Chronique d'un Conte Malheureux WIP

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Amnèsya
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Chronique d'un Conte Malheureux WIP

Message : # 31626Message Amnèsya
28 janv. 2014, 22:18

Prologue


« Il faut autant de travail pour écrire un mauvais livre qu'un bon. Il sort avec la même sincérité de l'âme de l'auteur. Aldous Huxley"

Bien rares sont les ouvrages qui ne commencent pas par des remerciements. Cela m’a toujours intrigué, car un livre est le fruit d’un travail. Pour l’écrire, l’auteur a dû passer des journées, des semaines voire des mêmes années, assis devant son bureau, son ordinateur ou bien peut-être, pour les plus nostalgiques derrière leurs machines, à réfléchir, à imaginer, à construire, et très certainement à douter et à souffrir, pour nous présenter sa création…
Et il nous remercie… J’ai souvent pensé que c’était plutôt à nous de le remercier pour le moment d’évasion qu’il nous apportait, pour la réflexion qu’il créait en nous ou pour toutes les autres raisons qui nous ont poussées à acheter son ouvrage

Je crois que maintenant, j’ai peut-être une piste pour répondre cette interrogation… Bien plus qu’à ses lecteurs, ces remerciements s’adressent à tous les gens qui lui ont permis d’élaborer l’œuvre qu'il nous propose. À ceux qui lui ont donné envie d’écrire, à ceux qui l’ont inspiré…
Car si l'on peut créer quelque chose de beau uniquement pour soi, on ne peut créer qu’à partir de soi…
En vue de dissiper d’éventuelles méprises je précise quelques points : non, je ne suis pas l'auteur des principales idées qui servent de trame à mon histoire, mais simplement du collage... Oui, le nombre de références est si conséquent que l’on a plus affaire à de la fanfiction qu’à de la littérature traditionnelle.
Mais, je crois que j’ai entendu quelques parts, que « les bouquins, c'est toujours mieux de les pomper, que de ne pas les écrire »...



Donc, si en lisant la suite vous pensez que cela ressemble :
• À l’univers de Tolkien…
• À la géographie, à l’univers du jeu de rôle les « Ombres d’Esteren ».
• À l’ambiance du jeu « Dragon Age. »
• Tiens, ça c’est une citation de Kaamelott, de Reflets d’Acide, du Survivaure, de Nalheubeuk et des autres...
• Tiens, les réactions des personnages ressemblent à celle d’Edward Elric de Full Metal Achimist…
• Tiens, je crois que j’ai déjà vu ce monstre dans la série Docteur WHO…
Eh bien, c’est normal, car c’est effectivement le cas… (Et que par ailleurs, on a des références très similaires)

J’ai bien failli commencer cet ouvrage par la citation suivante d’Alphonse Karr
« Ecrire est le seul métier avec la politique qu'on ose faire sans l'avoir appris ».
Par cette phrase j’espérais inciter le lecteur à faire preuve d’empathie car c’est la première fois que je me lance dans une telle aventure. Mais finalement, cela n’a pas de sens. Je n’ai pas d’autre prétention que celle d’espérer vous faire passer un agréable moment, que vous prendrez autant de plaisir à le lire que moi à l’écrire. Ainsi, si c’est mauvais je préfère le savoir.
Je te remercie de lire cette histoire, toi qui certainement ne le fais que pour me faire plaisir…
Enfin, regrettant de ne pouvoir écrire à mes enfants… ou en l’espérant

PS : Pourquoi un « Conte Malheureux » ? La vérité est que c’est le titre du blog de Fanny. (La sœur d’un copain décédé) C’est donc un hommage. Comme dit plus haut même l’intitulé, n'est pas de moi. Ceci dit, avec toutes les versions qui ont vu le jour, je ne sais plus si c’est encore un conte, mais je suis sûr que c’est dans la tristesse qu’il est né.
Bon voyage…

Chapitre 1 : Jeux de dupes



« Il est des discours que l’on ne devrait jamais tenir, des promesses que l’on ne devrait jamais faire » Yann de Kemeur, dit l’Épervier.

Le matin étendait son ombre sanglante au-dessus des toits sombres de la civilisation. Enfin, le soleil daignait se montrer par-dessus une terre lavée en profondeur de toutes ces horreurs. Depuis des semaines en effet, il n’avait cessé de pleuvoir… Et même si cela ne représentait pas en soi un fait exceptionnel pour cette fin d’été, chacun regardait le futur ciel bleu comme une sorte de délivrance. On allait pouvoir travailler au sec et les champs n'en seraient que plus faciles à préparer.
C’était dans cet état d’esprit où se mélangeait la fraîcheur naïve d’une nouvelle journée, et l’espoir candide des possibilités qu’elle annonçait qu’un homme accoudé au comptoir d’une auberge sans charme de Tharbad finissait de se réveiller…

Il était grand et svelte. Il avait un port noble et cependant il préférait rester noyé dans la pénombre. Il ne regardait rien et pourtant, pas une mouche n’aurait pu traverser la vaste salle sans qu’il s’en aperçoive. Il tenait un bol dans ses mains. Une douce fumée voluptueuse s’en échappait et venait lui titiller les narines. Il en absorbait la chaleur comme un lézard sur sa pierre au soleil. Délicatement, lentement… Il en savourait chaque goutte, une par une. D'ailleurs, il n'en aurait pas pu en être autrement. Le descendre cul sec, étant donné la température du liquide, était tout simplement inenvisageable. Aussi, il prenait le temps d’apprécier chaque instant de son réveil. C’était sa spécialité : un café noir et fort, deux clous de girofle, un peu de cannelle et quelques bouchons de son rhum vieux, dont il gardait toujours une petite flasque sur lui tant cet alcool était rare et précieux. C’était la particularité des matins studieux, de ceux qui nécessitaient une préparation subtile… Bien qu’il n’appartienne pas à cette classe de gens qui se levaient aux aurores avant d'effectuer une tâche capitale, il ressentait néanmoins le besoin de sacrifier à la tradition. Aussi, en raison de son caractère flegmatique et tempéré, il avait arrangé les coutumes à sa sauce.

Comme rien n’est éternel, il eût bientôt fini sa tasse… La journée pouvait donc commencer. Il paya sa note et sortit de la taverne. Le soleil lui inonda le regard. Il ajusta sa capuche… et s’aventura dans les rues. Il fut saisi par un petit vent froid qui s'engouffrant sous ses vêtements, lui gela le sang jusqu'au bout des oreilles. Cependant, il n’en avait cure. Pour tout dire, cela l'arrangeait même... Le monde tourne moins vite lorsqu'il est figé par la glace. La plupart des gens préfèrent rester chez eux... Ceux qui peuvent s’en payer le luxe en tout cas... Et ses cibles, comme ses ennemis d’ailleurs, faisaient partie de cette classe de personnes. Il savait donc où les trouver... Il regretta juste que la cohue de marchands, ces hommes de simples conditions, ne puisse en faire de même. En dépit de son envie préserver sa tranquillité, il devait affronter la foule. Car malgré l’heure précoce, les ruelles étaient déjà noires de monde. Il souffla et, en vue de se donner du cœur à l’ouvrage, pensa à la bonne soirée qui l'attendait. Une marque de contentement s’esquissa sur son visage. Il s’enfonça alors dans le brouhaha habituel des artères commerçantes et agitées. Il avançait lentement en analysant constamment son environnement, autant par habitude que par nécessité. Après quelques pas, il perçut rapidement qu’un son parmi tous ceux qui lui parvenaient n’était pas normal.

Dans les limbes de son esprit, la connexion ne se fit pas immédiatement… Quel étaient ces notes…
« Si fa si do re mi do re la … si do re do si la… si do re do si fa la… si do mi la si do re do si … » (Kajiura Yuki, OST Noir, Thème Chloé, 2001)
Il n’eut pas besoin de réfléchir pour savoir ce qu’il signifiait : des problèmes en perspective. Il avait systématiquement entendu cette mélodie avant toutes les catastrophes qui lui était arrivées durant ses longues pérégrinations.
Il était de cette catégorie d’homme à rester stoïque en toute circonstance, toujours maître de ses émotions et de ses réactions. Et ce n’était certainement pas la lenteur et la douceur de ces quelques notes qui pouvait justifier une telle réaction en lui. Et pourtant, un frisson lui parcourut l’ensemble de la colonne vertébrale, remontant jusque dans son cou.

Vous savez ce genre de sensations que l’on éprouve au moment où l’on nous annonce une catastrophe, de celles qui vous font dire que vous auriez préféré être sourd… Par exemple quand on apprend la perte d’un être cher… Si vous avez déjà connu cette situation, dans ce cas vous pouvez imaginer dans quel état d’esprit il se trouvait. Et si vous ne l’avez pas connu alors tant mieux pour vous et je n’essayerais pas de vous dépeindre son ressentit. D’abord, je n’y arriverais pas, car les mots demeurent impuissants devant un tel désespoir et ensuite cela ne servirait rien. Je souhaite de tout mon cœur que cela continue…
Cette mélodie avait frappé à la porte de sa conscience aussi surement que la faucheuse nous emportera un jour.

