Conscience (W.I.P.)
- Iris
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Chapitre 6
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Ce qui avait murmuré était déjà parti, à la suite d’un chat de gouttière, sur les talons d’un curieux, emporté sur une page de journal volant au gré des bourrasques glacées. Les lieux étaient vides indépendamment de la foule qui s’agitait dans cette fourmilière éphémère, pour comprendre, pour rétablir l’ordre et l’harmonie. Mesurer, peser, ramasser, marquer, écrire, photographier, échantillonner pour pouvoir balayer, nettoyer, frotter et enfin effacer. Sur le plan du symbole, la police et la justice de Sikaakwa faisaient de leur mieux pour ramener la paix et la tranquillité dans les esprits des riverains, les rassurer, leurs assurer que la situation était sous contrôle alors même que le chaos était suffisant pour que la section du Profil ait remplacé la Générale dans le traitement de l’affaire.
Quelques uns la connaissaient de vue, une jolie fille, froide, altière, certainement une emmerdeuse avec un caractère compliqué songea un vieux patrouilleur proche de la retraite. Il avait remarqué qu’elle avait ses entrées et comme elle semblait plus ou moins dans leur camp, une sorte de free-lance ou de détective privé, il avait décidé de laisser couler, s’assurer seulement que sa présence ne sabotait pas leur travail. Mais elle faisait comme les inspecteurs et les magistrats, un saut sur place, regardant tout d’un air entendu, s’accroupissant pour observer un détail signifiant que personne d’autre n’avait bien évidemment noté, posant éventuellement une question sur un échantillon ou l’analyste qui travaillait dessus au labo de la police criminelle, alors pour le vieil homme, aucune raison de se plaindre. Il la laissait faire. En l’observant à chaque fois cependant avec air faussement vide et blasé par les années de service. Pas qu’il la soupçonnait de vouloir bousiller leur boulot, mais il avait appris à ne jamais rien considérer comme acquis, alors il faisait attention à tout, tranquillement.
Voilà qu’elle se levait, dans son complet du dernier chic noir et rayures fines grises. Ça devait bien payer détective. Enfin, non, pas tant que ça, il en connaissait qui galéraient bien. Faut croire qu’elle avait le chic pour attirer les clients. Son joli minois ? Le côté « je t’attire, je te repousse » et « si je t’aime prends garder à toi » ? Apparemment elle avait une question à lui poser. Il ne bougea pas, toujours détaché et un peu fatigué encore de sa dernière garde. Il récupérait moins bien maintenant du manque de sommeil.
« Il y a eu deux témoins, la vendeuse et un client, commença-t-elle. La fille est au commissariat pour faire sa déposition. Où est passé l’homme ?
- Monsieur Carol Lewis travaille au musée d’histoire, non loin. Il s’était arrêté ici à cause du drôle d’air de notre forcené et il a poussé la curiosité jusqu’à entrer et intervenir. »
Oh, bien sûr, le patrouilleur aurait pu répondre a minima, mais ces infos étaient presque de renommée publique et il n’aimait pas, ni perdre son temps, ni celui des autres. Elle voulait interroger le gars qui avait passé le plus de temps avec le dingue pour comprendre ce qui s’était passé et sans doute le sens du dessin que le taré avait esquissé avec son propre sang. Ce n’était dès lors pas très compliqué de répondre directement à tout et éviter de devoir répondre en plusieurs morceaux fastidieux et ne pas se fatiguer à demander à quel titre elle demandait ça. De toute façon, elle avait la tête de quelqu’un qui mentait comme un arracheur de dent à toute question un tant soit peu personnelle.
Elle acquiesça, apparemment satisfaite des précisions avant de partir au moment même ou un bleu entrait. Évidemment on le lui avait collé dans les pattes pour l’aider à trouver ses marques et bénéficier de la grande et précieuse expérience de son aîné. Lui aurait surtout voulu lui apprendre à aller lentement, jamais se précipiter et agir sur un coup de tête, mais ça n’avait pas l’air de lui rentrer dans le crâne. Typiquement le genre de truc qu’il ne comprendrait que le jour où il aurait un vrai pépin, les conseils, ça ne parle qu’à ceux qui ont appris au préalable qu’il est bon d’éviter les emmerdes quand on peut en se servant de celles des autres, mais ça implique d’en avoir déjà eu son comptant.
« Ouah ! Mais c’est une vraie beauté cette inspectrice ! Elle travaille dans quel service ?
- Aucun. Freelance probablement.
- Et elle a le droit de venir sur une scène de crime comme ça ?
- Non.
- Pourquoi tu l’as laissé faire ?
- Elle connaît des gens. Elle n’est pas contre nous.
- Tu sais pas ce qu’elle fait alors ?
- Non.
- Et ça te gêne pas de pas savoir ?
- Non.
- T’as une belle fille super mystérieuse qui fait des trucs pas nets et toi tu te poses aucune question ? Comment on peut être aussi blasé ?
- Déjà, les gens mystérieux le restent rarement quand on examine leur cas de près. Cette fille, elle est pas mystérieuse, elle est compliquée. Les gens compliqués ont des problèmes et s’en créent encore un paquet d’autres, et pour finir en amènent plein à ceux qui cherchent à les aider. Parce qu’ils ne veulent pas être aidés. »
(à suivre)
...
Ce qui avait murmuré était déjà parti, à la suite d’un chat de gouttière, sur les talons d’un curieux, emporté sur une page de journal volant au gré des bourrasques glacées. Les lieux étaient vides indépendamment de la foule qui s’agitait dans cette fourmilière éphémère, pour comprendre, pour rétablir l’ordre et l’harmonie. Mesurer, peser, ramasser, marquer, écrire, photographier, échantillonner pour pouvoir balayer, nettoyer, frotter et enfin effacer. Sur le plan du symbole, la police et la justice de Sikaakwa faisaient de leur mieux pour ramener la paix et la tranquillité dans les esprits des riverains, les rassurer, leurs assurer que la situation était sous contrôle alors même que le chaos était suffisant pour que la section du Profil ait remplacé la Générale dans le traitement de l’affaire.
Quelques uns la connaissaient de vue, une jolie fille, froide, altière, certainement une emmerdeuse avec un caractère compliqué songea un vieux patrouilleur proche de la retraite. Il avait remarqué qu’elle avait ses entrées et comme elle semblait plus ou moins dans leur camp, une sorte de free-lance ou de détective privé, il avait décidé de laisser couler, s’assurer seulement que sa présence ne sabotait pas leur travail. Mais elle faisait comme les inspecteurs et les magistrats, un saut sur place, regardant tout d’un air entendu, s’accroupissant pour observer un détail signifiant que personne d’autre n’avait bien évidemment noté, posant éventuellement une question sur un échantillon ou l’analyste qui travaillait dessus au labo de la police criminelle, alors pour le vieil homme, aucune raison de se plaindre. Il la laissait faire. En l’observant à chaque fois cependant avec air faussement vide et blasé par les années de service. Pas qu’il la soupçonnait de vouloir bousiller leur boulot, mais il avait appris à ne jamais rien considérer comme acquis, alors il faisait attention à tout, tranquillement.
Voilà qu’elle se levait, dans son complet du dernier chic noir et rayures fines grises. Ça devait bien payer détective. Enfin, non, pas tant que ça, il en connaissait qui galéraient bien. Faut croire qu’elle avait le chic pour attirer les clients. Son joli minois ? Le côté « je t’attire, je te repousse » et « si je t’aime prends garder à toi » ? Apparemment elle avait une question à lui poser. Il ne bougea pas, toujours détaché et un peu fatigué encore de sa dernière garde. Il récupérait moins bien maintenant du manque de sommeil.
« Il y a eu deux témoins, la vendeuse et un client, commença-t-elle. La fille est au commissariat pour faire sa déposition. Où est passé l’homme ?
- Monsieur Carol Lewis travaille au musée d’histoire, non loin. Il s’était arrêté ici à cause du drôle d’air de notre forcené et il a poussé la curiosité jusqu’à entrer et intervenir. »
Oh, bien sûr, le patrouilleur aurait pu répondre a minima, mais ces infos étaient presque de renommée publique et il n’aimait pas, ni perdre son temps, ni celui des autres. Elle voulait interroger le gars qui avait passé le plus de temps avec le dingue pour comprendre ce qui s’était passé et sans doute le sens du dessin que le taré avait esquissé avec son propre sang. Ce n’était dès lors pas très compliqué de répondre directement à tout et éviter de devoir répondre en plusieurs morceaux fastidieux et ne pas se fatiguer à demander à quel titre elle demandait ça. De toute façon, elle avait la tête de quelqu’un qui mentait comme un arracheur de dent à toute question un tant soit peu personnelle.
Elle acquiesça, apparemment satisfaite des précisions avant de partir au moment même ou un bleu entrait. Évidemment on le lui avait collé dans les pattes pour l’aider à trouver ses marques et bénéficier de la grande et précieuse expérience de son aîné. Lui aurait surtout voulu lui apprendre à aller lentement, jamais se précipiter et agir sur un coup de tête, mais ça n’avait pas l’air de lui rentrer dans le crâne. Typiquement le genre de truc qu’il ne comprendrait que le jour où il aurait un vrai pépin, les conseils, ça ne parle qu’à ceux qui ont appris au préalable qu’il est bon d’éviter les emmerdes quand on peut en se servant de celles des autres, mais ça implique d’en avoir déjà eu son comptant.
« Ouah ! Mais c’est une vraie beauté cette inspectrice ! Elle travaille dans quel service ?
- Aucun. Freelance probablement.
- Et elle a le droit de venir sur une scène de crime comme ça ?
- Non.
- Pourquoi tu l’as laissé faire ?
- Elle connaît des gens. Elle n’est pas contre nous.
- Tu sais pas ce qu’elle fait alors ?
- Non.
- Et ça te gêne pas de pas savoir ?
- Non.
- T’as une belle fille super mystérieuse qui fait des trucs pas nets et toi tu te poses aucune question ? Comment on peut être aussi blasé ?
- Déjà, les gens mystérieux le restent rarement quand on examine leur cas de près. Cette fille, elle est pas mystérieuse, elle est compliquée. Les gens compliqués ont des problèmes et s’en créent encore un paquet d’autres, et pour finir en amènent plein à ceux qui cherchent à les aider. Parce qu’ils ne veulent pas être aidés. »
(à suivre)
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Dernière modification par Iris le 15 juin 2011, 11:16, modifié 1 fois.
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(suite)
Au dehors il s’était mis à grésiller et les agents de polices pouvaient voir la freelance se faufiler entre les voitures garées pour traverser la rue et retrouver une personne dont ils devinaient à peine la silhouette. Une jeune fille au gros pull couleur crème, casquette enfoncée sur le museau, mains dans les poches d’un pantalon en épais velours côtelé. Pas d’aide, la mystérieuse enquêtrice n’aimait pas les gêneurs et se mettait constamment au défi de faire mieux que tous les autres.
« Tu as trouvé quelque chose d’intéressant ? » demanda Amih, souriante, trouvant merveilleusement exotique toute cette animation autours de la scène de crime et jouant un peu avec les volutes de vapeurs que son souffle générait à chaque mot. Son interlocutrice l’incita d’un signe de la tête à aller plus loin, en direction d’un grand bâtiment doté d’un dôme. Pendant qu’elle suivait en silence, elle mordilla un peu ses lèvres que le froid gerçait légèrement en notant que Moira avait un rouge à lèvres à la couleur intense et qui semblait particulièrement onctueux et se demandant quelle couleur pourrait bien lui aller à elle ? Rose pâle ? Ou carrément un rouge écarlate ? Comment faisait-elle pour ne pas avoir les orteils complètement engourdis de froid avec ses bottines à talon haut au cuir si fin ? Dire qu’elle-même avait deux paires de chaussettes !
Condamnée à suivre, Amih se résigna. Que pouvait-elle faire avec quelqu’un qui supportait sa présence plus qu’autre chose ? C’était à se demander ce qu’elle fichait là… Ne devrait-elle pas prendre l’après-midi pour faire ses courses ? Rien faire pour ne rien faire, du tourisme, ce n’était pas plus mal, et puis Moira Willima était un peu connue quand même, elle était dans le métier depuis quelques années déjà, et d’après Tobias elle était vraiment « bien ».
