculaire…

Immobile un long instant à chercher du regard son trio, Amih remarqua que la couleur et les nuances qui tombaient d’en haut et le long des murs changeaient insensiblement, entre rouge, fumée et éclairage verts chancelants puis tendres, sorte de kaléidoscope évoquant une jungle imaginaire et extraordinaire, pleine d’esprits, bienveillants ou plus troubles.

Sur la gauche, dans un renfoncement ombragé, mais il y avait une chaise de bar près d’eux, suffisamment pour la musique tribale chic teintée d’électro ne l’empêche pas d’écouter s’ils avaient la gentillesse de ne pas chuchoter. Pleine d’espoir, elle ne tarda pas trop à aller à cette place, se percher en hauteur, comme dans les branches d’un arbre, petit oiseau discret qui écoutait en prétendant ne s’occuper que de chanter, de lisser son plumage ou de sautiller d’une branchette à l’autre pour trouver un insecte minuscule à se mettre dans le bec.

« C’est comme ça, j’ai toujours eu l’impression qu’il y avait d’autres gens, des gens que je connaissais, comme s’ils étaient de ma famille, comme moi je veux dire… essayait d’expliquer le rêveur

- Tu rêves de ta famille alors ? demanda la fille, terre à terre

- Mais non, enfin, pas de celle-là, tenta maladroitement son ami. C’est comme si… Je sais pas comment te le dire… comment l’expliquer… je ne vois jamais vraiment leur visage, je sens qu’ils sont là, même si une fois ils ont l’air d’oiseau avec des mains à la place des serres et une figure presque humaine, avec un gros bec, à la place du nez et de la bouche… ou bien des ombres solide, comme de la fumée solide habillée… ou des papillons éparpillés qui ne seraient qu’une seule personne…

- Comment tu les reconnais alors ? reprit la fille

- Alors t’as une famille juste dans tes rêves ? questionna en même temps l’autre homme

- Euh… C’est que… je sais que c’est eux, je le sens bien, c’est comme si en passant près d’eux je sentais, comme si je les touchais et que je savais que forcément, c’est personne d’autre… Et euh… oui, enfin, c’est surtout comme si j’avais des frères ou des sœurs, enfin… neutres, je veux dire, c’est pas sexuel, ce sont juste… Des gens… proches… des amis… ils sont comme moi, je le sens, je peux pas dire mieux. »

« Pff, les rêves, ça veut rien dire » soupira la fille qui renonçait à comprendre et décrétait qu’il n’y avait rien à comprendre, bon moyen de ne pas avoir à se fatiguer.

« Moi je dis que c’est vraiment bizarre, tu devrais peut-être voir un autre psy, un hypnotiseur, un truc dans le genre, t’as peut-être été victime dans ton enfance d’expériences, de trucs louches et tu t’en souviens comme ça dans tes rêves » décréta l’homme, qui renonçait lui aussi à donner le crédit de la confiance, du doute d’acceptation face à une confession sincère et qui renvoyait de ce fait son ami à sa solitude d’être « étrange ».

Le rêveur renvoyé à l’impossibilité de transmettre une expérience sensible dépourvue de témoins, impossible à ramener dans le réel, se retrouvait seul. Sa tentative de faire comprendre, faire ressentir était blessante, mais il avait connu d’autres déceptions, il se ferait une raison. Déjà il acceptait de presque bonne grâce le changement de conversation vers une anecdote de la fille qui avait fait un bad trip en goûtant à une pilule douteuse vendue par un personnage qui l’était tout autant dans un bar dont Amih ignorait la réputation comme l’emplacement.

Ce qui était décevant pour le rêveur l’était tout autant pour elle, dans un registre différent. Des bribes d’idées mais rien de solide.



(à suivre... )

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Message : # 7114Message Iris
18 mars 2012, 11:49

« De quoi te rappelles-tu ? »

La question la fit sursauter, elle n’avait pas entendu qu’on approchait ni remarqué qu’on s’asseyait à côté d’elle. Il lui fallut une longue poignée de seconde pour prendre conscience de sa présence.

« Toi ? Mais, qu’est-ce que tu viens faire là ? »

C’était bien lui qu’elle avait entrevu aujourd’hui.

« Elvénémariel, c’est ton nom. Nous étions liés je crois, mais je ne suis plus sûre.