C’était un mauvais présage. Un corbeau passa… Il la remarqua immédiatement, appuyée sur un mur à quelques pas de l’échoppe qu’il venait de quitter… Il s’approcha d’elle, elle rangea son harmonica…
« — Tu es bien matinale aujourd’hui, Amnè. Tu es tombée du lit ? »
Elle le regarda, sans le saluer d’un air récriminateur, mais elle lui répondit :
« — Kyo, je n’ai pas de lit, et tu le sais pertinemment. Eh oui, j’ai dû me lever tôt ce matin. Et ce n’est pas dans mes habitudes. Et je n’aime toujours pas ça. Mais, que veux-tu, à cause de certains individus louches, je suis obligée de bosser, sept jours sur sept, dimanche et jours bénis inclus… Tu vois de qui je veux parler par individu louche…
— Toujours de bonne humeur au saut du lit, à ce que je vois. Systématiquement, te croiser est un régal pour le moral et entamer sa journée du bon pied. Quand, évidemment, on a survécu à la crise cardiaque que provoque la vision de ta tête et d’éclairs dans ton regard. Mais j’en conclus que si l’on se rencontre en ces lieux c’est qu’il y a au moins une bonne nouvelle : tu as dû obtenir ton avancement tant attendu…
— Tout à fait, je suis officiellement devenue, et ce pour ma plus grande joie, major après du Bureau Seigneurial d’Investigation. “Au service du peuple pour la défense de l’empire, de la veuve et de l’orphelin”. Tu parles d’une devise à la noix. Au service des autres, c’est un concept auquel j’adhère bien. Mais de là, à me retrouver à me lever avec les poules et compter les clous de la porte, en attendant qu’un clampin lambda daigne montrer son visage, il y a tout un gouffre. Si tu veux mon avis, ce n’était surement pas dans le contrat initial, ou alors je n’ai pas dû le lire jusqu’au bout… Tout cela dans l’espoir insensé d’empêcher les gens de se taper dessus et les autres nuisibles dans ton genre de se la couler douce.
— Nuisible… tu y vas fort, je rends quand même quelques services à certaines personnes. Je t'accorde que c’est souvent au détriment d’autres. Après tout si tu n’es pas contente, pourquoi t’es-tu engagée ?
— Il y a des jours comme aujourd’hui où je me le demande encore... Crois-moi ou pas, mais, si j’avais su qu’à cause de cela je me retrouve obligée d’affronter cette invention satanique, cet outil de torture qu’est le réveil… J’aurai vraiment réfléchi à deux fois. Enfin tenté de réfléchir au moins… Je te jure que si j’ai ne serait-ce qu’une seule fois l’occasion d'attraper le con qui a inventé ce truc, je préfère ne pas te raconter ce que je lui ferai subir pour ne pas heurter ta sensibilité… »
Il l’imagina en train de torturer ce pauvre homme. Il sourit intérieurement en pensant à la tête que faisait généralement la jeune fille en se levant le matin. Cela se passait de tout commentaire. Réflexion faite, si cela arrivait un jour, ce ne serait qu’un juste retour des choses…
« — Je te paye un café ? Je viens de découvrir un bon troquet...
— Non merci. Timeo Danaos et dona ferentes…
— Tout de suite, ce n’est qu’un verre entre amis. Rien de plus. Ce n’est pas dans ton style de jouer à la mijaurée. Et puis d’abord, depuis quand, toi, tu refuses un verre ? Allez, permets-moi d'insister. Une promotion pareille cela se fête obligatoirement, ce que tu n’as certainement pas dû avoir le temps de faire.
— Où as-tu bien pu pêcher l'idée qu'on était ami ? »
Il souffla longuement. Mais sans rien ajouter, il la prit par la main et d’une poigne ferme, il l'entraina dans la salle qu'il venait de quitter quelques instants plus tôt. Il entra en criant :
« — Patron, la même chose et en double. »
Ils s'accoudèrent au comptoir, devant deux belles tasses bien chaudes... Lorsqu'elle y trempa ses lèvres, elle ne put s'empêcher de faire une horrible grimace :
« — pas étonnant que tu restes seul, si tu n'offres que cette chose amère à tes conquêtes.
— Et moi qui pensais t'attendrir... M'enfin, quelque chose me dit que de toute façon, tu n'es pas si matinale pour mes beaux yeux…
— Je reconnais bien là ta perspicacité. Ceci, d’autant plus qu’ils sont tout à fait banals, tes yeux.
— Moi aussi je t’aime, planche à pain.
— En tout cas, toi, tu es de bonne humeur… C’est peut-être la perspective de toucher prochainement une belle récompense qui te met dans cet état. Me tromperai-je ?
— Je ne vois pas du tout ce que tu veux insinuer…
— Allons s’il te plait, ne m’insulte pas. On a partagé trop de choses pour jouer à ce petit jeu… Il parait qu’on reconnait la grandeur d’un homme à la considération qu’il porte à ses ennemis.
— Sauf que je ne suis pas un homme. Je suis un elfe, Madame, et cela change tout.
— Certes. Mais comme tu le disais si judicieusement, ce n’est pas pour tes beaux yeux que je t’attendais dehors à sept heures du matin.
— Tu as oublié de dire que tu réveillais tout le monde avec ta chanson. En plus, un morceau qui se nomme Lullaby, cela ne devrait pas se jouer de bonne heure.
— Là, tu as tort. Pour un réveil en douceur, pas comme ceux qui te mettent en rogne avant même d’avoir pris ta douche, cela passe très bien. D'autre part, comme je suis plutôt petite, j'avais peur que tu ne me remarques pas. C'était quand même plus discret qu'une boule de feu...
— La demi-mesure, cela t'inspire quelque chose ?
— Pas la moindre. En même temps, je débute en tant que musicienne...
— En tant qu’humoriste aussi, apparemment…
— Mais trêve de mauvaises plaisanteries. Comme tu viens si bien de le faire remarquer, je ne me suis pas déplacée pour le plaisir. Je vais donc d’être constructive et l'on va arrêter la langue de bois. Je serai laconique afin que ton petit cerveau enregistre bien. Je suis là pour te demander en tant que camarade d'infortune de renoncer à ton prochain contrat. Au moins jusqu'à ce que l'on me nomme à un autre poste. Tu comprends bien que cela ferait plutôt tache si le noble que je suis censé protéger venait à trépasser alors que je viens juste de prendre mes fonctions.
— C’est sûr, c’est dur. Tant de travail pour être finalement virée aussi vite…
— Tout à fait d’accord. Comme en plus, je n'ai pas vraiment envie de jouer au chat et à la souris avec toi, j'aimerais bien trouver une solution diplomatique au problème qui nous occupe. Tu le sais bien, je suis toujours partisane du moindre effort. Alors je tente ma chance sachant pertinemment que si les négociations venaient à échouer, il serait de mon devoir de te mettre hors d’état de nuire. »
En entendant ces mots, il faillit bien s’étouffer… Son café visita ses sinus. Ils étaient bien dégagés et n’avaient en aucun cas besoin d’un ramonage.
« — NON !!! Sans blague… Et tu es combien dans ta robe ? Tu crois vraiment pouvoir m’arrêter ? Sincèrement, je te conseille de retourner te coucher. Lorsque tu n’as pas tes douze heures de sommeil, tu as des idées complètement loufoques. Sans parler du fait que j’ai une réputation à soutenir. Avec moi, tu connais ma devise, un contrat conclu est un contrat rempli… Je ne vais pas abandonner mon honneur juste pour tes beaux yeux qui sont d’ailleurs tout à fait banals… Et TOC. Cependant, je sais me montrer ouvert. Comme tout en ce bas monde, tout n'est qu'une histoire de prix…
— Tu es au courant que je suis toujours fauchée…
— Si tu ne gâtais pas tes enfants comme ça, je suis sûr que tu ne serais pas autant sur la paille… Et puis l’empire est riche, ils ne t’ont pas donné la bourse avec ton titre ?
— Premièrement, à chacun son point faible… Et, secondo, me connaissant, mes supérieurs n’ont pas osé me confier de responsabilités financières. Ils avaient peur que l’on coure à la ruine en moins de deux mois… En tout cas, cela ne me coutait rien d’essayer et je t’aurai prévenu… Merci quand même pour le café. Tu as raison avec le temps, il en devient même savoureux… Bonne journée et malheureusement… À tout à l’heure. »

Elle s’éclipsa et disparut dans la ruelle.

Lorsqu’il ressortit du bar, bizarrement, la journée n’avait plus du tout la même saveur… Non que la perspective d’affronter son « amie » ne l’embarrasse plus que cela, mais c’était déjà assez fatigant comme cela. Inutile d’en rajouter. Il avait toujours su être professionnel et faire la part des choses. Ce ne serait pas la première fois qu’ils s’opposaient. Et jusqu’à présent, elle avait démontré qu’elle n’était pas totalement à la hauteur. En revanche, quand il s’agissait d’empêcher les gens de tourner en rond, il lui reconnaissait une extrême compétence. Pour ce genre d'opération, on pouvait lui faire confiance… Elle faisait preuve d'une imagination débordante. Finalement, il allait peut-être devoir le mériter son salaire… exorbitant. Mais cela représentait aussi l’une des raisons pour lesquelles on faisait appel à lui : lorsqu’une affaire ne devait pas foirer ou qu’elle devait être conclue dans le feutré. Des services d'une telle nature, forcément cela se monnaye… D’autant plus qu’il ne respectait que trois règles : pas de noms, pas de précisions, uniquement une cible. Pour l’abattre, il préférait ne pas savoir que tel ou tel tyran était un père exemplaire, que tel ou tel trafiquant était par ailleurs un fervent défenseur des orphelins. Il se voyait comme le bras armé de la justice. Juger, cela n’entrait pas dans ces attributions. Lui, il devait seulement faire appliquer les sentences. À ses yeux, c’était devenu presque un problème mathématique. Supprimer une existence pour en sauver d’autres… Le manichéisme des êtres humains demeurait pour lui, l’une des plus grandes énigmes du genre. Et l’une de ces plus grandes sources de fascination et d’inspiration… Mais ce métier pimentait son quotidien et cette façon de penser lui simplifier la tâche. Ce qui n'était pas plus mal, après tout.

Cependant, il ne fallait tout de même pas abuser et risquer sa vie au-delà du stricte nécessaire. Inutile de corser le jeu encore davantage… La difficulté, il aimait cela. Mais depuis qu’il la côtoyait — une association pour le moins improbable, une apprentie justicière et un assassin renommé — s’il y avait bien une chose sur laquelle elle excellait, c’était de faire foirer ses plans. Si, le B.S.I. avait été mis sur le coup ; il n’existait qu’une seule alternative : il fallait qu’il la prenne de vitesse. Il avait prévu d'opérer durant la soirée, car il aimait bien oeuvrer en heures supplémentaires, et qu’en digne elfe, il possédait quelques affinités avec l'obscurité, mais rien ne l’empêchait d’agir tout de suite. Le temps qu’elle se présente, qu’elle fournisse ses autorisations, qu’elle s’organise, etc., il aurait déjà tout terminé depuis belle lurette, sans autres formalités. Dans certains cas, la lenteur de l’administration comportait un côté agréable et appréciable... Maintenant, il n'y avait plus rien à ajouter : au travail.
Il se mit immédiatement à l’ouvrage, et un moment plus tard, il arrivait au pied du château.
La manière dont les choses se produisirent ensuite n’était pas dans ses habitudes. Ce fut même certainement la seule et unique fois dans sa carrière que l’enchainement des événements ne se déroula pas, mais alors, pas du tout, comme il l’avait envisagé. Dès le départ, il s’était fourvoyé. Il avait commis l’erreur, fatale, de sous-estimer son adversaire. Heureusement, pour lui, il s’en aperçut bien vite…

En arrivant au château, il avait décidé d’employer sa fidèle technique favorite : emprunter les accès principaux, avec une nette préférence pour la grande porte… Depuis longtemps, il avait remarqué que plus un bobard était gros, mieux il passait. Du moment qu’il était énoncé avec suffisamment d’aplomb, un bon décalage hiérarchique et un minimum de preuves… le secret résidait dans la qualité du mensonge mais dans sa présentation… Il s’agissait seulement de ne faire que ce qu’il fallait : ni trop peu, ni trop tout cours… Mais avec l'âge, il avait disposé de tout le temps nécessaire pour peaufiner ses dosages… En bref, il excellait dans l’art subtil de la mystification. Et raconter des chimères, il adorait cela. Par ailleurs, il n’existait aucune raison pour que le cousin du roi passe par-derrière… Il perçut bien que son histoire avait pris, mais il détecta aussi qu’il y avait un problème. Le garde, à l’entrée, paraissait bien trop nerveux. Il exécutait l’ensemble de ses procédures avec un zèle digne d’une nouvelle recrue, alors qu’il était évident qu’il avait, comment dire, bien trop de barbe sous le menton pour ne pas justifier de plusieurs années d’expérience… Il devait avoir reçu des consignes et il avait peur… En tueur aguerri, il comprit tout de suite ce que cela signifiait : son signalement avait été donné et il risquait bientôt d’être démasqué… Le garde consultait en réalité un recueil de portraits. La liste des priorités s’établit clairement dans son esprit. Avant tout ne pas alarmer les gens autour. Pour l’instant, seuls le militaire et lui étaient dans l'affaire, tout demeurait encore gérable. Ensuite, bloquer l’alerte, un coup puissant sur la trachée. Puis, neutraliser l’homme. Profiter du mouvement de recul de la tête pour envoyer une belle droite dans le nez, terminer par une bonne châtaigne dans les cervicales… Enfin camoufler…

« — Excusez-moi mon brave, vous en avez encore pour longtemps ? Parce que si vous devez apprendre à lire pour remplir vos papiers je peux peut-être le faire à votre place ?
— S’il vous plait, Monsieur, on reste… dit-il en relevant la tête… »
Il ne finit jamais sa phrase. Un instant après, le visiteur replaçait convenablement le corps du garde de manière à faire croire à une chute, puis il vida sa flasque de whisky sur ses vêtements et aux alentours. Quel gaspillage navrant pensa-t-il.
Si on le trouvait avant que sa mission ne soit terminée, on songerait probablement que le soulard, en cuvant, était tombé dans sa guérite, d’où ses blessures. Pour l’infortuné, sa convalescence risquait d’être un peu longue et les chances qu’il perde son emploi n’étaient certainement pas nulles. C’était dur, mais bon il était encore en vie. D’autres n’auraient pas fait autant de sentiments. Mais cela aussi constituait une partie intégrante de son prestige : pas de mort inutile… Aucun dommage collatéral…

Comment sa dague trouva ensuite le chemin entre la porte d’entrée et l’interstice entre la quatrième et la cinquième lombaire du seigneur ? Honnêtement, je ne sais pas et je pense que je ne le saurais jamais… Chaque fois que j’ai essayé d’en savoir plus, l’elfe m’a répondu avec un grand sourire quelque chose du genre
« Secret défense, fiston » ou alors « Technique déposée »
C’est peut-être mieux, que ce genre de détails ne soit finalement pas couché sur papier. Cela pourrait inspirer des âmes mal intentionnées… Je crois qu’il y a des savoirs qui gagnent à ne pas être transmis, des idées à ne jamais être pensé…
Toujours est-il qu’il honora son contrat sans laisser aucune chance à sa cible. Celle-ci s’effondra au beau milieu d’un discours politique aussi futile que démagogue autour d’une table remplie de convives. Devant la stupeur générale, il eut même le temps de reprendre son arme qu’il essuya tranquillement sur la nappe... puis il se tourna vers l’assistance.