À proximité des marches monumentales bordées par de grands lions ailés, Amih s’arrêta pour prendre la mesure du bâtiment, son dôme, les nombreuses et hautes fenêtres, un peu perplexe : « Qu’est-ce qu’on va faire au musée ? », recevant bien vite une réponse de Moira :
« Le client témoin travaille ici, je vais l’interroger. Toi…
- Eh bien, il est un peu tôt pour aller trouver ton contact si j’ai bien compris, faudrait que j’y passe en fin d’après-midi… Alors bien sûr je pourrais visiter le musée, mais j’aime prendre mon temps, et j’ai l’impression que si je t’attends, ça ne pourra pas être le cas… Ce que je propose : je vais faire des courses, je les ramène à l’appartement, ensuite je passe au Commissariat Central et je vois si je trouve quelque chose.
- D’accord.
- Tu veux que je cuisine ce soir ?
- Non, pas pour moi. Habille-toi, je vais te faire un peu visiter.
- M’habiller ?
- … Je vais te noter l’adresse d’une boutique, tu demanderas Zoé, et lui donnera mon mot, elle s’occupera de toi. »
Le regard de Moira était bref mais assez éloquent, suffisamment pour Amih qui comprit qu’il signifiait « c’est nécessaire », « c’est urgent », ou des tas d’autres variantes peu amènes. Cependant la pragmatique voyageuse comprit aussi que ce serait sur la note de l’accueillante Moira et elle se décida à se consoler en s’amusant cette après-midi et en allant ce soir vérifier son intuition dans les bureaux de la police, ça aussi c’était tout nouveau et très drôle ! Méticuleusement elle écrivit les noms et les adresses, magasins, rues, lieux où se restaurer ou bien faire des achats si elle voulait cuisiner à l’appartement, et puis l’adresse du bar où retrouver Moira ensuite « À quelle heure ? » pour s’étonner d’apprendre que la chasseresse lui donnait rendez-vous vraiment tard. Si c’était dans ses habitudes alors ça devenait compréhensible que son appartement fût presque absent, elle n’y vivait même pas vraiment.
(...)
« Tu as trouvé quelque chose d’intéressant ? » demanda Amih, souriante, trouvant merveilleusement exotique toute cette animation autours de la scène de crime et jouant un peu avec les volutes de vapeurs que son souffle générait à chaque mot. Son interlocutrice l’incita d’un signe de la tête à aller plus loin, en direction d’un grand bâtiment doté d’un dôme. Pendant qu’elle suivait en silence, elle mordilla un peu ses lèvres que le froid gerçait légèrement en notant que Moira avait un rouge à lèvres à la couleur intense et qui semblait particulièrement onctueux et se demandant quelle couleur pourrait bien lui aller à elle ? Rose pâle ? Ou carrément un rouge écarlate ? Comment faisait-elle pour ne pas avoir les orteils complètement engourdis de froid avec ses bottines à talon haut au cuir si fin ? Dire qu’elle-même avait deux paires de chaussettes !
Condamnée à suivre, Amih se résigna. Que pouvait-elle faire avec quelqu’un qui supportait sa présence plus qu’autre chose ? C’était à se demander ce qu’elle fichait là… Ne devrait-elle pas prendre l’après-midi pour faire ses courses ? Rien faire pour ne rien faire, du tourisme, ce n’était pas plus mal, et puis Moira Willima était un peu connue quand même, elle était dans le métier depuis quelques années déjà, et d’après Tobias elle était vraiment « bien ».
À proximité des marches monumentales bordées par de grands lions ailés, Amih s’arrêta pour prendre la mesure du bâtiment, son dôme, les nombreuses et hautes fenêtres, un peu perplexe : « Qu’est-ce qu’on va faire au musée ? », recevant bien vite une réponse de Moira :
« Le client témoin travaille ici, je vais l’interroger. Toi…
- Eh bien, il est un peu tôt pour aller trouver ton contact si j’ai bien compris, faudrait que j’y passe en fin d’après-midi… Alors bien sûr je pourrais visiter le musée, mais j’aime prendre mon temps, et j’ai l’impression que si je t’attends, ça ne pourra pas être le cas… Ce que je propose : je vais faire des courses, je les ramène à l’appartement, ensuite je passe au Commissariat Central et je vois si je trouve quelque chose.
- D’accord.
- Tu veux que je cuisine ce soir ?
- Non, pas pour moi. Habille-toi, je vais te faire un peu visiter.
- M’habiller ?
- … Je vais te noter l’adresse d’une boutique, tu demanderas Zoé, et lui donnera mon mot, elle s’occupera de toi. »
Le regard de Moira était bref mais assez éloquent, suffisamment pour Amih qui comprit qu’il signifiait « c’est nécessaire », « c’est urgent », ou des tas d’autres variantes peu amènes. Cependant la pragmatique voyageuse comprit aussi que ce serait sur la note de l’accueillante Moira et elle se décida à se consoler en s’amusant cette après-midi et en allant ce soir vérifier son intuition dans les bureaux de la police, ça aussi c’était tout nouveau et très drôle ! Méticuleusement elle écrivit les noms et les adresses, magasins, rues, lieux où se restaurer ou bien faire des achats si elle voulait cuisiner à l’appartement, et puis l’adresse du bar où retrouver Moira ensuite « À quelle heure ? » pour s’étonner d’apprendre que la chasseresse lui donnait rendez-vous vraiment tard. Si c’était dans ses habitudes alors ça devenait compréhensible que son appartement fût presque absent, elle n’y vivait même pas vraiment.
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Un taxi déposait un couple devant le musée, Moira lui fit aussitôt signe, se séparant rapidement d’Amih, avant de monter à son tour les marches, notant qu’il y avait une exposition temporaire venant de Teskani portant sur les trésors trouvés dans la tombe de la princesse Neferhetepes, à l’autre bout du monde, dans les déserts près de Ouadjourat. Il y avait une véritable passion pour ces lointaines contrées à Teskani avec une grande production de fausses antiquités que les vendeurs dotaient d’une histoire tourmentée et mystérieuse, pleine de malédictions et de sortilèges anciens. Jusqu’ici aucune vieillerie étrangère ne lui avait causé de souci et elle ne s’en plaignait pas, les environs de Sikaakwa étaient déjà assez chargés en événements anormaux et en présences dans les ombres.
Cela faisait longtemps qu’elle n’était pas venue. À la réflexion, la dernière fois, ce devait être avec son père et cette seule pensée érigea un mur dans son esprit. Sitôt qu’elle pensait à lui, elle songeait à son meurtrier qui hantait ses rêves, y pénétrant librement comme si cette demeure intérieure lui appartenait. Elvénémariel. Était-il à Sikaakwa ? Où était-il parti ? Devait-elle le chercher ? Voulait-elle se venger ou seulement comprendre ce qui lui semblait un mystère insondable aussi absurde que l’existence ? Il lui semblait que si les événements prenaient un sens, ils ne seraient plus aussi affreux, qu’elle serait libérée du carnage dont elle était l’innocente coupable.
Pour chasser ces pensées parasites, elle se concentra sur le guichetier du musée, occupé pour encore quelques secondes. Homme, proche de la cinquantaine, déjà grisonnant, poli… Il n’y avait pourtant plus grand-chose pour lui rappeler son enfance, car si les colonnes étaient toujours là, affiches, panneaux, personnel, nature de l’exposition étaient différents… Le lieu se renouvelait, semblable et différent, vivant en dépit de son objet tourné vers le passé. Il n’était pas question de répéter, de ressasser ou de rabâcher, mais de s’appuyer sur ces vestiges pour apprendre et découvrir, trouver de nouvelles réponses à des problèmes éternels autant qu’universels. Mais la volonté de ne pas se souvenir ni se rappeler fermait sa conscience à ce qui n’était pas conforme à l’image qu’elle se faisait de la réalité, un film usé superposé au monde dans lequel elle vivait, avec pourtant la certitude d’être objective.
« Le Dr Carol Lewis ? Oui, bien sûr que vous pouvez le voir. La porte de son bureau est à côté de la salle de l’exposition. C’est au sujet de ce qui s’est passé dans la boutique de fleuriste ? Pour l’enquête ? Dans ce cas pas la peine d’acheter un ticket dans ce cas. Vous voyez, c’est par là, vous prenez l’escalier, vous passez les trois premières salles en enfilades, et c’est la porte sur votre droite au couloir de gauche, le couloir est un peu caché par un panneau de l’exposition, mais peut-être que vous connaissez ?
- Oui. »
La certitude de savoir.
Son pas claqua en échos dans le hall, une démarche fluide et décidée, une assurance pleine de noblesse et de la grâce de qui s’incarne pleinement. Présente en elle-même, elle n’en était pas moins absorbée, laissant sur sa gauche les fresques du mur le long de l’escalier, frôlant de son manteau long et dansant les jambes de visiteurs moins pressés étonnés de cette allure. Premier étage. Chasser les réminiscences d’une exposition sur l’origine des espèces, le point sur les différentes théories, des fossiles et son souvenir déjà d’avoir été frustrée de l’impossibilité d’avoir une réponse claire et définitive sur la question. D’où venait la vie, d’où venait la pensée ? La perspective de régions obscures et brumeuses dans son esprit où naissaient ses idées sans qu’elle sût comment ou pourquoi la gênait tout autant que l’absence d’un schéma net du fonctionnement du monde. À quoi bon la science si c’était pour seulement pour se réjouir de poser davantage de questions quand si peu étaient résolues ? Pourquoi poser des questions qui n’auraient pas de réponses ? D’où venait le plaisir d’être conscient de ne rien savoir ? L’intérêt d’une exposition qui ne faisait que lister des hypothèses reflétant l’état de la recherche – l’état de l’ignorance ? – lui échappait.
Un regard autour d’elle.
La scénographie avait été travaillée pour évoquer une sensation d’exploration et de découverte, avec des portails factice, des murs assombris par des draps noirs et des lumières réduites au minimum, tant pour renforcer l’impression de cheminement dans l’obscurité que pour protéger certaines des pièces, papyri et textiles millénaires, dont les couleurs étaient particulièrement fragiles. Dans la première zone de l’exposition, tableaux d’artistes et photographies de panoramas exotiques donnaient à voir le désert près de Ouadjourat, des outils d’archéologues étaient mis en scène sur du sable et une petite tente de chantier donnait à voir à l’intérieur, dans une vitrine horizontale en forme de table, un relevé géographique des lieux et plusieurs carnets annotés et divers croquis, expliquant comment les archéologues étaient parvenus à identifier les lieux du tombeau de la princesse et comment ils s’étaient organisés pour le dégager des sables sous le soleil brûlant. Venait ensuite une reconstitution de l’entrée souterraine du tombeau, avec des explications sur les hiéroglyphes et des comparaisons avec d’autres constructions similaires, une mise en perspective de l’évolution de l’architecture funéraire et de sa construction mythologique.
Sur la gauche il était possible de se faufiler vers des couloirs extérieurs à l’exposition, là où elle devait trouver le Dr. Carol Lewis, mais elle se prit à s’intéresser aux considérations sur le bâti spectral de fausses portes. L’esprit des défunts était appelé à voyager vers l’Autre Monde en franchissant des ouvertures qui n’étaient faites que pour les êtres éthérés, arrivant sur les rivages d’un fleuve et de là, ils avaient à traverser plusieurs pays fantastiques. Les auteurs des explications ne croyaient pas en ces légendes et mythes, pourtant Moira notaient que leur méthode avait été respectueuse des coutumes, peut-être pour ne pas offenser les indigènes, ou parce qu’à force de travailler sur des peuples anciens, ils avaient fini par se sentir assez familiers de leur mode de vie et de leur croyance pour vouloir ne pas les bafouer indépendamment de toute considération pour une vérité absolue. Ce faisant il n’était pas impossible qu’ils aient justement contourné certains enchantements, à moins que ceux-ci n’aient jamais été opérants, ou encore qu’ils se fussent érodés tout comme la roche, au fil des siècles, sous l’action du temps, du vent, de l’oubli. La prudence et le souci de précision neutre dans les explications permettait à quelqu’un comme de se servir dans ce savoir vivant et fécondant, générant de nouvelles idées et réflexions alors même qu’elle avait un autre angle de lecture et d’autres intérêts que la décou-vertes de peuples anciens.