- C’est tout ? J’ai bien fait de ne pas accepter ce marché de dupes. Voilà près de mille ans que tu cherches à dissoudre ta nature dans ces enveloppes hu-maines successives. Tout ce que tu as gagné, c’est perdre la mémoire et ton identité. Te souviens-tu seulement pourquoi tu as fait cela ?

- … Non, c’est vrai… mais j’ai le sentiment que c’était pour une bonne rai-son, que je n’ai rien à regretter.

- Comment peux-tu parler de raison en étant ainsi dans l’ignorance ? Au fond, tu pourrais fort bien être dans l’erreur. Après tout, tu es la seule à ressentir ce sentiment, qu’est-ce qui te prouve que tu es dans le vrai ? Une expérience unique, que tu ne peux ni reproduire, ni transmettre, la croire véridique envers et contre tout, n’est-ce pas déjà le début de la folie ?

- Si tu pars là-dessus, tous les mystiques sont fous… Les fous appartiennent aux dieux. Ils ne sont pas du domaine humain, hors des lois et des règles de la raison, leur déraison… notre déraison ? C’est comme de nier les couleurs, comme si tout le monde autour de moi voyait en noir et blanc, moi en cou-leurs et de m’affirmer que ces mêmes couleurs n’existent pas. Elles sont là, elles font parti d’une réalité à laquelle j’appartiens et qui est plus vaste, c’est tout.

- De quelle couleur suis-je ?

- Tes iris sont confondus avec tes pupilles.

- Noir.

- Un abîme d’une noirceur insondable, infinie… ou bien l’ai-je rêvé ? Une île dans le néant, un roc, un château, des jardins verdoyants, dépouillés, presque minéraux même dans la forme des plantes, la mousse, les fougères, le buis, les arums… Pourtant il n’y avait pas d’eau. C’était comme si la lumière sortait des plantes et de tout ce qui vivait, de l’intensité d’exister, un sens, un signifiant, un message dans chaque forme.

- Tu as plongé.

- Nous avions toujours eu une peur atroce de ce vide et nous réfugions à l’intérieur dans les grandes salles pour fêter, encore et encore, et oublier ce néant qui voulait nous absorber, nous défaire, nous dissoudre. Sa substance, elle était… consciente ? Constituée d’effroi, de terreur, d’épouvante.

- Le Cinquième Cercle Infernal. Nous sommes issus du domaine de l’horreur absolue. »

L’ORIGINE DE LA DOULEUR

Une sensation de chute, vertigineuse, dans le noir. Il faisait nuit, ou peut-être que les ténèbres ici étaient de tout temps, éternelles. Impossible de se retenir, de se rattraper. Projeté, rejeté. Assassiné. Se voir ainsi mourir au ralenti, savoir qu’il n’y avait aucune issue, qu’il périrait lentement, perdu. Glacé dans son âme et dans sa chair. Incapable de se sauver, il ne pouvait que subir, patienter, souffrir en gardant l’espoir d’en finir rapidement.

Son corps s’y refusait, son cœur battait, il inspirait et retenait sa respiration avant de plonger. Emporté par l’élan, la hauteur et son propre poids il se sentait s’enfoncer sous la surface, dans un environnement obscur, sans aucune lumière, et tellement froid, bien plus que tout ce qu’il avait pu con-naître. Il s’obstinait malgré lui à essayer de retrouver le sens du haut et du bas. La glace était en grande partie brisée par le navire qui s’éloignait, tandis qu’il était emporté dans les tourbillons. La crainte immédiate n’était ni de périr noyé, ni de s’éteindre d’hypothermie mais d’être broyé par l’hélice ou fracassé contre la coque du bateau.

Nager, lutter, pour gagner quelques secondes, quelques instants contre l’inéluctable. Impossible de s’en sortir, il était trop loin des rivages. Les lumières qu’il espérait plus qu’il ne devinait, l’eau dégoulinait sur sa figure tandis qu’il essayait d’attraper un peu d’air et sentait que ses membres commençaient à s’engourdir, à refuser ses impulsions, ses injonctions. Pourquoi ? Pourquoi fallait-il que cela finisse ainsi ? Il avait été le premier, en un sens il leur avait ouvert la voie, pourquoi devait-il le payer de la sorte ?