« Bonjour, Messieurs.
Avant que l’on se lance dans les excès de virilité, je vais me présenter. Je suis connu sous le nom d’assassin sans failles… Votre silence prouve que vous me connaissez au moins de réputation. Je m’adresse plus particulièrement aux personnes qui envisagent de ne pas me laisser ressortir tranquillement. Comme vous le savez certainement, je n’agis jamais par pure charité. J’ai donc été payé pour clore cette excellente conférence de manière radicale… Et je vais vous laisser le temps pour réfléchir à la seule question que vous devriez vous poser en ce moment, si vous souhaitez arpenter l’avenir avec sérénité. Mais qui, à part l’un d’entre vous, peut avoir commandité cette interruption involontaire d’existence ? Donc, analysez bien la situation et dites-moi si cela vaut vraiment la peine de m’affronter, sachant que de toute façon vous ne pouvez plus rien changer pour le mort, et que probablement votre futur seigneur a de plus ou moins près prémédité tout cela.
Alors des volontaires ?
Non. Personne ? Bon, je vais donc vous saluer et vous souhaitez une bonne journée… La mienne a été plutôt lucrative. Inutile de me raccompagner, je connais la sortie. … »
Comme je le disais précédemment, plus c’est gros, mieux cela passe…
Cela se déroula d’ailleurs presque comme il s’y attendait… Presque… Il y eut juste un jeune prétentieux qui tenta bien de l’arrêter pour laisser son nom dans l'Histoire… et il envoya ses hommes neutraliser l’elfe. Le commentaire de l’intéressé fut très bref.
« Cool, j’avais justement oublié de faire ma gymnastique matinale »
Deux lames de poignée glissèrent de ses manches et il se lança dans la foule. Il fut bientôt sur le premier garde dont il évita la lance avec la grâce d’un félin. D’un coup bien placé, il déforma l’articulation de la cuirasse de son adversaire de manière à bloquer le genou… Il continua en direction de la sortie, para un coup qui lui venait par-dessus, roula entre les jambes de son ennemi, plantant au passage ses armes dans les pieds avant de le déséquilibrer. Profitant de son élan, d’une contorsion, il se projeta de tout son poids les chaussures en avant sur la tête du suivant… Il neutralisa ainsi tous ceux qui passèrent à sa portée. Il atteignit la porte de la pièce qu’il referma derrière lui, à clef évidemment. Dont le trousseau avait été préalablement subtilisé au cadavre… Toujours prévoir au moins trois plans de sortie… Les chances pour qu’ils foirent tous étant finalement relativement faibles…
« Réflexion faite, ma gymnastique est généralement plus fatigante… »

Cependant, le fait qu’un régiment l’attendrait dans la cour du château n’était pas franchement au programme. Ce n’était pas tant le nombre qui l’inquiétait, mais plutôt l’éloignement. En effet, beaucoup de soldats étaient postés sur les remparts, donc inaccessibles, et ils étaient armés d’arcs et d’arbalètes. Avant qu’il ne les atteigne, il ressemblerait certainement à un porc-épic.
« Ça fait tout de même beaucoup »…
Son cerveau allait bientôt entrer en ébullition… S’appuyant sur la longue expérience des situations désespérées, des catastrophes et autres causes perdues, il tentait d’élaborer un plan pour se sortir avec le moins de casse possible aussi rapidement qu’il le pouvait. Car il se doutait bien que l’on ne lui laisserait pas le temps de la réflexion. Il sentait que le cours des choses lui échappait, mais il n’avait toujours pas réussi à ébaucher le début d’une esquisse de solution.
Soudain, frappé par l’incompréhension et la surprise, il interrompit le fil de ses idées. Derrière lui se tenait le sourire aux lèvres, la personne qui quelques instants plus tôt avait sa dague en guise de colonne vertébrale. Il n’avait pourtant jamais commis une erreur pareille… Il en restait abasourdi. Le nouveau venu prit la parole :
« Je vais me montrer magnanime, débutant. Va retrouver tes maîtres. Fais-leur savoir qu’il ne suffit pas d’envoyer un pauvre assassin pour m’abattre. Conseille-leur de se préparer à parer mes coups, car ma vengeance sera implacable… »
Kyo allait lui répondre que jamais il n’obéirait à quelqu’un contre son grès et qu’il préférait…
« Je t’offre une chance de repartir d’ici, reprit le noble d’un ton glacial, de pouvoir savourer un nouveau jour avec ton café imbuvable dans les mains… C’est une proposition que je ne ferai pas deux fois. »
Troublé, l’elfe ne répondit rien et quitta le château sous les huées…

Au détour du chemin, il entendit un harmonica, les mêmes notes qui lui avaient pourri la journée.
« — Je me doutais bien que tu étais derrière tous ce merdier.
— Gagné, lui répondit-elle avec un sourire espiègle. Comment as-tu trouvé mon petit tour de passe-passe ?
— Convaincant… J’espère pour toi que tu sauras être aussi convaincante que ton illusion, car je suis à deux doigts de t’expliquer ma façon de penser… »
Il fit craquer ses jointures.
« — Tu n’oserais pas t’en prendre à moi quand même. Après tout, ce n’est pas ma faute si tu t’es laissé surprendre…
— Continue dans cette lignée et tu risques de devoir devenir végétarienne et te mettre à la compote… Mais j’aimerais avant tout comprendre. Ce matin, tu viens me voir pour me demander d’annuler. Devant mon refus, tu donnes l’alerte. Et quand je suis à deux doigts de me faire arrêter, tu interviens pour me sortir du guêpier dans lequel tu m’as mis.
— Tu as résumé parfaitement les choses. À un détail près, cependant, et c’est là que réside tout mon génie. Ma mission n’a jamais été de protéger qui que ce soit. Au contraire, elle était de récupérer et de faire disparaitre un certain nombre de documents compromettants… Je t’avais prévenu, je suis flémarde donc j’ai préféré que quelqu’un d’autre fasse le sale boulot à ma place… J’aurais bien demandé à un autre de s'en charger. Comme cela, je n'aurai pas eu à me préoccuper de son sort et j’aurai fait d’une pierre deux coups. C’est dans l’ordre des choses que les voleurs finissent à la potence…
Mais comprends-moi : d’abord des malandrins en liberté, je n’en connais pas cinquante et en plus je dois bien te reconnaitre cela. Question efficacité, tu assures vraiment… Pendant que l’on te poursuivait, moi j’avais les mains libres et j’en ai profité pour faire ce que j’avais à faire. Tu comprends que dans ces conditions, je ne pouvais pas t’abandonner comme cela. »
À ces mots, Kyo s’avança vers elle l’air franchement contrarié, voire franchement menaçant. Elle recula :
« — Ça va, calme. Ne le prends pas comme cela. Je te propose un truc : on va dire que j’ai une dette envers toi et que le jour venu tu pourras me demander ce que tu veux… Hormis de sortir avec toi. Ça te va ? »
Il s’arrêta et il réfléchit :
« — Tu promets que le jour venu je pourrais te demander ce que je veux ? »
Elle réfléchit et d’une voix tremblotante, elle scella son destin.
« — Je t’en donne ma parole…
— J’adore la difficulté avec laquelle tu viens de prononcer ces simples mots. Cette façon de penser à toutes les conséquences de chaque lettre énoncée. J’aime cette sincérité et c’est pour cela que j’accepte ton contrat. Maintenant, je te propose de filer, car si tout n’était qu’illusions, il me semble que les parages ne resteront pas sûrs très longtemps. »

Sur le chemin du retour, elle ne pouvait s’empêcher de reconsidérer ce qu’elle venait de faire, de ressentir le poids de ces paroles. Déjà à l’époque, elle détestait devoir des choses… Mais jamais elle n’aurait pu imaginer qu’elle allait payer, cet élan de fainéantise, si cher…




Chapitre 2 : Une nuit ordinaire pour une histoire ordinaire



« Nul ne peut atteindre l’aube sans passer par le chemin de la nuit » Khalil Gibran.

Maintenant, il est temps que je vous mette en garde. Si, par hasard, vous cherchez un récit enjoué avec de gentils petits elfes, de grands soleils et des fins prospères à la charmante manière des Walt Disney et des autres contes qui vous font croire que la vie est belle, qu’il suffit de travailler et de le désirer pour que les souhaits se concrétisent, que les gentils triomphent toujours des méchants, dans ces conditions, je pense qu'il y a une erreur. Je ne veux pas que vous vous fourvoyiez et que vous soyez déçus par la suite.

Ce que je propose de vous relater n’est pas le souvenir d'existences heureuses. C’est une histoire vraie, de personnes réelles avec leurs joies, leurs moments de bonheur, mais aussi leurs pleurs, leurs doutes et leurs cicatrices. Ainsi, si tel est le cas, je vous suggère de passer votre chemin, de refermer ce livre et d'aller prendre l'air si cela n’est pas ce à quoi vous aspirez. Vous pouvez également, commencer un autre ouvrage. Il existe beaucoup de bons romans à lire, de films à voir, et d’expériences à vivre. Mais si d’aventure vous aimez les vies sincères, dans la plus pure tradition des légendes arthuriennes, où les protagonistes défendent au mépris de toutes considérations les vraies valeurs que sont l’amitié, l'honneur, le respect et l’abnégation, alors la suite pourra éventuellement vous intéresser.
Cependant, ne regrettez rien, si vous vous résolvez à continuer. À tout moment, rappelez-vous que vous pouvez constamment refermer ce bouquin pour lui imaginer une fin heureuse et digne des héros qui le peuplent. Mais si votre décision est de poursuivre la lecture, surtout, ne m’en veuillez pas et ne me jugez pas. Je ne fais que mon triste devoir de mémoire. Je ne fais que retracer leurs aventures telles qu’elles se sont déroulées… En aucun cas telles que j’aurais souhaité qu’elles se déroulent. Aussi, je vous aurais prévenu et cela restera votre choix…
The Unfortunate Tales, the story so far…

Comme toutes les créations humaines, cette histoire se passe dans un monde où la survie était un combat de tous les instants, avec des sociétés toujours plus proches de l’extinction. En ces temps oubliés de tous, perdus dans les rêves de chacun, la péninsule de Tri Kazel sortait d'une douloureuse épreuve : la guerre du Temple. Elle était loin la belle époque où la grande alliance des peuples avait soudé les habitants des trois royaumes entre eux contre un adversaire commun. Pour affronter le dernier Aergewin, c’est-à-dire l’invasion coordonnée de féondas, il avait fallu s’unir, ou bien se résoudre à périr. Les féondas étaient des créatures courantes en Tri Kazel autant que le rat dans notre monde. En revanche, ils n’ont rien à envier avec ces sympathiques porteurs de peste. C’était des êtres non moins dangereux que cruels. Aussi loin que les souvenirs permettent de remonter, ils avaient toujours été présents et ils représentaient une menace éternelle pour l’humanité. Leur nom en langue ancienne signifiait seulement et naïvement « L’ennemi ». Ils pouvaient prendre des apparences diverses : tantôt comme des bêtes ou des plantes qui auraient subi des transformations anormales, tantôt comme de vagues revenants décharnés échappés d’outre-tombe, tantôt comme des monstres simplement. Nul ne connaissait d’où ils venaient ni en quoi consistaient leurs buts ou leurs aspirations. Ces créatures constituaient juste une menace, latente et fourbe, à toutes formes de civilisation, humaines ou pas… Mais ceci n’est rien comparé à l’ampleur d’un Aergewin. Aussi soudainement que régulièrement, un beau jour – enfin, plutôt un jour funeste pour de nombreuses existences —, on ne savait pourquoi, ces horreurs sortaient de leurs antres et se regroupaient. Elles se lançaient alors dans une conquête détruisant tout sur leurs passages telle la purge sanglante des marées des Ômus de la Vallée du Vent.