Ces fausses portes pour ouvrir le monde spectral aux esprits censés partir, peut-être qu’en les combinant avec d’autres éléments, permettraient-elles d’améliorer les exorcismes… mais il faudrait bien s’assurer que le passage ne serait pas l’occasion d’allers et retours… Elle n’aimait pas trop faire des expériences pour la bonne raison qu’elle n’utilisait des techniques occultes complexes qu’en cas de besoin et qu’il n’était pas possible de se permettre alors de jouer ou de ne pas être sûre de son action. Même si ce n’était pas l’idéal, une solution faible éprouvée était plus rassurante qu’une idée possiblement forte. Aussi, même si ces questions l’interpellaient, elle comptait surtout chercher si un autre occultiste avait réussi à trouver, en prenant lui-même les risques des aléas des expériences en somme, décidant surtout de se tenir à l’affût de méthodes incluant des portails fictifs.
(...)
Cela faisait longtemps qu’elle n’était pas venue. À la réflexion, la dernière fois, ce devait être avec son père et cette seule pensée érigea un mur dans son esprit. Sitôt qu’elle pensait à lui, elle songeait à son meurtrier qui hantait ses rêves, y pénétrant librement comme si cette demeure intérieure lui appartenait. Elvénémariel. Était-il à Sikaakwa ? Où était-il parti ? Devait-elle le chercher ? Voulait-elle se venger ou seulement comprendre ce qui lui semblait un mystère insondable aussi absurde que l’existence ? Il lui semblait que si les événements prenaient un sens, ils ne seraient plus aussi affreux, qu’elle serait libérée du carnage dont elle était l’innocente coupable.
Pour chasser ces pensées parasites, elle se concentra sur le guichetier du musée, occupé pour encore quelques secondes. Homme, proche de la cinquantaine, déjà grisonnant, poli… Il n’y avait pourtant plus grand-chose pour lui rappeler son enfance, car si les colonnes étaient toujours là, affiches, panneaux, personnel, nature de l’exposition étaient différents… Le lieu se renouvelait, semblable et différent, vivant en dépit de son objet tourné vers le passé. Il n’était pas question de répéter, de ressasser ou de rabâcher, mais de s’appuyer sur ces vestiges pour apprendre et découvrir, trouver de nouvelles réponses à des problèmes éternels autant qu’universels. Mais la volonté de ne pas se souvenir ni se rappeler fermait sa conscience à ce qui n’était pas conforme à l’image qu’elle se faisait de la réalité, un film usé superposé au monde dans lequel elle vivait, avec pourtant la certitude d’être objective.
« Le Dr Carol Lewis ? Oui, bien sûr que vous pouvez le voir. La porte de son bureau est à côté de la salle de l’exposition. C’est au sujet de ce qui s’est passé dans la boutique de fleuriste ? Pour l’enquête ? Dans ce cas pas la peine d’acheter un ticket dans ce cas. Vous voyez, c’est par là, vous prenez l’escalier, vous passez les trois premières salles en enfilades, et c’est la porte sur votre droite au couloir de gauche, le couloir est un peu caché par un panneau de l’exposition, mais peut-être que vous connaissez ?
- Oui. »
La certitude de savoir.
Son pas claqua en échos dans le hall, une démarche fluide et décidée, une assurance pleine de noblesse et de la grâce de qui s’incarne pleinement. Présente en elle-même, elle n’en était pas moins absorbée, laissant sur sa gauche les fresques du mur le long de l’escalier, frôlant de son manteau long et dansant les jambes de visiteurs moins pressés étonnés de cette allure. Premier étage. Chasser les réminiscences d’une exposition sur l’origine des espèces, le point sur les différentes théories, des fossiles et son souvenir déjà d’avoir été frustrée de l’impossibilité d’avoir une réponse claire et définitive sur la question. D’où venait la vie, d’où venait la pensée ? La perspective de régions obscures et brumeuses dans son esprit où naissaient ses idées sans qu’elle sût comment ou pourquoi la gênait tout autant que l’absence d’un schéma net du fonctionnement du monde. À quoi bon la science si c’était pour seulement pour se réjouir de poser davantage de questions quand si peu étaient résolues ? Pourquoi poser des questions qui n’auraient pas de réponses ? D’où venait le plaisir d’être conscient de ne rien savoir ? L’intérêt d’une exposition qui ne faisait que lister des hypothèses reflétant l’état de la recherche – l’état de l’ignorance ? – lui échappait.
Un regard autour d’elle.
La scénographie avait été travaillée pour évoquer une sensation d’exploration et de découverte, avec des portails factice, des murs assombris par des draps noirs et des lumières réduites au minimum, tant pour renforcer l’impression de cheminement dans l’obscurité que pour protéger certaines des pièces, papyri et textiles millénaires, dont les couleurs étaient particulièrement fragiles. Dans la première zone de l’exposition, tableaux d’artistes et photographies de panoramas exotiques donnaient à voir le désert près de Ouadjourat, des outils d’archéologues étaient mis en scène sur du sable et une petite tente de chantier donnait à voir à l’intérieur, dans une vitrine horizontale en forme de table, un relevé géographique des lieux et plusieurs carnets annotés et divers croquis, expliquant comment les archéologues étaient parvenus à identifier les lieux du tombeau de la princesse et comment ils s’étaient organisés pour le dégager des sables sous le soleil brûlant. Venait ensuite une reconstitution de l’entrée souterraine du tombeau, avec des explications sur les hiéroglyphes et des comparaisons avec d’autres constructions similaires, une mise en perspective de l’évolution de l’architecture funéraire et de sa construction mythologique.
Sur la gauche il était possible de se faufiler vers des couloirs extérieurs à l’exposition, là où elle devait trouver le Dr. Carol Lewis, mais elle se prit à s’intéresser aux considérations sur le bâti spectral de fausses portes. L’esprit des défunts était appelé à voyager vers l’Autre Monde en franchissant des ouvertures qui n’étaient faites que pour les êtres éthérés, arrivant sur les rivages d’un fleuve et de là, ils avaient à traverser plusieurs pays fantastiques. Les auteurs des explications ne croyaient pas en ces légendes et mythes, pourtant Moira notaient que leur méthode avait été respectueuse des coutumes, peut-être pour ne pas offenser les indigènes, ou parce qu’à force de travailler sur des peuples anciens, ils avaient fini par se sentir assez familiers de leur mode de vie et de leur croyance pour vouloir ne pas les bafouer indépendamment de toute considération pour une vérité absolue. Ce faisant il n’était pas impossible qu’ils aient justement contourné certains enchantements, à moins que ceux-ci n’aient jamais été opérants, ou encore qu’ils se fussent érodés tout comme la roche, au fil des siècles, sous l’action du temps, du vent, de l’oubli. La prudence et le souci de précision neutre dans les explications permettait à quelqu’un comme de se servir dans ce savoir vivant et fécondant, générant de nouvelles idées et réflexions alors même qu’elle avait un autre angle de lecture et d’autres intérêts que la décou-vertes de peuples anciens.
Ces fausses portes pour ouvrir le monde spectral aux esprits censés partir, peut-être qu’en les combinant avec d’autres éléments, permettraient-elles d’améliorer les exorcismes… mais il faudrait bien s’assurer que le passage ne serait pas l’occasion d’allers et retours… Elle n’aimait pas trop faire des expériences pour la bonne raison qu’elle n’utilisait des techniques occultes complexes qu’en cas de besoin et qu’il n’était pas possible de se permettre alors de jouer ou de ne pas être sûre de son action. Même si ce n’était pas l’idéal, une solution faible éprouvée était plus rassurante qu’une idée possiblement forte. Aussi, même si ces questions l’interpellaient, elle comptait surtout chercher si un autre occultiste avait réussi à trouver, en prenant lui-même les risques des aléas des expériences en somme, décidant surtout de se tenir à l’affût de méthodes incluant des portails fictifs.
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(suite)
Avant de poursuivre ses investigations en cherchant le Dr. Carol Lewis, elle s’attarda encore un peu en visitant la salle suivante de l’exposition consacrée aux découvertes dans le tombeau. Il y avait là la momie de la princesse Neferhetepes, complètement décrépie, dans son sarcophage usé en bois couvert de peintures et feuilles d’or. D’après les indications du texte qui la présentait, elle aurait été une très belle femme. Moira essaya d’imaginer comment ils avaient bien pu sortir ça à partir d’un visage mince et complètement desséché. Il ne s’agissait plus que de l’image de la mort. Voilà des siècles, elle était puissante, une figure d’autorité à la cour et paraît-il une magicienne initiée. Aujourd’hui il ne restait rien de très flatteur de la dame… et ce serait la même chose pour elle. En définitive tous ses combats finiraient par tomber dans l’oubli, sa beauté, son intelligence et son art du combat seraient perdus. À quoi bon faire des efforts si rien ne durait ? Fallait-il lutter contre l’inéluctable et entrer dans les rangs de ceux qui refusaient la mort, devenir un monstre à son tour ? N’y avait-il d’éternité que dans l’horreur ?
Un frémissement. Elle avait été distraite en se laissant absorber par ses pensées et préoccupations mais elle percevait à présent ce qui aurait dû attirer immédiatement son attention. Une momie de babouin dont la dépouille avait été installée dans un corps d’argile, sculpture représentant l’animal dans toute sa noblesse. Il y avait encore des lambeaux de conscience attachés à ses os, certainement de manière intentionnelle. Apparemment la princesse avait eu dans l’idée de se jouer de la mort via son animal fétiche. Toute la question était de savoir si ces restes faisaient plus que dégager une présence et s’ils pouvaient avoir une démarche active de possession du personnel du musée. Ce serait tout de même une coïncidence si le problème des crises de folie venait de là… de toute façon il fallait s’attendre à une cause improbable sans quoi elle aurait déjà trouvé la solution. Ce babouin ?
Se plaçant face à la relique, Moira se concentra sur ses yeux. Aucune importance qu’il ne puisse physiquement voir, c’était le symbole qui comptait en matière de surnature. L’image portait la même fonction que l’objet et des orbites vides pouvaient suffire pour percevoir une image du monde matériel et établir un contact. Le son et l’environnement devenaient lointain, il n’y avait plus qu’elle et la créature qui était reconstituée dans son état initial, la céramique fine, gravée, peinte et entremêlée d’éclats de minerais qui brillaient à une lumière oubliée qui tombait par le plafond, au-dessus de son socle. Elle était dans une salle souterraine ou un rez-de-chaussée sans fenêtre, seule la statue était éclairée par l’astre solaire. L’animal semblait se réchauffer, immobile, hiératique et pourtant habité. Il avait bénéficié de cet étranger traitement, de vivant à momie et statue, depuis bien avant que la tombe ne fût édifiée. Sur la droite, dans l’ombre, des pas légers et tranquilles. Une jeune femme, vingt-cinq ans peut-être, coiffure compliquée faite d’une multitude de nattes et perles, volumineuse, encadrait son visage fin et tombait lourdement jusqu’aux omoplates. Elle portait un pectoral délicat, souple, fait de perles de couleurs filées et nouées ensemble qui accompagnaient ses mouvements et sa respiration. Sa robe était longue, d’un tissu délicat d’excellente qualité, simplement blanc, immaculé et l’ornant de sa coupe simple et impeccable. À ses pieds enfin des sandales de cuir qui n’auraient servi à rien en exté-rieur pour la protéger. Elle vint auprès du babouin, le caressa, passa un bras par-dessus son épaule et se tint à son tour face à Moira en la regardant avec une expression mêlant défiance et curiosité, un visage qui pouvait lui donner un air fragile mais des yeux durs.
