Fortuna Imperatrix Mundi

Les mechas ont-ils une âme ? Dorment-ils en rêvant d'araignées électriques ? Il y avait une UV de mechapsychique où on nous posait ce genre de question... Bien que le nettoyage ne soit pas ma spécialité, je suis impressionnée par la propreté des lieux. Ces derniers temps, j'avais vu des endroits abandonnés beaucoup plus récemment, comme le café où nous avons rencontré Théon, et ils paraissaient beaucoup plus délabrés. Il est vrai que ce café était une zone de fréquentation humaine. Je demande à mi-voix à Bender, ce qui n'est pas très utile puisque tous nos casques sont interconnectés :

- Bender, à ton avis, à quand remonte le dernier nettoyage de ce couloir ?

Bender, qui me suit avec la batterie, la trousse à outils et les rouleaux de cordes (j'espère), passe ses faisceaux sur les parois :

- Je vérifie, docteur.

- Edité.

Bender confirma avoir dans son coffre de stockage batterie et outils. Pas de corde en revanche, les gardes transportaient l'équipement d'exploration nécessaire. Au pire, Bender pourrait toujours matérialiser une corde comme il avait fait pour sa robe de soirée.

Le scannage de Bender put confirmer que les lieux étaient toujours entretenus, le peu de poussière laissant supposer qu'un nettoyage avait été fait récemment.

Le groupe avança, deux gardes devant, deux derrière, Klark, Koebi et Bender au centre. Les premiers vérifiants régulièrement les pièces le long du couloir, y pénétrant avant d'en ressortir moins d'une minute plus tard.

Ils avançèrent ainsi pendant une bonne dizaine de minute sans croiser quoi que ce soit quand finalement les drones repérèrent des androïdes armés sur leur parcours. Klark préférait éviter la confrontation tant que cela était possible, et envoya les drones dans une autre direction mais découvrit la même situation dans le second passage. Il ne sembla guère surpris du même scénario quand il fit un troisième repérage... Il s'était fait prendre au piège et étaient encerclés. Il dit à Koebi de se mettre à l'abri dans la pièce la plus proche tandis que ses hommes se mettaient en position défensive.

Était-ce une bonne idée de venir avec ces militaires ? J'aurais beaucoup de mal à soutenir que mes intentions étaient pacifiques. Déjà, j'ai pu constater qu'il n'était pas facile de discuter avec un androïde : leur première loi, c'est généralement "Je tire le premier". Et avec cette fichue combinaison, je fais une excellente cible.

- Viens, Bender. Nous les laissons faire leur métier.

Nous nous retirons dans la pièce d'à côté et je commence à réfléchir à l'étape suivante. Je cherche à entrer en contact mental avec un des drones.

[Sous quelle forme, les drones ? Araignées ?]

D'abord un silence pesant, puis lui tirs commencent, des cris, quelqu'un est touché, les impacts se multiplient au milieu des ordres criés puis v

"Ils sont trop nombreux, Repli ! Repli ! “

Les gardes se regroupèrent dans la pièce sans issue. Deux d'entre eux en traînaient un troisième.

Ordres rapides de Klark, bloquer la porte, la défendre, pendant que deux d'entres eux ouvrent une voix par le plafond.

- Nous sommes mal partis, Bender.

Elle n'eut que le silence en réponse dans son oreillette, et les coups des robots qui cherchaient à forcer la porte. L'un des gardes s'était hissé dans le plafond quand Koebi remarqua une des araignées espionne. Elle entendit alors une voix dans sa tête, la voix d'IVI, aucun doute là dessus, et elle n'aima pas l'intonation de cette voix.
Tout se passa ensuite en une fraction de seconde... L'arrière de l'araignée se mit à clignoter vivement en rouge... elle entendit de multiples explosions plus loin dans le couloir... Le bâtiment trembla... Plusieurs objets se mirent aussi à clignoter en rouge à la ceinture d'un des gardes... Puis quelque chose la percuta violemment alors que l'explosion retentissait dans la pièce... La douleur... Le noir... Le sifflement strident et interminable qui semblait lui percer les oreilles... La sensation d'avoir tout le sous-sol de Mars sur elle, l'écrasant, l'empêchant de respirer l'air chargé de poussière qui semblait l'entourer...

La combinaison que Koebi n'a pas eu le temps de retirer lui évite, provisoirement, l'écrasement et l'asphyxie. Mais elle est commotionnée par l'explosion et n'émet plus de signal identifiable. Après un moment de silence, seule la voix de Bender émerge à travers les décombres :

- Docteur, compte tenu de la situation, souhaitez-vous que je prenne contact avec le garde Duncan ?

Bender remémorise la position des membres de la patrouille. Duncan était probablement un des deux hommes qui portaient le blessé, à moins qu'il ne soit le blessé lui-même.

La douleur devait faire délirer la mecha-thérapeute car elle se rendit finalement compte qu'aucun signe de vie ne se manifestait autour d'elle, humain ou mécanique. Peut être son esprit imaginait-il un nouveau sauvetage d'un mecha protecteur face à une situation où la mort rôdait, elle ne pouvait s'avouer la vérité...

Elle était seule.

Seule en vie, car la douleur était bien réel, et la pression sur son corps de l'éboulement de la pièce la comprimaient, elle arrivait à peine à respirer et ne pouvait pas bouger, totalement à la merci de la faucheuse d'âme qui l'attendait depuis tant d'année, elle qui n'avait pas eu son dû il y avait des années de cela.

Je retrouve mes esprits... et ce n'est pas un cadeau. Je tends l'oreille en attente du moindre bruit et n'entends que la pulsation sourde de mon propre sang.

- Ben... der ?

Ma langue reste collée à mon palais. Bender est-il...

S'il était là, il parlerait. Il chercherait à me parler, à me consoler, ou au moins, même avec sa mémoire réduite, à me rendre service. Je ne peux pas me défendre contre la masse qui m'écrase ni contre l'évidence qui m'accable. Il est mort et c'est moi qui l'ai tué.

Des siècles de sagesse, de gentillesse, de drôlerie qui s'éteignent par ma faute. Par réflexe, je ralentis ma respiration, pour moins sentir ma douleur. Mais je sais que cette fois, je ne remonterai pas à la surface.

J'ai juste le temps de composer un dernier poème :

• Elle aimait un mecha
  Elle voulait vivre pour lui
  Il est mort par elle

Elle sentait le métal froid contre elle de Bender qui s'était interposé entre elle et l'explosion. Le froid la gagnait tout entière à présent, elle ne sentait plus que ça, et n'avait peu à peu plus conscience de son corps. Le froid et le silence, c'était donc ça la mort ?

Mais alors qu'elle se concentrait sur ce silence qui l'entourait, elle ressentit quelque chose de différent, une présence mais ... passive... comme endormie. C'était assez faible, mais elle sentait l'émanation de cette chose, des circuits en veille qui avait abrité autrefois une IA, elle reconnaissait ce type d'aura. Elle n'était plus très loin, elle pourrait bientôt l'atteindre, atteindre ce qui lui semblait être un refuge ...

Mais elle ressentit alors une autre, non d'autres présences, bien plus actives, des IA aussi, qui s'activaient, certaines s'approchaient, d'autres s'animaient pour accomplir quelques tâches qui venaient de leur être confiées.

Physiquement, elle ne ressentait plus rien, elle se savait incapable de la moindre action, mais mentalement, il lui restait quelques forces, mais elle s'épuisaient également rapidement, elle le savait, elle n'aurait le droit qu'à une seule tentative...