Cela était survenu pour la dernière fois il y a moins de deux cents ans. De cette menace absolue, une union sacrée mais fragile était née. Pour que cela fonctionne, les trois royaumes avaient, plus par nécessité que par envie, dû mettre de côté leurs différends et s’entendre. Le puissant de Taol Kaer, le plus vaste des trois, le plus occidental de la péninsule, mais aussi le plus traditionaliste de tous. Là-bas, les habitants vivaient encore en harmonie avec la nature et ses esprits. Les Demorthèn , des sortes de druide, assuraient la transition entre le mystique et la population. Le Pieu de Gwidre, empire nordique d’un peuple fort et robuste, dont la tolérance du clergé de leur temple aurait pu donner des leçons à la terrible Inquisition dans ses heures les plus sombres et les plus sanglantes. Enfin, les farfelus de Reizh, ce royaume constitutionnel dont les progrès scientifiques et les recherches en tous genres, les rendaient aux yeux des autres aussi incompréhensibles que dangereux. Tous avaient dû mettre leurs rancœurs de côté et faire front. La bataille avait été rude, et grandes furent les pertes. Beaucoup ne virent jamais le jour se lever. Mais la victoire les attendait au bout de chemin. C’est alors que Gwidre dont le territoire avait été plutôt épargné et qui sortait donc vainqueur de la confrontation, décida que c’était la bonne occasion pour « apporter la bonne nouvelle » à tous les habitants de la péninsule… La guerre du Temple, c’est ainsi que l’Histoire l’a nommée, était née. Elle ne devait pas avoir de gagnant et n’apporta aucun soulagement à la population. Mais elle laissa les trois royaumes exsangues, au bord de l’implosion. Le moindre grain de sable dans la machine du temps pouvait à tout moment la faire déraper et reléguer les hommes au rang de souvenirs. La civilisation s’était repliée sur elle-même. Dans les villes, les seuls lieux sûrs face à la menace féonde, la famine et la corruption régnaient en maitre, tandis que la campagne était le domaine de l’insécurité.
Hélas, il faut croire que c’est notre mode de fonctionnement... Visiter notre partie la plus sombre et la plus animale pour avancer sur le chemin de l’humanisme. Car c’est en cette période de trouble absolu qu’est née une nouvelle espérance à travers l’émergence des Saigneurs… Ce n’était au départ qu’un groupe hétéroclite de mercenaires à louer au plus offrant que le royaume de Taol Kaer avait engagé pour contrer les féondas puis les armées de Guildre. Ils accomplirent leur mission au-delà de leur devoir, et bien des fois ils menèrent leurs troupes à la victoire alors que tout était contre eux. Que pas une seule lueur d’espoir de succès n’était pas ne serait-ce qu’imaginable… Même pas concevable.... Peu à peu ils devinrent plus que commandants, ils s'établirent aux yeux des autres comme des leadeurs, des inspirateurs… Ce groupe était composé de la belle et fourbe Andarielle, voleuse de son état, du primaire Glutt, belliciste colossal osag, du sombre chevalier lame Defleur et de la mystérieuse Duliéna, sorcière maitrisant une magie unique et disparue depuis des âges immémoriaux…

A la fin de la guerre du Temple, ils décidèrent d’entamer une titanesque conquête d’unification des royaumes... Ce fut une entreprise incroyable et grandiose. Les hauts faits qui s'y déroulèrent inspirèrent des générations de bardes et cela demeurera le cas pour encore très longtemps...
Cependant, comme toujours, ce fut dans le sang que les fondations de la paix se bâtirent.

Toutefois, ce n’était pas la domination que ces héros recherchaient. Peut-être qu'il ne recherchait même pas la gloire et encore moins la richesse. Ils aspiraient seulement l’aventure et avaient la volonté farouche d’édifier un monde dans lequel leurs enfants posséderaient quelques chances de vivre heureux, sans avoir à connaitre la peur et les souffrances qu’ils avaient dû surmonter. Un cadeau qu’ils pourraient à leur tour léguer à leur descendance.
Et si personne ne saura jamais où est le vrai du faux dans les méthodes qui furent employées pendant cette conquête, les événements ne débouchèrent pas sur une tyrannie ultime. Au contraire, elle prit la forme d’une sorte de structure fédérale où les anciens dirigeants continuèrent à administrer leurs pays comme avant, le pouvoir impérial s’occupant de la défense des territoires et de l’extinction des foyers de conflits internes. Andarrielle se donna le titre d’impératrice et établit sa capitale dans la nouvelle ville de Tharbad situé allégoriquement au pied de l'antique Aelwyd Saogh. En effet cette cité crée par les frères fondateurs des trois royaumes et abandonnée depuis, constitue encore dans l’esprit de beaucoup le symbole de la lointaine unité et de l’alliance des peuples… Les Saigneurs repartirent en campagne là où l’on avait besoin d’eux tandis que les différents organes du gouvernement, dont le puissant Bureau Saigneurial d’Investigation, se chargèrent d’installer une paix durable entre les rivalités ancestrales de la péninsule.
Ainsi, aux prémices, avec le cours des saisons et les efforts, la cicatrisation des plaies s’amorçait.

(Texte de la chanson "Ordinary Story de In flames")


Il est dit que tout commença le soir où l’on put entendre au bout des terres de Tri Kazel le chant féérique des C'magoth monter du fin fond des ténèbres en plein cœur d'une sombre nuit de tourments.

Par cette fraiche soirée de printemps, la lune était déjà haute. Elle contemplait depuis les cieux l’absurdité du monde et des hommes. Traitre comme à son habitude, cette nuit-là ne valait guère mieux qu’une de ces nuits d’hivers où l’on ne distingue pas un fanal à quatre pas. Au large, le vent soufflait en rafale, entrainant les tourbillons des déferlantes qui se cassaient sur plusieurs mètres de haut. Il ne faisait pas bon d’être dehors. Seules la nécessité ou la folie pouvaient constituer des raisons admissibles pour ne pas être à l’abri loin des griffes de cette tempête. Cependant, malgré sa violence, elle n’avait pu chasser la brume qui ne s’était pas levée de la journée et qui depuis quelques jours déjà figeait l’horizon. Telle la matérialisation de l’incertitude générale qui régnait encore sur ce bas monde, le brouillard enfermait jusqu’au paysage dans l’inconnu et le doute... Qu’allait-il sortir de cette ambiguïté ? Qu’est-ce qui pouvait se préparer, là-bas, au-delà du champ de vision ? La pluie n’avait cessé de tomber que pendant quelques brèves accalmies. Pas une constellation dans le ciel ne surveillait ce coin de terre. Même l’astre, pourtant proche de sa plénitude, ne se laissait distinguer de l’ombre qu’à travers un vague halo de lumière.

Au pied de la falaise, environ trente mètres en contrebas, les brisants se fracassaient dans un bouillonnement d’écume blanche avec un vacarme assourdissant et puissant.
En bas de l'à-pic, l’assise des roches se découvrait régulièrement permettant à de gigantesques cataractes de s'écouler. De temps en temps, le sommet disparaissait totalement dans d'immenses gerbes dont les milliards de gouttelettes scintillaient en retombant tel un amas de poussière d’étoiles.
Dans sa lutte avec les forces telluriques, c’était la mer qui un jour devait l’emporter. C’était inéluctable et c’était avec des assauts comme ceux-là qu’elle gagnerait la bataille. Quelques mouettes au vol saccadé et immobile tentaient vainement de remonter les risées. Pourtant, entre deux offensives des lames, il s’élevait une douce mélodie dont le son envoutant contrastait considérablement avec la violence des éléments. Au milieu de ce désert, égaré dans les lavandes et les herbes basses, un air de musique se diffusait depuis les profondeurs de la nuit. Il s’échappait d’un violon, une symphonie pénétrante, lente et mélancolique. Une silhouette fantomatique se trouvait en cet endroit et manipulait l’archet avec virtuosité.

Perdue dans sa chanson, elle ne prenait pas garde à la bourrasque qui lui fouettait le visage. Bravant la tempête, elle s’accordait rituellement son instant de plaisir en jouant au-dessus des flots, comme une communion quotidienne.
Le morceau s’acheva. Elle ouvrit les yeux et contempla l’horizon. Son regard se fixa avec difficulté… De toute façon, il n’y avait rien à voir, juste un tourbillon mouvant de gris de blanc et de noir à perte de vue. La seule couleur qu’elle pouvait distinguer était le roux de ses cheveux qui virevoltaient partout autour d’elle, telles des marionnettes dans la main d’Adhar, le facétieux esprit de l’air. Elle allait reprendre sur un tempo plus rapide, lorsque quelque chose attira son attention : une faible lueur évanescente et intermittente semblait par moment apparaitre. On aurait dit qu’elle luttait pour exister dans toute cette immensité torturée.
« — Je crois que certains se préparent une mauvaise nuit ».
Au loin, les lumières caractéristiques des feux de route d’un navire avaient surgi.
Elle s’était adressée à quelqu’un qui se trouvait à quelques mètres d’elle. Cependant, elle avait dû hurler pour se faire entendre. L’homme qui se tenait à ses côtés, assis sur un gros rocher en surplomb au-dessus du vide, observait avec attention le va-et-vient brutal de la mer.
Il était grand, athlétique sans être baraqué, certainement plus vieux qu’elle, dans ce que l’on nomme la force de l'âge. Ses longs cheveux flottaient dans le vent, ainsi que son abondante barbe qu’il arborait fièrement, séparée en deux fines tresses qui lui descendaient sur la poitrine. Dans la nuit, ce visage et cet être que l’on aurait facilement pu confondre avec quelques entités démoniaques avaient de quoi faire peur… Cependant, après un moment d’observation, toutes appréhensions se seraient dissipées. Ce n’était pas la violence qui s’échappait de sa personne , mais plutôt le contraire. Il avait la placidité et l’assurance de ceux qui ont suffisamment de vécu pour savoir que rien ne pourrait le couler. Il avait la sagesse et la sérénité de ceux qui n’ont rien à craindre, qui possèdent intrinsèquement la certitude que rien ne peut les atteindre et que quoi qu’il arrive, ils pourront protéger les autres et ceux qui leur sont chers. Il était là et le serait pour toujours.
Ses yeux, brillant d’intelligence distinguaient probablement des paysages fantastiques, tant il avait été emporté par le refrain enivrant que jouait son amie. Sa nature onirique avait encore dû prendre le pas sur sa réalité. Il se passa quelques instants avant qu'il songeât à lui répondre :
« — Ça, tu peux le dire.
— Ce qui est agréable avec toi c'est que tu fais un excellent auditoire... Calme, passionné, critique, avec juste une dose d'attention, tu serais parfait.
— Mais je suis parfait. Et puis, moque-toi, mais je mets au défi quiconque de rester insensible devant ton chant envoutant de douce sirène. Ulysse en personne y aurait succombé. »