« Tu es ici dans mon monde », dit-elle, même pas vraiment étonnée mais avec un ton royal. L’interpellée ne se formalisa pas du fait qu’une mémoire de morte d’un millier d’années put s’adresser à elle, dans sa langue, à la limite, ça facilitait même les choses. Bien sûr la langue était une illusion, le message s’adressait à son esprit sous forme d’émotions, d’images, d’intentions, et il traduisait en véritables mots pour sa conscience rationnelle, celle qui devait décider de la réponse. Pour la chasseresse qui réfléchissait, il n’était en tous cas pas question de se soumettre à la noblesse défunte, il n’y avait pas de tels rang au Regenland, on jugeait au mérite individuel, éventuellement indirectement à la richesse de la famille, mais personne n’était respecté pour le seul motif d’être né dans une lignée régnante, a fortiori bien après l’extinction de son royaume.
« Ta dépouille est dans le mien, rétorqua Moira. Je tiens à m’assurer que tu restes à ta place.
- Ce n’était peut-être pas la peine de me sortir de mon tombeau dans ce cas.
- Jusqu’ici tu t’es tenue tranquille, personne n’a eu à se plaindre de toi durant les fouilles.
- Non, en effet. Je n’avais pas de raison d’agir, ils n’ont pas perturbé ce monde que j’avais conçu pour mon après-vie.
- Tu as préparé tout cela toi-même ?
- Bien sûr. À quoi bon connaître les arcanes et les mondes divins si ce n’est pour préparer le temps qui est le plus long à vivre : l’éternité. J’ai décidé de mon tombeau dans les moindres détails et c’est pourquoi ce demi-plan est encore en aussi bon état, les autres étaient bien plus fragiles, s’érodant bien plus vite avec le temps et ils sont contraints de se diriger vers les Royaumes des Rivages du Fleuve. Je n’en ai pas l’intention, je règne ici en compagnie des esprits qui m’ont accompagnée.
- Tu comptes bien rester ici ?
- Même une construction éthérée aussi aboutie souffre des usures de l’Océan et du Léthé et j’ai à consacrer toute mon énergie à lutter contre l’oubli. Si je sortais, je pourrais leur échapper mais je perdrais jusqu’à la conscience de mon individu pour n’être plus qu’un lambeau de mon être intérieur, un vêtement déchiré qui voyage au gré des vents de tempête.
- …liez…voir ?
- Il y a quelqu’un d’autre ?
- Bi… sûr, je t’ai … que…
- Je n’ai pas…
- …va ?...Ma…elle ?...
- L’…tre…
- Qu’est-ce que… ? »
…
Noir.
…
(à suivre)
Un frémissement. Elle avait été distraite en se laissant absorber par ses pensées et préoccupations mais elle percevait à présent ce qui aurait dû attirer immédiatement son attention. Une momie de babouin dont la dépouille avait été installée dans un corps d’argile, sculpture représentant l’animal dans toute sa noblesse. Il y avait encore des lambeaux de conscience attachés à ses os, certainement de manière intentionnelle. Apparemment la princesse avait eu dans l’idée de se jouer de la mort via son animal fétiche. Toute la question était de savoir si ces restes faisaient plus que dégager une présence et s’ils pouvaient avoir une démarche active de possession du personnel du musée. Ce serait tout de même une coïncidence si le problème des crises de folie venait de là… de toute façon il fallait s’attendre à une cause improbable sans quoi elle aurait déjà trouvé la solution. Ce babouin ?
Se plaçant face à la relique, Moira se concentra sur ses yeux. Aucune importance qu’il ne puisse physiquement voir, c’était le symbole qui comptait en matière de surnature. L’image portait la même fonction que l’objet et des orbites vides pouvaient suffire pour percevoir une image du monde matériel et établir un contact. Le son et l’environnement devenaient lointain, il n’y avait plus qu’elle et la créature qui était reconstituée dans son état initial, la céramique fine, gravée, peinte et entremêlée d’éclats de minerais qui brillaient à une lumière oubliée qui tombait par le plafond, au-dessus de son socle. Elle était dans une salle souterraine ou un rez-de-chaussée sans fenêtre, seule la statue était éclairée par l’astre solaire. L’animal semblait se réchauffer, immobile, hiératique et pourtant habité. Il avait bénéficié de cet étranger traitement, de vivant à momie et statue, depuis bien avant que la tombe ne fût édifiée. Sur la droite, dans l’ombre, des pas légers et tranquilles. Une jeune femme, vingt-cinq ans peut-être, coiffure compliquée faite d’une multitude de nattes et perles, volumineuse, encadrait son visage fin et tombait lourdement jusqu’aux omoplates. Elle portait un pectoral délicat, souple, fait de perles de couleurs filées et nouées ensemble qui accompagnaient ses mouvements et sa respiration. Sa robe était longue, d’un tissu délicat d’excellente qualité, simplement blanc, immaculé et l’ornant de sa coupe simple et impeccable. À ses pieds enfin des sandales de cuir qui n’auraient servi à rien en exté-rieur pour la protéger. Elle vint auprès du babouin, le caressa, passa un bras par-dessus son épaule et se tint à son tour face à Moira en la regardant avec une expression mêlant défiance et curiosité, un visage qui pouvait lui donner un air fragile mais des yeux durs.
« Tu es ici dans mon monde », dit-elle, même pas vraiment étonnée mais avec un ton royal. L’interpellée ne se formalisa pas du fait qu’une mémoire de morte d’un millier d’années put s’adresser à elle, dans sa langue, à la limite, ça facilitait même les choses. Bien sûr la langue était une illusion, le message s’adressait à son esprit sous forme d’émotions, d’images, d’intentions, et il traduisait en véritables mots pour sa conscience rationnelle, celle qui devait décider de la réponse. Pour la chasseresse qui réfléchissait, il n’était en tous cas pas question de se soumettre à la noblesse défunte, il n’y avait pas de tels rang au Regenland, on jugeait au mérite individuel, éventuellement indirectement à la richesse de la famille, mais personne n’était respecté pour le seul motif d’être né dans une lignée régnante, a fortiori bien après l’extinction de son royaume.
« Ta dépouille est dans le mien, rétorqua Moira. Je tiens à m’assurer que tu restes à ta place.
- Ce n’était peut-être pas la peine de me sortir de mon tombeau dans ce cas.
- Jusqu’ici tu t’es tenue tranquille, personne n’a eu à se plaindre de toi durant les fouilles.
- Non, en effet. Je n’avais pas de raison d’agir, ils n’ont pas perturbé ce monde que j’avais conçu pour mon après-vie.
- Tu as préparé tout cela toi-même ?
- Bien sûr. À quoi bon connaître les arcanes et les mondes divins si ce n’est pour préparer le temps qui est le plus long à vivre : l’éternité. J’ai décidé de mon tombeau dans les moindres détails et c’est pourquoi ce demi-plan est encore en aussi bon état, les autres étaient bien plus fragiles, s’érodant bien plus vite avec le temps et ils sont contraints de se diriger vers les Royaumes des Rivages du Fleuve. Je n’en ai pas l’intention, je règne ici en compagnie des esprits qui m’ont accompagnée.
- Tu comptes bien rester ici ?
- Même une construction éthérée aussi aboutie souffre des usures de l’Océan et du Léthé et j’ai à consacrer toute mon énergie à lutter contre l’oubli. Si je sortais, je pourrais leur échapper mais je perdrais jusqu’à la conscience de mon individu pour n’être plus qu’un lambeau de mon être intérieur, un vêtement déchiré qui voyage au gré des vents de tempête.
- …liez…voir ?
- Il y a quelqu’un d’autre ?
- Bi… sûr, je t’ai … que…
- Je n’ai pas…
- …va ?...Ma…elle ?...
- L’…tre…
- Qu’est-ce que… ? »
…
Noir.
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…
Il faisait chaud, elle étouffait. Le vertige. Nausée. Elle sentait qu’elle portait la main à son cou mais n’arrivait pas à maîtriser son geste, prise d’une grande maladresse, comme si elle n’arrivait plus à se diriger, comme si elle était décalée avec elle-même, sa perception et son action avaient des secondes de retard, elle ne se coordonnait plus, ce qu’elle entendait était filtré, distordu comme à travers du coton. Son cou, elle respirait un peu moins mal, mais elle avait toujours du mal à voir clair.
Froid !
La soudaine fraîcheur humide d’un miroir trempé d’eau sur sa figure la rappela brusquement à elle.
Que s’était-il passé ?
Une ébauche de regard autour d’elle, mouvement engourdi. Elle était plus ou moins affalée par terre, soutenu par un homme, celui-là même qui lui avait humidifiée la figure. Non loin il y avait un gardien en uniforme qui avait apporté de l’eau. Trois visiteurs se tenaient à distance respectueuse, happés par la surprise d’un événement inattendu. Elle était au pied de la vitrine qui contenait le babouin.
Sa vue ?
Un instant elle avait cru qu’elle était éblouie ou encore dans le cirage, mais non. Elle avait perçu une double présence, et lui n’était pas à côté de son corps comme elle. Cela ne lui était jamais arrivé, mais elle avait lu à ce sujet. Il paraissait qu’il ne fallait pas toucher quelqu’un qui était en transe ou en train de voyager par l’esprit, ça provoquait une confusion, superposition de perceptions et finalement le sujet se retrouvait projeté n’importe comment dans son corps. Certains prétendaient qu’il était possible d’en mourir, Moira n’y croyait pas, mais le malaise était assez violent, une désorientation complète, une perte de contrôle du corps et de l’esprit.
Sa conscience redevenait claire, mais elle n’incarnait pas encore totalement son corps. Si sa sensation de décalage avec elle-même avait diminué, il y avait encore une chute de tension et de la difficulté à bien percevoir ses membres, comme si elle les redécouvrait avec un sentiment d’étrangeté par rapport à elle-même, mêlant lucidité et une acuité dérangeante des sens.
« Mademoiselle, ça va mieux ? »
N’aurait-il pas été possible de lui épargner ces platitudes ? Inutile de répondre, ça devait tout de même se voir qu’elle était de nouveau consciente et capable de se lever. Bien sûr il insista pour l’aider. Apparemment il était celui qu’elle cherchait, ce Carol Lewis, et si la perception d’une double présence était bien ce qu’elle pensait, alors elle avait trouvé un « possédé » qui partageait son corps sans le savoir.
(à suivre)
...
Il faisait chaud, elle étouffait. Le vertige. Nausée. Elle sentait qu’elle portait la main à son cou mais n’arrivait pas à maîtriser son geste, prise d’une grande maladresse, comme si elle n’arrivait plus à se diriger, comme si elle était décalée avec elle-même, sa perception et son action avaient des secondes de retard, elle ne se coordonnait plus, ce qu’elle entendait était filtré, distordu comme à travers du coton. Son cou, elle respirait un peu moins mal, mais elle avait toujours du mal à voir clair.
Froid !
La soudaine fraîcheur humide d’un miroir trempé d’eau sur sa figure la rappela brusquement à elle.
Que s’était-il passé ?
Une ébauche de regard autour d’elle, mouvement engourdi. Elle était plus ou moins affalée par terre, soutenu par un homme, celui-là même qui lui avait humidifiée la figure. Non loin il y avait un gardien en uniforme qui avait apporté de l’eau. Trois visiteurs se tenaient à distance respectueuse, happés par la surprise d’un événement inattendu. Elle était au pied de la vitrine qui contenait le babouin.
Sa vue ?
Un instant elle avait cru qu’elle était éblouie ou encore dans le cirage, mais non. Elle avait perçu une double présence, et lui n’était pas à côté de son corps comme elle. Cela ne lui était jamais arrivé, mais elle avait lu à ce sujet. Il paraissait qu’il ne fallait pas toucher quelqu’un qui était en transe ou en train de voyager par l’esprit, ça provoquait une confusion, superposition de perceptions et finalement le sujet se retrouvait projeté n’importe comment dans son corps. Certains prétendaient qu’il était possible d’en mourir, Moira n’y croyait pas, mais le malaise était assez violent, une désorientation complète, une perte de contrôle du corps et de l’esprit.
Sa conscience redevenait claire, mais elle n’incarnait pas encore totalement son corps. Si sa sensation de décalage avec elle-même avait diminué, il y avait encore une chute de tension et de la difficulté à bien percevoir ses membres, comme si elle les redécouvrait avec un sentiment d’étrangeté par rapport à elle-même, mêlant lucidité et une acuité dérangeante des sens.