Respirer, nager, mais il faisait si froid, les vagues provoquées par le bateau qui s’éloignait, il était désorienté, il luttait, ne sentait plus ses doigts, ses orteils, ses bras et jambes devenaient plus difficiles à maîtriser. Inspirer, expirer.

Expirer.

Une plaque de glace le bousculait, il était déjà sous l’eau. Encore. Il lui semblait voir un plafond, un mur, impossible à franchir. Que voyait-il ? L’air manquait ! Le sang battait à ses tempes. Et il les entendait, encore, à présent. Les ombres, sombres mânes des profondeurs du lac.

Inéluctables, toujours, leur promesse de néant, sans cesse répétée. N’étaient-elles pas en train de le tirer vers les profondeurs ? Cette pesanteur, ces filets invisibles et ténébreux, avides, affamés. Allait-il être dévoré, corps et âme ? Son esprit se révoltait contre l’horreur, il ne pouvait accepter, mais l’enveloppe charnelle à laquelle il s’attachait s’étiolait, la vie la quittait, il n’était plus temps. Pouvait-il encore agir ? Que restait-il quand tout était perdu ?

...

(http://iris-d-automne.over-blog.fr/arti ... 94991.html)

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Message : # 7327Message Iris
07 avr. 2012, 16:41

Aux frontières du domaine des ombres lacustres qui plongeaient le jour jus-qu’aux eaux troubles où la lumière du soleil ne pouvait les atteindre, le champ de la réalité se distordait. Tout à la fois il percevait l’oppression spectrale omniprésente, la pesanteur de l’eau, les griffes intangibles qui déchi-raient et lacéraient la substance si fragile de sa vie même.

Quelque chose d’inattendu pourtant se produisit.

Depuis son reflet il se mirait.

Depuis son ombre il se mouvait.

Fuyant l’inévitable, il avait perdu substance, il s’était échappé ; choqué il s’était abandonné.

Égaré, où était-il ?

Doublement.

Quelque chose l’entraînait vers le rivage avec le vent froid mais il avait plus de consistance que les autres lambeaux, il n’était pas réduit à soupirer, il avait encore de la volonté, de la force. Depuis les flots, il s’emportait dans les rues larges, tourbillonnait, cherchait. Une odeur l’attirait. Du sang. Ce n’était pas la saveur ferreuse qui était déterminante mais la vie qu’il transportait, il fallait qu’il fût frais, encore lié au corps palpitant. Un homme bandait une éraflure résultant d’une bagarre au couteau, titubant sous l’effet de l’alcool. Sa conscience était altéré, les portes de son esprit étaient entrouvertes. Il suffisait de se faufiler, de venir se réchauffer à la chair irriguée, au foyer d’un cœur battant. Il y avait bien de la place pour deux ! D’ailleurs il n’existait presque pas…
Pourtant le corps bataillait et avait réussi à revenir à la surface, vide, dépourvu de souffle, ni inspiré ni expirant. Quand il avait tout perdu, il lui était quand même resté quelque chose. Quoi ? Il n’avait pas suffisamment conscience, il n’avait plus conscience, déchiré, clivé, perdu, comment saurait-il ? La lumière était devenue crue, douloureuse, blanche. Nuit, confusion, échos. Puis de nouveau, cette clarté insoutenable. Il bougeait, allongé, le ciel, non le plafond tournait, ou bien il avançait, si vite. Il faisait moins froid, sec, presque chaud même. Des murmures sans arrêt, et impossible de répondre, de comprendre.

Il devait bien y avoir quelque chose.

Absent, présent, les deux à la fois, sans savoir où il était et où il n’était pas. Se voir de l’intérieur, se sentir, et ailleurs, percevoir une chair qui n’était pas la sienne, une familiarité dérangeante, une inquiétante étrangeté de sens ordinaires.

Que se passait-il ? Pourquoi toujours cette nuit ? Il aurait fallu terminer quelque chose, ou bien dire quelque chose. C’était quelque chose d’important. Oui ? Non ? Sans doute, et ça faisait sens. Qu’est-ce qui faisait sens pour lui ? Il n’en était plus sûr.

Mais c’était là, quelque part, dans sa mémoire.

Oui, sa mémoire, il suffisait de chercher un peu, ça lui reviendrait bien !

Il fallait se rappeler… Quelle heure était-il ? Ne devait-il pas faire quelque chose ? Il y avait quelque chose d’important !

Réveille-toi !



Noir.

Nuit.