S’il en avait eu le temps, il lui aurait dispensé son plus beau sourire, mais il disparut soudainement. Il venait d’avaler un paquet de mer qui, plus fort que les autres, était monté jusqu’à lui profitant de son moment d’inattention. Légèrement trempé, il tenta d’essorer ses vêtements sans grands espoirs. Il continua :
« En tout cas, moi, je n’aimerais pas être en mer avec la tempête qui se prépare. C’est déjà dangereux ici, alors je ne te dis pas ce que cela doit donner trente mètres plus bas. D’autant plus que le détroit entre le cap des Adieux et les iles des Epavière n’est pas connu pour être un des passages les plus calmes qu’il fut. Même par un temps de demoiselle, parvenir à bon port est plutôt sportif. Je crois qu’il faut avoir un sérieux problème personnel à régler pour tenter de le franchir par un temps pareil de nuit et avec un vent contraire. Ou être particulièrement incompétent et être marin comme moi je suis boulanger…
— Il y a peut-être de cela. Ou peut-être qu’ils n’ont pas eu le choix, j’ai entendu dire que la saison de pêche était particulièrement mauvaise cette année. Ils ont peut-être tiré un peu trop loin dans l’ouest et n’ont pu revenir à temps.
— Dans ce cas, il ferait mieux de virer et de tenir le large pour la nuit. Avec la marée, les courants dans le bouillon doivent être infernaux. S’il ne touche pas un haut fond, ce sera un véritable miracle. Si tu veux mon avis ce soir, les esprits des houges vont recevoir leurs tributs funestes.
— Alors je leur dédis cette prière. C’est tout ce que je peux faire… »
Elle entreprit un nouveau morceau avec encore plus d’entrain, de profondeur et d’âme. Comme à son habitude, tous les jours depuis qu'elle avait jeté son sac à terre, en fin de journée, elle venait là. Elle avait profité d’un rare moment de « beau » temps que le ciel lui avait accordé pour s'abandonner dans la fureur céleste et la tranquillité de cette fin du monde. C'était des jours comme celui-là qu'elle préférait : Sombres, froids, venteux, où tels les lutins de la mythologie, elle se plaisait à imaginer que son chant conjurait les éléments... Ce déchainement de forces primaires avait l’avantage de la calmer, de mettre un terme, aussi fugace qu'il fût, à la tourmente perpétuelle qui régnait dans sa tête. Face à cette puissance, elle n’était rien, et elle aimait cette idée.
La nuit était maintenant totalement tombée, et la bise fraîchissait encore emportant de plus en plus souvent des morceaux de mer sur le sommet de la falaise. La température déjà basse avait continué à chuter. Il fallait rentrer avant d’être totalement trempé. La chanson étant finie, il n’y avait de toute façon plus rien à faire, ni aucune raison de rester…

Elle rangea délicatement son instrument.
« — On rentre, Is ?
— On rentre. Je suis transi. Il est temps de regagner la ruine qui te sert de maison »
Elle jeta un dernier coup d’œil à l'infini qui s'étendait devant elle, se leva et prit la direction de sa masure. Clopinant sur le sentier à travers la végétation basse et odorante, elle s'enivrait de cette senteur, mélange caractéristique de terres et de mers qui réveillait en elle à chaque fois de doux souvenirs obsolètes. De temps en temps, elle titubait victime sous ce clair de lune de quelques fourbes aspérités de la roche.
C’était compliqué alors j’ai tenté d’expliquer ce qu’était le Graal pour que tous comprenne. C’était difficile alors j’ai essayé de rigoler pour que personne ne s’ennuie. J’ai raté mais je veux pas qu’on dise que j’ai rien foutu parce que c’est pas vrai.

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Amnèsya
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Re: Chronique d'un Conte Malheureux WIP

Message : # 31628Message Amnèsya
28 janv. 2014, 22:25

Se découpant nettement du chemin, une ombre humaine avançait rapidement à travers la forêt. Elle paraissait flotter au-dessus de la boue, son attitude témoignant de son extrême dextérité. Et pourtant, la route n'était pas sure de reste. À cet endroit, elle s'enfonçait dans un vaste chaos rocailleux, couvert de mousse et de lichens. De temps en temps, les pierres étaient aussi glissantes qu'acérées.
Cependant, en dépit de la gadoue qui enveloppait une partie de ses bottes et qui avait teinté le reste de ses vêtements, il n'y avait pas la moindre trace d’hésitation dans l’exécution de ses mouvements. Chacun de ses gestes était sûr, précis, mesuré jusque dans la façon de les penser et de les accomplir. Manifestement, c'était une personne qui avait l'habitude de voyager. D’ailleurs, ce n’était certainement pas la première fois qu’il s’aventurait en dehors des sentiers battus. Et en effet, bien loin d'être concentré sur la nature du terrain qu’il arpentait, l'homme, car cela en était indéniablement un, avançait lentement et obstinément, le regard perdu dans l’obscurité. La flore locale était si dense qu'elle formait un véritable tunnel. Par moment il lui semblait qu'il pénétrait dans une immense, sombre et inquiétante cathédrale. Le tout se confondait dans une teinte uniforme, les pauvres rayons de la lune ne réussissant pas à percer la masse opaque de la voute végétale. Il s'en dégageait une atmosphère d'étrangeté et d’oppressions sincères... S'il avait été d’un tempérament rêveur et imaginatif, il aurait volontiers pensé que ces branches crochues cherchaient à le retenir, que ces morceaux d'écorce étaient de larges sourires de bouches fantomatiques qui se moquaient de son malheur. D'ailleurs, ces lueurs pesantes étaient-elles des yeux de ces ents fabuleux ou simplement le fruit de son esprit divagant ? De toute façon, ce laisser-aller n'était pas dans sa nature. Pour lui, seul le pragmatisme du résultat comptait. C’était sa plus grande force, cette sorte d’instinct inné pour l’exacte mesure, pour que chacune de ses actions ne lui coûte que juste ce qu’il fallait pour qu’elle réussisse... Ni moins, mais ni plus. Il avait toujours atteint ses objectifs en se préservant pour la suite. C’était peut-être cette nature économe qui l’avait sauvé et permis d’arriver jusque-là. Car pour une fois, il avait dû absolument tout donner. Il sentait peu à peu la vie s’échapper de son corps. Et mourir, seul dans ces bois, dont il pouvait observer les moindres détails grâce à la nyctalopie légendaire des elfes, finalement, il trouvait cela un peu bête. En tout cas, il trouvait cela indigne de lui.
Malgré la qualité des premiers soins qu’il s’était administrés lui-même, la quantité de ses blessures et le fait que depuis une semaine, il ne s’était pas accordé un moment de repos faisaient qu’il avait atteint ses limites. Dans tous les domaines de son art, de la survie à sa simple résistance physique, il avait exploité l’ensemble de ses ressources. Sous cette pluie, son sang s’échappait de plusieurs plaies à travers des bandages et ruisselait le long de son armure de cuir clouté noir, avant d’abreuver la terre dans les traces qu’il laissait. De temps en temps, il ressentait des vertiges et la fièvre lui brouillait son champ de vision. Mais tout cela n’était à ses yeux que très peu de choses… S’il avait raison sur sa destination, toutefois. Et c’était bien là dans ce doute que résidait son seul et unique objet de tourmente. Si une fois de plus, il s’avérait qu’elle ne trouvait pas à l’endroit où il supposait qu’elle se était, il aurait encore fait tout cela pour rien… Et il n’était pas sûr de disposer d'assez d'énergie pour recommencer la partie… Quelque chose en lui, lui disait que pour cette fois, il n’y aurait pas de « Tirage » pour se rattraper. En règle générale, retrouver une personne, même disparue depuis plusieurs années — du moment qu’elle avait un jour existé — lui posait autant de problèmes que de se gratter le nez. Il avait vécu plus longtemps que tout le monde, voyagé plus loin que tout le monde. Il avait tout découvert, tout réalisé, tout surmonté… Ainsi, il savait tout sur ce qu’il se passait dans les trois royaumes. De plus, il ne l’avait jamais vraiment perdue de vue, cette gamine qui avait réussi à se trouver une place au fond de son cœur. Veillant à distance sur elle, il avait eu vent de ses mouvements majeurs. Les mots qu’elle leur avait jetés à la figure lors de leur séparation, un soir sur le quai d’un port lointain, sous l’ombre bienveillante des étoiles, avaient toujours résonné dans sa mémoire. Il n’avait pu, en dépit des années, se résoudre à couper les ponts de manière totale et définitive…
« Venant de la part de personnes qui m’aiment, je peux comprendre que l’on me quitte, pas que l’on m’abandonne ».
Aussi, lorsqu’il avait imaginé la retrouver réellement, il avait naturellement envisagé cela comme une simple formalité de routine. La vérité fut, comme toujours, toute autre. Depuis presque une semaine maintenant, elle lui échappait, si facilement, qu’il trouvait cela insultant. Pour la pérennité de sa réputation, personne ne saurait jamais les déboires qu’il avait rencontrés pour remettre la main sur elle.
D’abord, il avait seulement pensé toquer à la porte de sa maison. Du temps où ils se côtoyaient encore, elle habitait une sympathique villa sur le bord l’estuaire de la grande rivière qui servait d’artère pour les communications au sein de Taol Kaer, bien à l’écart des tourments des villes et des hommes. À la place de la bâtisse en bois aux volets bleus et à la cheminée accueillante, il n’avait trouvé que de vagues débris de pilotis rongés par le feu et la suie. Des souvenirs du passé, il ne retrouva que cette digue en pierre qui fermait un peu la petite crique où elle s’était installée. Autrefois, suffisamment vaillante pour défier le large, aujourd’hui trop fragile en apparence pour qu’il n’ose l’arpenter de peur de se mouiller. En cherchant bien, à marée basse, il avait découvert à demi-enlisée dans le sable, les restes d’une épave. Sur la proue, il avait réussi à en déchiffrer son nom : La Mutine… Il se souvenait de ce cotre houari, pour les belles navigations, les délires, et les quarts de nuit qu’il avait passé à la barre de ce navire. Probablement que lassé d’attendre le retour de sa propriétaire, il avait décidé de regagner ses origines, les entrailles de la mer…
Quel que soit le drame qui s’était déroulé en ces lieux, il sut bien vite qu’il serait vain de la chercher là. C’était vraisemblablement devenu le sanctuaire d’une vie abandonnée où elle ne reviendrait jamais… Il avait fait chou blanc dans sa quête, qui finalement s’annonçait plus compliquée que prévu.
Enquêter dans les autres endroits qu’elle possédait était une tache futile… Il avait récemment utilisé l’une de ses habitations comme planque sans y rencontrer le moindre de signe d'activité antérieur à quelques années.
Il avait alors fait jouer l’ensemble de ses contacts pour renouer avec sa trace… guilde des voleurs, agents des perceptions, messagers, mercenaires, varigaux, bardes, toutes les ficelles du métier y étaient passées… À force de sonner à toutes les portes, il avait fini par dénicher un semblant de piste. Mais les données paraissaient vraiment incomplètes et les sources pour le moins hasardeuses pour qu’il leur accorde une confiance totale. Néanmoins, ne disposant de solution plus constructive, il avait pris la route. Et c’était sur la base de ces informations qu’il se retrouvait là, à bout de force, à arpenter un chemin désert, aux fins fonds du royaume, en espérant de tout son cœur ne pas s’être trompé de destination… Car il doutait certainement pour la première fois de sa longue vie d’atteindre son objectif…
Un fort bruit sourd, des craquements et des chocs, le tirèrent subitement de ses divagations. Instinctivement, il s’était mis en position de combat, sa garde défensive parfaitement opérationnelle, sa main gauche légèrement en dessous de son champ de mire, prête à parer n'importe quel coup, son autre paume en recul pour riposter avec puissance. Deux magnifiques lames avaient glissé de ses manches. L’impact de l’averse produisait dessus un son mélodieux traduisant la qualité irréprochable de leur forge. Une masse blanche s’échappait, affolée dans la nuit. Ce n’était qu’une immense chouette hulotte qu’il avait dérangée dans sa chasse et qui avait pris peur…
Cependant, l’incident l’avait ramené sur terre et il constata qu’il était enfin parvenu à sortir de la forêt. Le tunnel débouchait sur un vaste promontoire rocheux, et de l'obscurité, avaient surgi les contours fantomatiques d’un village… Quelques maisons, deux ou trois petits immeubles réalisés maladroitement avec la pierre locale, une variété de schiste friable, se détachaient de l'horizon. Ils s'organisaient dans une sorte de cercle irrégulier autour d'un puits central. Une construction plus imposante, deux étages, aux façades décorées de quelques sculptures et frises, dominait l'ensemble. Elle était desservie depuis la placette par un grand escalier taillé dans la roche. Un arbre, probablement centenaire, peut-être millénaire, étendait ses fortes branches au-dessus de ce paysage. Il semblait vouloir protéger ce hameau et le dissimuler aux yeux du monde et de sa cruauté.
Il continua, plus sereinement, et s’arrêta devant un immense fronton. Pour y pénétrer, il allait devoir franchir un portail en fer forgé. Une antique muraille défendait l’accès aux habitations. Aujourd’hui, seul le lierre lui permettait de ne pas être réduit à l'état de vestige. Au-dessus, deux jeunes filles de pierre tenaient une horloge et regardaient le visiteur improbable avec un sourire accueillant. Les aiguilles, quant à elles, immobiles depuis toujours, avaient depuis belle lurette figé le déroulement du temps. Il ne put même pas lire le nom de l’endroit. Quelques lettres, un f, un u, un i, restaient encore visibles dans la roche dépolie par l'usure des âges. Il saisit l’un des barreaux, et le poussa. Un long grincement semblable à un râle d’agonie retentit. Lorsqu’il retira sa main, une épaisse couche de rouille la recouvrait. S’avançant prudemment, il passa devant une chapelle. En traversant l’antique parvis, aujourd’hui envahi par la mousse et les fougères, il remarqua, bien abritées du temps par le bâtiment sanctifié, quelques tombes. Pour la première fois, il s’aperçut que quelques gouttes ruisselaient sur son visage. Mais elles n’étaient pas salées. C’était seulement la pluie. Après tout, il constituait ce que l'on appelait traditionnellement une force de la nature, certainement pas du genre à s’émouvoir à la disparition de quelqu’un. La mort fait aussi partie de la vie… C’est dans ce détail que réside la beauté de la chose et sa valeur. Cette façon de penser était sans doute le prix à payer pour vivre dix fois plus longtemps que les autres. Nécessairement, il avait dû apprendre à dire au revoir aux individus. Malheureusement, et probablement en raison de l’atmosphère éthérée et mélancolique qui se dégageait de l’endroit, il ne put s’empêcher de se remémorer la dernière occasion où il avait fréquenté un champ de l’ultime repos. Et elles n’étaient pas nombreuses, car les gens comme lui n’étaient pas les bienvenus dans ces lieux. S'il y avait bien une chose qui méritait son respect, c'était la dignité des morts. Cependant cette fois-là, il était là où il devait être et il avait pleuré. Si on lui avait posé la question, il aurait répondu sans une ombre d’hésitation que c’était uniquement par compassion avec la douleur de celle qui partageait tant de liens avec le défunt et dont il venait aujourd’hui quérir l’aide. Mais il savait pertinemment que c’était bien plus compliqué que cela. Au-delà des sentiments et de l’amitié qu’il entretenait avec le mort, c’était la destinée ravagée et brisée de celle qui restait qui lui avait tiré des larmes… Il avait pressenti intrinsèquement qu’elle n’était pas de nature à pouvoir surmonter une telle épreuve. On ne déposait qu’un corps dans la sépulture, mais on enterrait deux personnes… Comment s’appelait-il déjà ?... Isendil…Elendil… Il réalisa, avec un certain effroi que lui aussi, était capable d’utiliser la technique favorite de sa camarade : l’occultation des faits.
Néanmoins, ce cimetière composé d’une vingtaine de croix celtiques à moitié envahies par les herbes, témoignait qu’à une époque qu’elle quelle fut, il y avait eu de la vie ici. Car l’illusion ne pouvait pas durer, le village avait dû être abandonné en des temps reculés. La plupart des toits accusaient une forte flèche. La lune se détachait bien visible à travers les tuiles de certaines. Les ronces et la bruyère avaient élu domicile devant nombre de paliers. Il ne put se retenir de hurler un juron de découragement. Il frappa dans un mur, un volet acheva de tomber. Le vacarme qui s’en suivit fit fuir quelques rongeurs. Il s’assit sur le bord des marches du grand escalier, et se laissa aller. Il distilla toute sa haine et tout ce qui pesait lourdement sur son âme. Cette nuit sans lumière pour le guider, le cours des choses qui lui refusait tous soutiens, cette imbécile qui restait introuvable… Il sombra dans des pensées noires que son cœur dont la vie avait pourtant, par la force des choses, fortement ouvert sa morale, ne pouvait accepter de formuler à haute voix… Comme pour répondre à ce flot d’agressivité, la pluie cessa de tomber… Il releva la tête et observa le ciel et ses alentours. C’est à ce moment, qu’il comprit. Il fallait qu’il soit vraiment au bout du rouleau pour ne pas l’avoir remarqué avant… La corde du puits n’accusait en aucune façon le poids des âges comme le reste des constructions. Ces arbres bien que d'origine sauvage portaient de façon certaine les traces de taille plus ou moins récente. Il se releva et explora les ruines. Il découvrit, à l’abri dans l’enceinte d’un grand bâtiment sans toit, un potager et, tout autant absurde que cela puisse paraître, un champ de fleurs, des violettes, des roses, et des edelweiss… Il reprit confiance et réalisa qu’une vague odeur de fumée de bois régnait dans ces lieux. Il ressortit et suivit la piste olfactive. Il passa dans une étroite ruelle entre deux édifices dont les fissures rendaient la balade inquiétante. Il aurait aimé que ces antiques lampadaires soient allumés. Aussi futile que cela puisse paraitre, il se serait senti quelque peu rassuré. Il s’éloignait du centre et arriva devant une maisonnette. Son cœur se réchauffa un peu…