« Mademoiselle, ça va mieux ? »
N’aurait-il pas été possible de lui épargner ces platitudes ? Inutile de répondre, ça devait tout de même se voir qu’elle était de nouveau consciente et capable de se lever. Bien sûr il insista pour l’aider. Apparemment il était celui qu’elle cherchait, ce Carol Lewis, et si la perception d’une double présence était bien ce qu’elle pensait, alors elle avait trouvé un « possédé » qui partageait son corps sans le savoir.
(à suivre)
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(...)
Apparemment il était celui qu’elle cherchait, ce Carol Lewis, et si la perception d’une double présence était bien ce qu’elle pensait, alors elle avait trouvé un « possédé » qui partageait son corps sans le savoir.
En peu de temps elle fut conduite jusqu’à son bureau et les visiteurs de l’exposition purent de nouveau vaquer à leurs occupations sans plus ressentir le besoin de la fixer en commentant la scène, spéculant sur les causes de son malaise. Ils ne manquaient pas d’imagination, entre le régime suivi avec obsession ou une maladie neurologique, mais aucun n’avait même envisagé la vérité. Pourtant ils se satisfirent fort bien d’une explication plus ou moins vraisemblable qui les dispensait de vraiment chercher à comprendre. Avec le temps la croyance non démentie finirait peut-être même par devenir une certitude qu’ils pourraient raconter à leurs proches en parlant de leur après-midi au musée.
Assise dans un fauteuil en bois et épais rembourrages blancs dans un bureau confortable dans les mêmes tons, elle se vit proposer une tasse de thé, et sans attendre la réponse, son hôte mit de l’eau à chauffer avec une bouilloire électrique sur un guéridon qui comportait tout ce qu’il fallait, théière, tasses, sucre, thé, chocolat… Non content de cette initiative il profita du restant de désorientation de Moira pour meubler le silence :
« Eh bien, on dirait que vous avez fait connaissance avec le familier de notre princesse Neferhetepes, son babouin. D’après ce qui a pu être appris durant les fouilles, elle adorait cet animal et le considérait comme une extension de son âme, un être qui devait rester avec elle en toutes circonstances. Quand il est mort, ce fut un drame terrible, elle pensa n’avoir plus qu’un an ou guère plus à vivre. Elle ordonna sa momification et chose bien plus atypique, fit placer la momie à l’intérieur d’une statue fabriquée à l’effigie de son gardien présumé. Mais celui-là a eu de la chance par rapport aux autres.
- Quels « autres » ?
- Ses serviteurs. Elle avait donné des instructions pour faire édifier son tombeau dans une petite oasis, à l’écart des cimetières royaux et nobles, mais surtout, elle s’assura que tous ses serviteurs, ses suivants, toute sa maisonnée la suivrait dans sa tombe. Elle croyait qu’ils seraient tous réunis et faisait égoïstement mine de croire que c’était même un cadeau à leur faire que de leur imposer de partager l’éternité avec elle. »
Un présent motivé par la peur de mourir seule.
...
Apparemment il était celui qu’elle cherchait, ce Carol Lewis, et si la perception d’une double présence était bien ce qu’elle pensait, alors elle avait trouvé un « possédé » qui partageait son corps sans le savoir.
En peu de temps elle fut conduite jusqu’à son bureau et les visiteurs de l’exposition purent de nouveau vaquer à leurs occupations sans plus ressentir le besoin de la fixer en commentant la scène, spéculant sur les causes de son malaise. Ils ne manquaient pas d’imagination, entre le régime suivi avec obsession ou une maladie neurologique, mais aucun n’avait même envisagé la vérité. Pourtant ils se satisfirent fort bien d’une explication plus ou moins vraisemblable qui les dispensait de vraiment chercher à comprendre. Avec le temps la croyance non démentie finirait peut-être même par devenir une certitude qu’ils pourraient raconter à leurs proches en parlant de leur après-midi au musée.
Assise dans un fauteuil en bois et épais rembourrages blancs dans un bureau confortable dans les mêmes tons, elle se vit proposer une tasse de thé, et sans attendre la réponse, son hôte mit de l’eau à chauffer avec une bouilloire électrique sur un guéridon qui comportait tout ce qu’il fallait, théière, tasses, sucre, thé, chocolat… Non content de cette initiative il profita du restant de désorientation de Moira pour meubler le silence :
« Eh bien, on dirait que vous avez fait connaissance avec le familier de notre princesse Neferhetepes, son babouin. D’après ce qui a pu être appris durant les fouilles, elle adorait cet animal et le considérait comme une extension de son âme, un être qui devait rester avec elle en toutes circonstances. Quand il est mort, ce fut un drame terrible, elle pensa n’avoir plus qu’un an ou guère plus à vivre. Elle ordonna sa momification et chose bien plus atypique, fit placer la momie à l’intérieur d’une statue fabriquée à l’effigie de son gardien présumé. Mais celui-là a eu de la chance par rapport aux autres.
- Quels « autres » ?
- Ses serviteurs. Elle avait donné des instructions pour faire édifier son tombeau dans une petite oasis, à l’écart des cimetières royaux et nobles, mais surtout, elle s’assura que tous ses serviteurs, ses suivants, toute sa maisonnée la suivrait dans sa tombe. Elle croyait qu’ils seraient tous réunis et faisait égoïstement mine de croire que c’était même un cadeau à leur faire que de leur imposer de partager l’éternité avec elle. »
Un présent motivé par la peur de mourir seule.
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Devenir
L’essentiel de ses courses étaient faites, il avait suffi de descendre une des rues marchandes, s’attardant désormais avec surprise, joie et curiosité dans un grand magasin. Elle s’était arrêtée devant avec ses encombrants sacs plein d’achat en se demandant quels produits pouvaient bien être vendus sur cinq ou six étages plein de lumières et de couleurs. Passé les portes en verre qui tournaient sur un axe fixe, elle se retrouvait dans un grand hall où le doré et les cuivres dominaient, sursautant de découvrir qu’elle gênait d’autres clients qui arrivaient, d’autres qui partaient, s’écartant aussitôt de quelques pas, essayant de ne bousculer personne, maîtrisant mal le volume qu’elle occupait avec ses paquets, et s’efforçant de ne rien renverser des présentoirs près de l’entrée.
Des parfums aux emballages cristallins, dorés, colorés et brillants. Ils étaient si jolis ! De petits trésors élégants chacun, avec des noms exotiques qui évoquaient la séduction, la richesse, le mystère, le pouvoir… Amih penchait pensivement la tête sur le côté. À en croire les annonces, c’étaient des philtres délicats, aphrodisiaques au moins, magiques au plus.
« Bonjour Mademoiselle, vous cherchez quelque chose ? lui demanda une mince vendeuse brune proche de la quarantaine
- Je ne sais pas, répondit la voyageuse songeuse.
- Je peux peut-être vous aider ? Dites-moi ce que vous aimez, je pourrais vous conseiller.
- En fait, je n’ai jamais porté de parfum. Je viens… Bah, mes habits doivent parler pour moi. Voilà, donc en fait, je fais des courses pour la famille, les amis, les voisins, je me promène, je joue les touristes. Je me demandais, à quelle occasion fait-on usage de parfum ? Comment en choisit-on un ?
- … C’est… »
À ce moment la vendeuse eut peut-être un regret d’être venu s’enquérir de cette fille avec une dégaine tellement rurale et paumée qu’elle n’achèterait probablement rien. Pire, elle risquait de lui tenir la jambe sans rien prendre. Un coup d’œil autour, discrètement. Mais non, pas d’autre client dont prétexter s’occuper pour pouvoir se défiler. Coincée.
« Il y a les parfums de jour et d’autres pour le soir et les circonstances spéciales. Pour le jour on préfèrera une eau de toilette, fraîche, qui accompagne discrètement, c’est un peu une hygiène de vie. Pour le soir, il est possible d’opter pour des senteurs plus raffinées, plus sensuelles aussi… Choisir un parfum, c’est comme choisir un vêtement, c’est une carte de visite faite de senteurs en même temps qu’un accessoire qui embellit la femme, affirme sa personnalité.
- Donc on choisit un parfum qui nous ressemble ? Ou qui montre qui on voudrait être ?
- … Un peu des deux certainement… La séduction est un jeu et la femme s’arme de parfum, une goutte sur la peau, des notes parfumées qui se dégagent progressivement et qu’on découvre à son contact. C’est la même chose que le choix des vêtements, complémentaire.
- On joue à être quelqu’un d’autre alors ? En changeant l’odeur de sa peau ?
- Je… ?
- D’après vous, qu’est-ce qui m’irait ? Devrais-je choisir quelque chose qui me ressemble ? Parce que je ne sais pas de quoi j’aimerais avoir l’air.
- … Nous devrions peut-être commencer par une note dominante… Qu’est-ce que vous aimez comme odeur ?
- Eh bien… des tas en fait… mais je doute qu’il y ait des parfums qui sentent la mousse humide quand il vient juste de pleuvoir… Et puis à la réflexion, je ne suis pas sûre de vouloir m’identifier à un sous-bois détrempé. Parce qu’on « est » bien une odeur ? On dit ce qu’on aime pour dire ce qu’on est ?
- … D’une certaine façon… Des fleurs peut-être ?
- Plein ! Le tilleul en fleurs ! La camomille qu’on met à sécher… Les fleurs de sureau, une merveille, un délice ! Et puis il y a une sorte de gros bleuet, il a une odeur pas très forte, j’ai rencontré des gens qui disent qu’il ne sent rien, mais c’est pas vrai, il a un parfum très délicat, très « bleu », sucré et quelque part un peu biscornu, une touche à peine citronnée et poivrée dans le fond et puis le tout avec une sensation herbacée… J’aime aussi le parfum des iris, mais là aussi, il ne sent pas très fort, quoique plus que le gros bleuet qui n’est pas un bleuet, c’est enchanteur, comme leurs pétales qui brillent en reflétant la lumière avec de minuscules variations iridescentes de couleur quand on les regarde de près…
- … Une jeune fille en fleur, je pense que nous avons quelque chose qui pourrait vous plaire, une fragrance romantique et joyeuse à la fois, « Reine de Mai », je vous mets quelques gouttes sur ce papier pour que vous puissiez sentir. Qu’en pensez-vous ?
- Voyons… Une rose avec un parfum assez léger, ça me fait penser à de l’églantine… Et il y a juste derrière une odeur un peu épicée que je ne connais pas…
- Sûrement l’ylang ylang
- J’aime assez, c’est un peu biscornu comme odeur, on ne sait pas par quel bout la prendre, comme mon gros bleuet… En même temps, une touche qui me fait penser à de la jonquille…
- Narcisse, mais vous avez vraiment… on ne dirait pas que vous ne connaissez pas les parfums !
- Merci ! Le tout est plutôt joyeux mais peut-être un peu trop… je ne sais pas… ça doit être la rose, ça donne toujours un air gentil et doux…
- Mais vous êtes une jeune fille pleine de vie, je trouve que ça vous irait bien.
- Moi je trouve surtout que ce serait mentir sur le fond au profit de la forme.
- … Je… Mais que voudriez-vous… ? Quel serait le fond que vous voudriez afficher ?
- Eh bien, j’imagine qu’à défaut d’avoir un projet d’idéal du moi, je pourrais peut-être être moi, enfin, dans le genre.
- Dans ce cas, c’est parfait, une jeune fille fraîche, un peu inattendue.
- Si vous voulez, mais ça, c’est plutôt la surface, même si je me rends bien compte que c’est ça qu’on voit le plus souvent. C’est sympa, mais je ne suis pas sûre… Disons que je ne me reconnais pas dans cet « Être » ou dans ce « Devenir ».
- Mais dans quoi vous reconnaîtriez-vous alors ?
- Un démon. »
(...)
Des parfums aux emballages cristallins, dorés, colorés et brillants. Ils étaient si jolis ! De petits trésors élégants chacun, avec des noms exotiques qui évoquaient la séduction, la richesse, le mystère, le pouvoir… Amih penchait pensivement la tête sur le côté. À en croire les annonces, c’étaient des philtres délicats, aphrodisiaques au moins, magiques au plus.