Pourquoi se réveillait-il ? Il était… Bon sang ! Quoi ? 00h15 ? Il avait du mal à bien voir les chiffres fluorescents dans l’obscurité, ses yeux n’y voyaient pas bien clairs, peinant à s’ouvrir. Alors pourquoi ce sentiment d’urgence, ce sursaut ?

C’était comme si une plaie, une déchirure se plaquait, se collait dans un coin de son esprit. Dans les brumes du demi-sommeil, il se rappelait un roman onirique qu’il avait lu, confusément, durant son adolescence, fasciné. Un genre apprécié, plein de lapins blancs, de passages dans d’autres mondes, de tunnels et de clefs.



Il était une fois des gens qui se réveillaient dans un désert. Le sol était plan, de poussière d’argile couleur de sable. Des rocs noirs torturés constituaient les seuls reliefs, projetant les seules ombres de ce non-lieu. Tout était mort. Des arbres aux troncs comme calcinés dressaient les courbes de leur silhouette maladive tandis que l’eau n’était présente que sous la forme de marres de boue grise bouillonnante ou geysers.

Personne ne se souvenait comment ils étaient arrivés là. Était-ce l’Enfer des mythes ? Ils ne se rappelaient pas être morts. Ils ne voyaient pas ce qu’ils avaient pu faire pour mériter ce sort.
L’immensité désolée n’était hélas pas le seul péril car ici vivaient des sortes d’ogres, aux allures d’humains dégénérés à la peau grise, le visage bestial, vêtus de peau, armés de massues, et surtout dotés d’une force et d’une cruauté à peine concevable. C’étaient des solitaires vicieux qui chassaient les humains, les gardaient captifs, les contraignaient à des jeux malsains avant de les dévorer, un à un, lors de festins cannibales, anthropophages plutôt. Les malheureux pris au piège de ce désert horrible fuyaient, luttaient, cherchaient à comprendre, à se sauver.

Deux jeunes femmes, Kathrina et Clémentine, appelée Clem’ durant l’essentiel du roman, parvinrent à duper une ogresse, lui échapper, et surtout, trouver un tunnel. Celui-ci était un prodige de végétation, foisonnante, une merveille, des dizaines d’espèces de plantes, fougères, buissons, jeunes arbres, qui poussaient densément, bordant un ruisseau souterrain qu’elles suivaient en s’enfonçant dans les profondeurs, le retour arrière apparaissant bientôt impossible.

Enfin, elles parvinrent dans une vaste grotte où une douce clarté filtrait au travers de failles dans la roche du plafond, très haut. Il y avait ici une sorte de campement vesmeri, à demi dans des roulottes autours de feux de campement, et à demi-sédentarisé. On les accueillit avec bienveillance sembla-t-il, mais elles avaient du mal à trouver des réponses et comprendre où elles étaient, quelles étaient les règles de ce monde. Il fallait apprendre la langue et les mœurs, se reposer de leurs épreuves précédentes. Les vesmeri, peuple des étoiles avaient là un camp à partir duquel ils pouvaient joindre des destinations lointaines grâce à des chemins éphémères ou durables, aux dangers multiples. Clem’ tomba amoureuse d’un homme au tempérament aussi fier qu’orageux et alla même jusqu’à s’installer en ménage avec lui tandis que Kathrina se donnait surtout du mal pour acquérir des connaissances lui permettant d’être autonome. Elle était tout particulièrement intéressée par la découverte d’un nouveau tunnel, un passage vers un autre monde, qui se trouvait dans un des boyaux de la grotte forêt. Le monde au-delà ressemblait au leur, c’était peut-être la meilleur occasion pour rentrer chez elles, et impossible de savoir pendant combien de temps le tunnel resterait ouvert.

Kathrina revint au camp pour chercher Clem’, l’emmener avec elle, mais cette dernière refusa. Il s’ensuivit une dispute au terme de laquelle Kathrina partit avec un sac en laissant son amie accueillir son compagnon. La voyageuse hésitait à repartir sans elle, et même si elle avait été brutalement chassée, elle ne pouvait s’ôter de l’esprit que ce serait injuste de l’abandonner… Ce fut alors que Clem’ se présenta à son tour, pressée de partir après ce qui avait dû être une terrible dispute avec son compagnon, mais elle ne voulait pas en parler. Et pour cause…

Mais Kathrina n’avait pas le temps de douter ou de s’interroger, elle partit avec Clem’, dans le tunnel pour sauter vers ce nouveau monde qui leur rappelait tant le leur… alors même qu’elles parvenaient de moins en moins à souvenir précisément de leur vie d’avant…

Une grande ville qui ressemblait à Teskani. Kathrina et Clem’ étaient saines et sauves. Une nouvelle vie commençait.