Il pénétra dans le corps de ferme…

En d'autres temps et d'autre lieux

Il était quand même temps que la randonnée nocturne se termine… La pluie s’était remise à tomber. Cela ne la dérangeait pas plus que cela, à la limite cela lui rappelait l'époque où elle écumait les mers… Mais elle n’avait pas emporté la house pour son rebec, une sorte de violon, et elle redoutait qu’il ne se détériore en prenant l’eau de manière un peu trop significative.
Après quelques minutes de marche, elle atteignit sa bâtisse, quoique ce mot ne soit peut-être un peu pompeux. Le terme « cabane rustique » lui aurait sans doute bien mieux convenu. Imaginez un petit abri de paysans tout droit sorti des contes de fées : des murs en pierre, fortement cambrés, dont la justification aurait tenu tête à tous les règlements de calcul, un toit en chaume, de mignons volets bleus, devant un jardin mal entretenu et une cheminée d'où aurait dû s'échapper de la fumée. Il y a de ça quelque temps, ce détail l’aurait certainement inquiétée et elle se serait méfiée en entrant. Mais depuis qu'elle s'était retirée loin de la civilisation à la pointe du Raz, près du village d’Iolach elle avait fortement relâché sa vigilance naturelle, ou tout du moins, sa suspicion systématique. Certes, Iolach avait mauvaise réputation. Cette agglomération, la plus méridionale du royaume était usuellement décrite comme le pire rassemblement de voleurs et de fugitifs divers possible ici bas. Mais elle s’y était vite intégrée et sentit comme chez elle. Réflexion faite, elle était surement pire que la plupart d’entre eux et comme elle ne s’occupait strictement que de ses affaires en vivant à l’écart, elle avait fini par faire partie des décors. Tous l’ignoraient et elle ne s’en plaignait pas. Et puis, qui viendrait la chercher ici ? Après tout, ne prenait-elle pas bien plus de risque en cheminant toute seule par une nuit sombre et sans lanterne ?
Aussi, elle pensa simplement que le feu s'était éteint. Elle franchit le portillon extérieur et pénétra à l'intérieur de la maison. Le froid était saisissant. Le foyer devait être mort depuis quelque temps. Elle s'approcha de la cheminée, s'emmêla les pieds dans un torchon qui trainait là, heurta le coin de la table. Un pot en terre décida alors que le moment était venu de défier la gravité. Évidemment, ce ne fût pas lui qui remporta la confrontation et il se brisa sur le sol. Elle se maudit. Cela devait bien remonter à plus d’une semaine, la première fois qu’elle s’était dit qu’elle devrait devait le laver, ce traitre. Elle ne recevait pas souvent du monde, mais il y avait tout de même des limites au laxisme. Pourquoi, partout où elle habitait, cela se transformait invariablement en une sorte de laboratoire magientiste après le passage d’un troupeau de boernac en rage ? À défaut de ranger, elle pourrait au moins organiser son bordel de manière à pouvoir au minimum circuler dans son antre. En plus, elle s’était fait mal. Ignorant superbement les débris, qu’elle se promit de ramasser avant la saint glinglin. En espérant que celle-ci arrive avant qu’elle se coupe dessus, elle se dirigea vers le foyer et commença à le réanimer. Alors, elle s'aperçut de son erreur. Un craquement du plancher le lui confirma. Le feu ne s'était pas éteint, il avait été éteint... Pour que l'obscurité masque la présence d'un visiteur inconnu. En un instant, tous ses réflexes avaient refait surface. Elle saisit le tisonnier et se retourna : mais c'était déjà trop tard. Une ombre massive avait fondu sur elle. Elle la désarma et la maitrisa. Une main lourde s'abattit sur son cou. La poigne était trop ferme, elle ne se débattit pas. Elle s'entendit penser : « Eh bien, ma vieille, la terre ferme ne t'a pas fait du bien, tu t‘es bien ramollie. Te voici dans de beaux draps ». Ce qui, au sens propre du terme, vu le désordre environnant, devait vraiment être loin de la réalité.
Cependant, elle n’appela pas à son secours. Qui serait venu ? Ne trouvant aucune autre idée plus constructive, elle décida d’attendre calmement la suite des événements. Son cou ressentait une drôle d’impression. En entendant la voix de l'inconnu, elle comprit
« — Amnèsya, c'est bien toi ? »
C'était une voix faible, fatiguée, presque d'outre-tombe, mais bienveillante. En revanche, elle appartenait, si ses souvenirs étaient bons, à quelqu'un qui ne devait pas être là, si loin de tout port d'attache, enterré depuis des lustres avec le reste de ses autres vies… :
« — Kyo ? Ne m’appelle pas comme cela. C’est un nom que j’ai abandonné il y a fort longtemps. Mais d’abord qu'est-ce que tu fous là ? Lâche-moi avant que je m'énerve. Et sincèrement, tu me fais mal.
— Tout doux, Planche à pain, le jeu est fini. Et une fois de plus, tu as perdu. Ça fait combien déjà ? Cinquante, soixante à zéro ? Enfin, quoi qu'il en soit cela fait plaisir de te revoir. Dis-moi, tu n'aurais pas pu choisir un endroit encore plus minable pour te retirer. »
Il desserra son étreinte. Elle en profita pour se dégager. Bien qu'elle n’ait pas revu Kyo depuis bien des vies, elle ne ressentait qu'une seule envie. Celle de le gifler furieusement… Ce que par ailleurs, elle s’était juré de mettre en pratique si un jour elle recroisait son chemin… Pour une fois, elle serait fidèle à elle-même. Elle n'avait jamais supporté ce surnom de planche à pain... Il le savait et il s'en servait souvent. Sa main heurta le visage de Kyo. Puis elle resta à le regarder, interdite. Le long de ses doigts coulait un liquide chaud. Sous le choc, quelques gouttes avaient giclé sur sa joue. Son ami semblait être dans un piteux état. Il fallait toute la résistance et la constitution de Kyo pour qu’il tienne encore debout, n’importe qui d’autre se serait effondré depuis bien longtemps.
« — Pour une fois, je crois que tu as raison : je dois avoir besoin d'un petit peu d'aide. Tu vas pouvoir enfin t’acquitter de ta dette. »
Et il s'écroula dans les bras de la jeune fille qui plia sous son poids. Elle le traina péniblement sur le lit, à l’autre bout de la pièce. Ainsi, malgré le temps qui s'était écoulé, rien n'avait jamais changé. Lorsqu'ils avaient des problèmes, c’était vers elle qu'ils se retournaient... Et quelque chose dans sa tête lui soufflait que des ennuis, elle n'allait pas tarder à en rencontrer...
C’était compliqué alors j’ai tenté d’expliquer ce qu’était le Graal pour que tous comprenne. C’était difficile alors j’ai essayé de rigoler pour que personne ne s’ennuie. J’ai raté mais je veux pas qu’on dise que j’ai rien foutu parce que c’est pas vrai.