« Bonjour Mademoiselle, vous cherchez quelque chose ? lui demanda une mince vendeuse brune proche de la quarantaine
- Je ne sais pas, répondit la voyageuse songeuse.
- Je peux peut-être vous aider ? Dites-moi ce que vous aimez, je pourrais vous conseiller.
- En fait, je n’ai jamais porté de parfum. Je viens… Bah, mes habits doivent parler pour moi. Voilà, donc en fait, je fais des courses pour la famille, les amis, les voisins, je me promène, je joue les touristes. Je me demandais, à quelle occasion fait-on usage de parfum ? Comment en choisit-on un ?
- … C’est… »
À ce moment la vendeuse eut peut-être un regret d’être venu s’enquérir de cette fille avec une dégaine tellement rurale et paumée qu’elle n’achèterait probablement rien. Pire, elle risquait de lui tenir la jambe sans rien prendre. Un coup d’œil autour, discrètement. Mais non, pas d’autre client dont prétexter s’occuper pour pouvoir se défiler. Coincée.
« Il y a les parfums de jour et d’autres pour le soir et les circonstances spéciales. Pour le jour on préfèrera une eau de toilette, fraîche, qui accompagne discrètement, c’est un peu une hygiène de vie. Pour le soir, il est possible d’opter pour des senteurs plus raffinées, plus sensuelles aussi… Choisir un parfum, c’est comme choisir un vêtement, c’est une carte de visite faite de senteurs en même temps qu’un accessoire qui embellit la femme, affirme sa personnalité.
- Donc on choisit un parfum qui nous ressemble ? Ou qui montre qui on voudrait être ?
- … Un peu des deux certainement… La séduction est un jeu et la femme s’arme de parfum, une goutte sur la peau, des notes parfumées qui se dégagent progressivement et qu’on découvre à son contact. C’est la même chose que le choix des vêtements, complémentaire.
- On joue à être quelqu’un d’autre alors ? En changeant l’odeur de sa peau ?
- Je… ?
- D’après vous, qu’est-ce qui m’irait ? Devrais-je choisir quelque chose qui me ressemble ? Parce que je ne sais pas de quoi j’aimerais avoir l’air.
- … Nous devrions peut-être commencer par une note dominante… Qu’est-ce que vous aimez comme odeur ?
- Eh bien… des tas en fait… mais je doute qu’il y ait des parfums qui sentent la mousse humide quand il vient juste de pleuvoir… Et puis à la réflexion, je ne suis pas sûre de vouloir m’identifier à un sous-bois détrempé. Parce qu’on « est » bien une odeur ? On dit ce qu’on aime pour dire ce qu’on est ?
- … D’une certaine façon… Des fleurs peut-être ?
- Plein ! Le tilleul en fleurs ! La camomille qu’on met à sécher… Les fleurs de sureau, une merveille, un délice ! Et puis il y a une sorte de gros bleuet, il a une odeur pas très forte, j’ai rencontré des gens qui disent qu’il ne sent rien, mais c’est pas vrai, il a un parfum très délicat, très « bleu », sucré et quelque part un peu biscornu, une touche à peine citronnée et poivrée dans le fond et puis le tout avec une sensation herbacée… J’aime aussi le parfum des iris, mais là aussi, il ne sent pas très fort, quoique plus que le gros bleuet qui n’est pas un bleuet, c’est enchanteur, comme leurs pétales qui brillent en reflétant la lumière avec de minuscules variations iridescentes de couleur quand on les regarde de près…
- … Une jeune fille en fleur, je pense que nous avons quelque chose qui pourrait vous plaire, une fragrance romantique et joyeuse à la fois, « Reine de Mai », je vous mets quelques gouttes sur ce papier pour que vous puissiez sentir. Qu’en pensez-vous ?
- Voyons… Une rose avec un parfum assez léger, ça me fait penser à de l’églantine… Et il y a juste derrière une odeur un peu épicée que je ne connais pas…
- Sûrement l’ylang ylang
- J’aime assez, c’est un peu biscornu comme odeur, on ne sait pas par quel bout la prendre, comme mon gros bleuet… En même temps, une touche qui me fait penser à de la jonquille…
- Narcisse, mais vous avez vraiment… on ne dirait pas que vous ne connaissez pas les parfums !
- Merci ! Le tout est plutôt joyeux mais peut-être un peu trop… je ne sais pas… ça doit être la rose, ça donne toujours un air gentil et doux…
- Mais vous êtes une jeune fille pleine de vie, je trouve que ça vous irait bien.
- Moi je trouve surtout que ce serait mentir sur le fond au profit de la forme.
- … Je… Mais que voudriez-vous… ? Quel serait le fond que vous voudriez afficher ?
- Eh bien, j’imagine qu’à défaut d’avoir un projet d’idéal du moi, je pourrais peut-être être moi, enfin, dans le genre.
- Dans ce cas, c’est parfait, une jeune fille fraîche, un peu inattendue.
- Si vous voulez, mais ça, c’est plutôt la surface, même si je me rends bien compte que c’est ça qu’on voit le plus souvent. C’est sympa, mais je ne suis pas sûre… Disons que je ne me reconnais pas dans cet « Être » ou dans ce « Devenir ».
- Mais dans quoi vous reconnaîtriez-vous alors ?
- Un démon. »
(...)
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(suite)
L’assemblée intérieure se tut. Le fauve enchaîné au plus profond de sa conscience avait rappelé sa présence. Nulle menace de dénonciation ou de révélation.
Le meilleur moyen de tromper n’est pas de mentir mais de dire la vérité.
Cette réponse avait un peu effrayé la vendeuse, non pour le fond mais pour la forme. Une gamine gothique à demi-folle et qui avait besoin de provoquer les gens. Il n’y avait plus rien à dire, il aurait fallu des heures pour clarifier le message et dénouer l’image qui s’était tissée pour constituer l’image d’une certitude, s’appuyant sur une trame de préjugés dans laquelle s’inséraient des bribes d’observations. Amih était un peu dépitée. Elle constatait encore une fois que le jeu des images et des étiquettes ne nécessitait pas, ne réclamait surtout pas de réponse profondément sincère.
Amih s’éloignait du stand tenu par la vendeuse qui lui jetait désormais un sombre regard, même pas besoin de jeter un coup d’œil par-dessus son épaule, elle le sentait nettement. Elle s’engagea sur un escalier automatique, drôle d’invention qui mangeait les marches et en recrachait d’autres, l’amenant à l’étage au-dessus où elle erra un peu entre vaisselle et literie, s’arrêtant devant un miroir dans lequel elle se voyait en pied avec ses bagages. Avec ses chaussures solides, son pantalon à toile épaisse, son pull qui avait connu de meilleurs jours, des mèches qui tombaient dans sa figure en dépit de sa casquette enfoncée sur son crâne elle était une image rurale simple et sans raffinement. À côté d’elle passait un couple discutant en un échange décousu marqué de « tu penses vraiment ? », « tu penses que c’est bien ? », « que penses-tu de ? », « ça ne rappelle pas trop ? »… La femme faisait mine de s’intéresser à l’avis de son compagnon, mais à chaque fois qu’il répondait quelque chose qui ne lui convenait pas, elle posait une question qui mettait en doute ce choix dissident, juste avant de présenter ce qu’elle voulait, en demandant son avis d’un ton qui réclamait seulement une approbation.
Pourquoi poser des questions sans vouloir connaître la réponse ?
Un monologue déguisé en dialogue.
N’était-ce pas une forme d’enfermement en soi que de considérer l’autre seulement comme une projection de l’image qu’on se fait de l’altérité et de n’attendre de lui qu’une réponse correspondant au dialogue écrit pour lui ? Nulle besoin d’écouter. D’ailleurs les phrases n’étaient pas pensées ni réfléchies ni ressenties. Un couple ! N’étaient-ils pas censés être intimes ? Se connaître ? Chercher à se comprendre ? Avoir une conscience profonde de l’altérité du partenaire ? Cependant, à les regarder défiler dans le miroir, reflets derrière son propre reflet dans le cadre de perception strictement limité par la surface de l’objet, Amih ne pouvait s’empêcher de se demander si un couple bien assorti ne serait pas en fait seulement la juxtaposition de deux comédies complémentaires. Ici la femme s’imposait pour la décoration d’intérieur en faisant semblant de demander un avis dont elle n’avait que faire pour pouvoir affirmer qu’ils dialoguaient dans leur couple qui construisait son avenir ; pendant ce temps l’homme prétendait répondre et être rapidement convaincu par les arguments présentés qui lui indiquaient quoi dire pour pouvoir afficher l’image d’un couple uni et d’accord sur tout. Ils étaient au moins d’accord pour jouer le « couple uni qui dialogue », mais le plus déconcertants, c’étaient que ce contrat n’était qu’implicite, le simple fait d’en avoir activement conscience le mettrait en péril.
Un jeu de dupe.
Si l’aliénation est un enfermement de la conscience, un mur dressé entre elle et l’environnement, l’isolement du sujet en lui-même, n’est-ce pas créer une telle prison que de jouer une comédie de rôles attendus ? Le fou peut au moins arguer du fait qu’il est incapable de garder sa lucidité, mais celui qui s’illusionne délibérément pour avoir la satisfaction précaire de croire vivre selon ses aspirations ?
Une moue en se regardant dans la glace avant de l’abandonner pour poursuivre son exploration. Les paquets commençaient à devenir encombrants et elle songeait à les faire déposer à l’immeuble de Moira où le concierge se chargerait de porter le tout dans l’appartement, c’était apparemment un usage et un service parfois proposé à condition de consommer un peu plus de ceci ou cela. Dans le cas présent ça l’arrangeait un peu de profiter de ce qu’elle aurait sans doute considéré comme inutile en temps normal, quand elle n’avait pas de rendez-vous à la nuit tombée et bien trop d’achats. Quelle heure était-il ? Trois heures et quart. Quelques dépenses supplémentaires et elle pourrait s’alléger sans avoir à se rendre elle-même chez son hôtesse, après quoi un saut chez « Zoé » et puis vers quatre heures et demi, elle pourrait se rendre dans les locaux de la police pour rencontre le contact de Moira et prendre connaissance des dossiers.
Tandis qu’elle faisait ses calculs, elle se promenait dans les étages et les rayons. Que ferait-elle de literies ? Oh, elle pouvait bien penser à son trousseau ou à son prochain chez elle, s’offrir des draps-housses qui semblaient bien plus pratiques que les anciens, assortis à des housses de coussins et couettes dans des coloris d’un tendre vert feuille tirant progressivement sur le kaki, en contraste avec un mauve tirant sur le prune doux, des frises stylisées de triangles les mettant en rapport dynamique. Il y avait les mêmes en blanc et bleu indigo dégradé depuis ses teintes fraîches à ses nuances proches du noir, et puis aussi des beiges doux opposés à des rouges profonds tirant sur le sang de bœuf… Tous étaient séduisants dans un contexte, une mise en scène qui en tirait le meilleur parti, en les plaçant en relation avec un lit double, un tapis, des tables basses et des bibelots qui étaient faits pour se marier avec. Ensemble, ils étaient une évocation du confort chic et moderne des grandes villes du Regenland, fière de leur mode de vie élégant et recherché, mais sortir un seul élément de son contexte ne serait-il pas maladroit ? Un peu comme elle dans la foule de Sikaakwa, pièce rurale qui détonnait et s’harmonisait bien peu. Est-ce que Moira aurait l’air aussi mal assortie dans les montagnes ? Beige et carmin, ça irait sûrement bien avec des murs en bois et des décorations où le rouge dominait.
Mal assortie… Cette impression lui revenait sans cesse ici. Pour la literie, pour les vêtements, la vaisselle trop lourde à acheter aujourd’hui, pour les accessoires, ceintures, lunettes et sacs. Rien qu’à regarder, elle se sentait dépareillée, partagée entre des injonctions contradictoires, d’amusement et tant d’autres qui la dissuadaient avec des raisons logiques, tant que c’en était un peu triste. Elle était de la montagne, pourquoi aurait-elle honte de son apparence qui témoignait d’un solide sens pratique ? Elle était en mission, pourquoi se souciait-elle de se faire belle alors que des esprits égarés semaient peut-être la folie en ce moment même ? Elle n’était là que pour un séjour temporaire, pourquoi songer à changer quelque chose ? Elle était l’égale de Moira, pourquoi se comparer à cette dernière et chercher à lui ressembler dans les mœurs ?