Sauf…

Sauf que Kathrina était devenue aussi invisible et silencieuse qu’un fantôme. Son amie Clem’ passa pour médium d’être capable de parler à une entité qui pouvait utiliser des objets tels que des stylos, mais restait immatérielle. L’activité de spirite était apparemment courante et bien acceptée, aussi Clem’ put-elle faire valoir son talent.

L’attitude de Clem’ devenait de plus en plus excessive, brutale, agacée de devoir supporter sans cesse une Kathrina fantôme, lui criant que les morts devaient rester là où ils étaient et non plus hanter les vivants. Cependant il s’avérait progressivement que ce n’était pas que le tempérament de Clem’ qui n’allait pas chez elle. Des taches noires apparaissaient sur son corps, elle devenait livide, ressemblant de plus en plus au cadavre d’une femme battue et étranglée.

Finalement l’horrible réalité fut révélée : Clem’ avait été tuée dans le camp par son compagnon, et c’était son âme tourmentée qui avait accompagné Kathrina. Clem’ avait arraché l’esprit de Kathrina de sa propre enveloppe charnelle pour la posséder à sa place, s’y insinuer et continuer de vivre. Le passage du tunnel le lui avait permis. Il était impossible que cela dure, le corps de Kathrina se rebellait, la mort se rappelait au souvenir de Clem’, celle-là même qui reprochait à son « amie » de refuser d’être morte.

Enfin, un exorcisme bannit l’esprit de Clem’ du corps de Kathrina qui reprit son apparence et put de nouveau exister, et vivre dans ce nouveau monde, en décidant de cesser de chercher à revenir en arrière, appréciant ses nouveaux amis, spirites ou non, qui l’avaient sauvée.



Un esprit arraché, un corps privé de son esprit, des consciences mal cousues.



(http://iris-d-automne.over-blog.fr/arti ... 91853.html puis http://iris-d-automne.over-blog.fr/arti ... 91874.html)

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De l'ordre et de la méthode !

Message : # 9301Message Iris
15 sept. 2012, 21:00

Après bien des arrangements, insertions et compléments,


SOMMAIRE

Voyage
Nomade
Egaré
Nourrir l'âme
Cohabitation
Partager
Devenir
Solitude
première partie
seconde partie
Mille visages
Soi
Motif
Ronde
Eden Club
première partie
seconde partie
Parmi les loups
première partie
seconde partie
troisième partie
quatrième partie
Noir comme la neige
première partie
seconde partie
troisième partie
quatrième partie
L'origine de la douleur
première partie
seconde partie
troisième partie
...




En espérant que le tout vous plaira !


N'hésitez pas à commenter (ici, ou sur le blog, via la superbe fonction "commenter" :P ) : le feedback est toujours bon à prendre, même si c'est pour lire "euh, là, j'ai rien capté, c'est normal ? " :lol: Je suis également très intéressée par tout retour de type "spéculation" sur la suite des événements ;) (ça aide à voir si l'intrigue est claire, transparente ou mystérieuse...).
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Re: Conscience (W.I.P.)

Message : # 9491Message Iris
23 sept. 2012, 10:13

Cette semaine, tant bien que mal, je suis parvenue à structurer mon chapitre suivant et à le démarrer...


... ici le début : http://iris-d-automne.over-blog.fr/arti ... 42053.html


En espérant que vous apprécierez ! N'hésitez pas à faire des retours, le feedback, c'est toujours utile ;)
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Iris
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Re: Conscience (W.I.P.)

Message : # 9542Message Iris
27 sept. 2012, 12:55

Et un bout de chapitre de plus...

... à la suite... pour compléter un peu... http://iris-d-automne.over-blog.fr/arti ... 12603.html


Bonne lecture...
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Iris
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Re: Conscience (W.I.P.)

Message : # 9841Message Iris
09 oct. 2012, 22:13

Hello !

Fin de chapitre : http://iris-d-automne.over-blog.fr/arti ... 64684.html


... à suivre...
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