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Amnèsya
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Re: Chronique d'un Conte Malheureux WIP

Message : # 31630Message Amnèsya
28 janv. 2014, 22:28

Chapitre 3 : souvenirs

« Comment dit-on à quelqu’un que tout de même là il exagère, sans risquer de le froisser ? » Bohort

Le matin se levait sur un ciel dégagé de ses nuages. Des rayons de soleil pénétraient largement à travers les volets mal entretenus de la maisonnette. La lumière, filtrée par les interstices, plongeait la seule pièce dans une semi-pénombre. Dans un coin, sur l’unique vieux lit dormait Kyo. L’elfe ressemblait à une momie avec tous les bandages et les morceaux de fil qui le recouvraient et le recousaient. Preuve que son état avait dû être particulièrement critique pour que même Amnèsya soit obligée de pratiquer une chirurgie classique.

Sa respiration était lente et régulière. Rien ne perturbait le calme de la chambre. Un rayon de lumière vint lui lécher le visage. Il s'éveilla quelques instants après.
Il mit un long moment à rassembler ses esprits. Il avait la tête endolorie, des bandages un peu partout... Comment en est-il arrivé là ? Il observa autour de lui. Il se reposait dans une petite pièce plutôt sombre et plutôt vide. Dans le coin opposé de la salle se trouvait la cuisine où visiblement la maîtresse de maison avait dû démissionner. Dans la vasque en pierre polie s'empilaient pêle-mêle des assiettes, des pots, divers récipients et d’autres ustensiles qui n'avaient aucun usage culinaire, des lames, des scalpels et différentes pinces. Le granit en était d'ailleurs, encore teinté de rouge.

Sur le côté, un feu achevait de mourir dans une vaste cheminée. Au centre de la pièce trônait une table rudimentaire créée avec un bric-à-brac de planches probablement récupérées sur des épaves. Décidément, le travail manuel n’avait jamais été sa tasse de thé. Sur ce meuble se trouvait une bonne dizaine de cadavres de bouteilles qui avaient dû contenir à une époque pas si reculée un liquide ambré. Au milieu de ce cimetière dormait une jeune fille. Il reconnut immédiatement sa fine silhouette. Ses idées se remirent en place. L'abordage du navire, l'arrestation de Silver, sa fuite mouvementée dans les rues de Koskan, et la recherche de la seule personne qui pourrait les secourir... Amnèsya. Il la regarda et pensa qu’il risquait de se passer un petit moment avant qu’elle ne puisse les aider, juste le temps qu’elle se rétablisse de sa gueule de bois. Elle n'avait pas changé par rapport à ses souvenirs et en même temps tout en elle était différent. Elle restait magnifique. Les saisons ne semblaient pas avoir de prise sur elle. De longs cheveux toujours en batailles et quelques fines tresses de-ci de-là. Parmi les multiples interrogations qu’elle avait suscitées en lui, il en serait une qui demeurerait à jamais sans explication… Quelle était la couleur naturelle de sa tignasse ? Elle-même serait vraiment embarrassée de répondre à cette question. Ce détail comme tant d’autres certainement bien plus importants avait été enfermé dans le coffre sacré de sa mémoire, dont elle en avait égaré la clef… Il n’avait jamais su si elle le faisait exprès ou si c’était un dommage collatéral dû à une surcharge magique. Toujours est-il que grâce à cette singulière particularité on pouvait lire en elle comme dans un livre ouvert. Ce qui était très pratique pour remettre à plus tard une conversation dérangeante : Elle avait les cheveux couleur de ses humeurs… Il en avait gardé quelques-unes en mémoire, le bleu pour la joie, le violet pour l’action, le roux pour… il ne s’en souvenait plus, et le blanc pour les angoisses et la dépression… Il la regarda avec un peu plus d'attention, à côté de ses mèches, la neige lui aurait paru noire… S’il avait pu, il aurait volontiers disparu de cette galère…
Un pic avec un edelweiss lui retenait partiellement sa chevelure, le reste tombait anarchiquement sur son visage. Elle avait toujours aimé cette fleur, une des premières à s’épanouir après l’hiver, après les soucis. En clair, elle lui rappelait l'adolescente turbulente qu'ils avaient accueillie à leur bord. Pourtant bien que seulement deux ou trois ans se soient écoulés depuis leur dernière rencontre, elle semblait avoir vieilli. Ses mains étaient gercées et calleuses, cicatrices obligées du long travail qu'il fallait fournir pour arracher à cette terre aride de quoi se nourrir... Elle avait retiré l'anneau d'or qu’ils lui avaient donné en signe de bienvenue. En revanche, elle avait rajouté sur le tatouage qu'elle portait sur la joue une troisième larme rouge. Il se doutait de la signification. Les deux premières symbolisaient deux pertes chères, qui avaient ravagé sa vie, ne laissant derrière elle que des ruines.

Il n’avait pas imaginé qu’elle prenne leur séparation de cette manière. Qu’elle l’associe à ces évènements montrait qu’elle l’avait particulièrement mal digéré. En fait, il en venait à se demander si elle l’avait digéré tout court. Son soutien n'était pas si acquis que cela finalement. Elle, qui naguère était si joyeuse, si insouciante, semblait aujourd’hui porter le monde sur ses épaules même dans son sommeil. Tout en elle était lourd, lent, et obstiné.
Il la regarda dormir et se perdit dans les limbes de l'oublie et des rêves .



*******


La course effrénée du temps allait s'achever, enfin. D’ici peu, la destinée d’un bon nombre de vies serait scellée. C’était maintenant devenu une donnée de l’équation. Plus rien ne pouvait changer cet état de fait. Le seul paramètre aléatoire sur lequel elle pouvait encore influer était celui-ci : la manière dont tout cela se terminerait, en bien ou en mal.
Pourtant les augures étaient favorables. Au début en tout cas. Une belle journée de printemps, un magnifique soleil, le cœur léger d’une mission qui allait bientôt se résoudre, avec la satisfaction du devoir accompli.
Elle ne se rappelait plus quand cela avait si soudainement dérapé. En moins de temps qu’il ne le faut pour le dire, elle avait basculé de l’idylle quotidienne à une authentique catastrophe, de l’euphorie de la découverte à l’amertume de l’anéantissement. Elle n’avait pas saisi ni pourquoi ni comment. Il lui restait malgré tout un espoir, un seul espoir. Un espoir bien mince, il est vrai, mais un espoir tout de même... En tout cas, elle souhaitait se raccrocher à cette idée. Elle désirait véritablement y croire. Comme toujours dans son existence, elle n’avait pas compris grand-chose à ce qui se déroulait dans l’ombre. Elle en avait juste ressenti l’essentiel. Et le peu qu’elle connaissait, elle espérerait, comme jamais elle n’avait dû vouloir quelque chose dans sa vie, l’avoir découvert à temps pour éviter que le pire ne se produise. À défaut de pouvoir rectifier la marche des événements pour que le meilleur survienne.

Dans une forêt qui semblait figée par l’arrivée imminente du soir, une bourrasque souleva l'épaisse poussière et les feuilles mortes qui jonchaient le chemin. Celles-ci s’envolèrent dans un tourbillon de roux, de jaune et d’orange, que la lumière rougeoyante du coucher de l’astre accentuait encore. On avait l’impression que les arbres saignaient. C’était sans doute leur manière à eux de participer à la tragédie qui se jouait. Un écureuil gris, qui divaguait là, tranquille sur sa branche, grignotait soigneusement une noisette sans âge, lorsqu’il fut brusquement tiré de son repas. Des craquements de brindilles retentirent bientôt à un rythme régulier. Le vent emportait dans son souffle les battements sourds d’une pulsation cardiaque. Mais l’espacement entre deux chocs était bien trop court.
Autour d’elle, il n’y avait rien. Hormis le martèlement de ses tempes dans son crâne. Plus aucune sensation ne parvenait jusqu'à son cerveau. Elle était seulement consciente qu’elle courait à en perdre haleine… Plus rien n’existait. Pas même la beauté et la poésie de ce soleil couchant qui irradiait le pays. Ni ce magnifique vol de grands oiseaux blancs aux ailes disproportionnées. Une légende racontait que ces derniers naissaient sans pattes, car ils passaient leur vie dans les cieux. C’était des animaux très rares qui avaient la réputation de porter bonheur. Malheureusement, pour cette fois, cela n’allait pas suffire pour contrer le destin.
Toute son attention était totalement focalisée sur une seule chose : arriver avant le drame. Elle avait enfin découvert ce qui se tramait et elle ne pouvait pas l’accepter. Elle devait absolument l’en empêcher, y mettre un terme…
Depuis un moment déjà, elle avait cessé de penser. Peut-être pour oublier son cœur qui voulait sortir de sa poitrine. Peut-être pour faire taire la supplique de ses muscles qui, un par un, l’imploraient de ralentir. Machinalement, ses jambes déplaçaient son corps. Elle respirait aussi, rapidement, profondément. Son souffle était calé sur celui de ses membres : inspirer, bouger, expirer, bouger, inspirer… Coûte que coûte, elle devait continuer, elle devait avancer… Et surtout, elle devait espérer, pour toujours y croire.
Car en réalité, elle ne fuyait pas, elle ne poursuivait pas non plus. Il n’y avait pas une âme qui vive dans cette immense vallée. Personne ne la suivait, elle n’était pas en danger. Elle s’enfonçait de plus en plus profondément dans la campagne. Bientôt, elle atteindrait la forêt et le lac. Bientôt, elle atteindrait les ténèbres. Mais bientôt, elle atteindrait son but, aussi.

Absorbée par ses pensées, elle ne réalisa pas que les sous-bois se modifiaient petit à petit. Une racine traversa, sans regarder nulle part, et emportée par son élan la jeune fille la percuta avant de s’étaler de tout son long sur le sol. Elle le heurta de plein fouet, n’ayant pas eu le réflexe de se protéger. Sa lèvre se gonfla, un gout sucré s’écoula lentement dans sa bouche. Le visage plein de terre, elle cracha un liquide rouge. Elle tenta de se relever. Aussitôt, elle hurla de douleur, son genou plié dans une inquiétante position. Une panique intense s’empara alors de son être. Une boule apparut au fond de sa gorge. Une angoisse pure lui noua les tripes. Le sang sembla se retirer de son corps. Avec les faibles forces qui lui restaient, elle n’avait pu négocier convenablement sa chute et sa jambe droite refusait obstinément de lui obéir. Littéralement, elle était clouée sur place. Cependant, elle n'en avait pas la possibilité. Abandonner n'était pas une option envisageable. Il fallait qu'elle avance, d'une manière ou d'une autre. Elle aurait pu facilement se soigner, mais cela ne lui traversa pas même l’esprit. La fatigue, la douleur, la peur, tous ces sentiments s‘entrechoquaient dans sa tête et elle n’arrivait plus à penser clairement. Sa seule idée, fixe, était de continuer. Elle devait continuer, elle n’avait pas le droit de rester là. Elle était Major au B.S.I. après tout. Elle avait travaillé trop dur et surtout trop de choses dépendaient d’elle.
Elle décida de jouer le tout pour le tout, et elle abattit sa dernière carte. Elle reprit sa respiration et entreprit de se calmer. Peu à peu, une douce chaleur se répandit dans sa personne. Une aura bleue sortit de ses mains. À l’intérieur ses os regagnèrent leurs positions habituelles, les ligaments leurs longueurs coutumières. Les signaux électriques qui depuis l’incident envoyaient une alerte dans tout ce corps éprouvé commencèrent à perdre de leurs intensités. La douleur s’effaçait petit à petit. Une puissance nouvelle se diffusait en elle. Elle rehaussa la tête en direction du lac… Ses longs cheveux lui tombèrent sur sa figure. Et d’un bond, elle s'envola au-dessus des champs. À quelques pieds du sol, elle était de nouveau dans la course. En utilisant ses sorts, elle savait qu’elle brulerait très rapidement son mana, mais elle savait aussi qu’elle pourrait ainsi, avoir la chance de les sauver… Peut-être.