Pourquoi ces questions lui étaient-elles douloureuses ? Des vêtements, des parures, autant de messages sur son identité, encore une fois.
L’Identité. L’Être. Le Devenir.
Qui était-elle et qui voulait-elle devenir ?
Son devenir était-il conditionné par son être ?
Devait-elle se définir par son passé et son origine ?
« Une tasse de thé, mademoiselle ? »
Ce ne fut qu’à cet instant qu’Amih prit conscience du fait qu’elle s’était arrêtée le regard dans le vide près d’un stand qui vendait du thé en vrac. Il y avait quelques tables hautes, rondes avec des sortes de chaises de bar pour ceux qui voulaient s’arrêter quelques minutes, pour se reposer ou goûter avant d’acheter. Prise de court, coupée dans ses pensées, elle accepta.
(...)
Le meilleur moyen de tromper n’est pas de mentir mais de dire la vérité.
Cette réponse avait un peu effrayé la vendeuse, non pour le fond mais pour la forme. Une gamine gothique à demi-folle et qui avait besoin de provoquer les gens. Il n’y avait plus rien à dire, il aurait fallu des heures pour clarifier le message et dénouer l’image qui s’était tissée pour constituer l’image d’une certitude, s’appuyant sur une trame de préjugés dans laquelle s’inséraient des bribes d’observations. Amih était un peu dépitée. Elle constatait encore une fois que le jeu des images et des étiquettes ne nécessitait pas, ne réclamait surtout pas de réponse profondément sincère.
Amih s’éloignait du stand tenu par la vendeuse qui lui jetait désormais un sombre regard, même pas besoin de jeter un coup d’œil par-dessus son épaule, elle le sentait nettement. Elle s’engagea sur un escalier automatique, drôle d’invention qui mangeait les marches et en recrachait d’autres, l’amenant à l’étage au-dessus où elle erra un peu entre vaisselle et literie, s’arrêtant devant un miroir dans lequel elle se voyait en pied avec ses bagages. Avec ses chaussures solides, son pantalon à toile épaisse, son pull qui avait connu de meilleurs jours, des mèches qui tombaient dans sa figure en dépit de sa casquette enfoncée sur son crâne elle était une image rurale simple et sans raffinement. À côté d’elle passait un couple discutant en un échange décousu marqué de « tu penses vraiment ? », « tu penses que c’est bien ? », « que penses-tu de ? », « ça ne rappelle pas trop ? »… La femme faisait mine de s’intéresser à l’avis de son compagnon, mais à chaque fois qu’il répondait quelque chose qui ne lui convenait pas, elle posait une question qui mettait en doute ce choix dissident, juste avant de présenter ce qu’elle voulait, en demandant son avis d’un ton qui réclamait seulement une approbation.
Pourquoi poser des questions sans vouloir connaître la réponse ?
Un monologue déguisé en dialogue.
N’était-ce pas une forme d’enfermement en soi que de considérer l’autre seulement comme une projection de l’image qu’on se fait de l’altérité et de n’attendre de lui qu’une réponse correspondant au dialogue écrit pour lui ? Nulle besoin d’écouter. D’ailleurs les phrases n’étaient pas pensées ni réfléchies ni ressenties. Un couple ! N’étaient-ils pas censés être intimes ? Se connaître ? Chercher à se comprendre ? Avoir une conscience profonde de l’altérité du partenaire ? Cependant, à les regarder défiler dans le miroir, reflets derrière son propre reflet dans le cadre de perception strictement limité par la surface de l’objet, Amih ne pouvait s’empêcher de se demander si un couple bien assorti ne serait pas en fait seulement la juxtaposition de deux comédies complémentaires. Ici la femme s’imposait pour la décoration d’intérieur en faisant semblant de demander un avis dont elle n’avait que faire pour pouvoir affirmer qu’ils dialoguaient dans leur couple qui construisait son avenir ; pendant ce temps l’homme prétendait répondre et être rapidement convaincu par les arguments présentés qui lui indiquaient quoi dire pour pouvoir afficher l’image d’un couple uni et d’accord sur tout. Ils étaient au moins d’accord pour jouer le « couple uni qui dialogue », mais le plus déconcertants, c’étaient que ce contrat n’était qu’implicite, le simple fait d’en avoir activement conscience le mettrait en péril.
Un jeu de dupe.
Si l’aliénation est un enfermement de la conscience, un mur dressé entre elle et l’environnement, l’isolement du sujet en lui-même, n’est-ce pas créer une telle prison que de jouer une comédie de rôles attendus ? Le fou peut au moins arguer du fait qu’il est incapable de garder sa lucidité, mais celui qui s’illusionne délibérément pour avoir la satisfaction précaire de croire vivre selon ses aspirations ?
Une moue en se regardant dans la glace avant de l’abandonner pour poursuivre son exploration. Les paquets commençaient à devenir encombrants et elle songeait à les faire déposer à l’immeuble de Moira où le concierge se chargerait de porter le tout dans l’appartement, c’était apparemment un usage et un service parfois proposé à condition de consommer un peu plus de ceci ou cela. Dans le cas présent ça l’arrangeait un peu de profiter de ce qu’elle aurait sans doute considéré comme inutile en temps normal, quand elle n’avait pas de rendez-vous à la nuit tombée et bien trop d’achats. Quelle heure était-il ? Trois heures et quart. Quelques dépenses supplémentaires et elle pourrait s’alléger sans avoir à se rendre elle-même chez son hôtesse, après quoi un saut chez « Zoé » et puis vers quatre heures et demi, elle pourrait se rendre dans les locaux de la police pour rencontre le contact de Moira et prendre connaissance des dossiers.
Tandis qu’elle faisait ses calculs, elle se promenait dans les étages et les rayons. Que ferait-elle de literies ? Oh, elle pouvait bien penser à son trousseau ou à son prochain chez elle, s’offrir des draps-housses qui semblaient bien plus pratiques que les anciens, assortis à des housses de coussins et couettes dans des coloris d’un tendre vert feuille tirant progressivement sur le kaki, en contraste avec un mauve tirant sur le prune doux, des frises stylisées de triangles les mettant en rapport dynamique. Il y avait les mêmes en blanc et bleu indigo dégradé depuis ses teintes fraîches à ses nuances proches du noir, et puis aussi des beiges doux opposés à des rouges profonds tirant sur le sang de bœuf… Tous étaient séduisants dans un contexte, une mise en scène qui en tirait le meilleur parti, en les plaçant en relation avec un lit double, un tapis, des tables basses et des bibelots qui étaient faits pour se marier avec. Ensemble, ils étaient une évocation du confort chic et moderne des grandes villes du Regenland, fière de leur mode de vie élégant et recherché, mais sortir un seul élément de son contexte ne serait-il pas maladroit ? Un peu comme elle dans la foule de Sikaakwa, pièce rurale qui détonnait et s’harmonisait bien peu. Est-ce que Moira aurait l’air aussi mal assortie dans les montagnes ? Beige et carmin, ça irait sûrement bien avec des murs en bois et des décorations où le rouge dominait.
Mal assortie… Cette impression lui revenait sans cesse ici. Pour la literie, pour les vêtements, la vaisselle trop lourde à acheter aujourd’hui, pour les accessoires, ceintures, lunettes et sacs. Rien qu’à regarder, elle se sentait dépareillée, partagée entre des injonctions contradictoires, d’amusement et tant d’autres qui la dissuadaient avec des raisons logiques, tant que c’en était un peu triste. Elle était de la montagne, pourquoi aurait-elle honte de son apparence qui témoignait d’un solide sens pratique ? Elle était en mission, pourquoi se souciait-elle de se faire belle alors que des esprits égarés semaient peut-être la folie en ce moment même ? Elle n’était là que pour un séjour temporaire, pourquoi songer à changer quelque chose ? Elle était l’égale de Moira, pourquoi se comparer à cette dernière et chercher à lui ressembler dans les mœurs ?
Pourquoi ces questions lui étaient-elles douloureuses ? Des vêtements, des parures, autant de messages sur son identité, encore une fois.
L’Identité. L’Être. Le Devenir.
Qui était-elle et qui voulait-elle devenir ?
Son devenir était-il conditionné par son être ?
Devait-elle se définir par son passé et son origine ?
« Une tasse de thé, mademoiselle ? »
Ce ne fut qu’à cet instant qu’Amih prit conscience du fait qu’elle s’était arrêtée le regard dans le vide près d’un stand qui vendait du thé en vrac. Il y avait quelques tables hautes, rondes avec des sortes de chaises de bar pour ceux qui voulaient s’arrêter quelques minutes, pour se reposer ou goûter avant d’acheter. Prise de court, coupée dans ses pensées, elle accepta.
(...)
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(suite)
Un homme châtain, la trentaine, un sourire qui le rendait avenant, quelqu’un de simple, qui donnait l’impression d’avoir une vie facile, sans complication métaphysique. Rien que le paiement de son loyer, la fille du bar dont il était amoureux et à qui il n’osait pas faire part de ses sentiments alors qu’il s’inquiétait pour elle à cause de ses fréquentations nocturnes, et puis des relations assez difficiles avec ses parents. Rien que ça, mais ça suffisait amplement à occuper ses réflexions, il ne ressentait nul besoin de se projeter vers d’autres horizons, ceux-là étaient déjà pleins. Il versa le thé. Une belle couleur dorée, un miel sombre et aussi clair que l’eau d’une source, chaud et plein de mouvements dans les volutes de sa vapeur comme dans les feuilles qui dansaient au fond de la tasse. Une cuillère brillante et lisse, nette. Une coupelle de sucre cristallisé, à saisir d’une délicate pincette aux bouts en croissants de lune, fondant dans la bouche comme un bonbon.
Dans son esprit l’écho d’un autre thé dans une tasse de porcelaine fine, une vue depuis un pavillon qui donnait sur un lac artificiel au milieu d’un jardin qui recréait l’univers. Les montagnes des rochers, l’océan dans l’eau, les forêts dans les arbres taillés de formes pittoresques ou régulières. Son être d’alors portait des soieries brodées et n’aurait jamais accepté de s’abaisser à accepter un détail qui ne tende pas vers l’excellence. Aucune concession. Viser la perfection ou rien.
Ce lambeau de conscience ne souffrait pas de devoir être comparée à Moira la chasseresse. Elle était au moins aussi jolie ! Mais Amih la renvoya vertement dans l’assemblée parmi les autres fragments qui s’étaient oubliés dans l’Océan mais qui réagissaient toujours aux émotions qui leur ressemblaient le plus. Spirituel et surnaturel ont en commun la subjectivité, la sensibilité, la réceptivité, la concordance des harmonies et dissonances, l’écho qui la redit. Quintessenciée, elle devient ébauche d’identité, de désir, de vie, d’intention puis d’action. La magie naît de l’émotion. De l’énergie qui s’échappe sur les grands courants impalpables il demeure la couleur d’une aspiration même désormais perdue pour sa cause et pour les fins dans lesquelles trouver son accomplissement.
Des bribes de souvenirs recomposés lui revenaient tandis qu’elle jouait avec sa cuillère, la faisant inutilement tourner dans la tasse et expérimentant le tintement qu’elle produisait en cognant telle partie de la paroi pleine, telle autre au-dessus de la surface, l’anse, la sous-tasse. Des images floues, des émotions qu’elle recomposait en scènes qui y répondaient. L’abîme, le sable pour se laver, un bal entêtant, chaque jour qui ressemblait au précédent, le sentiment de puissance et pourtant le vide et la lucidité qui l’effleurait, sentir que tout ceci était vain. Chercher du sens en devenant autre, ailleurs. Les clients passaient, l’homme qui l’avait servie s’occupait d’une mère accompagnée de sa fille d’une dizaine d’année, toute fière avec son chapeau de feutre vieux rose orné d’une marguerite stylisée assortie à son manteau rouge et rose.
Vêtements ! Quelle heure était-il ?