Ses yeux se brouillèrent...
Un petit phare pas très haut d’une demi-dizaine de mètres maximum en briques altérées, posé au milieu d’un amas de digue en ruine et de rocher au ras des embruns, une grande porte rouillée, demeure inviolable d’un aigle, et autour, rien. Rien que la mer sauf deux silhouettes de la taille d’enfant jouant dans les vagues. Cette vision qui lui traversa l’esprit lui rappela, si besoin était, pourquoi elle vivait ce calvaire… Elle se battait pour qu’elle continue à exister…

Il serait merveilleux de pouvoir dire qu’elle arriva à temps. Malheureusement, alors, il n’y aurait plus d’histoire


*******


Il est des jours où l'on devrait rester couché. Lorsqu’elle se réveilla, elle eut le pressentiment amer qu’aujourd'hui serait de ceux-là. Et ce n’était l’évocation de ce moment funeste qui allait arranger l’affaire. Elle le savait ; chaque fois qu’elle avait abusé de l’alcool, la nuit suivante était plus qu’agitée.
Mais entre toutes ses mésaventures, et elles étaient nombreuses, il fallait que ce soit celle-là qui lui ait sauté à la figure… Depuis cet événement, elle avait la réponse à une question traditionnelle que tout être humain s’est un jour posé dans sa vie. « Si tu pouvez revenir en arrière et changer une journée dans ta vie, laquelle choisirais tu ? ». Maintenant, elle le savait, et malgré sa relative jeunesse, elle n’avait pas besoin de continuer le chemin pour choisir : c’était cette journée là qu’elle tenterait de modifier. Avec le recul, elle pourrait espérer prendre les bonnes décisions et ainsi éviter de tout perdre. Ses rêves, sa vie, son âme… tout avait disparu avec ce coucher de soleil. Durant cette soirée, elle s’était couchée pour la dernière fois.
Quitte à n’avoir plus rien, elle donnerait volontiers tout pour ne serait ce qu’entrevoir l’espoir de pouvoir un jour avoir une chance de modifier les fils du destin…
« Poufffffffffffffffffff… Mauvais augure pensa t’elle. »
Elle chercha à tâtons un oreiller pour se recoucher. Elle n’en trouva pas. Par contre, sa main fit une rencontre avec plusieurs bouteilles, et le vacarme qu’elles firent en se renversant acheva de la convaincre que la journée allait être longue… Trop longue… Mais elle devait bien se rendre à l'évidence. Ce n'était pas un rêve. Rien ne s'était effacé dans la nuit. De plus, elle avait mal aux cheveux. Sur ce point, elle pensa qu’en fait ce n’était qu’un matin comme les autres. Elle tendit l'oreille. Elle n'était pas seule. En effet, une respiration faisait écho à la sienne. Dommage. Il lui fallait bien de toute façon affronter la réalité. Elle se décala. Toutes ses articulations craquèrent et elle ouvrit les yeux. Elle se força à ne pas sourire à la silhouette alitée qui semblait l’observer depuis un certain moment. Elle soutient son regard et attendit. Kyo finit par se décider à briser la glace.
— Bonjour Amnè... Tes doigts de fée font toujours des miracles. Pas trop mal à la tête ?
— Moi, je n’ai jamais prétendu faire de miracles. Je me contente d'essayer de soigner les gens. Tu en avais rudement besoin. Cela fait véritablement un bail que je n’ai pas pratiqué, je dois avouer que je me suis sentie légèrement rouillée devant l’ampleur de la tâche. Ce qui n’a dû m’arriver que trois ou quatre fois dans ma vie. Pour te mettre dans un état pareil, vous avez encore dû vous donner à fond. C’est quoi votre dernière trouvaille pour vous jeter dans un tel pétrin ? Et pour la dernière fois, Amnèsya est morte un soir de printemps. Et vous l'avez enterrée en la laissant seule. Ne m'appelle plus comme ça.
— Soit, alors comment on doit te prénommer ?
— Je pensais que tu étais au courant puisque tu m’as retrouvé après tous ce temps alors que je suis censée avoir disparu totalement …
— Tu le sais. J’ai toujours eu un bon réseau d’informateurs, c’est ce qui fait ma puissance dans ce milieu, entre autres. Mais que veux-tu, quoi que tu fasses, là où tu passes, on te retient... Tu laisses en général, sur les gens, des marques qui ne s’effacent pas… J’ai eu effectivement des difficultés à te retrouver, mais je pensais que c’était dû au fait que tu cherchais à couvrir tes traces, à te faire oublier.
— Je n’ai pas eu à le faire. Tu sais, ce n’est pas très compliqué de se cacher lorsque personne ne te cherche.
— Certes. Mais es-tu sure, c’était des autres que tu devais te cacher… ? Après tout ce titre d’Amnèsya que tu as adopté en ton âme et conscience, c’était potentiellement trop dur pour toi dans ces conditions. Avec le temps, j’ai pu comprendre pourquoi la gentille fille que tu étais avait choisi un mot aussi… »
Il marqua une petite pause, pesant et cherchant le terme le plus adéquat. N’en trouvant aucun de vraiment satisfaisant, il opta pour :
« — complexe… Amnèsya a de nombreuses personnalités, de multiples visages. Être Amnèsya, cela signifie oublier TOUT, quoiqu’il arrive : oublier les crasses que l’on t’a faites, car tu ne peux pardonner.Oublier les bons moments, car tu ne peux les revivre… Cela signifie surtout s’oublier soi-même, plutôt que de s’accepter…
—Peut-être… » Elle marqua une pose, tant pour réfléchir que pour former les mots dans sa gorge serrée.
« — Ouais. J’avais bien choisi ce nom. Je l’aimais bien, Amnèsya c’était lourd à porter, certes. Il fallait être puissante pour l’endosser. Pour quelqu’un qui aimait les ténèbres, cela m’obligeait à vivre dans la lumière.
— C’est bien à cause de ces raisons qu’un bon nombre de personnes te recherchait. Tu aurais bien pu choisir une fois de plus de te faire “oublier”.
— Bien sûr, tu choisis souvent d’arpenter le chemin seul toi, lorsque tu crois avoir des amis sur lesquels tu pourrais te reposer…
— Bon. On va faire une pause. Je crois qu’on est manifestement partis du mauvais pied. Si tu veux bien, on va jouer un peu… Tu as toujours aimé ça. On va dire que je suis ton patient et toi mon docteur. Bonjour docteur, je me présente, je m’appelle Kyo MASURAME. Je vous remercie énormément pour vos soins. Par ailleurs, je suis enchanté de faire votre connaissance charmante demoiselle. Puis-je partager mon petit déjeuner en votre radieuse compagnie ? »
Elle regarda autour d’elle considérant la pile de vaisselle…
« — Du moment que tu ne souhaites pas un verre propre… Je te sers quoi ? Rhum, scotch, whisky, liqueur ?
— Tu n’aurais pas plus doux ? En général, les gens civilisés attaquent leur journée par un café, un thé ou un chocolat…
— Je n’ai pas et puis cela désinfecte au moins le verre. Et moi je dois traiter le mal par le mal. »
En joignant le geste à la parole, elle prit deux verres, de ceux qui paraissaient les moins sales, ou à défaut, des plus propres, les épousseta du revers de la manche, et servit deux bonnes rasades d’une bouteille suspecte.
« — À la tienne, Kyo ! Et à ta première rencontre avec Luna Dreamdust.
— Dreamdust, évidemment. A la tienne pitchounette !!! Je préfère t’appeler comme cela, comme à l’époque si tu le permets. »
Ils trinquèrent et descendirent leurs verres cul sec. Kyo faillit s’étouffer. L’alcool et ses blessures ne firent pas bon ménage. Il se retint de crier. Il toussota. Luna sentit le liquide descendre dans son corps, jusqu’au plus petit vaisseau sanguin.
« — Il n'y a pas dire. Tu sais toujours recevoir un vrai marin... Par contre, la chaleur de ton foyer n'est plus vraiment aussi accueillante. »
Elle fit une sorte de moue…
« — Si c'est pour me dire ça, je pense que tu peux repartir. Comme tu as dû le remarquer, recevoir des gens n’est plus vraiment au programme. On n’habite pas ici pour avoir une vie sociale…
— Pourtant, il y a un certain charme dans tes ruines. C’est différent de ton ancienne villa “Le havre des Naufragés”, mais au fond l’esprit reste le même. En tendant bien l’oreille, je suis sûr que l’on doit pouvoir encore entendre la mer, les jours de tempête… »
Il la vit se resservir un verre. Lorsqu’elle le pencha pour le boire, il constata une tension dans ses mains, ses veines marquées sur le dos de la paume. Il ne savait pas vraiment pourquoi il cherchait à la mettre mal à l’aise, en retournant le couteau dans la plaie. Peut-être pour la sonder…
« — Les jours de tempête, tu peux surtout entendre la toiture craquer et espérer qu’elle ne te tombe pas sur la tête.
— Cela doit te changer alors, le havre était bien abrité… Je dis “était”, car j’y suis repassé en espérant te trouver là-bas. Mais finalement, j’ai été bien déçu, il ne reste rien… On aurait dit qu’un incendie avait ravagé le domaine… »
Elle baissa le regard, et prit une gorgée, qu’elle avala lentement pour sentir les flammes dans ses entrailles… avant de continuer
« — Tu m’en diras tant…
— À ta réaction, quelque chose me dit que tu étais au courant, n’est-ce pas ?
— Tu me connais, je ne suis pas partisane de la mauvaise foi. Donc oui, j’étais au courant, puisque c’est moi qui ai déclenché le feu.
— Mais pourquoi tu as fait une bêtise pareille ?
— Je ne sais pas trop. Je commence la liste par ordre alphabétique ou chronologique ?
— On te reconnaît bien ici. Tu en rajoutes toujours trop.
— C'est ça. Traite-moi de mythomane aussi !!!
— De mythomane, je n'oserai pas, mais de fille douée pour détourner les conversations, c'est déjà plus envisageable...
— Alors, si je ne dois t'en donner qu'une, ce sera celle-là : parce qu'il est des souvenirs qui ne doivent pas laisser de traces sur cette terre.
— Ils étaient si terribles que cela ?
— Non, ils étaient juste heureux, périmés et ancrés dans une autre vie. Peut-être aussi trahis…
— Dure. Et tu as brulé l'ensemble de tes possessions ?
— Pourquoi poses-tu la question, alors que tu connais la réponse ?
— Parce que j'aimerais l'entendre de ta bouche, car je ne comprends pas.
— Je n'avais aucune raison de le faire pour les autres. Le havre, c’était différent. C'était un abri que j’avais construit pour nous, pour pouvoir se retrouver, se ressourcer. Il n’avait aucune raison de continuer à exister en dehors de celle-là. Les autres, ils étaient à moi et pour moi. Donc, pourquoi tout détruire alors que cela pourrait servir à d'autres ?
— Alors tu seras contente d'apprendre que Carpe Diem abrite une gentille famille très accueillante. J'y suis demeuré quelque temps lors ma dernière mission.
— Crois-moi ou pas, mais oui, cela me fait très plaisir. A la tienne, à cette bonne nouvelle. »
Ils trinquèrent une dernière fois.
— Kof. Kof, c’est vraiment une boisson d’homme ton truc. Dis-moi, il n’y aurait pas de la pomme par hasard ?
— De la pomme, il y en a. Boisson d’homme, mes fesses, je connais une gamine qui descends cela au petit déjeuner…
— Mais bien sûr. C’est efficace contre le mal aux cheveux ?
— Pas vraiment, Ouille. Mais à l’impossible, nul n’est tenu. »
Elle se resservit un verre. Elle regarda l’elfe. Celui-ci lui fit comprendre qu’il ne fallait pas abuser des bonnes choses.
« — En revanche, c’est infaillible contre les empêcheurs de tourner en rond qui s’incruste chez vous en pleine nuit. Vas-y, raconte.
— Tu veux quelle version ? La courte ou la longue ?
— Optons pour la longue, de toute façon tu ne comptes pas sortir ce soir pas vrai ? »
C’était compliqué alors j’ai tenté d’expliquer ce qu’était le Graal pour que tous comprenne. C’était difficile alors j’ai essayé de rigoler pour que personne ne s’ennuie. J’ai raté mais je veux pas qu’on dise que j’ai rien foutu parce que c’est pas vrai.

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