Amih attrapa sa tasse sans cérémonie, souffla un peu, constata qu’elle était n’était plus trop chaude. Très bon. Pas le temps de savourer si elle voulait encore faire tout ce qu’elle avait prévu. De grandes réflexions sur le sens de l’existence coupées par l’importance d’un rendez-vous chez une costumière. Les spéculations métaphysiques pouvaient attendre le grand âge, ou même la tombe, pour être directement confronté à la matière de l’étude. D’ici là, s’amuser était le plus important. Il était temps d’aller se déguiser en belle dame de ville pour rire un peu. Attrapant ses affaires, elle prit d’assaut un point d’accueil pour demander de porter le tout à l’immeuble de Moira dont elle précisa l’adresse et le numéro d’appartement. Après tout ce temps à traîner, elle était saisie d’urgence et d’impatience, envie d’avancer, de voir ce qui allait se passer. Elle n’avait nul besoin de ressasser ses fils épars de mémoire lointain, ça lui appartenait, c’était le passé, c’était en elle. Était-ce elle pour autant ?
Il manquait encore un peu à la somme requise, elle s’empressa de faire la joie du vendeur de thé.
Puis elle descendit rapidement l’escalier automatique, accélérant le mouvement comme s’il n’était plus possible de simplement laisser faire le courant tranquille. Elle manqua de bousculer plusieurs personnes. En fait, il n’y aurait eu aucun risque de contact s’ils n’avaient bougé par réflexe, de peur d’un contact, la forçant à esquiver d’un pas dansant, frôlant les manteaux, sautant par-dessus un petit chien noir tenu en laisse, se glissant dans l’embrasure de la porte qui était en train de se refermer, sans surtout essayer de la retenir, c’eut été trop facile ! Dehors enfin elle se rappela qu’il faisait froid, un contraste brutal avec l’intérieur surchauffé. Elle s’immobilisa un instant pour repérer les numéros de rue et s’assurer de sa position, avant de se remettre en marche, de larges enjambées tandis qu’elle enfilait son manteau, enfonçait sa casquette sur son nez, ficelait de nouveau son écharpe et dépasser la plupart des badauds qui se contentaient de flâner et la regardaient comme si elle allait au combat ou quelque chose d’aussi incongru ici.
Arrivée.
Dans son esprit l’écho d’un autre thé dans une tasse de porcelaine fine, une vue depuis un pavillon qui donnait sur un lac artificiel au milieu d’un jardin qui recréait l’univers. Les montagnes des rochers, l’océan dans l’eau, les forêts dans les arbres taillés de formes pittoresques ou régulières. Son être d’alors portait des soieries brodées et n’aurait jamais accepté de s’abaisser à accepter un détail qui ne tende pas vers l’excellence. Aucune concession. Viser la perfection ou rien.
Ce lambeau de conscience ne souffrait pas de devoir être comparée à Moira la chasseresse. Elle était au moins aussi jolie ! Mais Amih la renvoya vertement dans l’assemblée parmi les autres fragments qui s’étaient oubliés dans l’Océan mais qui réagissaient toujours aux émotions qui leur ressemblaient le plus. Spirituel et surnaturel ont en commun la subjectivité, la sensibilité, la réceptivité, la concordance des harmonies et dissonances, l’écho qui la redit. Quintessenciée, elle devient ébauche d’identité, de désir, de vie, d’intention puis d’action. La magie naît de l’émotion. De l’énergie qui s’échappe sur les grands courants impalpables il demeure la couleur d’une aspiration même désormais perdue pour sa cause et pour les fins dans lesquelles trouver son accomplissement.
Des bribes de souvenirs recomposés lui revenaient tandis qu’elle jouait avec sa cuillère, la faisant inutilement tourner dans la tasse et expérimentant le tintement qu’elle produisait en cognant telle partie de la paroi pleine, telle autre au-dessus de la surface, l’anse, la sous-tasse. Des images floues, des émotions qu’elle recomposait en scènes qui y répondaient. L’abîme, le sable pour se laver, un bal entêtant, chaque jour qui ressemblait au précédent, le sentiment de puissance et pourtant le vide et la lucidité qui l’effleurait, sentir que tout ceci était vain. Chercher du sens en devenant autre, ailleurs. Les clients passaient, l’homme qui l’avait servie s’occupait d’une mère accompagnée de sa fille d’une dizaine d’année, toute fière avec son chapeau de feutre vieux rose orné d’une marguerite stylisée assortie à son manteau rouge et rose.
Vêtements ! Quelle heure était-il ?
Amih attrapa sa tasse sans cérémonie, souffla un peu, constata qu’elle était n’était plus trop chaude. Très bon. Pas le temps de savourer si elle voulait encore faire tout ce qu’elle avait prévu. De grandes réflexions sur le sens de l’existence coupées par l’importance d’un rendez-vous chez une costumière. Les spéculations métaphysiques pouvaient attendre le grand âge, ou même la tombe, pour être directement confronté à la matière de l’étude. D’ici là, s’amuser était le plus important. Il était temps d’aller se déguiser en belle dame de ville pour rire un peu. Attrapant ses affaires, elle prit d’assaut un point d’accueil pour demander de porter le tout à l’immeuble de Moira dont elle précisa l’adresse et le numéro d’appartement. Après tout ce temps à traîner, elle était saisie d’urgence et d’impatience, envie d’avancer, de voir ce qui allait se passer. Elle n’avait nul besoin de ressasser ses fils épars de mémoire lointain, ça lui appartenait, c’était le passé, c’était en elle. Était-ce elle pour autant ?
Il manquait encore un peu à la somme requise, elle s’empressa de faire la joie du vendeur de thé.
Puis elle descendit rapidement l’escalier automatique, accélérant le mouvement comme s’il n’était plus possible de simplement laisser faire le courant tranquille. Elle manqua de bousculer plusieurs personnes. En fait, il n’y aurait eu aucun risque de contact s’ils n’avaient bougé par réflexe, de peur d’un contact, la forçant à esquiver d’un pas dansant, frôlant les manteaux, sautant par-dessus un petit chien noir tenu en laisse, se glissant dans l’embrasure de la porte qui était en train de se refermer, sans surtout essayer de la retenir, c’eut été trop facile ! Dehors enfin elle se rappela qu’il faisait froid, un contraste brutal avec l’intérieur surchauffé. Elle s’immobilisa un instant pour repérer les numéros de rue et s’assurer de sa position, avant de se remettre en marche, de larges enjambées tandis qu’elle enfilait son manteau, enfonçait sa casquette sur son nez, ficelait de nouveau son écharpe et dépasser la plupart des badauds qui se contentaient de flâner et la regardaient comme si elle allait au combat ou quelque chose d’aussi incongru ici.
Arrivée.
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À l’instant d’entrer, une seconde de flottement. Sa perception était soudainement étirée, distordue. Tout était plus lent, comme suspendu. Un silence forcé, entre deux mesures, le temps d’inspirer. Le ciel gris et blanc était bas, il dissolvait l’horizon et les sommets. De la vapeur se dégageait de grilles d’égouts, mouvement ascendant de volutes tandis que des flocons glacés se mettaient à tomber sur ce monde soudain immobile. Une seconde incertaine. Tout paraissait comme noir et gris, des valeurs ternes, hors de la vie, déjà des souvenirs d’un futur proche. En contraste doux la neige déposait une lumière discrètement brillante et pleine d’une intensité bouleversante.
Avant même de regarder quelqu’un ou dans une direction elle savait déjà ce qu’elle verrait, le signe fiable d’une perception spirituelle, ou d’une folie furieuse. Chaque personne dégageait une sorte de lueur chatoyante plus ou moins pâle ou intense selon son énergie, sa conscience d’être, sa présence, sa vitalité, son potentiel à interagir avec le surnaturel.
Derrière !
Sachant déjà, dessinant déjà sa silhouette dans son esprit, elle se retourna brusquement pour l’entrevoir de l’autre côté de la rue. Prince lumineux, intensément doré, et pourtant encore taché de sang et d’obscurité. Ses yeux noirs, les iris confondus avec ses pupilles.
Elvénémariel !
Mais c’était déjà fini. La circulation reprenait, bruyante et animée, tout comme les mouvements des passants qui s’agaçaient de voir quelqu’un traîner au milieu du chemin avec un air de stupéfaction qui n’avait rien à faire ici. Cela avait été tellement bref, cela faisait si longtemps. Elle avait oublié son propre nom et le sien lui revenait aussitôt, même si elle ne savait plus très bien quelle avait été leur relation ou quel genre d’homme il avait été… Machinalement elle épousseta la neige qui commençait à s’accumuler sur ses épaules et secoua sa casquette avant d’entrer dans le magasin.
Combien de vies ?
De ses fragments de souvenirs chantés dans son assemblée intérieure, elle se rappelait être morte une fois sur un bûcher, condamnée à tort. Des souvenirs de batailles et de haches lancés lui revenaient. Une princesse orgueilleuse de sa beauté et de son rang mais dont l’existence était vide. Une pauvre fille dans un pays conquis, violée et tuée par des soudards. Un homme, guerrier et nomade, perdu dans le désert et mourant lentement de soif sous un soleil de plomb. De tous ces siècles, de toutes ces vies, de ces souffrances, de ces nombreuses morts, elle s’était imprégnée et consumée tout à la fois. Les doutes, les désirs, les aspirations violentes, l’orgueil… Autant de scories qui étaient emportée dans le feu et l’eau, purifiant progressivement sa psyché de la folie et de la démesure des Cercles Infinis, lui permettant de devenir réellement humaine, ou peut-être plus qu’humaine dans sa lucidité quant à sa condition et dans la conscience de son acceptation d’Être en dépit de tout.
Accepter de mourir, pour Devenir, pour Être.
Mais lui, l’Échappé des Enfers ?
Avant même de regarder quelqu’un ou dans une direction elle savait déjà ce qu’elle verrait, le signe fiable d’une perception spirituelle, ou d’une folie furieuse. Chaque personne dégageait une sorte de lueur chatoyante plus ou moins pâle ou intense selon son énergie, sa conscience d’être, sa présence, sa vitalité, son potentiel à interagir avec le surnaturel.
Derrière !
Sachant déjà, dessinant déjà sa silhouette dans son esprit, elle se retourna brusquement pour l’entrevoir de l’autre côté de la rue. Prince lumineux, intensément doré, et pourtant encore taché de sang et d’obscurité. Ses yeux noirs, les iris confondus avec ses pupilles.
Elvénémariel !
Mais c’était déjà fini. La circulation reprenait, bruyante et animée, tout comme les mouvements des passants qui s’agaçaient de voir quelqu’un traîner au milieu du chemin avec un air de stupéfaction qui n’avait rien à faire ici. Cela avait été tellement bref, cela faisait si longtemps. Elle avait oublié son propre nom et le sien lui revenait aussitôt, même si elle ne savait plus très bien quelle avait été leur relation ou quel genre d’homme il avait été… Machinalement elle épousseta la neige qui commençait à s’accumuler sur ses épaules et secoua sa casquette avant d’entrer dans le magasin.
Combien de vies ?
De ses fragments de souvenirs chantés dans son assemblée intérieure, elle se rappelait être morte une fois sur un bûcher, condamnée à tort. Des souvenirs de batailles et de haches lancés lui revenaient. Une princesse orgueilleuse de sa beauté et de son rang mais dont l’existence était vide. Une pauvre fille dans un pays conquis, violée et tuée par des soudards. Un homme, guerrier et nomade, perdu dans le désert et mourant lentement de soif sous un soleil de plomb. De tous ces siècles, de toutes ces vies, de ces souffrances, de ces nombreuses morts, elle s’était imprégnée et consumée tout à la fois. Les doutes, les désirs, les aspirations violentes, l’orgueil… Autant de scories qui étaient emportée dans le feu et l’eau, purifiant progressivement sa psyché de la folie et de la démesure des Cercles Infinis, lui permettant de devenir réellement humaine, ou peut-être plus qu’humaine dans sa lucidité quant à sa condition et dans la conscience de son acceptation d’Être en dépit de tout.
Accepter de mourir, pour Devenir, pour Être.
Mais lui, l’Échappé des Enfers ?
Meneuse : Ombres d'Esteren | Dragons
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